Oldies But Goodies: Adventure Comics #75 (1942)

10 juillet 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Pour ce 187ème Oldies But Goodies, continuons le cycle « asgardien » entamé la semaine dernière en nous intéressant à un autre Thor, plus proche de l’esprit viking. Quand il débarque dans les aventures du Sandman du Golden Age et son jeune compagnon Sandy, c’est en effet pour piller la ville à coup de marteau ! Asgard serait donc tombée bien bas ? Simon et Kirby mènent l’enquête !

En 1942, l’intérêt de Joe Simon et Jack Kirby pour la mythologie en général et pour le Valhalla en particulier n’est déjà plus a prouver (ou, si besoin était, reportez vous aux chroniques sur Mercury/Hurricane et Marvel Boy). Mais, comme évoqué quand nous parlions du Thor de Fox Comics, l’entrée de l’Amérique dans la seconde guerre mondiale implique un changement de ton quand aux mythes nordiques, assez régulièrement annexés par l’adversaire nazi. Envisager les dieux du Valhalla comme des champions du camp du Bien devient moins naturel, tandis qu’on les rapproche plutôt de l’atmosphère wagnérienne et, par extension, des nazis eux-mêmes. Simon et Kirby, eux, sont toujours enclins à explorer l’imagerie nordique dans leurs histories mais le rôle évolue. Avec l’entrée en guerre des USA, le Valhalla a, d’une certaine manière, changé de camp. D’où sa fonction particulière dans Adventure Comics #75, quand les deux créateurs font appel au folklore de Thor pour les besoins d’une aventure du Sandman du Golden Age. Et finalement, après maintes références indirectes (comme les allusions régulières au Valhalla comme étant la demeure de tous les dieux, y compris pour le panthéon gréco-romain), c’est la première fois que Simon & Kirby s’attaquent frontalement au nom de Thor. Ou, pour reprendre la présentation de l’épisode : « Des brumeuses cavernes du passé se lève Thor, dieu ancien de la guerre… Aucune bonté ne bat dans son corps. Au lieu de cela, seules la haine et une sauvagerie impitoyable le guident alors qu’il envahit le monde moderne, brandissant son marteau magique… Il impose un tatouage dément sur les forces de notre société ! Volant, tuant, pillant, il rôde, invincible… Jusqu’à ce que Sandman et Sandy relèvent le défi du Vilain venu du Valhalla ! ».

Sandy, le jeune auxiliaire de Wesley Dodds (Sandman) est en train d’étudier un livre intitulé « Twilight of the gods (« le crépuscule des dieux », terme qui décrit non seulement le Ragnarok de la tradition nordique mais qui sert également de titre à l’un des opéras de Richard Wagner). Visiblement il s’agît d’un livre décrivant le panthéon nordique puisque, sur la page ouverte, on distingue ce texte : « Et tandis que le puissant Thor les frappait avec son marteau magique « Mjolnar », les cieux résonnaient d’un tonnerre assourdissant tandis que les mortels, en dessous, tremblaient devant la colére du seigneur de guerre du Valhalla ». Wesley ne tarde pas à s’étonner de la ferveur avec laquelle Sandy étudie ce livre depuis des heures. Inspectant la page, Wesley commente « Hmmm… Ce Thor a du être un dur à cuire ! ». Sandy acquiesce « Le roi des dieux ! Rien de moins ! Mince, ce qu’il pouvait faire avec son marteau magique ! ». Mais le respect de Sandy a des limites et on le voit tandis qu’il poursuit son commentaire : « Ce n’était pas une femmelette… S’il vivait de nos jours, j’aimerais me mesure à lui, avec le marteau et tout le reste ! ». On remarquera qu’aucun des deux personnages ne remet en cause l’existence véritable d’un Thor. Pour eux il s’agit d’emblée d’un être ayant vécu dans le passé et possédant donc une part de réalité… S’ils ne l’ont jamais croisé, ce n’est pas parce qu’il n’existe pas mais parce qu’ils ne vivent pas à la même époque… Encore que… la nuit même, une embarcation arrive dans le port de New York : un drakkar ! Sur le quai, un policier se précipite à la rencontre des occupants du bateau, n’en croyant pas ses yeux quand il s’aperçoit qu’ils sont tous habillés en vikings. Un des hommes saute à terre, armé d’un marteau. Barbu, les cheveux longs, il est vêtu d’un casque à ailettes et d’un pagne en fourrure. Et quand le gardien de la paix lui demande s’il s’agit d’une fête costumée, le solide gaillard l’assomme d’un coup de son marteau, ne comprenant visiblement pas l’expression. Puis le colosse se met à marcher dans les rues, le marteau à la main, sous le regard pour le moins surpris des passants. Il finit par marquer l’arrêt devant une banque, puis hésite avant de s’exclamer : « Ha ha… Rien ne peut résister à Mjolnar, le marteau des dieux ! Maintenant emparons-nous de l’or que ces gens gardent dans cette étrange maison de pierre ! ». Dès qu’il entre dans l’édifice, les gardiens ouvrent le feu (ce qui est pour le moins bizarre puisque personne ne peut avoir eu l’occasion de leur parler du policier assommé au port, l’homme déguisé n’a donc, en ce qui les concerne, rien fait d’offensif pour l’instant). De toute façon les balles n’y font rien : le grand barbu ne les craint pas ! Elles s’écrasent sur sa peau sans lui faire mal ! Et l’homme n’a plus qu’à se servir de « Mojlnar » pour assommer (ou tuer ?) les gardes puis pour fracasser la porte du coffre-fort, repartant avec son butin sur l’épaule. A nouveau dans la rue, il voit arriver vers lui une voiture qu’il reconnaît comme étant un « étrange chariot ». Sans sourciller, il lance son marteau qui détruit la voiture en un clin d’œil. Le voleur au marteau repart à pied jusqu’au port puis, à bord de son drakkar, disparaît vers le large sous le regard impuissant des policiers.

