Oldies But Goodies: More Fun Comics #71 (1941)

Oldies But Goodies: More Fun Comics #71 (1941)

6 mai 2017 Non Par Xavier Fournier

C’est le héros super-rapide de DC qui aura duré le plus longtemps pendant tout l’Age d’Or des comics. Il est bel et bien vêtu de rouge et or. Mais si cette introduction vous a d’abord fait penser à Flash, vous êtes dans le faux. S’il ne fait aucun doute que le premier Flash fut, dans les années quarante, le héros rapide le plus populaire (au point d’animer conjointement les séries Flash Comics, All-Flash, Comic Cavalcade et de figurer dans les rangs de la Justice Society of America), ce n’est pas, paradoxalement, celui qui s’est inscrit le plus dans la durée.

[Ce samedi, c’est le Free Comic Book Day, où plusieurs centaines de librairies spécialisées proposent des comics gratuits à leur clientèle. Nous profitons de l’occasion pour rouvrir exceptionnellement ce site – pour cette journée *seulement* – et proposer un nouvel article d’Oldies But Goodies (le 381ème !) en remerciement à tous les lecteurs qui nous ont soutenus ces derniers mois dans cette période funeste. Merci à vous tous !]

Flash (Jay Garrick), reconnaissable à son casque faisant référence à Mercure, était bien là le premier, créé dès janvier 1940 dans Flash Comics #1. Mais sa dernière aventure solo de l’Age d’Or fut publiée dans Flash Comics #104 (février 1949). Le fait de faire partie de la Justice Society lui a cependant permis d’apparaître pendant deux ans de plus au sein du groupe, jusque dans All-Star Comics #57 (février 1951). Même en prenant en considération cette « rallonge », la carrière originale de Jay Garrick fut intensive mais s’est étendue sur seulement onze ans. Au premier abord le parcours de Johnny Quick, autre super-rapide introduit également dans l’univers DC quelques mois après Flash, fait plus pâle figure. Quick n’a jamais eu son propre titre. Il est resté caché au fond de différentes anthologies. Il n’a pas non plus intégré (en tout cas pas à l’époque) de groupe comparable à la Justice Society. De ce fait, il n’a pas profité de la même visibilité que Jay Garrick. Lancé dans More Fun Comics #71 (septembre 1941), ce fringuant coureur masqué n’a arrêté sa carrière solo que dans Adventure Comics #207 (décembre 1954), soit treize ans plus tard, arrivant pratiquement aux portes de la seconde ère des super-héros (on verra un peu plus loin que ce n’est peut-être pas un hasard).

Il ne paye pas de mine, Johnny Quick. Il ne fait pas partie du « premier rang ». Et on l’oublie donc souvent quand on évoque les héros du Golden Age de DC. Il faut dire qu’au demeurant il n’est pas l’invention la plus originale qui soit. Chargé de remplir diverses anthologies pour DC Comics en 1941, le responsable éditorial Mort Weisinger se serait chargé d’inventer à la va-vite quelques figures en s’inspirant de ce que si faisait déjà. En lorgnant sur Batman, Weisinger inventa un justicier urbain qui en reprenait les mêmes mécanismes si ce n’est qu’au lieu d’être obsédé par les chauves-souris, celui-ci basait ses méthodes sur le tir-à-l’arc. Ainsi fut lancé Green Arrow. Le héros amphibie Sub-Mariner était publié depuis près de deux ans par le concurrent. En décidant de lui donner une apparence plus proche de Flash Gordon, Mort Weisinger créa ainsi son propre aventurier des océans, Aquaman. Enfin, dans le cas qui nous intéresse, à l’évidence Weisinger s’inspira massivement de Flash pour créer Johnny Quick, autre héros super-rapide. On pourrait se demander pourquoi DC avait besoin de deux héros aux pouvoirs identiques mais il faut prendre en compte la configuration particulière à l’époque.

