Oldies But Goodies: Captain America Comics #1 (1941) (3)

25 décembre 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Parmi les personnages qui firent leur apparition dans Captain America Comics #1, Tuk the Caveboy est en apparence l’un des plus modestes bien qu’il soit une création de Jack Kirby. Une sorte de « Livre de la Jungle » dans un contexte préhistorique. Mais ce jeune garçon vivant dans un passé très lointain emmène avec lui tout un pan du folklore Marvel et permet d’établir un certain nombre de choses sur lesquelles Kirby reviendra bien plus tard dans sa carrière. Passées les apparences, Tuk n’est pas si modeste qu’on pourrait le croire. Loin s’en faut…

Qui donc est ce Tuk qui nous intéresse aujourd’hui ? Une sorte de petit sauvage vivant dans la préhistoire. L’introduction de son épisode initial nous le présente ainsi (sous une image où il affronte un tigre à dents de sabre avec un petit couteau de pierre pour seule arme) : « Ak, le dernier des poilus l’appelait Tuk. Mais le garçon ne réalisait pas que « Tuk » voulait dire « Vengeur » et qu’il était destinait à rôder dans les contrées sauvages préhistoriques de l’an 50.000 avant J.C., à la recherche d’Attilan, l’ile des dieux, pour y réclamer un trône perdu… ». Rien que cette présentation devrait normalement faire hausser quelques sourcils puisqu’à quelques mots de distance on trouve les termes Vengeur (en anglais « Avenger ») et le nom Attilan. Or, voyez-vous, Attilan est un nom bien connu des fans de Marvel puisque c’est par ailleurs le nom du royaume des Inhumans. Ces derniers, apparus près d’un demi-siècle plus tard dans les pages des Fantastic Four (dessinés par le même Jack Kirby), étaient citoyens d’une contrée aussi fictive que perdue, qui existait depuis des millénaires. Mais nous y reviendrons un peu plus loin…

Un soir, dans une caverne, un petit garçon s’adresse à un être plus vieux, primitif et poilu (l’idée étant sans doute qu’il s’agit d’un Neandertal, peut-être le dernier). Tous deux se tiennent devant un feu et le garçon, le dénommé Tuk, s’adresse à son mentor, sentant que malgré sa santé chancelante le vieux Ak a encore une chose à raconter. Ak explique alors qu’il se sent mourant et qu’il pourrait bien ne pas survivre à la nuit mais qu’effectivement il a une histoire à raconter. Ak raconte alors qu’il y a longtemps de cela, caché dans les arbres, il a vu le « sans poil » (comprenez: un être à l’apparence humaine) et sa compagne se faire bannir de leur tribu et arriver sur la côte. Dans le flash-back d’Ak on ne voit guère la tribu des « sans-poils » mais on aperçoit, au loin, un bateau qui ne semble pas vraiment préhistorique. Ce qu’on voit très bien, par contre, ce sont les deux bannis sur la plage. L’homme, portant une ceinture dorée, lève un poing rageur vers ceux qui viennent de l’abandonner : « Vous nous laissez aux bêtes ? Bien ! Nous reviendrons. Vous entendez ? Kadir tombera ! ». Sans indication de contexte, il est difficile de savoir si « Kadir » est le nom de quelqu’un ou d’une ville.

Les nouveaux arrivants sur la plage sont en fait au nombre de trois. Il y a cet homme (Phadion), une femme qui semble être sa compagne (Rhaya) et un bébé (sans doute celui de Rhaya et de Phadion) qu’il faut encore tenir dans les bras. Des êtres évolués devraient normalement être à leur aise dans une jungle où un être moins civilisé comme Ak arrive à survivre mais ils vont bien vite découvrir à quel point la contrée est sauvage. Alors qu’ils sont encore sur la plage un rhinocéros les observe et les charge, visiblement dérangé par leur présence. Phadion conseille à Rhaya de se réfugier dans les arbres quand il voit la bête arriver mais la femme refuse, elle ne veut pas le laisser. A priori elle a tort de se faire du souci puisque Phadion empoigne l’animal par le cou et le jette à terre, commençant à se battre avec lui à mains nues. Un « homme » qui arrive à plaquer un rhinocéros ? Si Ak est un Neandertal, il serait faux de penser que les trois autres sont de simples humains « normaux ». Il semble évident qu’ils viennent d’une race plus évoluée que celle d’Ak et leur arrivée par bateau, reliée à l’introduction de l’épisode, fait qu’on en déduira qu’ils viennent probablement de l’île d’Attilan et que « Kadir » en est soit la capitale soit le monarque du moment.

