Oldies But Goodies: Rawhide Kid #38 (Fev. 1964)

Oldies But Goodies: Rawhide Kid #38 (Fev. 1964)

31 décembre 2011 Non Par Comic Box

[FRENCH] En parallèle de ses histoires de monstres ou de super-héros, Marvel Comics a produit pendant plusieurs décennies (jusqu’aux années 80) un flot constant de justiciers oeuvrant dans le contexte du Far West. Pour autant qu’il s’agisse de bandes dessinées transposant les codes des westerns cinématographiques, l’éditeur y usait cependant des mêmes ficelles déjà utilisées sur ses super-héros pendant le Golden Age. Pour preuve cette histoire où le Rawhide Kid se prend pour Icare…

En général, quand on parle du renouveau de Marvel Comics au Silver Age, on n’utilise pas la date située aux alentours de 1955/1956 plus en vogue quand on évoque DC Comics (et l’apparition du Martian Manhunter ou encore de Flash/Barry Allen). Spontanément, les fans de Marvel sont plus enclins à situer le démarrage de l’âge d’argent de la société en 1961, à la publication de Fantastic Four #1. D’ailleurs la firme elle-même utilise l’épisode comme repère marquant le début de « l’univers Marvel moderne ». Comme bien souvent, les choses sont un peu plus complexes qu’il y parait. A commencer par le fait que la production de Marvel ne se limitait pas à des super-héros et qu’entre le milieu des années cinquante et le début de la décennie l’éditeur continua d’injecter des héros liés à d’autres genres, s’inscrivant dans une continuité commune (continuité rattachée par la suite au fameux « univers Marvel moderne »). En un sens le Rawhide Kid peut être considéré comme un des derniers héros du Golden Age de Marvel tout en étant un des premiers héros de la génération suivante. Je m’explique : décidons (arbitrairement mais le repère me semble avoir du sens) que la fin du Golden Age de Marvel est Sub-Mariner Comics #42 (Octobre 1955), la dernière BD de super-héros publiée dans les années cinquante. Le Rawhide Kid, lui, est un hors-la-loi vivant à l’époque de l’Ouest sauvage dont les aventures furent publiées dans une série portant son nom à partir de mars 1955 (Rawhide Kid #1). A la base le Rawhide Kid (une création de Stan Lee et Bob Brown) avait pour nom Johnny Clay et était un héros de western assez interchangeable, le ton du magazine se prenant assez au sérieux malgré des costumes d’opérettes. Le Rawhide Kid débuta donc d’abord comme une sorte de clone d’un autre héros de l’Ouest, le Two-Gun Kid (Clay Harder), dont Marvel publié les aventures entre 1948 et 1961 (date à laquelle un autre Two-Gun Kid, Matt Hawk, fit son apparition). Le premier Two-Gun Kid et le Rawhide Kid avaient tous les deux la même stature, étaient blonds et s’habillaient dans des tenues d’un bleu sombre similaire. Et entre CLAY Harder et Johnny CLAY il y avait là aussi une ressemblance certaine. Bref, le Rawhide Kid ne pouvait pas prétendre être d’une originalité délirante.

Sa série dura jusqu’en 1957, s’interrompant au 16ème épisode. On était donc déjà à l’intérieur de la période 1956-1961 qui correspond au Silver Age antérieur au retour des super-héros de Marvel. Mais ce n’est pas pour cela que je qualifiais il y a quelques lignes le Rawhide Kid de premier héros de Silver Age de Marvel. Il faut attendre août 1960 pour bien comprendre la situation. C’est à cette date là que l’éditeur relance le Rawhide Kid à travers un 17ème épisode, toujours scénarisé par Stan Lee mais cette fois dessiné par Jack Kirby et avec certaines différences. Elles tiennent sans doute à la « Marvel Way », la manière orale qu’avait Stan Lee de dicter à ses collaborateurs les grandes lignes d’un épisode et de les laisser se débrouiller avec, n’intervenant plus qu’une fois les pages illustrées, au moment d’écrire les dialogues. La méthode de Lee laissait donc de la marge aux dessinateurs qui avaient de la personnalité. Et on sent bien, dans le redémarrage du Rawhide Kid, l’influence de Jack Kirby. Le dessinateur se mis à représenter un Rawhide Kid plus trapu, plus petit, souvent placé face à de gros costauds patibulaires. On n’est d’ailleurs pas loin de la formule de l’Atom des années quarante, un héros de DC qui se caractérisait par sa petite taille. Quelque part en cours de route les auteurs s’embrouillèrent dans le nom civil qui avait été donné au héros et son nom fut transformé en « Johnny Bart » au lieu de « Johnny Clay ». En fait, on peut parler d’une réinvention (sans doute pas entièrement volontaire) du personnage et on en arrive à une situation un peu similaire aux deux premiers Flash (Jay Garrick et Barry Allen) de DC : Deux héros portant un même alias et se ressemblant mais portant des noms civils différents.