En fait, c’est l’impuissance qui prévaut. Personne n’y peut rien, l’enquête piétine et la banque, incapable de penser à une autre solution, envisage même de classer l’affaire… Au grand dam de Wesley Dodds, qui est un des actionnaires de la banque. Non pas que Wesley soit près de ses sous mais, vous l’aurez compris, c’est bien l’idée d’une justice impuissante qui lui est intolérable. Il propose alors qu’on fasse appel à la seule force capable de tenir tête aux pillards : le Sandman ! Le soir venu, Wesley enfile son uniforme de super-héros en compagnie de Sandy, qui commente : « Wow ! Thor, le roi des dieux nordiques… en chair et en os ». Du coup le scénario officialise ce que vous aviez vu venir depuis le début, à savoir que l’homme au marteau est bien supposé être Thor. A partir de là, on pourra s’étonner, quand même, de l’énorme coïncidence qui fait que Sandy lisait justement un livre sur Thor quelques minutes avant que celui-ci attaque New-York. Et en prime le livre tout comme le pillard utilisent tous les deux le même nom de Mojlnar (parmi les diverses orthographes possibles). Ceci dit, il n’est par rare – en particulier à l’époque – que les auteurs de comics préfèrent passer par ce genre de clichés pour fournir au lecteur tout ce dont il a besoin pour comprendre le restant de l’histoire (comme toutes les fois où Reed Richards est justement en train de tester une nouvelle invention qui va justement, quel hasard, lui permettre de repousser la menace suivante). Cependant dans le cas de Sandman et Sandy, la continuité qui est par la suite venue se greffer sur les personnages (en particulier grâce à des ajouts graduels de Neil Gaiman, David Goyer, James Robinson et Geoff Johns) a défini plus tard que Wesley Dodds et son jeune ami étaient liés à Morpheus, le dieu du rêve. Et que cette connexion permettait aux deux héros d’avoir une certaine forme de rêves prémonitoires (Sandy, devenu Sand dans la Justice Society moderne, est depuis devenu coutumier de ce genre de rêves). A partir de là, que Sandy ait une vague intuition de l’arrivée de Thor n’est pas si idiot que cela puisse paraître, en tout cas en termes de continuité actuelle (en 1942, dans le contexte de la parution de cet épisode, la ficelle restait énorme).

Sans perdre de temps Sandman et Sandy partent en patrouille sur les toits de New York, d’où ils peuvent apercevoir le fameux Thor qui est visiblement revenu dans la ville et qui est en train de malmener une horde de policiers. Sandman court pour aider les forces de l’ordre mais heurte Thor comme s’il frappait la tête la première contre un mur de briques. Sandman tombe, inconscient, ce qui provoque la colère du jeune Sandy. Thor a fait du mal à son ami ! Mais le grand barbu frappe le garçon d’un violent coup de pied. Quand Sandman revient à lui, il découvre que Thor est parti mais, surtout, que Sandy n’a pas été qu’assommé. Il est a été durement blessé et gît, toujours inconscient. Du coup le jeune héros est emmené par les ambulances venues chercher les nombreux policiers blessés dans l’affrontement. Sandman est inquiet mais il est également furieux ! Il interpelle les agents de police encore debout : « Cette bataille ne sera pas terminée pour moi tant qu’elle n’aura pas été gagnée ! Cet homme du nord et ses pillards ne doivent pas avoir à nouveau le temps de s’enfuir ! Vous n’avez pas le temps d’attendre des renforts ! Je vais à leur poursuite… Vous êtes avec moi ? ». Et chez les policiers, qui ont également vu de nombreux camarades tomber, on partage l’indignation du Sandman. La police l’assure alors de son aide…

