Oldies But Goodies: Superman #81 (Mars 1953)

Oldies But Goodies: Superman #81 (Mars 1953)

24 novembre 2012 Non Par Xavier Fournier

[FRENCH] Tharka, La femme la plus puissante du monde ! Tharka, qui égale même Superman ! Tharka, qui vient sauver la Terre après avoir éradiqué le crime ! Tharka, la Superwoman venue de l’espace ! Comment ça ? Vous n’avez jamais entendu parler de Tharka ? Et pourtant voici encore une héroïne charnière (mais méconnue) dans l’évolution de la « Superman Family »…

Dès la couverture, Superman #81 annonce clairement la couleur avec un titre accrocheur : « Superman fait équipe avec la Superwoman venue de l’espace ! ». A l’image, le super-héros de Metropolis se prête à une démonstration tandis qu’une femme costumée (une blonde portant un large « T » sur la poitrine) brise à coup de marteau sur le ventre du héros ce qui est sans doute une lourde plaque de bêton. Bien sûr, ca ne fait pas le moindre mal à Superman, qui est plutôt tout sourire. Mais le geste de la femme démontre qu’elle a une force surhumaine. Dans le public assemblé pour cette démonstration, on reconnaît Lois Lane. Une autre spectatrice lui souffle, en parlant des deux personnages sur scène « Ne feraient-ils pas un couple merveilleux, Lois ? ». Et la traditionnelle promise de Superman écrase une expression de frustration de jalousie. Normal ! Une autre femme vient visiblement d’entrer dans l’environnement de Superman. Et qualifiée de « Superwoman », faisant en plus preuve de superpouvoirs, elle est visiblement son égale ! De quoi faire rager Lois, c’est certain. Mais la couverture est aussi chargée d’un contexte freudien effarant. Allez savoir pourquoi (est-ce une sorte de réflexe inconscient face aux pressions de la censure ?) mais de nombreuses couvertures de DC Comics dans les années 50 sont empreintes d’un contexte souvent délirant quand on gratte un peu sous la surface. Celle-ci n’échappe pas à la règle : La « Superwoman » donne un coup de marteau sur une colonne de pierre que Superman porte sur le ventre. Et elle le frappe précisément au niveau du sexe, tandis que le sourire du héros, du coup, prend une signification très ambiguë. Si le dessinateur (Win Mortimer en ce qui concerne cette illustration) avait consciemment décidé d’évoquer un symbolisme sexuel, il n’aurait pas pu mieux s’y prendre ! Pas étonnant, à un certain niveau, que Lois Lane crève de jalousie ! Mais qui est donc cette mystérieuse blonde qui frappe Superman de manière si… étrange ?

A l’intérieur, l’entrée en matière de l’épisode, scénarisé par William Woolfolk, va vite fixer le lecteur et même lui laisser entrevoir bien des choses. Woolfolk écrit : « A travers l’espace et originaire d’une planète condamnée il y a bien des années, un enfant a grandi pour devenir Superman ! Et maintenant l’histoire se répète alors qu’un autre être supérieur arrive d’un monde éloigné ! Mais cette fois c’est une femme pourvue de superpouvoirs qui vient sur notre planète pour une étrange croisade… Et Superman va découvrir quel périlleux problème se pose avec… la Superwoman venue de l’espace ! ». En bas de l’image des citoyens s’étonnent de la présence de la nouvelle super-héroïne, alors qu’elle se rue (en volant) sur un dangereux blindé. Un des passants s’exclame : « Nous n’avons pas besoin de Superman pour repousser le tank des bandits ! Tharka la Superwoman va s’en occuper ! ». Le tout se passe sous le regard médusé de Superman. Et on comprend d’emblée la double problématique. Non seulement il s’agit de savoir qui est Tharka et ce qu’elle fait sur Terre mais en plus on comprend bien que la présence d’un autre personnage surpuissant (une femme, en plus !) remet en cause le côté unique de Superman. Nous sommes en 1953. C’est à dire qu’à l’époque la « famille » de Superman est à peu près au niveau zéro. DC Comics publie les aventures du héros adulte mais aussi de Superboy (Superman quand il était enfant) mais c’est à peu près tout. Il y a eu quelques épisodes où Lois Lane récoltait des superpouvoirs et devenait « Superwoman » (comme Action Comics #60, en mai 1943) mais ils étaient essentiellement le fruit de rêves. Dans ces dernières années du Golden Age, il n’y avait pas spécialement de versions dérivées de Superman autre que Superboy. Il faudrait attendre le Silver Age et une certaine renaissance des super-héros pour que la mythologie de Superman se peuple réellement: Krypto le Superchien ne ferait ses débuts qu’en mars 1955 (Adventure Comics #210). La cousine de Superman, Supergirl, n’apparaîtrait qu’à partir d’Action Comics #252, mai 1959. Et pourtant ce qui est intéressant dans ce préambule de Superman #81, c’est qu’on nous décrit clairement une héroïne blonde dont la fusée sur Terre des années après celle du héros mâle. Avec le recul, il y a de quoi penser que cette Tharka est un peu la « Supergirl du Golden Age » (il y a eut, avant elle, d’autres Supergirls mais la question est de savoir si Tharka n’est pas l’ancêtre de la cousine de Superman, Kara Zor-El). Et nous allons voir en quoi cette impression se confirme ou pas…