Plus tard tout ça serait rendu plus homogène en expliquant que Johnny Clay n’était qu’un autre nom de Johnny Bart, qui avait été adopté dans sa jeunesse. Mais un examen des deux époques de la série montre bien que dans les 16 premières épisodes on est face à un héros « premier degré » là où la version Kirby a plus de gouaille et fait preuve de l’amour du « p’tit gars » qu’on retrouve souvent dans l’oeuvre du King (la Newsboy Legion par exemple). Et puis il y avait aussi, à un autre niveau, une trace de la démesure propre à Kirby. Les adversaires ne contentaient pas d’être des bandits qui tiraient plus vite que leurs ombres. Plusieurs d’entre eux étaient comme de véritables super-villains annonçant un peu des profils qu’on retrouverait plus tard parmi les ennemis des Fantastic Four ou de Spider-Man. Cette tendance se retrouve d’ailleurs dans d’autres séries de « cow-boys » de Marvel à la même époque. Ce n’était pas une première. Dès la fin des années 40 le concurrent Magazine Enterprises avait publié des héros de l’Ouest qui ressemblaient à autant de super-héros du passé (on se souviendra par exemple de Rex Fury, le premier Ghost Rider). Mais d’habitude cela s’arrêtait à une certaine barrière de crédibilité. Tout au plus on voyait certains bandits masqués. Là, sous la houlette du King, les choses allaient prendre une toute autre ampleur. Il suffit de voir la couverture de Rawhide Kid #22 (juin 1961) pour se convaincre que Kirby était décidément intéressé par tout autre chose que de traditionnels duels dans la grande rue de Tombstone City : sur l’image le héros y affronte le Totem Vivant (« The Living Totem »), une créature inhumaine qui se révélera être un extra-terrestre monstrueux. Non, décidément, Kirby ne voulait pas de la routine du Far-West. Et une fois ce ton instauré, il resterait même après que l’artiste soit passé sur d’autres projets. Kirby continuait de dessiner les couvertures mais c’était Dick Ayers qui le remplaçait dans le dessin des pages intérieures. Et fort logiquement d’ailleurs puisqu’Ayers était un vétéran ayant travaillé des années plus tôt sur les cow-boys masqués de Magazine Enterprises. La boucle était bouclée, donc…

Dans Rawhide Kid #38 (« Revenge of the Red Raven », février 1964), l’adversaire du mois de Rawhide Kid fait cependant très fort puisqu’il s’agit d’un bandit… volant grâce à une paire d’ailes façon Hawkman. Dès la couverture on le découvre, dans un costume rouge, s’abattant vers le héros. Et le résultat est on ne peut plus anachronique. Un peu comme si un adversaire de Spider-Man ou de Daredevil s’était échappé juste qu’aux pages d’une BD de western. Qui plus est le nom de Red Raven ne nous est pas vraiment inconnu puisque c’est par ailleurs le nom d’un héros volant de Marvel dans les années 40 (nous y reviendrons un peu plus loin). Un héros qui, bien entendu, portait un costume rouge et volait grâce à des ailes semblables à un oiseau. Pourquoi Stan Lee et Dick Ayers se seraient-ils embêtés à ramener un concept alors vieux d’un quart de siècle ? La réponse est floue.

