Oldies But Goodies: U.S.A. Comics #5 (1942)

Oldies But Goodies: U.S.A. Comics #5 (1942)

14 janvier 2012 Non Par Comic Box

[FRENCH] Comme on a pu le voir lors de précédentes chroniques, Marvel/Timely tenta plusieurs fois dans les années 40 de mettre au point un modèle de héros adolescent d’essence mythologique. D’où deux versions de Marvel Boy et un Young Avenger passablement similaires. Mais souvent les auteurs mélangeaient les panthéons, logeaient Hercule au Valhalla et ce genre de chose. L’éditeur allait cependant continuer ses expériences et finalement publier les aventures d’un personnage qu’on peut considérer comme LE Captain Marvel (Shazam) de Timely…

Dans U.S.A. Comics #5 les jeunes lecteurs de Marvel/Timely purent découvrir un nouveau aventurier costumé. La chose n’avait rien d’exceptionnelle en soi puisqu’U.S.A. Comics faisait partie de ces titres que l’équipe de Martin Goodman remplissait de créations de façon presque aléatoire. Si la série proposait régulièrement de nouveaux personnages c’est que leurs exploits étaient souvent sans beaucoup de suite. Quand un héros d’U.S.A. Comics arrivait à faire trois ou quatre apparitions, c’était déjà un exploit en soi. Mais le nouveau venu, Roko The Amazing (« Roko l’Étonnant) avait de quoi espérer un succès plus grand :Il utilisait à tout va des recettes déjà utilisées chez les concurrents DC Comics ou Fawcett. Il suffit d’apercevoir Roko sur la première page pour se rendre compte qu’en dehors d’un petit bouclier de style grec (estampillé d’un triskèle, motif à trois jambes) il porte un costume ressemblant beaucoup à celui de Superman. Tunique bleue, short et cape rouge… Il n’y a guère qu’un oiseau doré sur sa poitrine pour remplacer le fameux « S ». Mais la filiation, d’emblée, saute aux yeux. Pourtant, c’est le scénario qui, très vite, va nous renseigner sur les intentions des auteurs (le scénariste Melville Henry et le dessinateur Jack Alderman). Après une mention qui insiste sur le fait que cet épisode lance « Roko The Amazing, l’homme-mystère », on nous explique alors en quelques lignes son concept. Ce qui est bizarre puisque l’histoire qui va suivre sera consacrée à son origine. Mais sans doute que pour convaincre les petits lecteurs on s’était dit qu’il fallait étaler quelques « points forts » dès la première page. Le petit paragraphe introductif présente ainsi le héros : « Roko The Amazing est en fait Lon Crag, un jeune étudiant de 16 ans qui suit des cours de dessin. A travers un pouvoir secret invoqué à partir d’un de des dessins un jour il devient capable de se transformer en un adulte à la puissance extraordinaire, simplement en prononçant le terme mystifiant « Illium ». Autrement dit, quand l’adolescent dit son mot magique le voici transformé en un super-héros adulte surpuissant. Exactement le principe en cours chez Fawcett : Il suffisait que le jeune Billy Batson dise « Shazam » pour se transformer dans le fameux Captain Marvel, un des héros les plus populaires de l’époque. Le succès du Captain Marvel n’était sans doute pas inconnu du scénariste Melville Henry…

Cette introduction assez floue laisse cependant des flous qu’il va falloir combler. D’abord, nous faisons la connaissance de l’étudiant Lon Crag, qui est en train de discuter avec quelques camarades de classes. Un des autres adolescents est en train de lire un livre qui éveille la curiosité de Lon. Il s’agit d’un numéro de Captain America Comics. Aussitôt les jeunes se réunissent autour du fascicule. L’un d’eux commente : « Ce Captain America est génial ! ». Un autre poursuit : « Et les dessins sont super ! Je vais continuer de m’entraîner dur de manière à pouvoir faire ça un jour ! ». A l’évidence Timely en profite pour passer la brosse à reluire sur une de ses séries les plus célèbres. Mais souvenons-nous aussi qu’on nous a expliquer que Lon suit une filière artistique. Visiblement lui et ses amis se destinent à devenir un jour dessinateurs de comics (une profession finalement peu représentée à l’intérieur des histoires de cette époque). Mais Lon Crag va plus loin que vouloir dessiner Captain America un jour. Lui, il voudrait carrément devenir comme lui : « J’aimerais être comme ce type, un vrai héros américain ! Voyager et vivre des aventures tout en combattant le crime et ce genre de choses. » Mais bien sûr il ne s’agit que d’une vue de l’esprit. Pour devenir Captain America il ne suffit pas de le souhaiter.

