Oldies But Goodies: Mystic Comics #1 (Mars 1940)

1 mai 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Une touche du costume du Blue Beetle, un peu de la puissance macabre du Spectre et une référence à une « flamme bleue » qui le rapprochait un peu d’Human Torch… Le Blue Blaze, tel que lancé par Timely/Marvel en 1940, est une sorte de pot-pourri entre divers figures du Golden Age tout en profitant d’une origine pour le moins particulière. Sans doute un des héros Marvel les plus puissants des années 40…

Nous l’avons déjà vu dans le cadre de cette rubrique : tous les héros Marvel de l’âge d’or n’ont pas forcément refait surface dans l’ère moderne. Certains dorment même dans une sorte d’oubli général, n’ayant pas été mentionnés depuis près de 60 ans. Dans certains cas, cela s’explique facilement : les personnages concernés sont tout bonnement trop ridicules pour qu’on puisse de nos jours les prendre au sérieux. Pour d’autres, il semble tout simplement qu’ils soient trop « génériques » (de simple acrobates masqués qui aident la police) pour amener quelque chose de particulier au Marvel moderne. Que le Blue Blaze ait une touche de ridicule dans ses origines, c’est certain (et nous verrons d’ici quelques lignes dans quelle mesure) mais il était assurément un des héros les plus puissants du cheptel Timely/Marvel de 1940. Le Blue Blaze, sorte de juste milieu entre Wonder Man (la version des Vengeurs, Simon Williams) et le Spectre de DC aurait tout aussi bien pu se mesurer à Human Torch ou à Sub-Mariner et leur rendre coup pour coup…

Le premier épisode du Blue Blaze commence par une vision macabre. Des pilleurs de sépultures sont à l’ouvrage dans un cimetière, visiblement en train de déterrer des corps. Le premier presse son compère de se dépêcher car leur employeur, un certain professeur, ne va pas attendre toute la nuit. Le second, lui, prend une mine terrifiée : une main lumineuse surgit du sol, alors que la piette tombale affirme pourtant que l’occupant, Spencer Keen, est décédé depuis 1852 ! Et avant de nous en montrer plus, les auteurs (identifiés seulement par une signature double : « Harry / Douglas ») lancent déjà un flash-back qui nous projette en 1852, dans le laboratoire du Docteur Keen, qui enseigne au collège de Midwest. Le savant reçoit son fils, Spencer, qui est curieusement harnaché dans un costume bleu et porte une cagoule masquant son visage (d’où une apparence identique à peu de choses près à celle du Blue Beetle du Golden Age). On s’habillait vraiment comme ça en 1852 ?

Mais non ! Les propos du docteur ont vite fait de nous éclairer : « Fils, avant que tu sorte pour aller au carnaval du collège, je veux te montrer quelque chose. Ton costume vient de m’y faire penser…« . Les deux Keen, père et fils, se rendent alors vers le plan de travail du docteur, lequel montre à son rejeton comment il est arrivé à produire… une flammèche bleue (soit « Blue Blaze » en anglais). Spencer est étonné par cette vision mais ne mesure pas les implications. Le docteur Keen explique alors qu’il a tué des souris et des insectes avec cette flamme… tout en étant capable de les ranimer parfois des mois plus tard, bien plus fortes qu’avant, en les soumettant de nouveau à ce feu étrange. Le bon docteur est terrifié par cette énergie curieuse (capable de provoquer des résurrections à volonté) et a décidé de la détruire prochainement. En prenant un peu de recul par rapport au scénario on se dira quand même que si le docteur est tellement traumatisé par son invention on comprend mal qu’il n’en ai pas parlé à son fils avant et qu’il ait fallu que ce dernier passe devant lui habillé en bleu pour l’y faire penser…

Mais alors que le docteur Keen explique qu’il va détruire la flamme bleue une tornade surgit et ravage le campus du collège de Midwest. Le laboratoire est ravagé, en ruines. A cause de la violence de la tornade Spencer Keen est projeté contre son gré dans le faisceau de lumière bleue. Le narrateur nous explique que par ailleurs 85% de la population de Midwest est tuée dans la catastrophe. Il y a tellement de morts que les mises en terre sont vite expédiées. On enterre Spencer dans l’état dans lequel on l’a trouvé (c’est à dire avec le costume et le masque bleu avec lesquels il s’apprêtait à se rendre au carnaval) et sans l’avoir embaumé.