« DC » comprenait alors plusieurs branches, nées de différents pactes d’actionnaires. On trouvait donc deux filiales orientées super-héros : All-American (qui éditait Wonder Woman, Green Lantern, Hawkman…) et National Allied Publications (qui éditait Superman, Spectre, Hour-Man et d’autres). Les deux filiales collaboraient, utilisaient parfois des personnages en commun (des héros d’All-American et de National Allied cohabitaient dans les rangs de la Justice Society). Cette entente visible pourrait laisser croire que les branches n’étaient que deux façades au service d’une même direction. Mais en coulisses les choses étaient plus compliquées, au point que les deux équipes éditoriales ne partagent pas les mêmes bureaux et soient même installées dans des coins différents de la ville. La raison est qu’un opérateur majeur d’All-American était Max Gaines, qui menaçait de temps à autre de reprendre ses billes et de devenir un concurrent à part entière de National et du reste de la nébuleuse DC (au rythme de ces désaccords, d’ailleurs, la composition de la Justice Society évoluait pour parfois ne comporter que des héros d’All-American). Cette situation bicéphale allait durer jusqu’en 1944, date à laquelle Gaines allait négocier son départ. All-American et tous les héros concernés devenaient la propriété de DC/National tandis qu’en coulisses Gaines conservait les bureaux d’All-American et y lançait dès 1945 la société EC Comics, concurrente de DC. Si traditionnellement on parle d’All-American comme étant l’un des anciens noms de DC Comics, il n’est donc pas faux de dire que c’est aussi la première version d’EC. Tout cela peut sembler au premier abord nous emmener bien loin de Johnny Quick (EC Comics est plutôt restée dans l’Histoire pour ses récits d’horreur, de SF, de guerre…). Et pourtant, cette situation éditoriale explique qu’en 1941 National n’était pas propriétaire de Flash, lequel était contrôlé par un associé qui faisait mine de temps à autre de partir. D’où l’utilité d’avoir un « Flash maison » au cas où.

D’une manière générale, ce n’est donc pas tant le personnage qui est intéressant que la tonalité et le registre des histoires de Johnny Quick. Et puis il y a aussi son origine plutôt singulière (même pour un super-héros) puisqu’elle oscille entre la science-fiction, magie et fantaisie. Pourtant le premier épisode paru dans More Fun Comics #71 est d’abord assez peu explicite. Bien que la première page nous présente un logo de Johnny Quick, on n’explique pas réellement au lecteur qui est le personnage, en dehors de le définir comme un « flashing human windmill« . On comprendra, à la lecture des lignes précédentes, que le mot « flashing » n’est pas là par hasard. Mais en parler comme d’un « moulin vivant » n’est pas très explicite (l’idée première, en fait, est qu’il est supposé tournoyer sur lui-même, notion qui sera largement estompée par la suite). Le scénario préfère d’abord insister sur la menace. Si bien que lorsqu’on parle d’un nouveau tsar du crime qui menace autant les hommes que les animaux, en s’attaquant au cirque, le lecteur n’a rien pour lui dire si la première vignette (qui montre un individu en rouge, avec une large ceinture noire, affrontant la troupe du dit cirque) représente Johnny Quick ou au contraire le « nouveau tsar » en question. Allez, ne faisons pas durer le suspense. Il s’agit bien du super-héros attendu mais dans une première version plus « rudimentaire » de son costume.

Comme il est de coutume à l’époque, après la scène introductive on fait un bond chronologique en arrière pour nous expliquer les prémices de l’enquête. L’histoire démarre dans le cirque Metropolitan où, devant des caméras, un dompteur a bien du mal à maitriser un terrible lion, Nero. D’ailleurs la bête l’attaque carrément. Heureusement pour l’homme, parmi l’équipe du journal télévisé venue le filmer, il y a le reporter Johnny Chambers. Voyant le danger, Johnny commence alors à murmurer une formule mathématique secrète, « 3X2(9YZ)4A ». Immédiatement, Johnny Chambers se transforme en Johnny Quick, qui part aussi vite qu’un boulet de canon, volant vers le lion. C’est une première différence entre Flash et Johnny Quick. Si les différents héros rattachés à Flash courent généralement et n’utilisent que rarement leur grande vitesse pour voler, Johnny Quick, lui, est plutôt « aérien par défaut ». Mais l’autre raison pour laquelle Johnny Quick vole plus que Flash c’est aussi parce que ce n’est pas un clone de Jay Garrick mais une sorte d’hybride, incorporant aussi différents aspects d’un autre héros à succès d’All-American.

On le comprend en s’intéressant au faire-valoir de la série, Tubby Watts, le caméraman qui accompagnait Johnny Chambers. Visiblement pas très malin (et pas au courant de la double identité de Johnny), Tubby se contente de regarder le héros volant vers le danger. Johnny est donc un reporter flanqué d’un ami rondouillard gentil mais un peu crétin et, en ce sens, il nous évoque donc une autre vedette volante d’All-American, à savoir Green Lantern, alias Alan Scott, dans le civil un reporter radio flanqué de son fidèle ami Doiby Dickles, pas spécialement connu pour sa rapidité d’esprit. Il y a donc une compression des archétypes de Flash et de Green Lantern (plus spécialement pour l’aspect vie privée de ce dernier) pour en arriver à Johnny Quick. En fait le héros va si vite qu’il neutralise le lion sans que le dompteur ait réalisé ce qui se passe. Il est convaincu d’avoir battu le lion sans s’en rendre compte. Pendant ce temps Johnny Quick peut rebondir jusqu’à l’emplacement où se trouvent Tubby et la caméra. Le meilleur ami du héros le supplie alors de lui révéler la formule mathématique. Mais Johnny, qui a repris sa tenue civile, botte en touche : « Ah, si seulement le Professeur Gill était vivant ! ».

