Oldies But Goodies: Marvel Mystery Comics #34 (1942)

Oldies But Goodies: Marvel Mystery Comics #34 (1942)

16 juin 2012 Non Par Xavier Fournier

[FRENCH] Bien avant Grant Morrison, bien avant Julius Schwartz, les comics du Golden Age s’intéressaient déjà à la barrière parfois ténue séparant fiction et réalité. Chez Marvel, par exemple, le héros Human Torch avait été créé par un scientifique, le Professeur Horton. En tout cas à l’intérieur de l’histoire. Mais, à un autre niveau, le personnage avait conscience d’être la création du scénariste/dessinateur Carl Burgos. Ce qui fait que, par un retour de manivelle, si Human Torch combattait Hitler, son auteur ne pouvait pas en faire autrement…

Officiellement daté d’août 1942, Marvel Mystery Comics #34 est plus probablement paru vers le mois d’avril. L’Amérique avait encore en mémoire la gifle qu’était l’attaque de Pearl Harbor. Elle venait d’entrer dans la seconde guerre mondiale. Et la position de la nébuleuse de comics édités par Martin Goodman, Timely, était particulière. Ce qui allait devenir Marvel Comics par la suite pouvait se targuer d’avoir démarré avec un coup d’avance sur tout le monde. La firme avait été la première à oser représenter Hitler en train de se faire casser la figure. Et plusieurs héros de Timely avaient commencé, à des degrés divers, à affronter des nazis dès 1940. L’éditeur avait alors été critiqué par une partie de l’opinion publique. Certains, opposés à la guerre, avaient vu Captain America et ses pairs comme des provocateurs. D’autres, carrément proches de l’Allemagne nazie, avaient d’autres motifs d’être furieux. Timely/Marvel avait fait le dos rond, d’autant plus que les ventes de Captain America Comics #1 avaient été excellentes. En 1942, l’Amérique ayant finalement basculé dans la guerre, Goodman et ses auteurs pouvaient se targuer d’avoir été des patriotes avant l’heure. Et, maintenant que l’opinion publique s’était rangée contre les forces de l’Axe, Timely ne se gênait pas pour continuer d’explorer le filon.

Marvel Mystery Comics #34 ne déroge pas à cette règle. Dès la couverture le lecteur pouvait découvrir Human Torch en train de sauver son jeune compagnon, Toro, de tortures infligées par d’horribles gnomes jaunes (Autant de caricatures supposées représenter les Japonais à l’époque). A l’intérieur cependant Human Torch et Toro étaient montrés dès la première vignette en train de s’acharner sur le régime nazi. Et pas de n’importe quelle manière. Les deux héros aux pouvoirs incendiaires jetaient… des comics sur leurs adversaires, parmi lesquels on trouvait un Hitler très reconnaissable. Des comics ? Quelle curieuse arme… Mais d’emblée le commentateur expliquait : « Les lancés de comics de la Torch, remplis de pages de propagande, surprirent les nazis comme de véritables crétins, puisqu’ils n’y étaient pas préparés ! Et tout a commencé parce que Carl Burgos était à la recherche d’une nouvelle idée !« .

Tournons alors la page et nous tombons sur ce qui est présenté comme étant « la plus étrange histoire qui fut racontée dans un comic-book, qui commence dans le grand appartement-atelier de Carl Burgos, le créateur d’Human Torch !« . On serait curieux de savoir si l’appartement de Burgos (de son vrai nom Max Finkelstein) était si spacieux que la narration voudrait nous le faire croire. Vu ce que touchaient les auteurs à l’époque, ceci parait peu probable vus les salaires des créateurs de comics en ce temps-là. L’auteur est représenté à sa table à dessin, cherchant désespérément l’inspiration alors qu’il ne reste plus deux jours pour livrer une nouvelle histoire. Burgos se lamente puis décide de faire quelques esquisses de « Torchy & Toro », expliquant qu’en général c’est ainsi que les idées lui viennent. Très vite il termine son dessin : « Voilà ! Fini ! Ils ont l’air réel ! Mais j’ai toujours besoin d’une histoire !« . C’est à ce moment-là que l’histoire bascule : quand les deux torches s’animent et jaillissent de la feuille : « Salut Carl ! Où devrions-nous dire… Papa ?« .