Du coup Lon Crag se concentre sur ses cours de dessin. Un jour le professeur leur fait dessiner une petite statuette qui représente Ménélas. L’enseignant leur explique alors qu’il s’agit de l’homme qui a commandé aux grecs pendant la guerre de Troie. C’est une version un tantinet résumée et surtout formulée pour éviter toute référence à l’adultère. Car le professeur se garde bien de leur expliquer que la guerre de Troie s’est produite parce que Ménélas, roi de Sparte, avait été cocufié dans les grandes largeurs. Il était le mari d’Hélène, qui avait pris la fuite avec Pâris. Les deux amants s’étaient réfugiés à Troie et c’est pour récupérer son épouse et laver son honneur que Ménélas monta une armada. Faisant l’impasse sur la tromperie (mais d’un autre côté il s’agit d’un cours de dessin, pas d’Histoire), le professeur préfère s’en tenir à la définition héroïque de Ménélas : « C’était un homme exceptionnel et c’est un dessin exceptionnel que tu fais là, Lon ! ». Encouragé par le compliment, Lon décide de rester dans la salle de dessin bien après la fin du cours : « Ce sujet m’inspire bien, je vais continuer pour le finir… ».

Mais à ce moment quelque chose d’étrange se produit. Le dessin de Lon s’anime : le Ménélas dessiné sort de la page (mais garde une dimension de statuette). Lon croit halluciner : « Que ce passe t’il ? Suis-je en train de rêver ? Mon dessin prend vie ! ». Le petit Ménélas explique alors : « Oui, ton dessin m’a amené à la vie, à travers ton inconscient. Pour cela, je peux t’accorder n’importe lequel de tes souhaits ! ». Lon n’a pas besoin de réfléchir longtemps : « Votre Majesté… je voudrais devenir un grand héros comme Captain America ! ». Ménélas a beau être un monarque antique, il n’a pas l’air surpris par la demande et on en déduira que d’une manière ou d’une autre il a au moins une vague idée de qui est Captain America puisqu’il acquiesce. A moins bien sûr qu’il fasse juste semblant pour ne pas passer pour un demeuré devant Lon Crag. Ménélas explique alors : « Invoque le nom ancien de Troie, Illium, et tu deviendras comme les guerriers du passé ! Tu auras la sagesse d’Ulysse ! La combativité d’Agamemnon et l’invulnérabilité d’Achille… et comme pour Achille ton seul point faible se situera sur ton talon gauche ! ».

A l’énumération des pouvoirs, à chaque fois associé avec un héros mythologique, on fera immédiatement le rapprochement avec le Captain Marvel de Fawcett : Billy Batson criait « Shazam » qui était à la fois le nom du sorcier lui donnant ses pouvoirs mais aussi un mot composé de ces « parrains » mystiques. Billy criait S.H.A.Z.A.M. pour obtenir « la sagesse de Salomon, la force d’Hercule, l’endurance d’Atlas, le pouvoir de Zeus, le courage d’Achille et la vitesse de Mercure ». La seule différence majeure c’est que Shazam s’était sans doute dit qu’il valait mieux que son champion n’hérite pas du fameux « talon d’Achille » alors que dans le cas de Lon Crag Ménélas prend soin sans qu’on sache trop pourquoi (en dehors des motivations évidentes du scénariste pour se garder une réserve dramatique) d’inclure ce point faible. La scène est aussi une version plus complexe, plus fouillée, des origines du premier Marvel Boy et du Young Avenger où une ombre venait seulement leur apprendre qu’ils étaient la réincarnation d’Hercule.