On sait que Stan Lee n’a jamais fait preuve d’une très bonne mémoire quand il s’agissait des comics. Ce n’était pas un acharné de la continuité. Mais il est très possible que quelques exemplaires d’archives traînaient dans les bureaux. Ou encore que des lecteurs, notant le retour de super-héros des années 40 comme Sub-Mariner, avaient écrit en listant d’anciennes créations comme Red Raven. Doutons néanmoins de la volonté de Lee de vraiment recréer ce personnage en particulier. De toute façon on sait que le scénariste ne donnait que de vagues indications à ses dessinateurs. Il est bien possible qu’il lui parlé d’un « Red Raven » (« Corbeau Rouge ») dans l’idée d’en faire un peau-rouge et qu’Ayers soit arrivé avec une histoire un peu différente. Ou peut-être que Lee et Ayers avaient conscience qu’un bandit ailé aurait forcément de faux-airs d’Hawkman, héros alors édité par le concurrent DC Comics. Utiliser le nom d’un héros publié par Marvel plus de deux décennies plus tôt permettait éventuellement d’éviter des soucis légaux… Mais ça, c’est ce que nous inspire la couverture. Il nous faut maintenant nous tourner vers l’histoire proprement dite.

Tout commence alors que le Rawhide Kid arrive en ville, montant son cheval blanc Nightwind. On reconnaît cette monture blanche au fait qu’elle porte à l’arrière les initiales « RK », le héros n’ayant pas manqué de le marquer. Rawhide Kid arrive en ville, donc, mais est surpris par des hommes à cheval gui galopent dans sa direction, chargés de lourds sacs qui portent le signe « $ ». Rawhide Kid n’a pas de mal à comprendre qu’il s’agit de voleurs de banques. N’écoutant que son courage, le héros se jette sur l’un d’entre eux : « Arrête Hombre ! Cet argent que tu as volé appartient aux habitants de cette ville ! Et il va y rester ! ».

Une fusillade éclate alors et on notera d’ailleurs le côté involontairement comique de l’affrontement. A l’époque le Comics Code est encore très installé et… le dessinateur doit se livrer à un véritable travail de chorégraphe pour inventer une fusillade qui… ne tue pas. Il n’y a même pas de blessés : Rawhide Kid désarme ses adversaires en tirant sur leurs propres pistolets. Bientôt le gang comprend néanmoins que le nouvel arrivant est bien le fameux Rawhide Kid. Plusieurs des hommes préfèrent alors se rendre: « Je ne veux pas le combattre ! Je préfère rester parmi les vivants ! ». Vu comment, à l’évidence, le Rawhide Kid préfère désarmer que tuer, c’est une remarque qui tombe à plat. Mais qu’importe : le résultat est là. Bientôt toute la bande s’avoue vaincue. Enfin sauf le leader, surnommé Red Raven (sans doute parce qu’il est roux et, non, à ce stade il n’a pas encore ses ailes), qui fait seulement semblant d’être battu. Il s’agit pour lui de prendre le Rawhide Kid par surprise, en lui jetant du sable à la figure. Avec du sable dans les yeux le héros n’y voit plus rien et, par réflexe, porte les mains à ses yeux. En clair il ne peut plus tenir ses revolvers. Le voici désarmé. Red Raven et ses hommes en profitent alors pour lui flanquer une correction.

Bien sûr, le héros ne tarde pas à reprendre le dessus et à rosser un après l’autre les membres de la bande? Il ne manque bientôt plus que Red Raven lui-même : « Tu as eu mes gars… Mais je suis encore sur mes deux pieds et je vais t’écraser ! ». Tout ça n’est cependant que de la bravade. Le Rawhide Kid le gardait pour la fin et lui assène un coup de poing ravageur. Maintenant que la bagarre s’estompe le patron de la banque se matérialise et, reconnaissant, demande comment il pourrait remercier le héros. Modeste, le Rawhide Kid explique alors qu’il n’est pas intéressé par des remerciements : « Dites juste au shérif, quand il reviendra en ville, qu’il a quelques invités de plus dans sa prison ! Un cadeau du Rawhide Kid ! ». Puis le héros s’éloigne sur son cheval blanc. En ce qui le concerne l’affaire semble terminée. Elle ne fait cependant que commencer…

