Oldies But Goodies: Superboy #5 (Nov. 1949)

Oldies But Goodies: Superboy #5 (Nov. 1949)

22 septembre 2012 Non Par Xavier Fournier

[FRENCH] Dans la seconde partie des années 40, DC Comics apporta un ajout de taille à l’univers de Superman : Les aventures de Superboy, qui révélaient la carrière du jeune Clark Kent. Avant de venir s’installer à Metropolis, Superman avait d’abord été Superboy dans la petite bourgade de Smallville. Mais que pouvait-il se passer de vraiment extraordinaire dans une ville de cette taille ? Les auteurs devraient rivaliser d’ingéniosité pour peupler l’univers de Superboy… Quitte à inventer Supergirl dix ans avant l’heure !

Dès 1938, quelques semaines après le lancement de Superman, Jerry Siegel avait pris conscience d’une lacune dans l’histoire de son personnage. Le héros venu de Krypton apparaissait directement adulte, à Metropolis. Seulement avec ses pouvoirs extraordinaires il était certain qu’il n’avait pas pu passer inaperçu auparavant. Siegel proposa donc à son éditeur de raconter les aventures de Superman quand il n’était qu’un garçon et que, par la force des choses, il n’était encore que Superboy. Pendant quelques années DC fit la sourde oreille. En tout cas en surface. L’éditeur qui avait refusé le principe de Superboy à Siegel était Vincent « vin » Sullivan. Si bien que la concurrence coiffa DC au poteau. Dès 1940 Quality lancé dans National Comics #1 les aventures de… Wonder Boy, un jeune extraterrestre très semblable à Superman. Wonder Boy dura plusieurs années mais DC fut sans doute plus inquiété par Odd Bodkins (à ne pas confondre avec une BD homonyme des années 60), un strip de presse produit entre 1941 et 1942 par Fred Fox et Chase Craig. La présentation du strip était la suivante : « Odd Bodkins is a merry teen aged boy who dreams about Brick Bradford and supermen and and all of a sudden discovers he’s a SUPER BOY himself » (« Odd Bodkins est un adolescent joyeux qui rêve de Brick Bradford et des surhommes et qui soudainement découvre qu’il est lui-même un SUPER BOY »). En fait Odd Bodkins était une parodie de Superman. Et justement, outre les comics à proprement parler, DC profitait aussi des rentrées d’argent générées par le strip de Superman. L’original se retrouvait donc en concurrence directe avec la copie.

Fin 1944, DC changea d’avis. Ou plutôt disons que la décision n’appartenait plus à Vin Sullivan, parti vers d’autres projets. C’est l’écurie éditoriale de Whitney Ellsworth et Jack Schiff qui s’intéressa de nouveau au concept. Sauf qu’entretemps Siegel avait été appelé sous les drapeaux. C’est donc sans l’auteur que DC lança Superboy dans les pages de More Fun Comics #101 (Janvier 1945). Il est d’ailleurs intéressant que le projet semble avoir été un peu précipité. La couverture, qui liste le contenu, évoque deux héros mineurs (Dover & Clover) qui sont finalement absents à l’intérieur. Tandis que rien n’indique la présence d’un Superboy. Il y a donc des chances que la décision ait été tardive. En 1944 Superman était devenu une star non seulement dans les comics mais aussi, encore plus, à la radio. L’existence soudaine de Superboy peut s’expliquer par deux raisons possibles: bloquer tout imitateur qui aurait voulu refaire le coup de Wonder Boy ou d’Odd Bodkins mais aussi capitaliser sur le jeune public. En marge du show radio il y avait tout un merchandising, y compris des panoplies de Superman. Sécuriser la marque Superboy permettait aussi plus de marge de ce côté-là. Et puis les aventures de Superboy se révélèrent très populaires. DC déménagera le jeune héros dans les pages d’Adventure Comics avant de lui donner, enfin, sa propre série en 1949. Superboy n’était pas le seul héros adolescent de DC Comics (qui publia dans d’autres revues les aventures de jeunes héros comme le Star-Spangled Kid, Little Boy Blue ou Merry the Girl of 1000 gimmicks). Mais il devint le plus célèbre des personnages « non-adultes » de la firme, avec un processus d’identification bien plus fort. Si un garçon se déguisait en Superman, il avait conscience d’être une version miniature du héros. S’il se déguisait en Superboy, c’était une autre paire de manches. Pour peu que l’enfant soit brun il devenait l’image même du héros ! Au point que DC pensa à des opérations parfois assez particulières. Ainsi Superboy #4 (septembre 1949) mis en place un concours qui permettait à un jeune lecteur et à une jeune lectrice de gagner « le concours le plus sensationnel de l’histoire des comics » : les vainqueurs passeraient une journée entière avec Superboy (Sans doute un jeune comédien embauché pour l’occasion). Au point que le concours fait l’objet de la couverture (le héros transportant des lecteurs dont le visage a été remplacé par un point d’interrogation). Superboy avait l’âge de ses lecteurs et de ses lectrices. Et ça changeait tout dans le rapport avec le personnage. Et ce curieux concours a l’avantage de nous montrer que DC visait non seulement un public de garçons mais aussi de filles. D’où une question en suspens. S’il y avait un Superboy, ne pouvait-on pas imaginer… une Supergirl ?