La mémoire de Johnny Chambers le ramène alors plusieurs années en arrière, alors qu’il était encore adolescent et se trouvait dans le laboratoire du Professeur Gill, un grand mathématicien. Une question sans réponse s’impose alors au lecteur moderne. Qu’est-ce que le garçon fait là ? Gill est-il son employeur ? son professeur ? son grand-père ? En fait il convient de faire un parallèle avec une version plus moderne de l’origine de Johnny Quick, telle que racontée en 1987 dans les pages d’All-Star Squadron #65 par le scénariste Roy Thomas, ainsi que les dessinateurs Don Heck et Tony DeZuniga. Thomas s’efforcera alors de consolider l’histoire en gommant des contradictions ou en remplissant des vides. La version de 1987 explique que les parents de Johnny Chambers sont morts dans un accident de la route, lors d’une nuit d’orage (avec un éclair traversant le ciel, histoire d’inscrire les choses dans la même symbolique que Flash). Seul survivant de l’accident, le petit Johnny a pour tuteur le professeur Ezra Gill, qui est donc en quelque sorte son père adoptif.

Que ce soit dans le récit de 1941 ou celui de 1987, le professeur (qui doit probablement son nom au dessinateur/encreur Ray Gill, qui travaillait régulièrement pour Weisinger, y compris dans les pages de More Fun Comics) fait partie de ces savants des comics qui mélangent allégrement les disciplines et les champs d’expertise. Ainsi, fier de sa dernière trouvaille, il explique au jeune Johnny qu’il vient de trouver une formule qui permet de coordonner la gravité et l’électricité. Et qu’en prime c’est un bout de papyrus trouvé dans la tombe du roi Amen (en France on traduirait par « Amon ») qui lui a donné l’idée. Vous en connaissez beaucoup, vous, des mathématiciens qui font des fouilles égyptologiques pour voir s’il n’y traînerait pas quelques idées à adapter ? Le professeur explique à Johnny que cette formule détient le secret de l’espace et du temps. Après lui avoir fait apprendre par cœur la formule « 3X2(9YZ)4A », Gill lui fait jurer de ne la révéler à personne (et, dans la version de 1941, on reste toujours dans le flou sur le pourquoi du comment le mathématicien confie son plus grand secret à cet enfant en particulier). Et puis le professeur décide de démontrer la puissance de cette formule en la prononçant à haute voix… ce qui a pour effet de le transformer en un véritable tourbillon humain.

L’idée que dire à voix haute une formule mathématique peut faire de vous un être super-rapide peut paraître capillotracté au demeurant. Si on se souvient néanmoins que dans l’univers des comics d’autres héros se transforment en colosse en criant simplement « SHAZAM !« , cela laisse de la marge. Surtout, la mention initiale d’un papyrus égyptien laisse de la place pour insinuer que, même si on parle mathématique, il y a un ressort mystique a tout ça. Dans More Fun Comics, on publiait par ailleurs les aventures du sorcier Doctor Fate, dont les origines impliquaient que les dieux anciens de l’Egypte étaient en fait des visiteurs d’une autre planète. L’idée générale était donc que la magie n’était jamais qu’une science ancienne remontant à l’Egypte, dont l’homme moderne aurait perdu le secret. Et cela recoupait par ailleurs l’existence d’autres personnages de DC liés à l’Egypte, comme Hawkman. Ce que le professeur Gill avait trouvé dans le papyrus était peut-être un traité scientifique venu du même peuple extra-terrestre que le mentor de Doctor Fate. Ou bien Gill avait trouvé le moyen de traduire en mathématique un sortilège ancien… ce qui ne veut rien dire de très cohérent, mais vu qu’on est dans la magie. Une version intermédiaire pourrait établir que ce n’est pas la formule en elle-même qui donne le pouvoir, qu’elle n’est qu’un déclencheur, une sorte de « mot-clé »… C’est à dire que ce serait bien un sortilège qui serait à l’œuvre mais que Gill aurait simplement choisi un mot de passe un peu plus compliqué que SHAZAM pour le déclencher.