La suite de l’intrigue nous permet de retrouver « Red Raven » en prison. Il ne décolère pas et promet de se venger du Rawhide Kid. Mais le bruit que fait le gangster indispose son compagnon de cellule. Il s’agit d’un indien qui lui explique alors que s’il veut vraiment se venger il existe des façons de le faire qui dépassent son imagination. Pas convaincu, Red Raven lui rétorque que ce ne sont pas ses affaires et que de toute manière l’indien ne peut rien faire pour l’aider. L’autre répond : « C’est là où tu es dans le faux ! J’ai été un homme médecine parmi les Navajo ! Maintenant je suis vieux et malade et il ne me reste que quelques jours mais je connais des secrets… ». Toujours incrédule Red Raven lève la main, prêt à le frapper. Mais l’indien insiste : « Non ! Tu dois écouter ! Bientôt j’irais chercher ma récompense dans le pays au delà des nuages ! Mon secret ne doit pas mourir avec moi ! J’ai quelque chose de caché ici, sous mon matelas ! Ca peut te libérer de cet endroit fermé… Ca peut faire de toi le plus puissant des mondes ! ». Red Raven finit par lui dire que s’il a vraiment quelque chose de si précieux sous son matelas il n’a qu’à le montrer. L’indien sort alors un morceau d’étoffe rouge. Une nouvelle fois Red Raven s’emporte : « Qu’est-ce que c’est ? Une farce ? Ce n’est rien d’autre qu’un morceau de tissue ! Je pensais que tu avais un flingue ou quelque chose de ce genre ! ». Avec patience l’indien insiste. D’après lui c’est une étoffe spéciale. Il l’a tissé lui-même et elle est bien plus puissante qu’une arme.

Quand « Red » déplie l’étrange tissu offert par l’indien, il s’aperçoit qu’il s’agit d’un costume assez particulier : « Hey, qu’est-ce que c’est que cette tenue de dingue ? On dirait une paire d’ailes ? ». Et l’indien acquiesce : « C’est ce qu’elles sont ! Des ailes… Mais des ailes comme aucune autre au monde ! Tu devrais les porter et verras ! ». Incrédule Red Raven enfile la tenue et… ressemble au demeurant à une sorte de gros poulet rouge. Le gangster sent bien l’idée de l’indien. Il s’agirait donc d’un costume pour voler. Mais il sait bien que nul homme est assez fort pour voler en battant des bras. Alors l’indien explique : les ailes ont été traitées avec une « herbe indienne spéciale » connue seulement des hommes médecines Navajo. Même si Red Raven a encore du mal à y croire, il est impressionné par la force de conviction de l’indien. Et finalement le gangster se dit qu’il n’a rien à perdre. Et il accepte de se livrer aux exercices d’entraînement conseillés par l’indien. Pendant quelques semaines, Red fait ce qu’on appellerait aujourd’hui de la « musculation ». Il devient plus fort. Mais dans le même temps l’indien, lui, dépérit. Un jour il fini par s’éteindre, laissant derrière lui un Red Raven enfin prêt à utiliser le costume volant : « Il est mort ! Maintenant il ne reste plus rien à faire d’autre que tester ces ailes ! Je vais enfin apprendre si j’ai gaspillé ces dernières semaines ou pas ! Et si tout ça n’a pas été en vain alors que le Rawhide Kid prenne garde à lui ! ».

Red Raven devient alors une sorte de Edmond Dantès du Mal. Il se sert de la mort de son vieil ami pour monter son évasion. Il appelle le garde à l’aide, en criant que quelque chose vient d’arriver à son compagnon de cellule… Quand celui-ci arrive, il aperçoit le corps de l’indien à terre. Mais ne voit pas Raven. Normal, celui-ci se tient en hauteur : il se sert du costume pour voler tout contre le haut plafond de la cellule. Et profitant de l’effet de surprise il se laisse tomber sur le garde et l’assomme.

Bientôt, à l’image du Vautour (l’adversaire de Spider-Man), Red Raven mérite enfin son surnom de « Corbeau Rouge » en s’envolant à l’extérieur du cachot. Au loin, les gardiens ont du mal à en croire leurs yeux quand ils aperçoivent la silhouette. L’un d’eux s’exclame même : « Hey Sam, regarde cet oiseau sur le toit ! Je n’ai jamais vu un aigle si gros ! Je me demande d’où il vient ? On dirait même qu’il a des jambes humaines ! ». Son collègue est un peu plus vif d’esprit : « Attends ! Ce n’est pas un aigle ! C’est un homme ! Un homme avec des ailes ! Je sais que ça a l’air dingue mais c’est un de nos prisonniers ! ». Bientôt ils reconnaissent le fameux Red Raven. Ils lui tirent alors dessus pour tenter de l’arrêter mais l’évadé s’échappe par les airs. Bientôt il disparaît hors de portée…