Tout commence alors que le criminel « Bowtie » (traduisons par « Noeudpap' » puisque c’est à un noeud papillon que le gangster doit visiblement son surnom) guide son gang vers une installation à l’extérieur de Metropolis. Il leur montre un blindé, garé de l’autre côté du grillage : « Voici le tank perfectionné et ultra-rapide que nous convoitons ! Woolton l’a perfectionné pour l’armée mais maintenant il sera à nous ! ». Woolton, c’est le nom du savant qui possède l’installation. Sans perdre de temps le gang s’introduit dans le complexe et kidnappe le chercheur ainsi que son assistant. Woolton proteste : « Vous voulez dire… Vous êtes en train de voler mon tank expérimental ? Mais pourquoi ? ». « Bowtie » rétorque que tout ça fait partie d’un plan global. Et quelques jours plus tard le tank commence à semer le chaos à Metropolis. « Bowtie » et sa bande s’en servent en effet comme d’un bélier pour enfoncer les murs des banques. Et, à l’abri du véhicule, ils ne craignent pas la police… Mais tout ça se passe à Metropolis. Autant dire que le journaliste Clark Kent ne tarde pas à assister à un de ces holdups si particuliers. Constatant que la police est impuissante, Kent ne peut s’empêcher de penser « C’est un job pour Superman ! ». Et rapidement, à super-vitesse, le reporter à l’allure timide se débarrasse de ses vêtements civils et de ses lunettes pour révéler son costume de super-héros.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le premier réflexe de Superman n’est pas de se ruer à la poursuite du tank. Il se précipite au contraire vers la banque et reconstruit le mur, de peur que tout l’édifice s’effondre. Mais le héros peut compter sur sa super-vitesse. A défaut d’être à deux endroits en même temps, il peut, en un éclair, reprendre la poursuite du tank, qu’il rattrape quelques kilomètres plus loin. Et là, surprise : « Bowtie » ne fait pas mine de fuir ou même de se battre. Bien au contraire il ordonne à ses hommes d’arrêter l’engin et il descend pour parlementer avec le surhomme : « Le docteur Woolton et son assistant sont mes prisonniers… Si tu nous touche, tu ne les reverras jamais vivant ! ». Superman ne peut se résoudre à mettre en danger la vie d’innocents. Il doit donc laisser le tank repartir : « Je dois attendre avant de coffrer ces crapules, jusqu’à ce que j’ai trouvé et sauvé les otages ! ». Bientôt la télévision se fait l’écho de l’impuissance apparente du héros : « Puisque Superman semble incapable d’arrêter ces bandits blindés, l’armée a été appelée à la rescousse ! ». De manière curieuse il semble que « Bowtie » ait choisi d’exercer son chantage sur le seul Superman. La police et l’armée ne semblent pas être au courant de l’existence d’otages. Mais peut-être que « Bowtie » pense que seul Superman peut arrêter son tank. Et qu’en agissant de la sorte, sans ébruiter la prise d’otage, le gangster préfère laisser penser que Superman est réellement physiquement incapable de s’opposer à lui. Ce qui laisserait quand même une question : Pourquoi Superman ne prévient-il pas les forces de l’ordre et l’opinion publique que des vies sont en jeu ?