Sauf que Johnny Quick aurait l’occasion de constater que s’il se trompe dans l’énoncé de la formule, il accède alors à des pouvoirs totalement différents ou se transforme de façon parfois spectaculaire (rien que dans ce premier épisode, Quick utilise déjà une autre formule). Difficile de penser que Gill ait prévu toutes les variantes mathématiques. Tout comme on a du mal à croire que des égyptiens de l’antiquité aient mis au point des formules mathématiques prononçables facilement par un américain moderne. Le professeur explique qu’il est vieux, qu’il n’a plus beaucoup de temps devant lui… mais que Johnny, en utilisant sa formule, deviendra un homme invincible, lui enjoignant d’utiliser ce don sagement, au service de la justice. Un peu ennuyé, Johnny accepte, en expliquant qu’il ne voit pas bien comment une formule mathématique peut le rendre « aussi rapide que la lumière« . En tout cas, c’est ce que dit la version de 1941. Roy Thomas y rajoutera tout un volet important en expliquant qu’il faut non seulement prononcer la formule mais aussi « comprendre les concepts mathématiques qu’elle représente« . Et ça, dans un premier temps, le jeune Johnny n’est pas assez calé en mathématique pour le faire. Si bien que dans les semaines qui suivent, le professeur et son pupille travaillent ensemble en essayant de familiariser le garçon avec le sens de la formule. Mais la santé d’Ezra périclite et il fait un malaise. Johnny doit donc sortir chercher de l’aide. Mais on avait oublié de nous dire que le laboratoire est dans une zone isolée, ravagée par un blizzard. Bien que Johnny prenne la voiture, il est vite bloqué par la neige. Réalisant que la vie de son mentor est en jeu, Johnny tente alors plusieurs fois de prononcer la formule. Au bout de plusieurs essais, ça marche. Johnny s’envole jusque chez le plus proche médecin. Mais le temps qu’ils reviennent au laboratoire, il est trop tard, Gill est mort. Et Johnny Chambers s’en veut à mort de ne pas savoir mieux utiliser la formule. S’il avait été plus rapide, il est convaincu qu’il aurait pu sauver le vieil homme. Dans la première version, Chambers ne partage pas la formule secrète parce qu’il l’a promis à Gill. Dans l’origine selon Thomas, la formule devient très compliquée à utiliser, il faut des mois de formation. Et si l’on peine à s’en servir, il est donc pratiquement impossible de la partager.

Dans la version de 1941, maîtrisant d’emblée la formule et ses pouvoirs, sans se sentir responsable du décès de Gill, Chambers est devenu immédiatement Johnny Quick. Comme cette origine se déroule plusieurs années dans le passé, l’implication est que le héros opère depuis les années 30 et précède donc beaucoup des autres super-héros, même si ses exploits n’étaient pas chroniqués. Une scène laisse entende que Johnny Quick a connu beaucoup d’aventures, brièvement énumérées. Il a combattu aussi bien le « Murderous Musician » que la « Momie du Pharaon« . Tout cela explique que si le lecteur de 1941 ne découvre le héros qu’avec cet épisode, Johnny Quick a en fait une carrière secrète bien plus longue, qu’il est donc « légitime » même si le secret de sa vitesse semble défier autant la physique que la logique. Dans l’origine de 1987, Roy Thomas utilise une chronologie totalement différente. Puisque là Johnny ne sait pas encore vraiment se servir de la formule, il passe à autre chose et se concentre sur son travail de journaliste pour les actualités filmées. Ce n’est qu’au moment de l’exposition universelle de New York (1939-1940) que Chambers assiste, lors d’un reportage, à un combat impliquant le Sandman, le Crimson Avenger et le Phantom of the Fair (à l’origine un héros publié chez Centaur Publishing et donc totalement étranger à DC, mais Thomas s’est amusé à le réinjecter dans la continuité DC).

On pourrait croire que l’incident pousse Johnny Chambers à devenir super-héros mais non. Convaincu qu’il n’arrivera pas à se servir de la formule, il se contente… d’imaginer ce que seraient ses aventures s’il devenait un héros masqué. Et Roy Thomas nous montre alors dans le détail toutes les enquêtes passées mentionnées dans More Fun Comics, expliquant du coup que la carrière antérieure de Johnny… n’est qu’un rêve éveillé, sans réalité aucune. Dans la postface d’All-Star Squadron #65, Roy Thomas explique que le premier épisode de Johnny Quick, tel que publié dans More Fun Comics #71 n’était peut-être pas le premier produit et que les adversaires mentionnés dans le flashback apparaissaient peut-être dans des histoires écrites mais jamais publiées. C’est ce qui l’a poussé à les effacer du passé de Johnny. Finalement, Roy Thomas va jusqu’à montrer Johnny Chambers croisant le Flash du Golden Age, parachevant sa nouvelle chronologie. Johnny Quick n’a donc eu aucune aventure avant que Flash n’entre en scène. Il a « rêvé » ses exploits antérieurs et son enquête au cirque est donc la première fois où Quick entre réellement en action. Dans la version de Thomas, Johnny et Tubby ont enfilé des tenues d’acrobates pour mieux se fondre dans la troupe. Ce qui fait que Johnny est donc d’emblée dans un costume rouge et or. C’est quand il voit le lion sur le point d’attaquer son dompteur que l’instinct prend le dessus, qu’il récite la formule et s’élance pour sauver l’homme.