Phadion se bat avec bravoure contre le rhinocéros mais il n’est pas invulnérable. Blessé par la corne de l’animal il s’effondre après avoir tué la bête. L’homme et le rhinocéros tombent l’un sur l’autre, comme enlacés dans la mort. Rhaya, restée seule avec le bébé, est effondrée. Elle pleure Phadion sans faire attention à d’autres bêtes sauvages qui approchent, en particulier ce qu’Ak désigne comme étant un « Lion-loup ». Le prédateur s’approche de la femme et de l’enfant et devrait, normalement, n’en faire qu’une bouchée. Mais Rhaya est sans doute la plus belle chose qu’ai vu Ak à ce jour. Il ne peut se résoudre à la laisser mourir. Il s’élance donc d’un arbre, grâce à une liane, et empoigne la femme et l’enfant, les emportant hors d’atteinte. Traumatisée par la mort de son compagnon, Rhaya ne réagit pas. Fier d’avoir osé défier le « Lion-loup », Ak se considère comme investi d’un certain prestige. Ak considère la femme comme une déesse et l’installe, elle et l’enfant, dans une « grotte d’adoration » où il leur amène à manger et prend soin d’eux. Mais un jour, en revenant vers la cachette de Rhaya, Ak découvre qu’un lion (un lion normal, pas un lion-loup ») s’y est introduit. La femme tente de défendre son enfant mais du coup c’est elle qui est exposée aux griffes et aux dents du lion. Ak arrive à écraser le lion sous un gros rocher mais il est arrivé trop tard. Sa déesse est morte à son tour…

A ce moment-là, Tuk, à qui Ak racontait cette histoire au coin du feu, interrompt le vieux sauvage : « Tu ne m’avais jamais parlé de ces « sans-poils ». Et qu’est-il advenu de l’enfant sans fourrure ? ». Ak dans son dernier souffle, avoue alors une vérité qu’on avait vu venir à des kilomètres : l’enfant ? C’est Tuk bien sûr ! Ak ne pouvait se résoudre à abandonner l’enfant de la déesse qu’il avait adoré. Pour lui c’était un enfant-dieu ! Et il l’a donc élevé pendant des années. C’est pour cela que Tuk ressemble si peu à Ak…

Après la mort d’Ak, Tuk n’a plus de raison de rester, seul, dans les collines de pierre. Il décide bientôt de s’aventurer dans la jungle mais est rapidement surpris par des êtres ignobles dont il connaissait l’existence : des Goreks ! De grands guerriers cannibales (en particulier mangeurs de cerveaux, les Goreks ressemblent à des hybrides entre la race d’Ak et celle du garçon) qui voudraient bien faire de Tuk leur dîner. Dans les branches d’arbres géants un combat s’engage alors entre Tuk et deux Goreks. S’il arrive à repousser l’un d’entre eux dans le vide, l’adversaire restant n’est pas si facile à vaincre et la dernière heure de Tuk semble venue. Heureusement le dernier Gorek est abattu par la flèche tirée par un chasseur humain. Tuk est surpris par ce sauvetage miraculeux et reste un peu planté sur place. Le chasseur s’élance alors en utilisant une liane et emporte l’enfant au loin… Et heureusement car, de leur nouvelle cachette, l’homme et l’enfant peuvent voir qu’un serpent géant entreprend de dévorer le cadavre du Gorek. Si Tuk était resté sur cet arbre il aurait lui aussi été mangé par le reptile.

Le garçon ne manque pas de remercier celui qui, d’une certaine manière, vient de lui sauver la vie deux fois (contre les Goreks et le serpent). Mais remarquant que l’humain, comme lui, n’a pas de fourrure, il ne peut s’empêcher de lui demander s’il fait partie de sa tribu. Mais l’inconnu, qui se présente vite comme étant Tanir le chasseur, n’en convient pas. Le commentaire nous apprendra un peu plus loin que Tanir est un cro-magnon. Un humain « normal » donc. Et pour une raison inconnue, Tanir semble savoir d’office que Tuk n’est pas un humain normal. Après avoir entendu son histoire, il lui promet donc de l’aider à retrouver sa vraie race, en annonçant qu’il le défendra si besoin est avec son arc et ses flèches. Et la scène clôture ainsi l’épisode initiale de Tuk. A la différence de bon nombre de concepts de Marvel/Timely à cette époque, Tuk ne sera cependant pas un concept « jetable » aussi vite inventé qu’oublié. Il reviendra dans les 5 premiers numéros de Captain America Comics.