Entre-temps, Thor est retourné à son drakkar et, en discutant avec un de ses hommes, retire un curieux vêtement invisible qui lui recouvrait la peau. Et d’un seul coup Thor ne parle plus du tout comme une brute nordique. Au contraire, c’est comme un malfrat bien moderne qu’il ordonne : « Dis aux gars de naviguer jusqu’à la cachette, on se partagera le tout là-bas ! ». Et l’homme de main de Thor parle avec un accent new-yorkais encore plus marqué : « Ces costumes en lucite ne sont pas super confortables, hein, boss ? Les gars ont déjà posé les leurs ». Lucite ? Qu’est-ce que c’est que ça du lucite ? Une substance asgardienne ? Non, Thor ne tarde pas à expliquer qu’il s’agit d’un « métal aussi pliable que du tissu. Ces trucs peuvent ne pas être confortables mais ils sont sacrément utiles quand les balles se mettent à rebondir ! ». Et sur ce, « Thor » s’allume un cigare pour goûter sa victoire. Entre les accents et ce penchant pour les cigares, le statut asgardien du personnage vient d’en prendre un coup. Bien sûr, il s’agit d’une supercherie et les « vikings » ne sont en fait que des gangsters très contemporains portant l’équivalent de gilets pare-balles invisibles. Comme le résume « Thor » : « Les flics chercheront des vikings, pas des maffieux ! Ils ne nous suspecterons jamais ! » (encore que l’idée de redevenir un simple gangster pour passer inaperçu devant les forces de police est très discutable).

Mais soudain, une foule envahie le quai. Il s’agit de toutes les forces de police encore disponibles, dirigées par Sandman en personne. Et ils surprennent les malfrats au moment où, même s’ils encore déguisés en vikings, ils ont posé leur lucite invisible, ce qui les rend moins résistants. Comme l’explique Thor à ses hommes : « Il est trop tard pour mettre nos costumes en lucite. Nous allons devoir combattre ! Soyez prêts ! Ils arrivent ! ». Suit alors une pleine page qui, dans la droite lignée de la production Simon & Kirby, montre toute la fureur épique de la bataille, Sandman donnant un violent coup de poing à Thor (qui sans le Lucite encaisse beaucoup moins bien) en criant « Celle-là, c’est pour Sandy. Et la page est emplie de policiers luttant contre les pseudo-vikings. Dans la cohue, les renforts de la police arrivent. Il y a même une fourgonnette de journalistes, venus pour retranscrire ce qu’ils appellent déjà le « scoop du siècle » ! Émettant en direct, leur reportage est ainsi entendu sur les radios et Sandy, de son lit d’hôpital, peut entendre le déroulement des opérations. D’ailleurs au passage on note que Sandy a été hospitalisé sans son costume et son masque. Il n’est vêtu que d’une sorte de blouse de malade, qui ne cache rien de son visage et donc de son identité. Sandy est tellement excité dans ses encouragements à Sandman que les infirmières sont obligées de le maîtriser…

Mais le journaliste annonce, au bout du micro, que la bataille touche déjà à sa fin. Et Sandman traîne un Thor inconscient jusqu’au chef de la police. En l’inspectant de plus près, le policier reconnaît alors « Conte de Fée Fenton » (on en déduira que le gangster a un penchant pour l’utilisation de mythes dans ses crimes). Le chef continue « Je connais bien cette crapule ! Dans le temps c’était un professeur de métallurgie ou quelque chose de ce genre, avant qu’il se tourne vers le crime ». Comme le dit lui-même Sandman, cela explique les vêtements pare-balles que le gang portait. Mojlnar (le marteau « magique ») se révèle être « un chef d’œuvre électrique », conçu pour émettre assez de voltage pour fracasser même l’acier le plus fort… Sa mission terminée, Sandman profite d’un moment d’inattention pour sauter sur une moto de la police, s’en emparer et s’éloigner sous les protestations des forces de l’ordre. Bien qu’il promette de rendre l’engin plus tard, cet incident montre que les rapports du Sandman et de la police ne sont pas si étroits qu’il peut y paraître dans le reste de cet épisode…