Mais retrouvons More Fun Comics #71 à proprement parler et la version initiale des aventures de J. Quick (à plus forte raison parce qu’à partir de là le récit originel et la réinvention de Roy Thomas sont similaires). L’histoire en revient au présent. On retrouve Johnny et Tubby de retour à la rédaction de leur agence de presse, où ils visionnent les rushes tournés au cirque… et s’aperçoivent que le lion Nero n’est pas devenu enragé par un simple hasard. Au contraire ils remarquent qu’un clown s’est servi de sa trompette comme d’une sarbacane et a tiré une fléchette déclenchant la colère de l’animal. Pourquoi le clown voulait-il la mort du dompteur ? Redevenant Johnny Quick, le héros décide de retourner au cirque pour poser quelques questions. Il s’écrie donc à nouveau « 3X2(9YZ)4A » et s’envole, dépassant dans le même temps des avions de chasse (histoire de bien souligner la vitesse dont il est capable). Arrivé à proximité du cirque, cependant, il lui faut faire usage d’une autre formule, « Z25Y(2AB)6 », qui lui sert dans les situations où il lui faut freiner de manière abrupte. Par la suite l’usage de cette seconde formule ne sera que très occasionnel, l’idée étant plutôt que Johnny Quick peut maîtriser sa vitesse. En général, on insistera surtout sur le principe que Chambers invoque sa vitesse via la formule mais la manière dont le pouvoir se dissipe dépendra des auteurs. Parfois on laisse entendre que Johnny ne peut foncer qu’un certain temps ou qu’au contraire sa vitesse se « dépense » selon l’effort. Comme les origines de la « formule », les limites de Johnny Quick restent assez floues.

Arrivé au cirque, Johnny surprend la troupe réunie autour du clown, prête à le punir pour avoir failli à sa mission. Il devait tuer le dompteur et comme il a échoué, un certain « Grand César » (absent de la scène) l’a condamné à être livré à… Tantor, l’Eléphant Fou ! L’idée est d’enfermer le clown dans la cage du pachyderme de manière à ce que celui-ci le piétine. Mais récitant à nouveau sa formule, Johnny décolle à nouveau comme un boulet. Il attrape l’éléphant par la trompe et… le fait tournoyer dans les airs. Visiblement la formule ne fait pas qu’augmenter sa rapidité, elle lui confère également une force extraordinaire (« détail » largement oublié par la suite). Même Johnny est épaté : « Je parie que le vieux Professor Gill n’avait rêvé que sa formule serait aussi bonne ! » Très vite (forcément !) la troupe est neutralisée. Johnny questionne le clown mais celui-ci est terrifié et préfère se taire. Faute d’explications, Quick décide alors de jouer les détectives. Après s’être fait un « look » de brute patibulaire (en prenant la peine de ne pas se raser), Chambers se présente donc au manager du cirque en demandant à être engagé comme un Hercule de foire. L’autre homme tarde à se laisser convaincre alors, à voix basse, Chambers récite la formule et profite de sa force pour briser le mobilier ou encore déchirer plusieurs annuaires à mains nues. Devant cette démonstration, il est engagé sur le champ.

Désormais vêtu d’une peau de bête pour faire plus « colosse de cirque », Johnny rejoint donc incognito la troupe. Mais on lui murmure que le Grand César donne rendez-vous à tout le monde le soir-même, sous le grand chapiteau. Là, un personnage rondouillard, visiblement le chef de toute la bande, leur explique qu’il est temps de passer à l’action, à l’Hôtel Royal, et que ce sera la mort pour tous ceux qui échoueront. Ne comprenant pas de quoi il s’agit, Johnny interroge ses collègues. Mais on lui répond qu’il le découvrira plus tard. Les membres de la troupe (Chambers y compris) s’entassent dans des voitures et s’éloignent dans la nuit. Arrivé à l’Hôtel Royal, les choses deviennent évidentes. Utilisant l’agilité de l’acrobate du cirque (qui peut ainsi entrer dans les chambres par la fenêtre), la bande est sur le point de commettre un cambriolage. On donne à l’Homme Fort (Chambers) la mission de faire le guet. Mais dès qu’il est laissé seul, il prononce à nouveau sa formule et retourne comme un bolide vers le cirque. En cours de route, il prend cependant la peine de s’interroger. Qu’arriverait-il s’il se trompait de numéro quand il récite la formule ? Ce premier épisode n’en dit pas plus mais ce sera une piste régulière par la suite. Arrivé au cirque, Johnny se présente au Grand César en lui expliquant qu’il est sur le point d’être battu. Le bandit est cependant incrédule, pas du tout prêt à se rendre à un homme seul. En fait César a piégé tout le cirque. En appuyant sur un bouton caché, une décharge électrique frappe le sol. Johnny tombe, inconscient. Une fois revenu à lui, il réalise qu’il est non seulement attaché la tête à l’envers mais qu’il a été bâillonné. Impossible pour lui de prononcer la formule et donc de se servir de ses pouvoirs pour se tirer de ce mauvais pas. C’est une problématique bien connue des héros utilisant des « mots magiques » (à nouveau on peut faire la comparaison avec Captain Marvel/Shazam) et qui se retrouvent, souvent, dans l’incapacité d’en user.