Dans les mois qui suivent la quête de Tuk et Tanir se transforme en une véritable exploration du monde de Marvel mais en l’an 50.000 avant J.C. Dans le 2ème épisode, les deux héros cherchent à en savoir plus sur le royaume d’Atlantis (sans doute pour voir si ce n’est pas de là que venaient Phadion et Rhaya) et finissent par sauver la princesse Eve, qui devrait régner sur Atlantis. Cette dernière est alors représentée comme une nation de la surface, pas encore submergée, mais c’est cohérent avec l’histoire selon Marvel (qui considère que ce continent a été englouti sous les eaux il y a seulement 21.000 ans et que la race amphibienne n’en a pris possession qu’il y a 8.000 ans). Dans Captain America Comics #3, Tuk et Tanir quittent Atlantis après avoir aidé Eve à regagner son trône. Visiblement Eve ne serait pas contre l’idée que Tanir reste pour régner à ses côtés. Et Tanir la trouve plutôt à son goût. Mais le sens du devoir reste le plus fort. Tanir et Tuk ont conscience qu’Atlantis n’est pas Attilan et que cette dernière sera sans doute une cité encore plus belle. Moins intéressantes, les histoires parues dans Captain America Comics #4 et 5 mettent en scène Tuk et Tanir essayant de mettre en déroute une bande de brutes pas très charismatiques menées par un certain Bonzo. On découvrira cependant une aptitude inédite de Tuk, qui en fait un lointain ancêtre du Ka-Zar moderne de Marvel : Tuk sait communiquer avec les tigres à dents de sabre (ou en tout cas imiter assez bien leur cri pour qu’ils viennent à l’aide si besoin est). Entre un lien thématique avec Ka-Zar (dans la version Kevin Plunder), les mentions d’Atlantis et d’Attilan, Tuk et Tanir s’inscrivent donc bien dans une de Marvel… qui n’existait pas du tout à l’époque. Dans les années 40, Sub-Mariner n’était pas supposé venir d’Atlantis et le nom d’Attilan n’évoquait rien d’autre que l’ile recherchée par Tuk. Ile que d’ailleurs il n’avait toujours pas trouvé lors de sa dernière apparition, publiée en août 1941.

Dans les années 60, pourtant, les lecteurs des Fantastic Four allaient la voir apparaître, non seulement 25 ans après que Tuk l’ai cherché dans les pages de Captain America Comics mais, en un sens, 52.000 ans après que l’époque où le garçon vivait. Comme dit plus haut, en effet, il fut établi en 1966 qu’Attilan était la nation des Inhumans, un peuple surhumain qui existait depuis des millénaires en parallèle du genre humain. On découvrit d’abord Attilan comme une cité perchée sur un sommet de l’Himalaya mais une courte histoire parue en bouche trou dans What If #30 révéla que jusque dans les années 50 Attilan avait bien été une ile, avant que les Inhumans la déménagent dans les montagnes pour l’éloigner des routes aériennes. Puisque l’Attilan des Inhumans avait bien été une île dans la préhistoire et que par ailleurs la force de Phadion prouvait que l’Attilan de Tuk était habitée par des surhumains il est donc assez logique de penser que Tuk était un membre des Inhumans mais vivant à une autre époque. Un problème subsistait cependant : dans l’univers Marvel moderne, l’Attilan des Inhumans est supposée avoir été crée il y a 5000 ans. Alors que Tuk vivait 47.000 ans avant…

La jonction de l’histoire de Tuk et des Inhumans serait-elle du coup devenue impossible ? Pas forcément. Vu la technologie disponible qui existe à l’intérieur de l’univers Marvel il n’est pas impossible de penser que Phadion et Rhaya n’ont pas simplement été débarqué d’un bateau mais aussi déportés à travers le temps (quelque chose de similaire au roman « les déportés du Cambrien »/ »Hawksbill Station » de Robert Silverberg, où les bagnards sont envoyés dans le passé lointain pour que la société soit sure de ne jamais les revoir). A partir de là il n’est pas interdit de penser que les parents de Tuk viennent d’une autre ère que l’an -50.000. Qui plus est des épisodes encore plus modernes dans lesquels Tuk a refait son apparition… avec une  petite différence d’orthographe. Dans Avengers #390, à l’époque du crossover « The Crossing » (traduit en France sous le titre « Trahison ») les Vengeurs reçurent l’aide d’un mystérieux jeune homme vétu de peaux de bêtes et nommé… Tuc (avec un « C » au lieu d’un « K ») pour lutter contre ce qui semblait être à l’époque Kang et ses armées. Il est alors manifeste que Tuc est un voyageur temporel. Tuc semble particulièrement intéressé par Crystal (alors membre des Vengeurs mais aussi princesse des Inhumans modernes) et sa toute petit fille, Luna… que Tuc finit par identifier comme étant sa « grande soeur ». L’insinuation étant donc que Tuc est un fils futur de Crystal. Ce qui mine de rien fonctionne plutôt bien avec la genèse de « Tuk avec un K »: la mère qu’on lui voit dans Captain America Comics #1 est une femme aux cheveux oranges, comme Crystal. Il est donc tout à faire possible que « Rhaya » soit un surnom ou un grade donné à Crystal alors qu’elle sera, à une date future, transportée dans le futur. Ou encore Rhaya n’est pas Crystal mais une sorte de nounou abandonnée avec son mari dans un lointain passé après la prise de pouvoir du dénommé Kadir. Qui plus est il est assez plaisant de penser que ce garçon dont le prénom voulait dire « Vengeur » soit ainsi réapparu par l’entremise des Avengers…