Impatient, Lon Crag s’empresse de crier « Illium » et se transforme effectivement en un colosse adulte, pourvu d’un bouclier rond décoré d’un motif de triskèle. A l’évidence c’est une manière avouée de le faire ressembler au moins un peu à Captain America. Mais le personnage lui-même est un amalgame entre Superman/Captain Marvel sur lequel on aurait rajouté un soupçon de folklore grec. L’insistance de Lon Crag à vouloir devenir un Captain America et la présence de ce bouclier sont sans doute une forme de sécurité. D’une part pour mieux « vendre » la création à Martin Goodman (qui n’aurait sans doute pas été contre le fait de publier un personnage aussi populaire que Cap) mais aussi pour pouvoir se défendre d’avoir voulu copier les deux principaux surhommes de DC et de Fawcett. Il faut vraiment croire que Ménélas n’avait qu’une vague idée de qui était Captain America et qu’il connaissait mieux les comic-books de la concurrence ! Le nouveau héros s’écrie alors « mon maître royal, je vous servirais bien et protégerais les autres hommes ! Mais… mais il est parti ! ». Le mini-Ménélas a en effet disparu, son rôle étant terminé. Lon se concentre alors sur sa nouvelle identité : « Venez, partisans du Mal, criminels ! Vous êtes la honte du nom « homme » ! Roko vous propose une bataille ! ». L’alter ego de Lon Crag sera donc Roko. Pardon, « l’étonnant Roko »…

Il faut croire qu’entre deux cases Ménélas a pris la peine d’apprendre à Lon comment se « dé-transformer » (à moins que la transformation ne dure qu’un temps défini à chaque fois ?) puisqu’on retrouve l’adolescent sous son apparence normale, en train de suivre un autre cours de dessin. Le professeur est une nouvelle fois impressionné par les talents de Lon et lui explique qu’il progresserait mieux s’il dessinerait encore mieux s’il s’inspirait non pas de choses figées, en allant faire des croquis en extérieur. Lon part bientôt dans un quartier populaire pour y chercher des choses à dessiner. Mais il s’aperçoit au passage que la vie est dure pour les gens (ce qui nous laisse penser que Lon Crag n’est pas issu des classes les plus pauvres mais vient d’un milieu plus aisé). Bientôt Lon arrive à proximité d’un chantier et aperçoit un attroupement et un ambulance. Quelqu’un a été blessé. Alors qu’il s’approche, Lon surprend deux ouvriers en train de discuter. Le premier demande à l’autre si le blessé peut s’en tirer. Le constat du deuxième homme n’est pas optimiste : « Après une chute de seize étages ? Sois sérieux Pete ! J’imagine que ce sera le quatrième… ». Lon se mêle alors de la discussion : « Vous voulez dire que c’est le quatrième accident de ce type ? ». Les ouvriers acquiescent, en expliquant qu’il se passe quelque chose de bizarre sur ce chantier…

Mais à ce moment là Lon entend un cri. Cette fois c’est une poutre de métal qui est sur le point de lâcher, avec d’autres ouvriers qui se tiennent dessus. Lon crie alors « Illium » et, dans un nuage de fumée (qui fait penser au nuage provoqué lors de la transformation de Captain Marvel). Roko, qui peut visiblement voler (vu les parallèles avec son modèle le contraire aurait été étonnant) s’élance alors dans les airs : « Tenez bon ! Je suis presque là ! ». Utilisant sa force, Roko remet alors la poutrelle en sécurité, sur l’un des étages stables, mais déjà on perçoit (bien que l’histoire n’en fasse pas mention) un petit problème conceptuel : ce bouclier qui permet de le rapprocher de Captain America n’est pas fonctionnel dans le cadre des histoires. Quand Roko se déplace ou doit soulever quelque chose il a toujours une main occupée à tenir ce bouclier. C’est un peu comme si Superman travaillait avec une main attachée dans le dos. Et par ailleurs vu le modèle « surhumain » utilisé pour la création du héros, il y a de fortes chances que Roko soit indestructible ou tout au moins hyper-résistant (après tout on nous a dit que son seul point faible était son talon). Pourquoi un émule de Superman et de Captain Marvel aurait-il besoin d’un bouclier pour se protéger ? L’histoire ne le dira pas vraiment. Tandis que les ouvriers qui ont failli tomber avec la poutre retrouvent leurs esprits, Roko cherche les causes de « l’accident » et découvre bien vite, comme on pouvait s’en douter, que ça n’en est pas un. La poutre a été sabotée avec de l’acide. On voulait qu’elle tombe ! Bizarrement l’attention de Roko se porte alors vers le quartier environnant. Il demande aux ouvriers ce qui se passera quand le chantier sera terminé. Les hommes lui explique alors que la population qui vit dans les taudis sera déménagée dans ces appartements plus décents.