Mais le narrateur insiste : « Ce n’était pas la fin, à peine le début ! Car Spencer Keen n’était pas mort !« . On l’aura compris, la flamme bleue a eu un effet sur le héros. Il est comme ces souris et ces insectes dont son père suspendait la vie pendant des mois. Sauf que dans ce cas il n’y a personne pour le soumettre une nouvelle fois à la flamme bleue et que ce sommeil artificiel dure du coup bien plus longtemps : « Pendant ses années d’hibernation, Spencer Keen gagne une force magnifiée un millier de fois. Par le moyen de rayons substra-dermatiques il est tenu au courant de la lente domination du Mal à travers le monde. Il dort avec patience en attendant le jour où il pourra faire peur aux forces de l’agression et du crime« . On se demandera bien ce que peuvent être ces « rayons substra-dermatiques », sorte de télépathie ambiante qui permettent surtout d’expliquer pourquoi plus tard, à son réveil, le personnage sera en phase avec un monde qui a pourtant bien changé…

En 1940, donc, 88 ans après avoir été mis en terre, le « Blue Blaze » (c’est visiblement devenu son surnom pendant son sommeil macabre) sort de sa tombe et terrorise les deux voleurs de corps. On notera que rien de spécial n’explique comment et pourquoi le Blue Blaze s’est réanimé précisément à ce moment (il n’y a pas de second passage devant une flamme bleue, tout semble indiquer que la présence des deux brigands suffit à « réveiller » le héros). Terrifiés, les deux pillards vident leur chargeur de revolver sur l’apparition qui sort de sa tombe. Mais pendant son « sommeil » le Blue Blaze a gagné bien des pouvoirs… Comme le fait d’être devenu imperméable aux balles. Elles rebondissent sur son costume… L’un des deux bandits, Butch, meurt sur le champ, victime d’une crise cardiaque. L’autre, Killer Skeman, est immédiatement interrogé par le héros… Finalement Skeman finit par tout balancer : il travaille pour un certain docteur Maluski, qui réside à « l’hôtel de la Lampe Verte ». Voila un bien curieux nom pour un simple motel. Et pourquoi se donner la peine de baptiser « la Lampe Verte » un lieu dans une histoire traitant d’une lueur bleue ? C’est à se demander, plutôt, si ce n’est pas une sorte de lapsus du scénariste ou une survivance d’une première version du script et si, au départ, le Blue Blaze ne devait pas être plutôt vert. Il serait donc dérivé en partie d’Alan Scott, le premier Green Lantern de l’Age d’Or ? Même pas ! Le Blue Blaze démarre en mars 1940. Le Green Lantern, lui, ne sera publié qu’en juillet de la même année !

Le Blue Blaze se rend donc à l’Hôtel de la Lampe Verte et demande à parler au Professeur Maluski. Deux hommes lui expliquent alors dans un anglais approximatif (l’idée étant assurément, avec un nom comme « Maluski » que toute la bande est d’origine étrangère) qu’on va lui donner ce qu’il désire mais qu’il va le regretter. Et le Blue Blaze est conduit jusqu’à un ascenseur secret qui est, d’après les malfrats, une « voie à sens unique ». En fait la cabine ne monte pas : elle descend au contraire de plusieurs kilomètres. Le Blue Blaze est étonné de l’énormité du projet de Maluski quand il sort de la cabine et un des hommes de main le prend pour une proie facile. Une nouvelle fois le Blue Blaze montre qu’il ne craint pas les balles (et bat sans doute son adversaire entre deux cases). Quand il peut observer les alentours, le héros remarque une pierre rouge qui est propulsé par un rayon qui ressemble lui-même à un éclair. Invulnérable, le Blue Blaze ne craint rien mais décide de se laisser faire de manière à voir quelles sont les intentions de Maluski. L’éclair emporte Spencer Keen à travers du gaz empoisonné (un éclair traversant du gaz, quel mélange !) et des laboratoires pleins de germes. Il passe devant tout un arsenal d’armes futuristes.