Laissé sans surveillance, Johnny a soudain l’idée de se balancer vers le mur, s’arrangeant pour briser le verre qui protège sa montre. Avec les débris, il peut couper les liens qui le retiennent et enlever le bâillon. Un coup de formule plus tard, le voici qui traverse le ciel. A l’extérieur du cirque, il se rue vers le mystérieux Grand César et lui arrache… le masque qu’il portait. Dans une scène digne de Scooby Doo, Johnny révèle ainsi que le gangster n’était nul autre que le manager du cirque (celui qui l’a engagé plus tôt). Et le super-héros d’expliquer qu’il n’est pas surpris : « Je savais que César n’était pas réellement un si gros homme. La dernière fois que je l’ai vu, il était confortablement installé, avec ses genoux croisés. Mais des hommes aussi gros ne peuvent pas croiser les genoux. A partir de là, qui César pouvait-il être d’autre que le manager ?« . Le reste du cirque, qui était obligé de suivre les ordres de César, est reconnaissant. Le clown, en particulier, explique que César voulait le forcer à provoquer un accident impliquant le lion et le dompteur de manière à toucher l’argent de l’assurance. Tubby arrive, essoufflé : « Tu es incroyable ! Le temps que je fasse le trajet, tu as déjà résolu toute l’affaire !!!« .

La case finale réserve un discours assez surprenant, dans lequel Johnny Quick s’adresse aux lecteurs : « Ne nous perdez pas de vue les amis. Mes aptitudes ne sont pas si impossibles qu’il y parait. Cinquante ans en arrière, qui aurait cru que des merveilles comme l’avion, la télévision, le cinéma deviendraient possibles ? La fantaisie d’aujourd’hui est la réalité factuelle de demain ! D’ici là, moi Johnny Quick je serai là, essayant de multiplier votre amusement !!!« . 76 ans plus tard, nous sommes bien placés pour voir que la prophétie de Johnny Quick ne s’est pas réalisée. Où s’il vous arrive de multiplier votre force et votre vitesse en récitant une « formule » à voix haute, il vous faut absolument augmenter la dose de vos médicaments. Là où Johnny Chambers/Quick n’avait pas tout faux, c’est en ce qui concerne sa longévité. Comme discuté en début de cet article, ce super-héros a opéré sans interruption de 1941 à la fin 1954. Il a donc non seulement survécu à la disparition de Flash mais aussi duré plus longtemps que la Justice Society toute entière et que l’essentiel des héros du Golden Age. Entretemps, il a évolué. Il a également changé d’auteurs et en particulier de dessinateurs, passant dans les mains expertes de dessinateurs comme Mort Meskin ou Joe Kubert. Son costume s’est fait moins « cru », plus élégant (avec un logo représentant deux ailes opposées, sur la poitrine), affrontant parfois d’autres personnages qui avaient découvert la même formule ou une variante.

En un sens Johnny Quick fut le dernier héros DC du Golden Age à s’éteindre. Et il s’en est fallu d’un cheveu pour qu’il lui survive, qu’il s’implante également dans l’Age d’Argent, la deuxième génération de super-héros. Johnny Quick s’arrête en décembre 1954 tandis que le premier héros DC de la nouvelle vague, le Martian Manhunter, apparaît moins d’un an plus tard, en novembre 1955. Le deuxième Flash, Barry Allen, apparaît de façon plus éclatante encore en octobre 1956. Ce qui pose cette question… Alors que les autres créations de Weisinger, Aquaman et Green Arrow, ont survécu jusque dans le Silver Age (et dans une large mesure jusqu’à nos jours), est-ce que Johnny Quick a été écarté fin 1954 alors que les équipes de DC jouaient déjà avec l’idée de réinventer Flash ? Près de deux ans avant, cela semble un temps bien long en termes de logique éditoriale. Johnny Quick s’est tout simplement éteint parce que les anthologies de DC voyaient leur pagination baisser et qu’il s’agissait donc de « faire de la place ». Par contre, ce qui est certain, c’est que l’arrivée du nouveau Flash compliqua pendant un temps tout espoir de retour de Johnny Quick. Avec Barry Allen, rejoint rapidement par un Jay Garrick sorti de la retraite mais aussi Kid Flash (Wally West), DC débordait de speedsters, de héros aux pouvoirs similaires. Si de nos jours la chose est plus courante (comptez vos Green Lanterns, vos Thor, vos Iron Men et différents Captain America…), à l’époque cela l’était moins. Johnny Quick était extérieur à la dynastie des Flash et donc considéré comme superflu.