On retrouve Lon Crag retransformé en adolescent, qui parcourt les rues du quartier en question. Il s’aperçoit que la majeure partie des taudis appartiennent à un certain McClure. Hasard ou pied de nez ? Dans la « vraie vie » le McClure Syndicate était la société qui s’occupait de publier les aventures de… Superman sous forme de daily strip dans la presse quotidienne. Même si la chose peut avoir été fortuite, McClure Syndicate était très puissant. Baptiser un « taulier » véreux « McClure » était un peu comme utiliser un nom aussi connu que « Gallimard ». Déjà que le personnage ressemblait au Superman qu’ils diffusaient, utiliser leur nom de cette manière était une vraie folie. C’était vraiment chercher des ennuis. En apercevant le costume rouge et bleu de Roko, un responsable de DC Comics ou de McClure aurait sans doute déjà manqué de s’étouffer. En voyant, en plus, le nom de McClure utilisé ainsi… Ca tenait presque d’une déclaration de guerre.

Finalement Lon retourne dessiner le chantier et s’aperçoit qu’un ouvrier travaille bizarrement. Il utilise une torche de soudage pour affaiblir une poutre. C’est le saboteur ! Immédiatement Lon crie « Illium », se transforme en Roko et s’envole vers l’étage concerné pour réparer la poutre. Puis il se lance à la poursuite du malfaiteur. Un combat s’engage mais il est plus mesuré qu’on pourrait le penser. Comprenez par là qu’on a déjà vu à deux reprises Roko soulever de lourdes poutres de métal et qu’on pourrait s’attendre à ce qu’il ne fasse qu’une bouchée du saboteur. Pourtant son premier coup de poing ne suffit pas à neutraliser l’homme. Ce dernier commence alors à jeter sur le héros des rivets chauffés au rouge. Dans un premier temps ça ne fait ni chaud ni froid à Roko. Entre son indestructibilité et son bouclier, Roko se moque des rivets. Sauf que l’un d’entre eux rebondit et vient frapper… son talon gauche. Son talon d’Achille ! Roko perd alors l’équilibre et manque de tomber dans le vide, heureusement pour lui il peut s’accrocher à une lourde chaîne qui pendait dans le vide. Ouf « Heureusement pour moi qu’il y avait cette chaîne ! ». A partir de là on peut se demander si le scénariste n’a pas tout simplement oublié un élément de taille : Roko peut voler ! Normalement le fait de tomber dans le vide ne devrait pas lui poser le moindre problème. A moins qu’on ait voulu nous dire là que quand quelque chose touche le talon de Roko ses pouvoirs sont neutralisés pendant quelques instants…

Remonté à l’étage, Roko reprend le combat et cette fois ci ses coups de poing sont dévastateurs. Le saboteur est neutralisé en quatre cases sans avoir pu se défendre. Roko inspecte alors son prisonnier masqué et découvre que le lobe d’une de ses oreilles a été tranché. Pensant que c’est un indice, Roko est assez distrait pour être pris par surprise : le saboteur « faisait le mort » et donne un violent coup de poing au héros, qui tombe dans l’inconscience. A ce niveau on a vraiment la sensation que l’auteur a du mal à jongler avec l’invincibilité de Roko, tantôt indestructible sauf si on touche son talon, tantôt assommé comme un individu normal. Ou bien, là encore, il faut tabler que les pouvoirs de Roko sont toujours neutralisés depuis l’incident du rivet et que cela le laisse vulnérable à des attaques ordinaires. Roko inconscient, le saboteur en profite pour s’enfuir. Bien sur, s’il avait été malin, le saboteur en aurait profité pour pousser le héros dans le vide mais – heureusement pour Roko – les criminels des comics n’ont jamais de suite dans les idées. Le lendemain, on retrouve donc Lon Crag bien portant alors qu’il se rend en cours, jurant qu’il arrêtera les sabotages… Seulement il n’a plus de piste…

Mais un coup de chance va jouer pour lui : son professeur de dessin lui explique qu’un journal recherche un dessinateur pour représenter par une illustration le banquet des agents immobiliers le lendemain soir. La notion date un peu, même en 1942, car à l’époque la photographie était courante dans la presse américaine et on n’utilisait plus les illustrations que pour représenter des choses pour lesquelles il n’y avait pas d’archives (ou, par exemple, pour décrire un procès où les photos étaient interdites). En 1942, pour un simple banquet, on aurait probablement demandé à un photographe de passer. Mais dans les années 30 il faut noter que plusieurs futurs dessinateurs de comics ont fait leurs débuts comme dessinateurs de presse (ce fut le cas, entre autres, pour Joe Simon). Vu que les auteurs ont décrit la classe comme étant composée de jeunes voulant devenir dessinateurs de comics, on notera que l’histoire s’attache d’une certaine manière à décrire les premiers pas d’un jeune dans la profession, en se basant sans doute sur des souvenirs d’Alderman ou de ses collègues (d’où le côté un peu « daté » de la chose).