A cette époque la notion d’univers partagé était rudimentaire, essentiellement limitée aux pages d’All-Star Comics où les membres de la Justice Society of America continuaient de se croiser. S’il existait un jeune Superboy, cela n’entraînait pas automatiquement la question de savoir s’il avait croisé un Doctor Fate adolescent, un Aquaboy ou encore un jeune Bruce Wayne (des années plus tard ce genre de rencontres deviendrait pourtant un ressort régulier de la série). Dans l’optique de la fin des années 40, il convenait au contraire de générer à Smallville des menaces et des alliés propres à ce cadre et à cette époque. Autant de personnages qui n’apparaissaient pas dans la vie du Superman adulte et qui ne généreraient pas de contradiction. Les seuls personnages fixes de la série, en dehors Clark lui-même, étaient ses vieux parents. Tous les « figurants » (amis, ennemis, victimes…) devaient être créés pour l’occasion, à chaque fois qu’on écrivait une nouvelle histoire. Pour bien comprendre à quel point cette logique était encore rudimentaire en 1949, notons que Lana Lang (le « love interest » classique de Clark Kent/Superboy) n’existait même pas ! Elle ne serait injectée dans la série qu’en 1950 (Superboy #10). Avant cela Superboy aurait l’occasion de rencontrer une autre jeune fille qui allait faire chavirer son cœur… Sur la couverture du #5 de la série (paru en novembre 1949), les lecteurs furent sans doute stupéfaits de voir leur héros en train de s’amuser avec une petite blonde qu’un logo identifiait comme étant Supergirl… En ouvrant le numéro, le lecteur tombait sur une scène de réjouissance. Superboy défilait au bras d’une petite blonde portant une version orange de son costume (avec le S rouge et or caractéristique). Et les dialogues de la foule ne laissaient pas la place au doute. On criait « Longue vie à Superboy ! », « Longue vie à Supergirl ! » ou enfin, encore plus mystérieusement, « Longue vie à la Reine ! ». Et enfin le titre lui-même affichait « Superboy rencontre Supergirl ! ».