En 1964, l’affaire se complique pour le sieur Chambers avec un hommage qui n’en est pas vraiment un. Dans Justice League of America #29, quelques temps après que la Justice League de Terre 1 ait fait la connaissance de la Justice Society de Terre 2, Gardner Fox eut l’idée de surenchérir en introduisant une Terre 3, où demeurait le Crime Syndicate, équipe réunissant des versions maléfiques des principaux archétypes de DC. Batman était remplacé par Owlman, Wonder Woman par Superwoman et Flash… par un malfaiteur super-rapide nommé Johnny Quick (mais qui, au-delà du nom, n’avait aucun point commun avec le héros des années 40/50. Néanmoins, à partir de ce moment-là, « Johnny Quick » devint un nom associé au Crime Syndicate, compliquant encore l’hypothétique retour de Johnny Chambers dans la continuité.

Un autre fait qui pouvait jouer contre lui était peut-être, aussi, que les auteurs de DC ne savaient guère où le ranger. Le curseur historique entre l’Age d’Or et l’Age d’Argent se trouve quelque part entre 1955 (l’apparition de Martian Manhunter) et 1956 (l’élan apporté par l’arrivée de Barry Allen). Le clivage éditorial entre ce qui relève de Terre 1 et Terre 2 est plus compliqué. Quand on y regarde bien, DC semble s’être comporté longtemps comme si les habitants de Terre 2 étaient les personnages du Golden Age utilisés jusqu’au moment de la disparition de la Justice Society (All-Star Comics #57, en mars 1951). Des personnages apparus à peine quelques mois après ce point (par exemple Captain Comet en juin 1951 ou le Phantom Stranger en août 1952) ont toujours été associés avec Terre 1. Et encore il a fallu un peu avant que l’univers DC des années 60/70 leur trouve une place. Pendant toute une première partie du Silver Age, les personnages des années 50 post-JSA étaient comme ignorés. De ce fait, actif à cette période, Johnny Quick était donc sans doute considéré comme relevant d’une zone grise, d’un no-man’s land dans la continuité. Avouez que cela complique encore la chose.

Et puis, surprise, pour alimenter les pages de la série Flash à peu de frais, DC eut l’idée de réédite des aventures classiques du premier Johnny Quick à partir de Flash #160 (avril 1966). Une publicité publiée à ce moment-là montre d’ailleurs Johnny Quick aux côtés des différents Flash sous le titre « qui sont les vrais rois de la Super-Vitesse ? ». A partir de ce moment-là, le rapprochement thématique avec la « famille Flash » peut paraître fait mais pourtant éditeur et auteurs vont se faire tirer l’oreille. Johnny Quick va rester un héros cantonné à des reprints, sans apparition nouvelle/moderne.

Il faut attendre DC Special Series #11 (1978), soit 24 ans après la disparition du héros « mathématique » pour le voir réapparaître et rencontrer en prime « pour la première fois » Jay Garrick. On peut se demander comment ces deux-là avaient passé autant de temps sur le même monde sans jamais se croiser alors que par ailleurs Garrick avait trouvé de longue date le moyen d’aller rendre visite à des héros venus d’autres planètes. Et l’apparition de Johnny Quick (et de Tubby) reste mineure, dans un récit où les Flash tiennent le haut du pavé. Mais enfin l’épisode a l’avantage d’officialiser que Johnny Chambers est un ressortissant de Terre 2 et qu’il est donc, à ce titre utilisable.

Cela ne tardera pas beaucoup. En 1981 (Justice League of America #193), Roy Thomas lance le All-Star Squadron, lointainement inspiré de ce qu’il avait fait chez Marvel quelques années plus tôt avec des concepts comme Invaders et Liberty Legion : la constitution rétroactive d’équipes des années 40 afin de combler des vides chronologiques et de ramener par la même occasion une pelletée de héros du Golden Age. L’intrigue d’All-Star Squadron commence quelques heures après l’attaque de Pearl Harbor (le reste de la série se déroule principalement courant 1942). Avec la Justice Society capturée et manipulée par les nazis (tout comme les Invaders l’étaient lors de la création de la Liberty Legion), des héros solitaires (moins connus et éditorialement plus malléables) sont agglomérés dans une nouvelle équipe, l’All-Star Squadron (l’Escadron des Etoiles si vous êtes fans de vieilles traductions VF d’Arédit/Artima). Dans la Liberty Legion, Roy Thomas avait rapproché le super-rapide Whizzer avec l’héroïne patriotique Miss America. Il transposa cette trame dans All-Star Squadron. Non seulement Johnny Quick, en lieu et place du Whizzer, est un membre fondateur de l’équipe, mais il y tombe amoureux de Liberty Belle, le couple finissant par se marier en cours de route. C’est donc une modification importante de l’historique de Johnny Chambers. Non seulement, du coup, il n’aura pas attendu 1978 pour rencontrer pour la première fois Flash/Jay Garrick mais en prime il était donc un membre notable d’une super-équipe et marié à une collègue depuis les années 40 ! Là, en termes d’insertion dans la continuité, Johnny Quick venait de marquer plusieurs dizaines de points d’un coup ! Au passage, comme on l’a vu plus tôt, Roy Thomas en profita aussi pour revisiter l’origine de Chambers… bien que personne (à ma connaissance) n’aura gratté au-delà de la surface et se sera vraiment intéressé à ce que foutait le secret de la super-vitesse dans la tombe d’un pharaon (il y a une super saga temporelle à construire derrière tout cela).