La chose peut paraître assez incohérente, assez différente du ton habituel de Timely/Marvel. Elle fait pourtant écho à un précédent texte publié en 1940 dans Human Torch Comics #2 (qui, malgré ce qu’on pourrait croire, fut bien le premier numéro de la série). Pour le lancement de cette série, l’éditeur avait trouvé intéressant de faire raconter à Carl Burgos et Bill Everett (le créateur de Namor The Sub-Mariner) dans deux textes les supposés secrets de la création de leurs personnages. Everett avait alors raconté l’histoire – totalement inventée – d’une mystérieuse présence qui l’avait sauvé un jour, lors d’un ouragan. Une entité qui était, peut-être, le Sub-Mariner. Mais dans les dernières lignes Everett avouait entre les lignes avoir été lointainement inspiré par le poème de Samuel Taylor Coleridge, « la Complainte du vieux marin » (en anglais « The Rime of the Ancient Mariner »). Burgos avait emprunté la même veine fantastique en parlant d’une sorte d’expérience mystique qui lui serait arrivé le 4 juillet de l’année précédente (1939). Ce qui fait qu’Human Torch est un des rares héros à disposer d’une datation officielle pour l’apparition de l’idée. Mais inventer un super-héros le jour même de la fête nationale américaine semble trop beau pour être vrai et on peut se demander si on n’est pas déjà dans le fantasme. Comme dans Marvel Mystery Comics #34, Burgos se décrit dans Human Torch #2 comme étant rattrapé par les délais, alors que son éditeur exige de lui un nouveau personnage. Le responsable éditorial en question n’est sans doute par Martin Goodman ou quelqu’un de Timely Marvel puisqu’à l’origine Human Torch fut conçut comme un « package » créé en interne chez Funnies Inc. Il s’agit probablement de Lloyd Jacquet, le patron de ce studio. La scène se déroule en juillet, il fait chaud et Burgos décrit même une véritable canicule, tandis que l’éditeur insiste sur le fait qu’il ne livre aucun héros, il décevra tous les enfants. Là aussi on est dans la fantaisie : Comme Human Torch est apparu dans Marvel Comics #1, les enfants ne risquaient pas d’attendre spécialement la parution du numéro. Burgos dit à l’éditeur d’aller au diable mais est pris d’une fièvre croissante. Finalement il s’enflamme et se rend au bureau du donneur d’ordre, où ce dernier le reconnaît comme étant le nouveau personnage qu’il attendait. Burgos se réveille alors. Tout n’était qu’un rêve. Il couche alors sur le papier le personnage enflammé qu’il s’est vu devenir dans le songe et, quand il livre son épisode, raconte que l’éditeur n’est pas le moins du monde surpris, comme s’il avait participé au rêve !

Bien que l’expérience fantastique racontée dans Marvel Mystery Comics soit pour une bonne partie différente (après tout le personnage s’échappe de sa page), on retrouve un certain nombre d’éléments communs. La solitude du créateur face au manque d’inspiration, l’insistance de l’éditeur puis l’expérience qui mélange fantasme et réalité. Face à Human Torch et Toro, Carl Burgos est alors médusé, se demande comment la chose est possible. On notera que le dessinateur prendra soin de cacher son visage tout au long de l’histoire alors qu’il n’aura pas la même réserve par rapport à certains autres personnages réels rencontrés par la suite. S’en dégage une impression que, même s’il se glisse lui-même à l’intérieur de son récit, l’auteur était sans doute d’un naturel discret. Mystérieux, Human Torch et Toro répondent que l’explication de leur présence est leur secret et « Qu’un jour ils lui raconteront tout !« . Burgos doit se faire une raison : ses deux personnages se tiennent devant lui. Il leur demande alors ce qui les amène. Human Torch raconte comment les deux personnages ne pouvaient supporter le fait de voir l’auteur s’escrimer sur la planche à dessin, avec la date limite qui approchait. Aussi les deux héros ont décidé de mettre au point eux-mêmes une idée de scénario. Burgos, qui n’est pas au bout de ses surprises, décide de s’asseoir avant d’en entendre plus. Human Torch s’installe, lui, dans un canapé et commence ses explications : « Tu sais tout à propos de ces rats. Hitler, Goebbels et Goering… Et bien…« .

Mais à la faveur d’une ellipse de temps, le lecteur n’a pas droit au détail de ces explications. Dans la case suivante, Human Torch a déjà fini d’exposer son idée. Et Carl Burgos est sous le choc. L’idée en question est excellente ! Il décide de contacter immédiatement son éditeur et mettre en place ce plan. Human Torch annonce alors que Toro et lui resteront dans les parages le temps de s’assurer que tout se passe bien. Alors que Burgos enfile sa veste pour sortir, Toro lui crie même un encouragement : « Nous espérons que tu auras le feu vert de ton éditeur, Carl !« . Vingt minutes plus tard l’auteur arrive chez son employeur, un homme à lunettes. Cette fois pas d’hésitation : Funnies Inc a disparu et c’est bien Timely/Marvel qui a sécurisé les droits d’Human Torch, devenu une de ses vedettes. L’éditeur est visiblement supposé être Martin Goodman. Ce dernier est d’abord surpris de le voir débarquer : « Carl ! Tu est supposé être en train de travailler sur une histoire à livrer !« . Mais Burgos le coupe : « Je sais, Patron ! Mais on vient de me souffler l’idée la plus sensationnelle depuis l’invention de la lumière électrique ! ».