A l’époque de l’Ouest sauvage il n’y a pas vraiment de moyen d’information directe. Pas de radio ou de téléphone et les cavaliers solitaires ne se promènent pas vraiment avec un télégraphe portable. Aussi quand on retrouve le Rawhide Kid quelques jours plus tard, il ne semble pas au courant de l’évasion de son adversaire. Il chevauche tranquillement sa monture, Nightwind, tout en traversant un grand désert. Mais bientôt le héros est mal à l’aise. Il se sent observé : « C’est étrange. Je sens les yeux de quelqu’un d’autre. Tous mes nerfs me démangent, comme si un danger était proche… ». On remarquera au passage que cette sensation témoigne des rapprochements entre les super-héros de Marvel et les cow-boys publiés par le même éditeur. Cette sensation que ressent le Rawhide Kid n’est pas qualifiée de superpouvoir, c’est juste une réaction instinctive. Mais d’un autre côté, la tournure scénaristique est exactement la même que s’il s’agissait de Peter Parker/Spider-Man en train d’être prévenu d’un danger par son sens d’araignée. Et comme en l’occurrence le Red Raven nous a déjà fait penser au Vautour, cet épisode est donc bien comme un récit de super-héros qu’on aurait « déguisé » en western. A moins qu’inversement il faille en déduire que les personnages costumés de Marvel sont autant de westerns « déguisés » en super-héros.

Le Rawhide Kid croit perdre la raison car il sait bien qu’il n’y a personne sur les kilomètres à la ronde. Il pense que son imagination lui joue un tour… Mais bientôt il s’aperçoit que son instinct disait vrai. Il voit bien une silhouette perchée sur un haut rocher. Une silhouette qui ressemble à un grand oiseau. Mais de qui (ou de quoi) s’agit-il ? Le nouvel arrivant s’adresse alors à lui : « Nous nous rencontrons à nouveau, Kid ! Ca m’a pris des jours pour te traquer et maintenant c’est l’heure de la revanche de Red Raven ! ». Le Rawhide Kid est surpris de reconnaître son adversaire dans cet étrange accoutrement. D’autant plus qu’entre-temps le « Corbeau Rouge » a perfectionné sa tenue. Il a désormais une cagoule surmontée d’une sorte de crête mais porte aussi un revolver sur son flanc. Pas impressionné par cette allure cocasse, le Rawhide Kid s’écrie que s’il est arrivé à envoyer Raven une première fois en prison, il sera capable de le faire à nouveau. Le héros n’a aucune idée des particularités particulières du costume de son adversaire. Rawhide Kid se penche pour dégainer et fais feu mais… pour la première fois de sa carrière il manque sa cible ! Red Raven a disparu ! Enfin… pas vraiment. Il s’est envolé au dessus du Kid et le prend pas surprise. Qui plus est le héros n’est pas habitué à viser au dessus de lui, en l’air. Red Raven lui tire dessus et Rawhide Kid s’effondre à côté de sa monture…

Par chance le cheval Nightwind fait partie de ces animaux comme Jolly Jumper, Krypto ou Flipper le dauphin : il est très intelligent. Comprenant que son maître a besoin d’aide, il galope à la recherche d’un autre être humain qui pourrait lui porter secours. Et finalement le plan de l’animal n’est pas si « bête » que ça. Un cheval de cette valeur qui ère tout seul dans le désert, ça peut attirer des convoitises. Un indien l’aperçoit et se dit qu’il pourra le revendre un bon prix s’il arrive à l’attraper. Il le prend donc en chasse et Nightwind en profite pour faire demi-tour… et ramener ainsi l’indien aux côtés du Rawhide Kid, toujours inconscient. Par chance, l’indien n’est pas un mauvais bougre. Il comprends que le cheval appartient à l’homme à terre. En l’examinant, il s’aperçoit qu’il est vivant mais gravement blessé. L’indien décide de lui venir en aide et de le ramener à son village. Forcément le « peau-rouge » parle un anglais caricatural : « Appuyer sur bras, visage pâle, depuis que grand père des blancs et notre chef fumer le calumet de la paix, les hommes blancs sont frères avec les Navajos ! ».