A ce moment-là, l’histoire nous emmène loin de Metropolis ou même de la Terre. A « l’autre bout de l’espace » on nous montre la petite planète Zor. Le scénariste nous explique que sur ce monde-là aussi les gens connaissent la télévision. Un critère qui peut paraître étrange mais il faut remettre les choses dans le contexte : A l’époque les postes de télévision entraient de manière de plus en plus courante dans les foyers américains. Ils étaient l’expression d’un progrès et même d’une certaine forme de révolution sociale. Dire d’un monde étranger qu’il a lui aussi connaissance de la télévision revient alors à dire qu’il est au bas mot aussi évolué que ce que connaît alors l’Amérique des Fifties. D’autant que le dessinateur (Al Plastino) en rajoute et que ce qu’on nous montre ce sont des téléviseurs géants installés dans les rues. Autant dire que les Zoriens ont de l’avance sur la Terre. Si on nous parle télévision, c’est aussi pour nous expliquer que ce jour-là les habitants de Zor regardent un programme consacré à Tharka, la Superwoman de ce monde. Oui ! Tout comme la Terre profite de la protection d’un Superman, Zor peut compter sur une Superwoman. Le présentateur explique : « Vous savez tous que Tharka est une mutation, une Zorienne née en avance sur son temps, qui est donc pourvue de superpouvoirs ! ». Ici, il est difficile de ne pas penser que Bill Woolfolk s’inspire (au moins en partie) de Captain Comet, super-héros crée en 1951 par John Broome et Carmine Infantino. Le préambule de Captain Comet était d’être un mutant né « en avance sur son temps » et qui du coup possédait des pouvoirs que l’humanité ne développerait pas avant des millénaires. Qui plus est plusieurs histoires de Captain Comet tournait autour du fait que, tout en étant unique sur Terre et de ce fait seul spécimen de son espère, le héros pouvait espérer rencontrer d’autres femmes nées sur d’autres planètes qui étaient elles aussi en avance sur leur race. On sent donc une certaine communauté d’esprit entre ces aventures de Captain Comet et les parallèles que Woolfolk tente d’induire entre la Terre/Zor et Superman/Tharka.

Le présentateur insiste sur les pouvoirs de Tharka, sans pour autant les détailler. On a cependant l’occasion de la voir voler pour capturer des bandits et entre ça et son surnom de Superwoman, il ne fait pas de doute qu’elle est plus ou moins l’égale de Superman. La grosse différence étant que Tharka ne semble pas spécialement avoir d’identité secrète (l’épisode, en tout cas, n’en fera pas mention). Elle apparaît tout le temps dans une tenue orange et verte, avec un logo inséré dans un pentagone, pas très différent du fameux « S » si ce n’est que, pour des raisons évidentes, elle porte un grand T. Le présentateur explique que Tharka, en plus d’être puissante, est aussi un génie scientifique qui vient de terminer une nouvelle invention : Un détecteur qui peut capter les signaux de télévision provenant d’autres planètes ! Et le journaliste d’insister : « Nous sommes sur le point de voir avec nos propres yeux ce à quoi ressemblent les habitants de la Terre ! ». Mais le premier programme terrestre n’est pas à la hauteur des espérances de ce monde avancé : Les Zoriens découvrent les images du tank de « Bowtie » en train de dévaster Metropolis. Et ils sont horrifiés : « De tels crimes ne pourraient pas se produire sur Zor ! ». En fait ils n’ont visiblement qu’une vision tronquée de la Terre à travers cette émission.

Rien ne leur laisse deviner l’existence d’un Superman. Et quand bien même ils ne peuvent pas deviner qu’il y a, en plus, une question d’otages. Ils en déduisent donc que ce qui différencie Zor de cette autre planète, c’est l’existence de leur « Superwoman » : Un conseiller de Zor réfléchit « Si Tharka était sur Terre, elle pourrait user de ses superpouvoirs pour les arrêter ! En fait, pourquoi ne pas l’envoyer là-bas, comme une mission de bon voisinage, pour libérer la Terre de ces criminels ? ». Ce qui est curieux, c’est que quelques cases auparavant on nous expliquait que Zor était à l’autre bout de l’espace. Mais divers éléments semblent démontrer le contraire. D’abord il y a le fait que les Zoriens sont capables de regarder pratiquement en temps réel les émissions terrestres. Oui, les ondes de TV et de radio se propagent à travers l’univers… mais enfin pas à une vitesse qui nécessiterait d’être supérieure à celle de la lumière. A moins que l’invention de Tharka défie les lois de l’espace-temps… Et puis il y aussi les propos du conseiller qui parle de « bon voisinage ». Si les Zoriens sont nos « voisins », on serait tenté de penser qu’ils sont situés, au pire, dans un système solaire proche du notre et pas « à l’autre bout de l’univers ». Mais en un sens c’est secondaire. La chose qui importe, c’est la réaction de Tharka à la suggestion : « Ce serait une bonne action, conseiller, je vais y aller ! ».