Lors de ce fameux banquet Lon Crag est donc là pour dessiner le portrait des intervenants et il commence à les croquer les uns après les autres. Vient le moment où le fameux McClure prend la parole en prétendant défendre les intérêts et le bien-être des habitants de la ville. Lon commence à le dessiner… et s’aperçoit qu’il manque un lobe d’une oreille de McClure ! C’est lui le saboteur ! Perdant tout sang-froid, Lon Crag se lève pour accuser McClure d’être non seulement un hypocrite mais aussi un meurtrier. L’assistance est scandalisée, pense que Lon a perdu l’esprit et le jeune homme est prestement mis à la porte par la sécurité. Il faut dire que surgir comme un diable avec ces accusations mais sans preuve n’était sans doute pas la meilleure manière de procéder. Pourquoi les gens croiraient-ils les déclarations d’un adolescent ? Heureusement Lon Crag a une autre manière de procéder. Il crie « Illium » et se transforme à nouveau en Roko The Amazing…

Bientôt Roko fait irruption dans le banquet et on ne peut pas le mettre dehors aussi facilement qu’un garçon de 16 ans. Il saute sur McClure en l’accusant d’être un « suceur de sang ». Bien sûr Roko n’a pas plus de preuve qu’en avait Lon mais l’assistance ne peut pas l’arrêter. Tout au plus les convives appellent la police. Mais Roko s’en moque. Il continue d’avoir le dessus sur McClure et bientôt celui-ci, poussé à bout, avoue pile au moment où les policiers arrivent. Roko explique alors : « Officiers ! Cet homme à une confession à faire… pour meurtre ! Il est l’unique responsable des accidents qui ont frappé les ouvriers du chantier Goodfield ! ». Roko ou McClure ne s’étendent pas sur les raisons qui motivaient l’assassin. On en déduira cependant que McClure louait ses taudis mais qu’il aurait eu du mal à trouver preneur si des immeubles plus décents s’installaient à quelques mètres de là. Quelques mois plus tard, Lon Crag a d’ailleurs la satisfaction de repasser dans le quartier et de constater que des constructions modernes ont remplacé le ghetto. Les gens ont l’air heureux : « Ca fait du bien de penser que j’ai aidé ces gens à trouver des appartements honorables ! ».

La conclusion se produit alors en brisant les frontières habituelles de la case de la BD. Roko s’adresse aux lecteurs : « Salut les kids ! Je suis puissamment content de vous connaître tous ! Si vous voulez bien m’écrire, je serais content d’avoir de vos nouvelles ! ». Suit alors une adresse postale où les jeunes lecteurs peuvent écrire à Roko (Room 1010, 330 W. 42nd St. New York, N.Y., mais je vous arrête tout de suite, l’adresse n’est plus valable depuis des lustres). A l’époque les revues Timely/Marvel n’avaient pas la moindre page de courrier des lecteurs mais on comprendra qu’il s’agissait de pousser les enfants à écrire pour mesurer le succès propre de Roko dans la revue. Mettons qu’U.S.A. Comics #5 se soit très bien vendu, l’éditeur n’avait pas de sondage qui lui permette de déterminer si c’était spécifiquement grâce à Roko. Mais dans les faits U.S.A. Comics était une revue girouette où les héros étaient souvent éphémères. Dans le numéro suivant Roko n’était déjà plus là et on ne le reverrait pas pendant des décennies. On peut comprendre que Martin Goodman et Stan Lee (qui était déjà l’éditeur-en-chef de la firme) avaient assez d’éléments pour craindre le courroux de DC, McClure ou Fawcett au cas où ce mélange de Superman/Captain Marvel serait réapparu. D’ailleurs c’est peut-être le sens qu’on peut donner à cette alternance forcenée de pseudo-surhommes mythologiques. Marvel/Timely souhaitait sans doute imiter Superman et les principaux super-héros de la concurrence. Mais dans le même temps l’éditeur savait (pour avoir vu certains concurrents faire l’objet de procès) que tout héros durable lui attirerait des problèmes sur le plan légal. Plutôt que lancer un simili-Superman/Captain Marvel sur le long terme, on peut se demander si le manège en apparence aléatoire de personnages comme Marvel Boy (1), Marvel Boy (2), Young Avenger et Roko the Amazing ne faisait pas partie d’une stratégie consciente. En lançant régulièrement des clones de Superman ou Captain Marvel, Timely pouvait espérer attirer le lectorat des héros imités. En les faisant disparaître aussi vite qu’ils étaient apparus, l’éditeur pouvait aussi faire mine de bonne foi en cas de procès éventuel. Rien ne servait de porter plainte puisqu’à chaque fois l’imitation cessait d’exister avant que l’éditeur imité ait pu se retourner.