Pendant des jours le Rawhide Kid reste couché, tandis que le jeune indien lui administre des herbes et des potions connues seulement des Navajos qui le rendront « plus fort ». Mais un jour, pratiquement remis sur pied, le Rawhide Kid insiste pour partir. Il est convaincu qu’il faut arrêter Red Raven ou personne dans l’Ouest ne sera en sécurité. Il doit trouver une manière d’arrêter cet homme volant. Mais en écoutant ce terme « d’homme volant », le jeune indien tique. Le Rawhide Kid lui explique alors qui est Red Raven et qu’il ne comprend pas comment ce bagnard a réussi à sortir de sa prison tout en possédant désormais une paire d’ailes qui lui permettent de voler. En découvrant cette partie de l’histoire, l’indien peut reconstituer le reste : « Un bagnard ? Des ailes ? Ah, tout se tient ! Mon père était homme médecine de cette tribu avant lui être envoyé en prison. Lui avoir trouvé secret pour voler ! Lui doit avoir donné secret à autre prisonnier avant lui mourir en prison ! ». Rawhide Kid, blessé, est sauvé par le fils de l’indien qui était emprisonné avec Red Raven ? Le monde est petit ! Mais ce genre de coïncidences n’est pas rare dans les comics.

Heureusement le jeune indien connaît lui aussi les secrets découverts par son père. D’ailleurs il exhibe une paire d’ailes blanches qu’il gardait dans sa tente : « Jamais utilisé car ça être mauvaise chose. Mais maintenant ça doit être utilisé. Par toi. Pour arrêter Raven ! Moi t’écouter parler dans ton sommeil ! Moi savoir qui tu es ! Toi être brave. Homme bon. Seulement toi pouvoir arrêter Raven ! Toi prendre ailes. Moi t’apprendre à utiliser ! ». Le héros est très reconnaissant : « D’abord tu me sauve la vie ! Maintenant tu fais ça ! Je te suis très redevable, amigo mio ! ». Mais l’indien reste modeste : « Non. Moi redevable envers toi. Mon père faire beaucoup de mauvaises choses ! Si toi défaire ce mal en battant Red Raven, ça ramener honneur à tribu ! ». Le Rawhide Kid décide alors de s’entraîner pendant plusieurs semaines afin de développer la musculature de ses bras (on nous a bien expliqué plus tôt qu’une constitution normale ne suffit pas pour manier ce genre d’ailes ».

Des semaines plus tard, chevauchant Nightwind, le Rawhide Kid revient donc « en ville ». Comprenez par là qu’il rejoint la civilisation blanche, anglo-saxonne et protestante. Il est cependant conscience que Raven a une sacrée avance en termes d’expérience et d’heures de vol : « Mais je ne peux pas me laisser freiner par ça ! Je dois le trouver maintenant ! Et ça ne devrait pas être dur ! Red Raven n’est pas du genre à rester caché ! Il est trop sur de lui ! ». Et les premiers témoignages que le Rawhide Kid va recueillir vont le conforter dans cette impression. Il faut dire qu’un bandit volant ça ne passe pas inaperçu. « Il n’y a pas un homme dans l’Ouest qui n’ait pas entendu parler de lui » lui explique un passant : « La semaine dernière il a attaqué une diligence en se laissant glisser depuis le ciel… Puis il s’est envoyé avant que quiconque ait pu lever le petit doigt ! Mais ce n’est pas tout ce qu’il a fait. Il attaque aussi bien les ranches, les banques, les hôtels, les saloons… Tout ce qu’il peut trouver ! Personne n’est capable de l’arrêter ! ». On explique néanmoins au Rawhide Kid que le matin même le shérif a réuni quelques hommes pour donner la chasse au Red Raven. Ils sont partis en direction de Pueblo Pass. Ca tombe bien : Rawhide Kid connait un raccourci qui mène à l’endroit. Il y fonce…

En fait il arrive visiblement à Pueblo Pass bien avant le shérif et ses hommes : « Si le Raven est quelque part dans ces collines, je le trouverais » pense intérieurement le jeune héros. Sauf bien sûr qu’il existe une autre situation possible : que le Red Raven le trouve, lui ! C’est d’ailleurs ce qui se passe. Bientôt un coup de feu résonne dans le canyon et le chapeau du Rawhide Kid vole, emporté par une balle. Le héros saute à l’abri en se réjouissant qu’en tirant d’aussi loin le Red Raven ne soit pas un aussi bon tireur que ça : « Je devais le laisser me voir, pour attirer ses tirs. Et maintenant… Jugeant de l’angle et de la trajectoire, il se tient au dessus de ce rocher, derrière moi ». Le Rawhide Kid constate quelques instants plus tard qu’il voit le soleil briller sur la carabine de Red Raven. La crapule est donc localisée. Mais… mais le poste de héros ça se mérite. Car à ce moment-là le Kid se souvient que ses propres ailes sont rangées dans ses sacoches, toujours accrochées sur son cheval, lequel se tient à découvert. Par moyen d’aller vers les sacoches sans se faire tirer comme un lapin !