Bientôt, une fusée décolle. Elle emmène la Superwoman de Zor. Et les Zoriens se réjouissent d’avance : « Elle sera bientôt sur Terre ! Comme ils seront surpris quand ils vont voir une Superwoman ! ». Quelques temps plus tard, Superman aperçoit une grande traînée lumineuse dans le ciel : « Wow ! Un météore… Qui se dirige droit vers Metropolis ! Je dois l’arrêter avant qu’il touche le sol ! ». Mais malgré sa déclaration Superman ne rattrape pas le bolide. Et les citoyens voient alors l’objet qui se pose dans un parc. Ca n’a rien d’un météore. C’est bien entendu la fusée que nous avons vu décoller de Zor. Les habitants de Metropolis sont passablement surpris : « Une fusée venue d’un autre monde ! Mais qui pourrait oser faire un tel voyage ! ». Certains pourraient faire le rapprochement entre cet atterrissage d’une super-femme blonde et celui, plus tardif, de la Supergirl classique (Kara). Mais les circonstances sont différentes. D’abord ici c’est la populace qui découvre d’emblée l’engin et son occupante (là où, en 1959, c’est le seul Superman qui trouvera sa cousine et s’évertuera par la suite à cacher son existence au monde). S’il existe des similitudes visuelles dans les deux scènes, c’est parce que toutes deux elles semblent faire écho à l’atterrissage du vaisseau du bébé Kal-El dans le feuilleton télévisé Adventures of Superman. La taille de la fusée apportant le futur Superman est bien sûr plus petite mais l’apparence (et la manière de se poser) du véhicule de Tharka sont très proches de ce qu’on avait vu sur le petit écran. Là, ce qui change, c’est la manière peu discrète, un peu criarde, qu’à Tharka pour surgir du vaisseau et se présenter à la population de Metropolis: « Peuple de la Terre ! Je viens de Zor pour vous aider alors que vous êtes dans le besoin ! Je suis Tharka, la Superwoman ! ». Un des passants s’exclame : « Une Superwoman ? C’est nouveau ça ! ».

Superman était visiblement dans la foule. Il s’envole sans demander son reste. Un spectateur commente alors : « Hmmp… J’imagine que Superman ne peut pas supporter que quelqu’un d’autre lui vole la vedette ! ». En fait les préoccupations du surhomme sont autres. Dans les histoires de l’époque, la présence d’autres êtres ayant réellement des superpouvoirs était assez rare. Il s’agissait la plupart du temps de supercheries. Et même quand il s’agissait vraiment de super-êtres, on n’était pas à l’abri qu’il s’agisse de menteurs prétendant venir en paix pour mieux pouvoir tromper la Terre. William Woolfolk choisi ici de mettre en évidence ce fait. Superman décolle en ruminant : « Cette Superwoman pourrait être une imposture… Comme de nombreuses autres que j’ai pu rencontrer dans le passé ! Je ferais mieux de prendre quelques minutes pour vérifier ses dires ! ». On nous explique alors qu’en utilisant sa grande vitesse, l’homme d’acier traverse le grand vide de l’espace en quelques instants. « Voici la planète Zor ! J’y découvrirais bientôt si ce monde a réellement une Superwoman ! ».

A nouveau l’impression générale est que, même en prenant en compte la rapidité de Superman, Zor n’est pas si éloigné que ça de la Terre. Et on pourra aussi se demander comment le héros peut savoir précisément où se trouve le monde d’origine de Tharka. Après tout elle a seulement mentionné qu’elle venait de Zor… mais elle n’a pas expliqué précisément où se trouvait son monde. Enfin bon, peu importe. Superman est sur Zor. Sans se montrer et en utilisant sa vision à rayons-x, il peut ainsi observer les qui discutent devant un téléviseur : « Tharka est sur Terre désormais… Et en utilisant notre nouvelle télévision de l’espace nous pouvons regarder les informations de là-bas, qui vont nous montrer comment elle se débarrasse des criminels ! ». Mais un autre Zorien émet une petite réserve : « Espérons que ca ne lui prendra pas trop longtemps… Nous avons besoin d’elle ici ! Ses pouvoirs et son prestige permettent de décourager les candidats criminels qui ont peur d’elle ». Superman peut donc rentrer sur Terre en étant rassuré : « Donc Tharka n’est pas une supercherie… Et cette petite planète dépend d’elle pour conserver la loi et l’ordre. Alors elle ne doit pas faillir dans sa mission chez nous. Parce qu’ils la regardent tous et un échec ruinerait sa réputation ! ». On remarquera qu’une part de jalousie est quand même d’emblée de mise. La première hypothèse que Superman envisage est que… Tharka échoue. Alors que pour l’instant il n’a aucune raison de doute de l’excellence de la Zorienne.