Le jour suivant Wesley Dodds rend visite à Sandy, toujours hospitalisé. Ce qui pose à nouveau un problème de logique interne puisqu’à partir du moment où Sandy a été blessé en costume, en compagnie de Sandman, l’adulte qui le visite ne peut qu’être soupçonné d’être le super-héros… Mais alors qu’ils discutent tous les deux les infirmiers amènent un « cas étrange » qui va partager la chambre du jeune homme. Un blessé qui fait cauchemar sur cauchemar, imaginant voir des « Sandmen ». Ses crises étaient si violentes qu’il a fallu le transférer de la prison vers l’hôpital. Rendus curieux par ces mentions de prison et de « Sandmen », Wesley et Sandy écartent le rideau qui les séparent de l’inconnu et découvrent « Conte de Fée Fenton » couvert de pansement. Wesley ironise « C’est Thor ! Direct du Valhalla jusqu’à l’hôpital de la ville ! ». Et Sandy de conclure : « Voilà qui dissout toute la foi que j’accordais aux contes de fées ! ». La première fois où Joe Simon et Jack Kirby utiliseront donc le nom de Thor, ce ne sera pas pour représenter réellement le personnage mais bien un imposteur. Ou plutôt laissez moi reformuler cette phrase : Simon & Kirby étaient tellement fans de mythologie que leur Thor maléfique ne pouvait qu’être un imposteur, laissant le mythe authentique sans tache, libre d’être réutilisé une autre fois. On ne reverrait plus « Conte de Fée Fenton » de tout le Golden Age. Une fois établi le fait qu’il ne s’agissait pas d’un Thor authentique et que ses « pouvoirs » n’étaient que des gadgets, il avait perdu une grande partie de son capital.

Mais ce n’était pas la fin pour lui. On le reverrait à nouveau dans All-Star Squadron #18 (paru en février 1983 mais qui raconte des événements se déroulant en 1942) dans lequel l’emphase est mis sur son surnom de « Vilain du Valhalla ». Dans cet épisode, on apprend que Fenton est devenu fou pendant qu’il était en prison et qu’il se prend réellement pour Thor (ou peut-être qu’il se prenait déjà un peu pour Thor avant de croiser Sandman). Alors que Tarantula, un nouveau membre du All-Star Squadron, porte un costume très proche de celui du Sandman, les médias confondent les deux héros. Fenton/Thor croit que Sandman est revenu en ville (en fait à l’époque le héros s’est engagé dans l’armée) et affronte alors tout le All-Star Squadron.

Dans ce scénario signé Roy Thomas, les héros se moquent ouvertement de la manière avec laquelle ce Thor parle dans une sorte d’anglais élisabéthain bon marché (un pied de nez à l’attention du Thor de Marvel, connu pour parler dans l’Anglais ancien plutôt qu’une authentique langue nordique). C’est un ajout de la part de Roy Thomas puisque dans Adventure Comics #75 Fenton, même déguisé en Thor, ne parlait pas de la même manière. En fait il apparaît très vite que ce Thor a changé, qu’il a désormais un marteau différent (en forme de masse) beaucoup plus puissant et qu’il fait preuve d’une énergie mystérieuse.

All-Star Squadron #22 établira plus tard que cette fois Fenton a mis la main sur un talisman qui s’appelle véritablement le « marteau de Thor » et qui faisait auparavant partie de la collection d’armes anciennes d’Hawkman. On peut voir ce marteau sphérique dans All-Star Comics #3 (1940) et l’homme-oiseau l’identifie déjà comme ayant appartenu au vrai Thor (d’après Hawkman Thor aurait été un « forgeron »).

Même si All-Star Squadron #22 lui donne une origine différente (le marteau rond de Thor serait l’œuvre d’une race extra-terrestre) le fait que l’arme ait appartenu à l’arsenal d’Hawkman est croustillant si on ramène ce fait dans la continuité moderne (c’est-à-dire depuis que David Goyer et Geoff Johns ont ramené le Hawkman originel dans JSA #23, en 2001). Les récits actuels de DC partent du principe que Hawkman, personnage sujet à de multiples réincarnations, collectionne les armes dont il s’est servi dans ses vies antérieures. De ce fait faudrait-il en déduire qu’il aurait été, dans une autre existence, l’authentique forgeron Thor qui possédait ce marteau rond en des temps anciens ?

Pour ce qui concerne Fenton, il terminait All-Star Squadron #18 privé de sa nouvelle source de puissance (par la suite récupérée par le terrible Ultra-Humanite dans une sorte de chasses aux objets mystiques). Mais doit, aux dernières nouvelles, toujours se prendre pour Thor. DC, pour le distinguer du Thor de Marvel, préfère utiliser le surnom de « Vilain du Valhalla »… Mais une petite rencontre avec Hawkman permettrait sans doute de développer certains points…

[Xavier Fournier]