Pour ce qui est de l’identité de la Reine, on est vite fixé. Dès l’entrée en matière, on nous présente le royaume de Borgonia, situé « quelque part en Amérique Latine ». Le peuple s’est amassé devant le palais pour saluer l’anniversaire de la Reine. A l’intérieur, les conseillers royaux voudraient d’ailleurs rencontrer la figure régnante du pays. Mais ils doivent attendre pendant que des gardes jouent de la trompette. Borgonia ressemble à une sorte de pays d’opérette, un peu comme si tous les soldats sortaient d’une boîte de jouets. Et les conseillers s’impatientent. Pourquoi les faire attendre ? Que fait la Reine ? En fait celle qu’ils veulent rencontrer est une jeune fille blonde, la Reine Lucy, qui est une forcenée de sports. Visiblement son palais a été équipé de manière à faciliter son entraînement. Elle fait ainsi des acrobaties, lance le disque aussi bien qu’une athlète olympique ou encore pratique la course dans les couloirs du palais. Elle est tellement absorbée par sa course qu’elle n’a pas entendue les trompettes qui la prévenaient. Le Duc Norvello l’attend ! Et ce dernier est furieux quand, enfin, la Reine Lucy passe sur le trône pour le recevoir : « Vous nous avez fait attendre 15 minutes pendant que vous étiez en train pratiquer vos jeux d’enfants ! Peut-être que vous n’appréciez pas l’amitié et les conseils que je vous offre ! ». Confuse, la Reine s’excuse. Norvello reprend alors : Il est venu la prévenir que, même si c’est son anniversaire aujourd’hui, il ne faut absolument pas qu’elle se montre à ses sujets. Lucy est un peu ennuyée. Le peuple la réclame et est là pour lui faire la fête. Mais enfin Norvello est un adulte et c’est son conseiller. Elle se dit qu’il doit avoir raison. Mais quand les conseillers s’en vont, Lucy redevient la petite fille qu’elle est réellement, Reine ou pas. En larmes elle tombe dans les bras d’Elena, sa servante : « Je déteste être une reine ! Pourquoi ne puis-je être heureuse comme les autres petites filles ? ». La domestique explique alors que depuis dix ans elle a toujours vue Lucy confinée dans le palais, comme si elle était une prisonnière. Mais avant que les parents de Lucy meurent Elena leur avait juré de prendre soin de Lucy. La servante décide donc d’agir… Ce soir même Lucy quittera le royaume de Borgonia !

Quelques semaines plus tard, la jeune reine s’installe incognito à Smallville sous le nom de Lucy Regent. Vu son âge elle est bien sûr inscrite à l’école et se retrouve dans la même classe que Clark Kent. Mais dès qu’elle se présente un des écoliers comprend (sans doute en raison de l’accent) qu’elle n’est pas américaine : « Tu entends ça, Clark ? C’est une étrangère ! Je suis sur qu’elle n’arrivera pas à suivre en classe ! ». L’ironie (non révélée dans l’épisode) étant qu’on fait cette confidence à Clark Kent qui, venu de Krypton, est quand même champion toute catégorie en termes « d’étranger ». Bien sûr, le pronostic xénophobe du camarade de classe s’avère vite faux. Lucy est aussi cultivée qu’athlétique. Quand l’enseignante demande qui dirigeait l’Angleterre en 1042, la jeune fille est capable de donner une longue réponse détaillée. Celui qui par avance se moquait d’elle se prend alors la tête dans une main. Quand on passe à la pratique sportive, Lucy Regent montre aussi à quel point elle est performante. Elle gagne haut la main toutes les épreuves qu’on lui propose. L’enseignante n’est pas avare de louanges. Mais c’est la réaction de Clark qui est la plus intéressante. En son fort intérieur il pense : « C’est la fille la plus athlétique que j’ai vu ! Et elle est intelligente aussi ! Bon sang ! Je n’ai jamais rencontré une fille comme elle avant ! ». Clark Kent serait-il en train de tomber amoureux ?

En fait il est pratiquement le seul à s’intéresser à Lucy. Malgré toutes ses qualités les autres camarades de classe la snobent. Les filles, la trouvant trop sportives, ne veulent pas de la compagnie d’un garçon manqué. Et les garçons, après avoir entendu sa réponse en cours d’histoire, pensent qu’elle est trop intello. Clark est consterné de voir qu’elle est exclue par jalousie. Il décide de se montrer galant et propose à Lucy de porter ses livres de classe (une manière comme une autre, dans les BD et films de l’époque de dire « je t’aime bien et, si ça continue, je te parlerais de bisous »). Lucy Regent lui explique alors qu’elle trouve que l’Amérique est un pays merveilleux et qu’elle s’y sent libre. Mais l’attention de Clark est rapidement détournée. Sa vision à rayons-X lui montre qu’à deux pâtés de maisons de là un hold-up est en train de se produire. Mais comment fausser compagnie à Lucy sans éveiller des soupçons ? Clark fait alors semblant de vouloir marcher en équilibre sur la palissade qui longe la rue. Lucy est vaguement inquiète, lui dit de faire attention. Mais Clark tombe quand même (volontairement) de l’autre côté de la paroi. Loin du regard de Lucy il peut alors troquer sa tenue civile pour celle de Superboy.