Pendant ce temps, sur Terre, Superman n’est pas le seul qui se soit méfié de cette Superwoman. Lois Lane entame une interview de l’extra-terrestre, en mettant directement en doute ses dires. Et ceci en raison de la mentalité sexiste (non pas de Lois mais bien de l’auteur) à l’époque : « Aucune femme ne pourrait faire les mêmes choses que Superman ! Montrez vos superpouvoirs si vous en avez ! ». Tharka (qui semble quand même un peu hautaine et plus pressée de prouver sa supériorité que de traquer les brigands) décide alors de soulever sa fusée en guise de preuve. Mais dans un premier temps elle ne semble pas y arriver. Lois jubile : « Aha ! Comme je le pensais ! Vous ne pouvez pas y arriver ! ». De son côté Tharka s’étonne « C’est étrange ! J’ai soulevé des objets bien plus lourds sur Zor ! Attendez que j’assure mieux ma prise ! ». C’est sur ces entrefaites que Superman revient. Et il comprend tout de suite ce qui se passe : « Elle n’y arrivera pas, car Zor est une planète plus petite… Et ce qui peut passer pour des superpouvoirs là-bas est équivalent à une force tout à fait normale ici ! ». En gros, en dehors de la taille de la planète, on comprendra que le scénariste veut dire par là que la pesanteur est moindre sur Zor et qu’il est donc plus facile de soulever des choses où même de sembler voler. Ce qui équivaut à penser que tout Terrien sur Zor passerait pour un Superman ou une Superwoman et que les Zoriens normaux n’ont rien dans les bras…

In fine, l’important reste que sur Terre Tharka n’a absolument pas la puissance qu’elle pense posséder. Mais Superman a bien compris la double problématique… Les observent grâce à la télévision. Et si Tharka semble échouer, elle cessera d’être respectée et le crime finira par apparaître à nouveau sur Zor. Il décide alors d’agir. Utilisant sa super-vitesse, il se précipite à l’intérieur de la fusée sans que qu’on puisse le voir. Et c’est de l’intérieur qu’il soulève l’engin, tout en s’envolant un peu. A l’extérieur la foule ne voit que la seule Tharka qui pousse… Et tout le monde croit donc voir « superwoman » soulever la fusée. Un des observateurs souligne ce qui semble être une évidence : « Hé, si cette fille a des superpouvoirs peut-être qu’elle peut arrêter ces bandits équipés d’un tank ! ».

Après que Tharka ait reposé la fusée (ou tout au moins ait cru le faire), le héros apparaît et se présente : « Mon nom est Superman et si vous pouvez arrêter ces bandits en blindé, nous serions tous reconnaissants ! ». Tharka le toise un peu « Je ferais certainement tout ce que je peux. Mais d’abord je dois les retrouver ! ». Superman promet alors d’aider la blonde héroïne, qui fait mine se s’envoler. Sauf que vous aurez bien compris que ça ne peut pas marcher. Superman décide alors de continuer à simuler ses superpouvoirs. Il utilise sa super-respiration et son souffle est suffisant pour propulser Tharka… qui ne se rend toujours pas compte que ses pouvoirs ne fonctionnent pas réellement. Ce qui semble difficile à croire. Car si on veut bien penser que Superman puisse « imiter » le pouvoir de voler en soufflant sur la femme, il faudrait qu’il sache à l’avance dans quelle direction elle veut aller. Sinon Tharka se rendrait compte qu’elle ne vole pas dans la direction désirée.

Lois, voyant Superman s’envoler à la suite de l’extra-terrestre blonde, est dévastée : « Pfff ! Superman l’a suivi ! Il préfère cette super-pimbêche blonde à moi, même si elle le fait passer pour un idiot ! ». Mais Lois est venue avec un photographe du Daily Planet. Et quand ce dernier développe ses photos, il découvre quelque chose qui est passé totalement inaperçu : une des images montre la silhouette de Superman au moment où il est entré dans la fusée ! Lois Lane comprend immédiatement une partie du problème : « Superman est entré dans le vaisseau avant qu’elle le soulève ! Mais alors ça veut dire que c’est lui qui l’a secrètement soulevé ! ». Là où Lois s’emmêle les pinceaux c’est qu’elle en déduit une théorie basée sur sa jalousie : « Ca veut dire que c’est une imposture ! C’est juste une simulatrice qui abuse de la serviabilité de Superman ! Et bien je vais révéler ce qu’elle est ! ». Et Lois ordonne au photographe de la suivre…