Globalement, l’All-Star Squadron, c’est une place au soleil, une popularité comme Johnny Quick n’en avait pas connu depuis 1954 au moins (et on pourrait considérer que, même avant cela, il n’était pas si en vue). Là où ça se complique c’est que dans le milieu des années 80 DC Comics décida de refondre sa cosmogonie. Au lieu d’être organisés selon différentes Terres parallèles, dans des univers voisins, tous les héros n’existaient plus que dans un monde unique. Les personnages liés à la JSA et à l’All-Star Squadron faisaient donc d’un seul coup partie du passé de ceux de la Justice League. Ce qui en théorie ne changeait pas grand-chose pour Johnny Quick. Si ce n’est qu’en termes de continuité la série All-Star Squadron devenait ingérable. Roy Thomas préféra l’arrêter en 1987 et lancer à la place Young All-Stars, composée de jeunes héros majoritairement inédits. Johnny Quick et Liberty Belle n’y faisaient que des apparitions occasionnelles et secondaires.

Dans les années 90, Johnny Quick, moins en vue, joua cependant un rôle dans la continuité en général. A partir de Justice Society of America #1 (1992), on apprend ainsi que Liberty Belle et lui ont une fille, Jesse, désormais adulte, qui peut utiliser elle aussi la formule mathématique pour devenir la super-rapide Jesse Quick (une version de l’héroïne est exploitée de nos jours dans la série TV The Flash, bien qu’elle ait des parents totalement différents). Ensemble, Johnny Quick et Jesse Quick seront ensuite graduellement intégrés dans le mythe de Flash, en particulier dans des épisodes écrits par Mark Waid qui s’efforcera de structurer les liens entre les différents super-rapides de DC. On apprendra donc que, sous la houlette d’un autre héros coureur, Max Mercury, Johnny a expérimenté pendant des années sur sa formule et a découvert qu’elle est liée à la Speed Force (la « Force Véloce ») à la base des pouvoirs des Flash (ce qui explique sans doute qu’à partir des 90’s Johnny cesse d’être représenté principalement comme un héros « volant », utilisant plus ses jambes). Dans le même temps, le Flash de l’époque (Wally West, ex-Kid Flash) sera très critique envers Johnny, doutant régulièrement qu’on puisse acquérir de la super-vitesse en récitant simplement une formule mathématique (avouez que…). Cependant dans certains épisodes Wally se retrouvera lui-même obligé d’utiliser la formule et constatera qu’elle fonctionne aussi sur lui. Par ailleurs, Johnny Chambers, ayant divorcé, aura des relations houleuses avec sa fille. Celle-ci sera donc plus proche de la dynastie des Flash et portera même brièvement ce nom. Johnny Quick finira par se sacrifier pour sauver sa fille, lors d’un combat contre Savitar. Fusionnant avec la Force Véloce, Johnny disparaîtra dans celle-ci… On le reverra à l’occasion, comme une sorte de fantôme prisonnier de la Speed Force…

Au détour d’une nouvelle réorganisation de la continuité DC en 2011 (qui a proprement effacé tous les héros du Golden Age), Johnny Chambers/Quick a complétement disparu de cet univers. D’un autre côté, Rebirth (depuis 2016) a initié le retour de beaucoup d’éléments classiques et il ne paraît pas impossible que la famille Chambers refasse surface dans cette nouvelle continuité, surtout sous le poids de la série TV. Sur le petit écran, des versions différentes de Jesse Quick, Savitar et Jay Garrick ont déjà fait leur apparition. Alors que la série TV continue d’introduire de plus en plus de « super-rapides », cela ne demande pas un effort surhumain d’imaginer qu’un Johnny Quick pourrait débarquer d’une autre Terre (à moins que H.R. Wells finisse lui-même pas adopter ce pseudonyme). En attendant, Johnny Quick reste ce qu’il a été pendant la majeure partie de ces 76 dernières années : un héros méconnu et laissé pour compte, mais sur lequel il y aurait beaucoup à raconter…

[Xavier Fournier]