Quand il arrive en volant dans le ciel, les bandits ne manquent pas de l’apercevoir. Ils sautent dans une voiture avec l’espoir de s’enfuir. Tous sauf un, qui a la sagesse de comprendre qu’aucune voiture n’est assez rapide pour semer Superboy. Ce gangster-là décide alors de s’enfuir à pied, profitant du fait que le jeune super-héros ne pourra pas prendre tout le monde en chasse. Et il a raison. Superboy est obligé de faire un choix. Il s’intéresse donc d’abord à la voiture, qu’il arrête d’une façon pittoresque. Puisque le hold-up se déroulait dans les bureaux d’une entreprise de construction, Superboy profite des matériaux qu’y trouvent pour lancer des murs et un tout. En un éclair il a construit une maison entière autour de la voiture. Les gangsters à l’intérieur ne peuvent plus s’enfuir et sont obligés de se rendre. Mais il reste l’autre fugitif. Celui qui est parti à pied. Superboy se lance à sa recherche mais il est passablement surpris quand il découvre le malfrat… en train de se faire casser la figure par Lucy ! Elle a entendu le cri « Au voleur ! » et s’est précipité sur le fuyard : « Puisque tu es un bandit, on ne doit pas tolérer que tu sois libre ! ». Superboy remercie la jeune fille : « Tu as été extra ! Mais où as tu appris à donner un coup de poing comme ça ? ». Lucy est trop impressionnée pour répondre : « Superboy ! Comme c’est merveilleux de te rencontrer en personne ! Dans mon pays, tous les gens t’admirent ! Et qui peux les blâmer ! ». Visiblement Lucy craque complètement pour Superboy… C’est à peine si elle se préoccupe du garçon qui l’accompagnait quelques instants plus tôt : « Que penses-tu qu’il est arrivé à ce gentil Clark Kent ? Il est tombé de la palissade et… pouf ! Il a disparu ! ».

Mais la situation échappe un peu aux deux adolescents. La police arrive mais la presse aussi est là. On se réjouit et on s’étonne que Superboy ait arrêté des bandits avec une jeune fille pour l’aider. Le scoop fini à la une de plusieurs journaux. Et l’un d’entre eux pose la question : « Est-ce que Lucy Regent est une Supergirl ? ». Mais Lucy n’a pas pensé à une retombée indirecte de ces gros titres. Les journaux américains sont vendus en dehors du pays (même l’édition locale de Smallville il faut croire). Bientôt, en Borgonia, le Duc Norvello voit la photo de « Lucy Regent » et comprend immédiatement où la Reine Lucy s’est enfuie. Mais ca ne fait pas du tout l’affaire de Norvello. Depuis des années il s’est arrangé pour la cacher aux yeux du public. Car il est convaincu que si le peuple connaissait sa reine il la prendrait en sympathie, au point de renverser le gouvernement maléfique que Norvello a mis en place depuis tout ce temps (Norvello et le scénariste ont l’air d’oublier que le peuple de Borgonia fêtait chaleureusement l’anniversaire de la reine en début d’épisode et qu’il la trouve donc déjà visiblement très sympathique). Si les citoyens de Borgonia apprennent que leur reine se comporte en héros, s’ils finissent par la voir et constatent qu’elle est quelqu’un de bien, tout sera remis en question. Norvello convoque ses ministres et, dans une attitude assez voisine des discours d’Hitler, lève le poing pour expliquer : « Je ne veux pas que la dictature que j’ai créé ici se terminer ! Nous devons envoyer des hommes à Smallville et la ramener ici avant qu’elle puisse déjouer mes plans ! ».