Pendant ce temps Tharka et Superman sont seuls et le héros ne fait pas mine de révéler à sa collègue le problème qui la frappe. Pourtant ce serait assez simple. Il n’y a pas de caméras, pas de témoin… Il suffirait de deux secondes pour expliquer à Tharka qu’elle n’est pas une « Superwoman » sur Terre. D’autant que le début de l’histoire nous a montré qu’elle est un génie scientifique. Même privé de ses pouvoirs Tharka serait sans doute un atout important. Au pire, si Superman voulait quand même continuer la supercherie, ce serait plus facile pour lui de le faire en mettant Tharka dans le secret et en lui expliquant que c’est pour le bien de Zor. De la même manière Superman ne fait pas mine de lui parler de l’existence d’otages. Ils sont bientôt avertis par un haut-parleur que le tank des gangsters est en train de pénétrer par l’Ouest dans Metropolis. A nouveau Superman utilise son souffle pour faire croire à Tharka qu’elle vole. Puis, devinant ce qui risque de se passer, le héros fait détour par une usine voisine où il emprunte un aimant géant. Au même instant Tharka a trouvé le tank et fait mine de l’arrêter : « Stop ! Vous ne faites pas le poids face à mes superpouvoirs ! Rendez-vous ! ». A l’intérieur les bandits s’inquiètent : « Hey ! C’est cette Superwoman dont on nous a parlé Bowtie ! ». Leur chef n’est pas impressionné : « Elle m’a l’air d’une femme ordinaire ! Écrasez là avec le tank ! ». Mais, ô surprise, quand Tharka pose ses mains sur le blindé… elle semble l’arrêter !

En fait Superman s’est caché non loin de là et utilise l’aimant pour attirer le tank dans le sens inverse, simulant ainsi encore une fois la force de Tharka. Mais ce que Superman ne sait pas, c’est que Lois et son photographe, Charley, sont postés derrière lui. Le héros est photographié alors qu’il utilise l’aimant, Lois comptant se servir de l’image pour prouver que Tharka n’est pas ce qu’elle prétend être… Mais les deux super-héros ont un problème plus immédiat. Puisqu’ils ne peuvent plus faire avancer leur tank, les gangsters se disent que, même si elle est super-forte, rien ne prouve que Tharka soit à l’épreuve des balles. L’un d’entre eux brandit donc un pistolet… Et la super-femme, convaincue d’être invulnérable, ne fait pas mine de bouger. Heureusement Superman peut utiliser à distance sa vision à rayons-X concentrée de manière à ce que les balles fondent et se dissipent avant d’atteindre Tharka. La Superwoman de Zor tout comme les gangsters sont convaincus que les balles l’ont touché sans qu’elle les sente. A ce moment-là, Bowtie et son gang sont pris de panique et décident de battre en retraite. Ils font faire demi-tour au blindé et font exprès de heurter un camion d’essence garé à côté. Ils veulent déclencher une explosion de manière à ce que Tharka soit occupée par l’incendie. Mais elle n’est pas impressionnée : « Pas de problème ! Je vais lancer le camion en feu dans l’océan ! ». Oui. Bien sûr. Sauf que ca ne peut pas fonctionner. Utilisant à nouveau sa super-vitesse Superman se précipite sous le camion et le soulève au moment où Tharka fait mine de le toucher. C’est lui qui emmène l’engin jusqu’à l’océan, sans que personne ne l’aperçoive…

Quand Superman revient à son point de départ, il trouve néanmoins Lois, qui exige des explications: « Ta super-petite amie s’est lancée à la poursuite des bandits au tank ! Mais nous avons filmé les fois où tu l’as secrètement aidé ! Je vais les diffuser à la télévision, dans les bulletins d’info de tout le pays ! ». Superman proteste, explique qu’il a une bonne raison pour l’aider. Mais Lois ne veut rien entendre : « Désolée ! Je ne laisserais pas cette faussaire profiter de ta gros grande bonté ! Je vais la dévoiler devant tout le monde ! ». Lois est quand même une peste de première grandeur car elle n’a absolument rien à reprocher à Tharka. Pas d’acte illégal, pas d’action mauvaise… Rien ? Enfin si. On aura compris qu’elle est convaincue que Tharka est réellement la petite amie de Superman. Et la journaliste, en mode « Fatal Attractions », s’est visiblement mise en tête de détruire sa rivale… Mais Superman a une préoccupation plus immédiate. Si Tharka s’est mise, seule, à la poursuite du tank, elle risque de tenter d’autres super-exploits alors qu’il n’est pas là pour l’aider. Bientôt, quelques immeubles plus loin, il aperçoit la dans un terrain vague, qui tente vainement de s’envoler : « Qu’est-ce qui m’arrive aujourd’hui ? Je ne semble pas capable de décoller pour suivre ces criminels ! ».