N’empêche que Roko the Amazing est sans doute le héros mythologique le plus « construit » dans tout le Golden Age de Marvel. Et même les personnages de la concurrence n’avaient pas ce degré de culture. On l’aura vu lors de précédentes chroniques : la plupart des auteurs, se prenant les pattes dans de vagues souvenirs de lecture, mélangeaient allégrement les panthéons. Les uns nous expliquaient qu’Hercule était un dieu du Valhalla (pourtant nordique !), les autres nous montraient la sépulture d’Hercules comme étant un sarcophage égyptien… Thor, Hercules… tout se mélangeait. Même les origines du Captain Marvel renvoyait les religions et les mythes dos à dos. Il avait la sagesse de Salomon et la vitesse de Mercure. Un « oecuménisme » qui faisait que toutes les légendes semblaient appartenir à une sorte de pot commun, sans que les auteurs entrent dans les détails. Roko, c’est une autre paire de manches. Melville Henry et Jack Alderman font preuve d’une connaissance du sujet pour poussée que leurs collègues. D’abord il y a le choix du « mentor », Ménèlas, qui est beaucoup moins évident que le tout venant des « patrons mythologiques » qu’on trouvait à l’époque. Les héros qui recevaient leurs pouvoirs de Thor, Hercule ou Mercure étaient légion. Ménèlas était un choix plus subtil. Mais d’autres éléments montrent aussi une certaine connaissance du sujet. Oh, Melville Henry n’avait pas forcément fait de grandes recherches mais il était quand même plus documenté que ses collègues. Notons d’ailleurs que « Melville Henry » n’existe sans doute pas, à proprement parler : on ne trouve pas d’autres comics signés de ce nom et il s’agit donc très probablement d’un pseudonyme. Une chose est sur ce « Melville Henry » n’est pas Stan Lee, qui n’était pas si « lettré » dans son approche. Roko The Amazing, en plus de parler à Ménèlas, fait ainsi usage du nom ancien Illium »… (avec un seul petit « couac »: Illium est le nom latin de Troie. Ménèlas aurait plus probablement utilisé le nom grec, Ilios). Puis il y aussi le bouclier avec son motif de triskèle… Roko the Amazing est donc le super-héros mythologique du Golden Age qui fait le plus usage d’une terminologie réellement grecque ou tout au moins méditerranéenne.

Finalement les grands handicaps de Roko se situent sur deux niveaux: D’abord il y a son nom. S’il s’était appelé « Captain Myth » ou « Spartan », Roko aurait sans doute déjà refait surface dans l’univers Marvel moderne. Après tout il est ce que l’éditeur avait de plus proche de Thor pendant le Golden Age. Mais pour la plupart des Américains ou pour les Français que nous sommes « l’étonnant Roko » sonne au mieux comme le nom d’une créature extra-terrestre mais aussi, éventuellement, comme le titre d’une compilation porno. C’est méconnaître, en fait, le niveau de référence du mystérieux Melville Henry. Roko n’a pas été choisi par hasard. C’est un prénom utilisé dans une partie de l’Europe, y compris en Grèce, souvent en référence à un saint qu’on connait (plus ou moins) chez nous sous le nom de Saint Roch. A partir du 14ème siècle on priait le nom de Saint Roch à travers toute l’Europe pour repousser la Peste. Ce qui en fait, en un sens, un « héros sacré » qu’on pouvait invoquer. Melville Henry avait sans doute choisi le prénom de Roko en le sachant utilisé en Grèce, sans s’intéresser aux racines européennes du mythe. Sans doute accidentellement, voici donc Roko, héros qui se transforme en priant la puissance de Troie, nommé d’après un saint qu’on priait pour écarter la peste ou le mal. De là à imaginer que Ménèlas aurait pu inspirer divers champions nommés d’après des variantes de Roko ou Roch à travers les âges il n’y a qu’un pas que le côté éphémère de la série ne permet pas de franchir. N’empêche que ce nom ne s’inscrit pas tellement dans l’esprit « commercial » des comics. Avec un nom plus « flashy », le même héros aurait sans doute connu une bien meilleure carrière.