A Smallville, la donne a changé. Maintenant que la presse l’a identifiée comme une amie de Superboy, tous les écoliers se pressent autour de Lucy. Les filles veulent les inviter à des anniversaires et les garçons voudraient l’emmener au bal. Le maire de la ville a même une idée. Une fête sportive, organisée pour de bonnes œuvres, va se dérouler le lendemain. Et puisqu’il est prévu que Superboy y apparaisse, le maire propose à Lucy d’en être aussi. Pourquoi ne viendrait-elle pas… En Supergirl ? Lucy ne voit qu’une chose : ce sera l’occasion de rencontrer à nouveau Superboy ! Elle s’empresse d’accepter. Le lendemain, la fête est donc lancée en présence de Superboy et de celle qui est présentée comme sa « nouvelle assistante », Supergirl ! A noter que dans le premier plan général qui montre de loin le duo, on voit que la nouvelle Supergirl porte un costume rouge et bleu, c’est à dire les mêmes couleurs que son « modèle ». Par contre ce n’est le cas dans les cases suivantes de l’épisode ou Supergirl est représentée en orange et violet (plus proche des couleurs du costume classique de Mr. Mxyzptlk par exemple). Pourquoi un tel changement ? Et pourquoi pas un Supergirl en rouge et bleu ? Sans doute parce que pendant toute une partie de l’histoire Superboy et Supergirl se tiennent côte à côte. Dans certaines cases on aurait donc une masse de rouge et de bleu. Il semble probable qu’au moment de la mise en couleurs on a décidé de colorier autrement le costume de Lucy Regent pour qu’elle se distingue mieux du héros.

La foule de Smallville est amassée et certains commencent à se demander si Lucy est réellement une Supergirl (comprenez : si elle a vraiment les pouvoirs de son modèle masculin). Superboy décide d’aller dans ce sens : Puisque que c’est une journée de fête, il veut époustoufler le public et annonce que Supergirl et lui-même vont faire preuve de super-exploits. Même si par honnêteté le héros prévient qu’une partie d’entre eux ne sont que des « super trucages ». Ainsi quand Supergirl fait une démonstration de saut, elle est la première étonnée de voir qu’elle arrive à bondir par dessus la rivière : « Je n’ai jamais sauté si loin !!! ». En fait Superboy s’est contenté de la propulser à distance en faisant usage de son super-souffle. Ensuite il annonce qu’ils vont se lancer dans une course d’obstacles. Ils courent à travers Smallville en sautant… par dessus les maisons ! Si Supergirl semble à nouveau capable de sauter si haut, c’est encore grâce à l’aide de Superboy. Elle n’est pas dupe mais elle est ravie : « Oh, Superboy ! Je me sens comme si je volais ! Cela doit être merveilleux d’être réellement capable de sauter dans l’air comme tu le fais ! ». Plus tard les exploits truqués continuent. Supergirl soulève ainsi sans effort apparent et d’une seule main un poids marqué 500 livres (soit plus de 225 kilos). Supergirl lance le poids dans les airs et Superboy s’envole à la poursuite de l’objet. Tout ça, bien sur, fait partie du tour. En fait le poids est un ballon gonflable bourré d’Hélium que le héros détruit dès qu’il est hors de vue du public. Mais, alors qu’il est dans le ciel, Superboy aperçoit quelque chose d’étonnant grâce à sa « super-vision »: Il semble que deux hommes se sont emparés de Lucy et l’entraînent au loin : « Supergirl est en train de quitter la ville avec deux hommes à l’allure étrange ! Et ma super-audition me dit qu’elle n’aime pas cette idée ! ».