Les seuls éléments qui viennent semer le doute dans cette théorie en apparence bien huilés sont quelques détails comme l’orthographe du nom (mais bon ce n’est pas tout à fait comme si Ak, le père adoptif de Tuk, avait su écrire) et aussi le fait que pendant The Crossing Tuc est parfois (mais pas toujours) représenté avec des oreilles pointues (alors que le Tuk élevé par Ak n’a pas d’oreilles en pointes). Mais surtout pendant la maxi-série Avengers Forever Kurt Busiek a pris l’initiative (plutôt bonne d’ailleurs, vu le manque de qualité de The Crossing) de remettre en cause une bonne partie de ces événements en révélant que les personnages secondaires de cette saga avaient été des imposteurs, des Space Phantoms déguisés selon les ordres de Kang/Immortus. Ce qui fait qu’à priori l’apparition de Tuc est au moins suspecte. Mais dans le même temps Tuc aide continuellement les Vengeurs et pas Kang. Mieux : il apparaît après la défaite de Kang pour rendre à Crystal la petite Luna (qu’il lui-même avait mis à l’abri). Tuc ne se comporte pas vraiment comme un imposteur cherchant à tromper les Vengeurs. Bien au contraire. Et il est donc fort possible qu’il ne faisait pas partie des Space Phantoms. Que Tuc ait été ou pas Tuk, il n’en reste pas moins que l’hypothèse que Crystal ait été la mère de Tuk est séduisante et semble mettre en place une double intrigue qui ne demande qu’à être racontée : Celle d’Inhumans déportés dans la préhistoire pour avoir gêné un certain Kadir et celle de la saga de Tuk à travers les fondations de l’univers Marvel. Tuk/Tuc est un personnage qu’il ferait bon revoir (éventuellement en compagnie de Tanir) pour éclaircir toutes ces questions à l’occasion d’un prochain voyage temporel d’un héros Marvel. Ou bien encore on pourrait tout à fait l’imaginer comme membre d’une future incarnation d’un groupe comme les Exiles.

En dernière analyse, Tuk reste une création de Jack Kirby et il n’est pas très difficile de l’imaginer comme une sorte d’anti-Kamandi (le « Dernier garçon de la Terre » que Kirby a inventé chez DC et qui vit dans un futur apocalyptique). Tuk serait alors un jeune garçon dans la préhistoire qui pourrait aussi bien croiser des Deviants, des Eternals et d’autres peuples anciens de l’univers Marvel… A plus forte raison parce qu’il existe une sorte de chaînon manquant qui lie les deux créations. Dans les années 50, Jack Kirby avait créé une première version de son Kamandi sous forme de strip pour la presse, titrée « Kamandi of the Caves » (« Kamandi des Cavernes »). Dans les rares crayonnés qui ont pu être conservé de cette version inédite, Kamandi ne vivait pas dans le futur mais bien dans un passé lointain. C’était un enfant d’une race extra-terrestre abandonné sur la Terre primitive. Il y a donc une certaine forme de processus évolutif qui lie Tuk the Caveboy, Kamandi of the Caves et le Kamandi effectivement paru dans les années 70. Sans parler de coïncidences compréhensibles comme le fait que Rhaya et Crystal soient de jolies rousses utilisées par Kirby à 25 ans de distance, il est intéressant de voir que le Jack Kirby de 1941 pouvait ainsi distiller des éléments comme le simple nom d’Attilan pour les réutiliser par la suite dans un rôle relativement cohérent et compatible…

[Xavier Fournier]

P.S.: Bonnes fêtes à tous…