Superman décide de changer d’approche. Il reprend son costume civil et aborde Tharka en se présentant comme Clark Kent : « Je suis journaliste et je connais toute la région. Je peux vous aider à retrouver ces fripouilles si vous m’emmenez avec vous ! ». La Superwoman de l’espace se laisse convaincre : « D’accord ! Accrochez-vous à ma ceinture ! Je vais tenter à nouveau de m’envoler ». Et cette fois, comme par miracle, ca marche. En fait, le « faible » Clark Kent profite de sa proximité avec l’héroïne pour utiliser à nouveau son super-souffle. Bientôt, dans la campagne, les bandits du tank aperçoivent la blonde extra-terrestre qui vole vers eux : « C’est encore cette Superwoman ! Et elle vole cette fois ! Elle peut vraiment tout faire ! ». Bowtie, enfin, a l’idée de la « calmer » de la même manière qu’avec Superman : en menaçant les otages. Le gangster décide alors de rouler jusqu’à leur cachette, une vieille mine où ils gardent les deux chercheurs. Avec sa super-ouïe, Clark Kent/Superman capte les ordres de Bowtie : « Pas étonnant que je ne pouvais pas trouver Woolton et son assistant ! Cette mine est un filon de plomb, la seule substance que ma vision à rayons-X ne peut pénétrer ! Voici ma chance ! ». A l’approche de la mine, Clark Kent prétend avoir une sorte de vertige pour que Tharka accepte de le poser au sol. L’héroïne s’exécute d’autant plus volontiers qu’elle préfère le laisser à l’extérieur de la mine, pour qu’elle puisse mieux se concentrer sur les criminels. Bien sûr, dès qu’elle a tourné les talons Clark Kent redevient Superman et creuse dans le sol, jusqu’au moment où il trouve le tunnel dans lequel les deux savants sont retenus prisonniers. Surpris, Bowtie et un complice tentent de s’enfuir en remontant vers la sortie de la mine. Mais ils tombent sur Tharka, qui descend dans le sens inverse : « Nous sommes pris entre Superman et Superwoman ! C’est trop pour moi ! Je me rends ! » s’exclame l’un des fuyards. L’autre aussi s’avoue vaincu, tandis que Superman observe la scène : « Ils sont tellement convaincus que Tharka a des pouvoirs qu’ils ne suspectent pas qu’elle n’est pas plus forte qu’eux ! Et elle ne doit pas s’en rendre compte non plus ! ».

Ne reste plus qu’à ramener le blindé aux autorités. Mais Superman est une nouvelle fois obligé de continuer ses manigances. Tharka croit soulever le tank (en se demandant bien pourquoi Clark Kent s’est éclipsé sans demander son reste)… alors que c’est bien le surhomme qui, caché sous le véhicule, le porte. L’affaire réglée, Superman trouve le temps d’expliquer à Lois les raisons de son comportement. La jeune journaliste est dévastée : « Oh mon Dieu ! Quelle idiote jalouse j’ai été ! Ce film que j’ai fait est en train d’être projeté à l’instant même à la télévision ! ». Mais Superman le prend calmement. Il avait tout prévu : « Tout va bien, Lois, quand tu m’as dis ce que tu avais fait, j’ai utilisé ma vision aux rayons-X pour voiler une partie des pellicules. La moitié qui me montrait, moi ! Le film ne montrera que Tharka en train de réaliser des exploits ! ». Plus tard, la fusée de Tharka décolle pour la ramener sur son monde… Et Lois Lane ne peut s’empêcher de penser : « Ce doit être merveilleux d’être une Superwoman ». Mais Superman, en mode machiste, n’est pas de cet avis : « Pas pour moi ! Une Superwoman était déjà assez de problèmes comme ça… Et de toute façon je te préfères comme tu es ! ».