C’est un kidnapping et Superboy intervient bien sûr sans perdre un instant. Il se pose devant les brutes : « Un moment ! Où pensez-vous allez comme ça ? ». Comme ils ne sont pas de Smallville, les deux agresseurs ne semblent pas impressionnés par Superboy, connaissant sans doute mal ses pouvoirs. L’un d’eux sort alors son arme et tire sur le héros. Mais Lucy agît par réflexe. Elle ne veut pas qu’on tue Superboy et elle s’interpose entre l’arme et le jeune garçon. Un sacrifice noble mais inutile : Superboy est à l’épreuve des balles ! Réagissant à toute vitesse il utilise alors sa vision calorifique pour faire fondre la balle avant qu’elle puisse toucher Supergirl. Lucy, choquée, s’évanouit cependant. Superboy la pose au sol avec beaucoup de tendresse, touché par son geste : « Quelle fille ! Elle est forte et intelligente ! Et courageuse ! Elle était prête à mourir pour me sauver la vie ! Bon sang je n’ai jamais rencontré une fille comme elle ! ». Il semble de plus en plus évident que Superboy est sous le charme de Lucy. Les deux hommes se sont enfuis mais Superboy questionne Supergirl quand elle revient à elle : qui étaient ces ravisseurs ? Gênée, Lucy explique qu’elle ne peut en dire plus mais remercie cependant son héros de l’avoir sauvée…

Redevenant Clark, le héros s’en va dîner chez les Kent. Mais sa mère adoptive remarque vite qu’il n’a plus d’appétit. En fait il ne pense qu’à Lucy. Au point de prononcer son nom par accident. Clark/Superboy est en train de tomber amoureux, c’est certain. Mais une mauvaise surprise l’attend le lendemain, à l’école de Smallville. Quand l’enseignante fait l’appel (au passage on découvre qu’il y a un Parker dans la liste des élèves, un simple hasard cependant plein d’ironie), Lucy Regent est déclarée absente pour la journée. Notre héros s’inquiète. Peut-être qu’elle est simplement malade. Mais si les deux hommes de la veille étaient revenus s’attaquer à elle ? Il décide qu’il ira prendre de ses nouvelles pendant la pause de midi. Bien sûr en théorie Clark n’aurait pas besoin de le faire. Il suffirait de tourner la tête dans la direction de la maison de Lucy pour voir, grâce à sa vision à rayons X, si elle va bien (après tout c’est ce qu’il a fait lors du rapt avorté). Cette fois, c’est habillé en Superboy qu’il se rue chez son amie… Où il ne trouve que la domestique Elena. C’est elle qui lui explique tout : « Oui ! Elle est partie ! Mais je sais qui l’a kidnappé ! Et puisque vous êtes si ami avec elle je ferais mieux de tout vous expliquer, Superboy… La fille que vous connaissez comme Lucy est en réalité… une reine ! ». Superboy tombe des nues…

Comme vous l’aurez compris, Lucy a été rapatriée en Borgonia par les hommes de Norvello. Le Duc a d’ailleurs décidé d’une solution extrême pour s’assurer qu’aucun sujet ne portera jamais le regard sur la reine : Il lui a fait construire un masque de fer qui empêchera qu’on l’identifie. Il y a seulement des trous pour les yeux et la bouche. Et devant Lucy le Duc plonge la clef du masque de fer dans un bain d’acide pour s’assurer que personne ne pourra la démasquer. Tout ça fait partie d’un stratagème plus global : Norvello force la reine masquée à l’accompagner sur le balcon et à faire face au peuple. Après tout le mal qu’il s’est donné pour la cacher, l’idée peut paraître paradoxale. Mais il a bien préparé son coup. Il explique au peuple que voici la reine mais explique que si on ne l’a pas vu pendant des années c’est parce qu’elle se trouvait trop bien pour fréquenter ses sujets. D’ailleurs la preuve en est qu’elle apparait masquée sur le balcon en refusant de leur montrer son vrai visage. Les habitants de Borgonia sont consternés. C’est ça leur reine ? Ils se mettent à la détester. Lucy est impuissante : Norvello a promis de la faire tuer si elle parle ! Le Duc est hilare : « Tu as vu comment il a été simple de te discréditer devant ton peuple ? Ha ha ! ».