Finalement le Blue Blaze est amené par l’éclair devant le Professeur Maluski, un être au visage étrange (vaguement asiatique) qui porte un costume militaire dont on sent bien qu’il est supposé symboliser l’uniforme nazi (si ce n’est que la croix gammée est remplacée par un X rouge). Après s’être vanté de toutes les armes que le héros a pu voir, le Professeur explique que le prix de la visite est… sa vie ! Mais sans ciller le Blue Blaze pose une question qui l’intrigue : « Qui donc va actionner toutes ces machines ?« . C’est visiblement un point faible du plan de Maluski qui, furieux, promet qu’il va assassiner l’homme en bleu (ce qui n’est jamais que la deuxième fois en quelques secondes). Mais le Blue Blaze est surpuissant. Maluski ne fait pas le poids et le savant fou est forcé de guider le héros jusqu’au dortoir de son armée secrète. En fait de « dortoir » il s’agit d’un donjon lugubre, peuplé de zombies à l’allure démoniaque que ne sont que des parties supérieures de corps. Tout, en dessous du niveau de la poitrine, a été enlevé et remplacé par une sorte de lampe. Maluski explique avoir une cinquantaine de ces créatures sans volonté propres, animées par le faisceau de la lampe. Maluski désigne cette énergie sous le nom de « rayon déducteur » et elle a visiblement des effets très proches de la lumière bleue inventée près de 90 ans plus tôt par le père de Spencer (même si aucun des personnages ne semble remarquer les similitudes). Maluski explique qu’avec cette armée il prendra le pouvoir à travers le monde. Le Blue Blaze comprend que tout ça ne sera que meurtre, destruction et mise à sac de la civilisation. Ne doutant de rien, Maluski décide que si le Blue Blaze n’est pas plus parlant que ça c’est sans doute parce qu’il est muet de surprise devant les grandes réussites du Professeur. Mais non. Le héros le contredit : il a gâché son talent au service du crime et il y a travers le monde assez d’hommes armés pour le stopper ! Maluski, qui n’a visiblement toujours pas compris qu’il est face à un être surhumain, lui tire dessus. Le Blue Blaze répond d’un coup de poing qui envoie son adversaire en plein dans une de ses inventions… qui se trouve être la machine qui servait à diriger les zombies de Maluski…

Bientôt les créatures, rendues furieuses, commencent à ravager le complexe et le Blue Blaze s’enfuit en plongeant dans une fosse sous-marine. Maluski n’a pas cette chance. Il revient à lui juste à temps pour voir un des zombies s’approcher de lui. Bientôt toute la base est ravagée. Tandis que le Blue Blaze réapparait à la surface dans un lac tranquille, deux savants remarquent que leur sismographe a détecté deux tremblements de terre. Le premier en Amérique du Sud et l’autre à l’Ouest. Celui d’Amérique du Sud a visiblement été terriblement ravageur mais celui de l’Ouest ne semble pas avoir eu de conséquence… Curieuse conclusion qui ne veut pas dire grand chose en elle-même. On en déduira que le complexe de Maluski se trouvait sans doute quelque part sous l’Amérique du Sud et que le séisme secondaire, situé à l’Ouest, correspond à la voie d’accès située dans l’Hôtel de la Lampe Verte… En fait dans l’histoire ce n’est pas le Professeur Maluski le plus intéressant mais bien le héros, à la fois immortel et indestructible… Le Blue Blaze ! Avec une telle puissance voici bien un héros qui aurait du laisser une trace durable dans l’univers Marvel… En fait, il ne durera que quelques mois et les auteurs ne sauront pas vraiment les bizarreries de son origine (cette curieuse complication qui fait qu’il est « daté » de 1852 et que le lecteur de 1940 peut difficilement s’identifier à lui) ou bien même gérer son identité secrète (Blue Blaze semble être masqué 100% du temps, sans vie civile réelle). Ils ne fixeront pas vraiment non plus ses méthodes et sur ses ressources. Dans l’épisode suivant il utilise des revolvers comme un justicier urbain normal et se tient au courant des faits du monde non plus par « rayons substra-dermatiques » mais en écoutant la radio dans une sorte de QG non défini. Et comme moyen de locomotion il a une voiture rouge ultrarapide dont la provenance est inconnue.  Dans sa troisième aventure, il vit de manière assez aisée pour regarder les étoiles dans son propre observatoire privé. A partir du deuxième épisode, quand il utilise sa super-force ou son indestructibilité il est désormais entouré d’un halo bleu (enfin, définit comme bleu par le narrateur mais représenté rouge, jaune ou blanc par le dessinateur), chose qui n’arrivait pas dans le premier numéro… et qui ne reproduira pas par la suite. Tout au plus on sent alors la volonté de le rapprocher d’une sorte d’Human Torch semi-surnaturel (à plus forte raison quand on se souvient que dans les pages de Marvel Comics #1 l’androïde Human Torch se dit à un moment capable d’émettre des flammes bleues).