Le second point faible de Roko tient à sa nature même. Il y a un flou total sur ses origines et, d’une certaine manière sur ses pouvoirs : Il suffit que Lon Crag dessine Ménèlas pour que celui-ci apparaisse et lui offre des pouvoirs ? Mais alors que se passerait-il si Lon dessinait un autre héros mythique ? Celui-ci lui donnerait d’autres pouvoirs ? Pourtant la situation laisse une porte ouverte pour une alternative intéressante. On sait que pendant la guerre de Troie les dieux se manifestèrent dans les deux camps pour attiser le conflit. Si les aventures de Roko avaient duré, on aurait pu imaginer que Ménèlas ne soit qu’une figure mythique parmi d’autres qui se seraient manifestées sur Terre au même moment pour créer/manipuler des champions. Il y aurait pu avoir d’autres super-héros ou super-criminels basés sur Hélène ou Ajax, qui se seraient combattus pour amuser les dieux. D’ailleurs si on regarde bien l’histoire la manière dont le professeur de dessin ne cesse de remettre Lon Crag sur les rails (en lui proposant d’abord de dessiner la statue, puis en lui suggérant d’aller dessiner le chantier et enfin en lui donnant une raison d’assister au banquet) fait qu’on se demande s’il ne s’agît pas de Ménèlas lui-même qui guiderait « incognito » son protégé. Une autre explication rétroactive possible serait que le Ménèlas en question n’est absolument pas le Ménèlas de l’Antiquité mais un membre du Panthéon, la race/famille apparue dans les pages d’Incredible Hulk #368 (avril 1990). Le Panthéon était dirigé par un faux Agamemnon qui avait pour habitude de baptiser ses enfants d’après des héros mythiques (Ajax, Ulysse, Paris… autant de noms liés eux aussi à l’Iliade). Agamemnon étant supposé être le frère de Ménèlas, celui qui « sponsorise » Roko pourrait aussi bien être un membre de cette famille. Cela expliquerait d’ailleurs que ce Ménèlas fasse usage de termes latins comme Illium (le Panthéon utilise plutôt des noms latins comme Ulysse en lieu et place d’Odysseus). Et est-ce qu’un roi sparte cocufié par Illium/Troie aurait spontanément choisi comme « mot magique » le nom de la ville ennemie ?

Malgré les contradictions apparentes, Roko pourrait donc tout à fait s’intégrer dans la continuité moderne de Marvel. On ne l’a guère aperçu (et encore très brièvement) dans les scènes de foules de la série Avengers/Invaders (et principalement dans le sketchbook servant de préambule à la série). On reconnaît le bouclier au motif de triskèle mais Roko n’a aucun rôle parlant (visiblement Alex Ross et ses collaborateurs avaient dans l’idée de donner plus de place aux héros du Golden Age dans la dernière partie de leur saga mais ont du revoir leurs plans à la baisse). Roko n’a donc refait apparition que de manière très anecdotique et encore dans une scène qui se passe dans les années quarante. Les scénaristes actuels seraient donc libres d’imaginer son devenir à l’ère contemporaine. Et puis avec le côté « hardcore » que Frank Miller a restitué aux Spartes dans 300 on peut se demander ce que donnerait un héros avec la puissance de Superman mais la mentalité d’un Léonidas. Lon Crag serait-il aujourd’hui un très vieux monsieur qui pourrait encore se transformer en jeune colosse en criant « Illium » ? A moins que tout simplement Ménèlas choisisse un nouveau garçon qui l’aurait dessiné ? Il faut dire que des adolescents qui dessinent spontanément Ménèlas ne courent pas les rues…

[Xavier Fournier]