Mais Norvello ignore que la Borgonia dispose d’un visiteur. Utilisant ses pouvoirs, Superboy vient d’arriver au château. Il a tout vu et tout entendu. Norvello est bien le tyran dont Elena lui avait parlé ! Utilisant sa super-vitesse Superboy parcourt alors le palais. Il se précipite sur d’antiques armures qu’il réduit en morceaux (la conservation du patrimoine n’avait sans doute pas la même valeur à l’époque). Avec sa force herculéenne il a vite fait de transformer le métal des armures en mégaphones, en micros et en fils électriques. En l’espace d’un clin d’œil Superboy sonorise ainsi tout le palais, de manière à ce que la foule puisse entendre ce que Norvello murmure à Lucy sur le balcon : « Maintenant votre majesté, vous allez passé le reste de votre vie dans ce masque de fer dans lequel je vous ai enfermé ! Le peuple ne réalisera jamais à quel point vous l’aimez ! Et moi, Norvello, je continuerais de régner sur ces paysans stupides ! ». Immédiatement la foule réalise qu’on l’a manipulée. Les cris contre Norvello s’élèvent…

Superboy fait irruption dans la pièce où Lucy est détenue. Aussitôt Norvello s’éclipse sans demander son reste. La fille au masque de fer s’écrie : « Arrêtes-le avant qu’il s’échappe ! ». Mais le héros la rassure : Norvello n’ira pas loin. Le peuple l’attend à l’extérieur ! Cette partie du problème étant réglée, il s’agit maintenant de libérer Lucy de son masque sans la blesser. Superboy utilise alors sa vision à rayons X pour « lire » les contours intérieurs de la serrure de ce masque. Avec sa force il modèle une nouvelle clé et Lucy est bientôt libre et démasquée. La jeune fille est folle de joie. Encore plus quand Elena (que Superboy a amené avec lui) fait irruption dans la pièce : « Il n’y a pas de temps pour parler ! Le peuple clame à l’extérieur ! Il veut vous saluer ! ». Seulement Lucy n’a pas changé d’avis. Elle déteste toujours autant être une reine. D’ailleurs elle se moque de régner. Elle voudrait retourner en Amérique, être Superboy. Elena proteste : « Vous avez une obligation envers votre peuple ! Pendant des années ils ont souffert à cause de Norvello ! Vous pourriez les diriger avec sagesse ! ». Superboy est obligé de reconnaître que la domestique a raison. Bientôt la reine Lucy, à nouveau couronnée, apparait sur son balcon. De lui Superboy l’observe : « C’est ici qu’est la place de Lucy. Après tout c’est une reine ! Mais c’est aussi une Supergirl ! Je ne l’oublierais jamais ! ». Assez curieusement Superboy n’évoque pas l’idée qu’il pourrait lui rendre visite régulièrement. Il faut croire que le rôle de reine la place pour toujours hors d’atteinte… L’histoire se termine avec Clark Kent revenu à l’école de Smallville. Pendant un court d’Histoire il se demande alors si Lucy va bien et si elle pense de temps à autre à Superboy…