On ne reverra pas Tharka et la scène de la couverture, où elle casse du béton sur le ventre du héros, ne se matérialisera jamais. Pour autant le personnage avait quelques points d’intérêt. Même si ses pouvoirs ne fonctionnent pas sur Terre, son intelligence et sa science avancée aurait pu permettre d’en faire un protagoniste redoutable. Sans parler des occasions où elle aurait pu opérer de l’espace. Une autre question tient au faux « bon service » que Superman lui a rendu pendant tout cet épisode : en lui cachant qu’en dehors de la pesanteur de Zor ses pouvoirs ne sont bons à rien, le héros l’a peut-être mise sur la voie du danger. Que se passerait-il si, d’aventure, Tharka se rendait sur un autre monde où elle croirait être indestructible ? Une catastrophe sans doute. Et tout ça parce que Superman n’a pas pris la peine de lui dire, juste avant son retour « oh, au fait… ». L’autre élément intéressant ne tient pas tellement en Tharka elle-même mais dans sa civilisation d’origine. Les semblent terriblement obsédés par le concept de télévision, au point qu’ils se gavent des programmes venus d’autres mondes. Il y a comme un parfum du Mojo et du Mojoworld de Marvel, avec une planète totalement axée vers la TV. Il pourrait être intéressant de revisiter cette planète de super-zappeurs…

Mais les derniers secrets de Tharka et de la planète Zor résident dans d’autres épisodes écrits par William Woolfolk. Il n’est pas très étonnant que ce dernier soit le créateur de Tharka the Superwoman : L’auteur, souvent associé aux aventures de Superboy ou de Superman à l’époque, était également très partisan de confronter le surhomme à d’autres extra-terrestres semblables à lui qui venaient, le temps d’un épisode, jouer les perturbateurs. Ainsi, comme nous avons déjà pu le voir par ailleurs dans cette rubrique, Woolfolk était aussi le créateur de Marsboy, apparu dans Superboy #14 (mai 1951). Marsboy était non seulement une sorte de rival amical de Superboy mais l’origine que lui avait donné Woolfolk renvoyait déjà, comme Tharka, à Captain Comet. Le capitaine en question évoluait grâce au rayonnement d’une comète, Marsboy devenait « super » en raison du passage d’un astéroïde. Sur ses deux héros concurrents de Clark Kent, Woolfolk avait donc lorgné, de manière différente, sur la nature de Captain Comet. Mais ce n’est pas tout…

Bill Woolfolk est aussi très probablement l’auteur de Superboy #5 (novembre 1949), dans lequel le jeune Clark Kent fait la connaissance de l’intrépide Lucy Regent, qui va se voir décerner le titre de Supergirl par les habitants de Smallville. Elle se met alors à porter une variation orange (tout comme le costume de Tharka est orange). Mais Lucy ne possède pas réellement de pouvoirs. Superboy va donc passer le plus clair de l’épisode à faire croire qu’elle en a. Typiquement, il utilise son super-souffle pour la propulser et laisser penser qu’elle peut voler. Une manœuvre que Superman, écrit par le même Woolfolk, répète avec Tharka pour simuler le fait qu’elle vole. A bien des égards, donc, Tharka The Superwoman est une redite de la Supergirl de 1949 qu’avait déjà inventé Woolfolk, la différence majeure tenant au fait qu’il s’agit cette fois réellement d’une extra-terrestre…

Mais il reste encore une dernière connexion à établir. Tharka the Superwoman, création de Woolfolk, ne reviendrait pas rendre visite à Superman (sans doute qu’elle ne s’était pas rendu compte que le crime n’avait pas totalement disparu de la surface de la Terre). Mais il serait faux de dire qu’elle n’a pas laissé de trace par la suite. Si on ne reverrait pas Tharka, on verrait quelque chose qui y ressemble beaucoup. Quand, en 1959, la blonde cousine de Superman poserait à son tour sa fusée sur Terre, il y aurait un certain nombre de rapprochements à faire. Non seulement l’arrivée par un vaisseau similaire (qu’on peut relier à Adventures of Superman, comme je le disais plus tôt) mais aussi leur provenance. Tharka vient d’une « petite planète » tandis que Supergirl vient de la ville-astéroïde Argo City. Et, bien sûr, les deux jeunes femmes se ressemblent énormément sur le plan physique (il suffirait de changer les couleurs du costume de Tharka pour que la confusion soit totale). Le créateur de cette Supergirl classique de 1959 n’est pourtant pas Woolfolk mais le scénariste Otto Binder. Il ne fait cependant pas de doute que l’apparition de la cousine Kara (Supergirl, donc) a été en partie influencée par Tharka The Superwoman. Binder, d’ailleurs, l’a d’une certaine partie reconnu : Tharka vient de la planète ZOR tandis que le nom complet de la cousine de Superman est… Kara ZOR-El ! CQFD !

[Xavier Fournier]