Mais d’abord qu’est ce que c’était que cette flamme bleue à la base des pouvoirs du Blue Blaze ? En fait, si on se rapporte à d’autres publications Marvel plus récentes et si on fait abstraction des « rayons substra-dermatiques », la lueur bleue découverte par le docteur Keen comporte de nombreuses ressemblances avec un autre concept, plus moderne. Le Blue Blaze est soumis à cette énergie. Puis il tombe dans une sorte de léthargie semblable à la mort pendant des années avant d’en émerger à la fois fort et indestructible. Par la suite il commence à irradier cette même énergie bleue… Comme Wonder Man (Simon Williams), le membre des Avengers.  Qui plus est, à l’époque où Busiek et Perez s’occupaient de la série de Vengeurs, à la fin des années 90, Wonder Man apparaissait auréolé d’une énergie… bleue. De là à penser que la « flamme bleue » découverte par le père Keen n’est autre que ce qui est connu de nos jours chez Marvel comme étant de « l’énergie ionique », il n’y a qu’un pas. Il ne serait pas impossible d’expliquer que le Baron Zemo, à l’origine des pouvoirs de Wonder Man, s’est basé sur les recherches du docteur Keen. D’ailleurs, à l’époque des débuts de Wonder Man, Zemo résidait en Amérique du Sud. Il ne serait pas, non plus, impossible d’imaginer que Zemo s’était installé dans les ruines du complexe de Maluski, un crypto-nazi qui travaillait sans doute pour le même pays que lui. Tout ça permettrait donc d’établir dans la continuité actuelle que Zemo avait connaissance du Blue Blaze au moment où il créa son Wonder Man. Et d’ailleurs permettrait peut-être, dans la foulée, d’expliquer où est passé Spencer Keene depuis les années 40. En tout et pour tout il n’a eu que quatre aventures en 1940 (Mystic Comics #1 à 4). La dernière parue promettait une cinquième histoire, restée inédite. Elle était annoncée comme un combat contre un certain « Vampire of Doom ». On remarquera qu’un « Vampire of Doom » est bien apparu plus tard comme adversaire de Captain America dans All-Winners Comics #5, en 1942. Quand à savoir s’il s’agissait de la même histoire reformulée de manière à ce que Cap remplace le Blue Blaze, mystère ! Mais où serait passé ce héros ? Il aurait pu servir de sujet d’étude à « l’inventeur » de Wonder Man. Peut-être qu’au fond du laboratoire de Zemo il y a un corps inerte depuis des décennies qui attend qu’on le passe à nouveau devant une flamme bleue pour le ranimer et qui pourrait aussi bien reprendre du service. Après tout il est à la fois mort et immortel, le temps n’a pas de prise sur lui. Finalement son seul réel adversaire c’est l’oubli dans lequel il est tombé depuis 1940…

[Xavier Fournier]