De toute façon c’est une question caduque car Red Raven pouvant voler, il n’est pas homme à rester sur un rocher d’où il ne peut toucher sa cible. L’homme-oiseau vole donc de manière à contourner la cachette du Rawhide Kid et pouvoir l’avoir dans son viseur. Mais son plan cafouille. Car s’attendant à le voir arriver, le Kid lui tire dessus le premier. A nouveau on note la même règle de combat qu’au début de l’épisode : le tir du héros ne blesse pas son adversaire mais arrache le pistolet de la main du criminel. En clair le Kid ne profite de son avantage que pour créer une diversion alors qu’il aurait pu régler l’affaire sur le champ. Mais qu’importe : la ruse fonctionne. Privé d’arme, le Red Raven est obligé d’aller la récupérer. Pendant ce temps le Kid a le temps de s’emparer de ses sacoches et de disparaître dans une grotte juste au moment où le gangster revient.

Red Raven ignore l’existence d’une autre paire d’ailes. Il croit d’abord que son adversaire est dans une impasse et qu’il lui faudra bien sortir à un moment où à un autre de la grotte. Il est passablement surpris quand, quelques instants plus tard, le Rawhide Kid surgit de la caverne en volant. Red Raven est si étonné qu’il manque son tir. Puis ensuite il se reprend. Il réalise que de toute façon il est plus expérimenté que le Kid. Red Raven connait les manoeuvres possibles et impossibles. Et surtout il saut quand il faut tirer. Car les images statiques de cette BD ne doivent pas nous faire oublier que les deux combattants volent par la force de leurs bras. Comme l’explique Red Raven : « Tu peux seulement utiliser ton flingue quand tu plane. Pas quand tu agites tes ailes pour me rattraper ! Qui plus est, comme je vole au dessus de toi, je peux me permettre de planer, libérant ma main pour te tirer dessus autant que je le veux…. ». Réalisant que les choses ne vont pas être facile, le Rawhide Kid utilise la seule solution qui lui reste : voler sous Red Raven de manière à lui passer derrière. Le temps que Red Raven manoeuvre pour se retourner, le Rawhide Kid peut alors espérer planer et lui tirer dessus. Mais il n’est pas au bout de ses peines : le Rawhide Kid fait face au soleil. Il ne peut tirer de son mieux, éblouit par la lumière. Et finalement un duel à l’ancienne s’instaure… en plein ciel. Même diminué, le Rawhide Kid arrive une nouvelle fois à tirer sur la main du criminel, le désarmant encore.

Red Raven est sidéré: « C’est impossible ! Personne ne peut désarmer un homme alors qu’il est en plein vol ! Mais je n’ai pas besoin de ce pistolet ! Je suis encore meilleur que toi et je vais le prouver ! ». Pas impressionné, le Rawhide Kid répond qu’il n’en espérait pas moins. Cette fois, toujours en plein ciel, ils en viennent aux mains. Et là non plus le « Corbeau Rouge » n’a pas le dessus et finalement, assommé, il finit par aller voler la tête la première contre un rocher, sans pouvoir changer de direction.

Rawhide Kid se pose à ses côtés et le maintient en joue jusqu’à l’arrivée du jeune indien qui a fabriqué la seconde paire d’ailes. Le Rawhide Kid lui explique que l’honneur de sa tribu a été racheté mais l’indien demande encore une chose : « Il y a encore trop de mal dans la contrée… Trop d’hommes comme Red Raven ! Nous devons nous assurer que personne d’autre ne découvrira le secret de ces ailes ! ». Bientôt, les ailes rouges de Red Raven et la paire blanche qu’a porté le Rawhide Kid sont incendiées sur le champ.

Red Raven est furieux : « Tu es un crétin, Kid ! Avec ces ailes toi et moi aurions pu régner sur l’Ouest ! Et tu n’as pas fini d’entendre parler chez moi ! ». Même si on peut comprendre que les auteurs n’aillent pas jusqu’à changer fondamentalement la donne de l’Ouest, on en viendrait presque à regretter que le Rawhide Kid ait détruit ses propres ailes. Un cow-boy volant, voilà qui aurait donné une série assez particulière… Alors que le Kid laisse à l’indien le soin de livrer Red Raven au shérif, le héros s’éloigne seul, chevauchant sa monture blanche. Et lui aussi regrette : « Dommage que ça doive finir comme ça ! Le secret du vol pourrait être une grande chose pour l’homme ! Mais, peut-être qu’un jour dans le futur, quand nous serons vraiment prêt pour ça… qui sait ? »… Et cette réflexion marque la fin de cet western assez particulier.