Reste une question. Si cette première Supergirl précède de près de dix ans l’héroïne classique (la cousine de Superman, Kara Zor-El), qui est l’inventeur de la Reine Lucy et de son alter ego ? A qui doit-on ce prototype de Supergirl ? Comics.org indique, en laissant la place à un point d’interrogation, que l’épisode aurait pu être scénarisé par Bill Woolfolk. Pour ma part le rôle de Woolfolk me semble être bien plus qu’une hypothèse, au regard de certaines marottes de l’auteur. Woolfolk écrivait régulièrement des épisodes de Superboy et s’amusait souvent à inventer des « amis costumés » à Superboy. Par exemple quelques temps plus tard (Superboy #14, 1951) il créerait le personnage de Marsboy, une sorte d’homologue de Superboy venu de la planète rouge. Dès son arrivée à Smallville, le premier geste de Marsboy est de s’inscrire dans la même classe que Clark. De ce fait la scène où l’enseignante apprend aux élèves qu’ils ont un(e) camarade de plus semble très voisine. Woolfolk était aussi un de ces scénaristes qui faisait allusion de temps à autre à l’énigme du Masque de Fer (il en avait par exemple tiré un adversaire dans Doll Man #15). William Woolfolk, enfin (au même titre qu’Otto Binder) était un auteur auquel on faisait appel quand il s’agissait d’écrire des versions féminines. Ainsi en 1947, c’est Woolfolk qui avait écrit l’épisode de Captain America Comics où Betty Ross devient Golden Girl, la remplaçante de Bucky. Mais surtout Woolfolk avait co-créé Moon Girl, une héroïne lancée chez EC Comics (création parfois attribuée au seul Gardner Fox). Et qui était Moon Girl ? Une princesse très athlétique qui s’ennuyait dans son pays et qui finissait par venir s’installer en Amérique pour jouer les super-héroïnes au côté de son amoureux brun, s’inscrivant dans la même école que lui (la différence majeure étant que Moon Girl et son fiancé étant adultes, ils étaient professeurs et non pas élèves). Sous couvert de « Supergirl », Lucy Regent était donc en bonne partie un remake de Moon Girl et, plus largement, une compilation de différents éléments scénaristiques propres à Woolfolk.

Lucy est donc non seulement la première Supergirl (même si ses pouvoirs ne sont qu’un tour de Superboy pendant la présentation) mais aussi la fille que Clark Kent a aimé avant de rencontrer Lana Lang ! Bien sûr on aurait pu imaginer la revoir plus vieille, dans les épisodes de Superman. Mais c’est Lana qui s’installa durablement dans les aventures de Superboy. Quand il a fallu ramener une femme du passé de Superman, c’est donc une Lana adulte qui est venue s’installer à Metropolis pour rivaliser avec Lois Lane. Lucy est aussi un peu l’ancêtre des futurs « amours impossibles » de Superboy/Superman, quand le héros tombe amoureux d’une femme idéale pour lui mais réalise ensuite que, pour une raison où une autre, ils ne sont pas du même monde (par exemple la sirène Lori Lemaris apparue en 1959 ou encore l’actrice kryptonienne Lyral Lerrol en 1960). En fait l’histoire initiale de cette Supergirl laissait peu d’espoir quand au fait de la revoir. Par la force des choses elle n’aurait plus utilisé le costume ou le nom de Supergirl, qui ne se justifiait plus. Mais la reine Lucy aurait pu perdurer. Si elle n’est pas surpuissante, Lucy est cependant supérieurement intelligente et sait se battre, on aurait même pu imaginer qu’elle devienne une sorte d’aventurière à la Batman, protégeant son peuple ! En fait DC étant sans doute moins intéressé par le fait de ramener la Supergirl de 1949 que par son existence pure et simple. L’existence continuelle d’une Supergirl était sans doute vue à l’époque comme quelque chose qui aurait diminué le prestige de Superboy sur le plan scénaristique. Ce qui intéressait sans doute plus l’éditeur c’était de protéger la marque et de s’assurer que personne d’autre ne l’utiliserait. D’où le soin apporté au fait de mettre en gros le mot « Supergirl » sur la couverture de Superboy #5.

Ce qui est drôle, par contre, c’est que Superman aurait par la suite à nouveau l’occasion de visiter la Borgonia. Le pays (ou plutôt un pays du même nom) est à nouveau utilisé dans Action Comics Vol 1 #233 (1957), dans une histoire signée Jerry Coleman. Mais pas de Reine Lucy en vue. L’utilisation du nom est sans doute accidentelle (encore que dans les deux épisodes on remarquera que des gens se déguisent avec des uniformes du héros). D’ailleurs Superman ne fait pas mine d’avoir parcouru l’endroit. Cette fois la Borgonia est représentée comme un pays où tout le monde s’habille comme Superman… Mais il s’agit d’une sorte de piège pour tromper le héros, la Borgonia étant une dictature. Il faut croire que la Reine Lucy avait été renversée depuis… Mais si c’était le cas Lucy Regent ne serait-elle pas à nouveau libre de débarquer en Amérique ?

[Xavier Fournier]