Le plus intriguant, c’est que la question de la continuité de cette aventure baroque ne se pose pas. Et à plus d’un titre. D’abord Red Raven tiendrait parole et reviendrait semer le désordre des années plus tard dans le cadre de la série West Coast Avengers. A l’occasion d’un voyage dans le temps en 1876, les Vengeurs de la Côte Ouest tombent en effet sur une alliance de malfaiteurs de l’Ouest qui comprend plusieurs « pseudo-super-villains » du même genre. A ce moment là Red Raven a visiblement une nouvelle paire d’ailes (il faut croire que malgré les efforts du jeune indien pour garder le secret, son père avait appris à Raven comment fabriquer ses propres ailes). Malheureusement pour lui, si Red Raven pouvait sembler supérieur contre des cow-boys qui ne savaient pas voler, il sera vite battu quand il affrontera Iron Man. Ce combat peu glorieux pour lui à cependant l’avantage d’inscrire Red Raven dans la continuité du Marvel Universe moderne (ce n’est pas tous les voleurs de banques de l’Ouest sauvage qui peuvent se venter d’avoir affronter les Avengers).

Et pourtant, dans le même temps, il y a donc un Red Raven antérieur chez le même éditeur (le héros du Golden Age, par la suite rattaché aux Invaders et à la Liberty Legion) en 1940. Un personnage qui n’est pas seulement un homonyme mais aussi un humain normal a qui on confiera un costume rouge ailé. Il y a même fort à parier qu’au moment d’inventer un adversaire pour ce numéro du Rawhide Kid quelqu’un s’est tout simplement inspiré de vieilles BD de Marvel/Timely. Il y a donc une filiation créative qu’il serait tentant de prolonger à l’intérieur du récit. L’ennui c’est qu’au demeurant les deux histoires semblent incompatibles puisque l’autre Red Raven a été actif à partir de 1940 et qu’il doit son costume à une race d’hommes-oiseaux (plus tard identifiés comme une sous branche des Inhumans) qui vivent dans une cité céleste. Encore que… Si on y regarde bien le discours des deux indiens rencontrés par Red Raven et Rawhide Kid ne colle pas tout à fait en termes de logique. Pourquoi les « bons » Navajos auraient-ils le secret du vol humain tout en veillant absolument à ce que personne ne s’en serve ? A quoi bon avoir des tenues volantes si c’est pour ne pas s’en servir ? De manière amusante le récit lui-même suggère une piste : quand le vieil indien explique à Red Raven qu’il va mourir il parle d’aller « chercher sa récompense dans le pays au dessus des nuages ! ». Ce qui semble très compatible avec le pays des Birdmen de l’autre Red Raven, qui vivent sur une île volant dans le ciel. Et inversement, dans Red Raven Comics #1, quand les Birdmen découvrent un enfant humain, ils ne perdent pas de temps à trouver une solution et à lui fournir une tenue rouge et ailée. A partir de là il ne serait pas trop difficile de penser que, même si l’Amérique moderne n’a eut un premier contact direct avec les Birdmen qu’au XX° siècle, cette race d’hommes volants a pu entretenir par le passé quelques contacts avec des amérindiens. Et à partir de là, pour faciliter les échanges, a mis au point un costume permettant à un homme normal de voler comme un ressortissant du Bird People. Et traditionnellement les hommes utilisant ces ailes artificielles auraient été appelés des Red Raven…

L’autre solution ferait que ce ne seraient pas les indiens qui auraient eu des contacts avec les Birdmen mais le premièr Red Raven lui-même après 1876. Après tout, en possession d’une « technologie » qui lui permettait de voler de la même manière que les Birdmen, il est fort probable que le Raven aurait pu attirer l’attention de cette race qui aurait conservé par la suite son costume et aurait, par défaut, qualifié de « Red Raven », tout humain étranger. Et donc le Red Raven évoluant en 1876 serait ainsi la base de celui de 1940, comme un prologue qui s’ignorerait lui-même.

[Xavier Fournier]