A nouveau l’idée est exposée entre deux cases, de manière à ce que le lecteur continue de tout ignorer de ce plan visiblement miraculeux. Martin Goodman est captivé : « C’est étonnant ! Wow ! Je peux imaginer d’ici la tête d’Hitler et de ses complices ! Si seulement ils savaient ce qui va leur tomber dessus ! Retournes bosser là dessus Carl ! Et mets-y tout ce qu’il faut !« . Burgos sort de la pièce en s’écriant « OK Martin ! » puis passe dans une autre pièce où l’attends le reste de l’équipe. Là, on entre dans une description assez surprenante de la chaîne de production d’une histoire de comic-book. Burgos ordonne aux gens présents dans la pièce de se mettre sur cette idée et de lui donner vie. Un des autres employés de Timely/Marvel répond alors qu’il va faire « parler sa machine à écrire« . Ce qui sous-entends que c’est lui le scénariste au moins de la mise en forme du récit, alors que la version officielle a toujours soutenu que Burgos écrivait et dessinait ses propres récits. On nous explique alors que « les rouages se mettent en marche… l’histoire est finalisée« . Mais surtout la case suivante montre « l’équipe artistique de Carl » (au moins trois personnes) en train de travailler et de « finir ses dessins !« . Ce qui revient à dire que Burgos, bien qu’étant souvent cité comme l’auteur complet des aventures d’Human, faisait écrire le détail finalisé de ses scénarios par un autre et que plusieurs assistants (pas seulement un encreur) terminaient ses pages. On poursuit alors la description du processus en montrant les pages qui sont traitées chez le graveur puis finalement l’étape de l’impression d’où émergent le produit final : des comic-books ! La création d’un comic est résumée en l’espace de quelques cases et pas forcément très détaillée mais c’est aussi, dans le même temps, une des rares occasions du Golden Age où le lecteur peut pénétrer ne serait-ce qu’un peu dans les coulisses d’un éditeur.

Chez l’imprimeur on se régale déjà du contenu de ce comic-book. Le personnel est hilare et, sans perdre de temps, les comics-books sont acheminés dans la nuit vers un bateau. Un des livreurs se réjouit, expliquant qu’ensuite ce sera aux gars de l’American Eagle Squadron de faire le reste ! Les escadrilles « Aigles » étaient parmi les premières forces aériennes américaines à avoir participé à la seconde guerre mondiale, dès 1940. En fait il s’agissait d’unités de la Royal Air Force dont les avions étaient pilotés par des volontaires américains, qui n’avaient pas attendus que leur pays soit concerné de plein fouet par la guerre. Autrement dit, la mention de ces escadrilles Aigles est une manière de nous dire que le bateau est en partance pour l’Europe. Mais ni l’éditeur ni l’imprimeur n’ont pu anticiper qu’il y avait des espions allemands même au sein de l’équipe qui charge le bateau. Dans la soute, ces agents infiltrés ne manquent pas d’inspecter le contenu des caisses. Quand ils les ouvrent et y trouvent des milliers de comics, ils sont particulièrement surpris. Ils pensent d’abord à une blague. Mais un des espions nazis se met à parcourir les pages et… s’indigne ! Oui, c’est bien une blague mais elle est aux dépens de l’Allemagne ! Les hommes décident alors de détruire le chargement…

Sauf que pendant ce temps Human Torch (qu’on n’avait pas vu spécialement inspecter les locaux de Timely ou l’imprimerie) s’est justement décidé à surveiller de près le navire. D’ailleurs le capitaine se réjouit : « Content que vous soyez là, Torch ! ». Visiblement le marin ne tique pas sur la présence d’un personnage de BD qui n’est pas supposé être réel. Human Torch et le capitaine observent alors les deux hommes vus plus tôt, alors qu’ils sortent de la soute. Le marin reconnaît en eux deux des dockers. Mais leur comportement paraît suspect. Aussitôt Human Torch s’enflamme et s’envole pour « faire toute la lumière sur le sujet ». Les deux dockers font alors mine de fuir mais le super-héros les rattrape. Il a tout de suite su qu’il y avait quelque chose de bizarre. Ils étaient trop bien habillés pour être de vrais dockers. Mais bientôt le jeune Toro aperçoit une épaisse fumée qui s’échappe de la soute. Un incendie ! Les intrus ont mis le feu aux comics ! Heureusement Human Torch est maître des flammes ! Il se lance alors dans le feu pour tenter de sauver la cargaison. Resté sur le pont, Toro s’empare d’un exemplaire que les deux saboteurs ont gardé sur eux : « Alors vous avez gardé un numéro ? Le contenu est bon !« . Mais un des deux nazis rétorque : « Ce n’est pas aussi drôle que vous le pensez ! ». Arrivé à ce stade, la manière qu’on a de nous dire sans cesse que le contenu du comic-book ridiculise les nazis a des faux-airs de « la blague qui tue », futur sketch des Monty Python qui exploitera plus tard l’idée d’une histoire drôle antinazie qu’on ne peut raconter sans tuer l’auditeur). Mais Toro baisse sa garde un instant et un des espions en profite pour le jeter par dessus bord. Le jeune homme tombe à l’eau, incapable de rallumer sa flamme et donc de faire usage de ses pouvoirs. Avec Human Torch qui est occupé dans les entrailles du bateau, il ne reste guère que le capitaine du navire pour tenter d’arrêter les nazis mais ils disparaissent dans les ombres du port.

Human Torch revient après avoir maîtrisé l’incendie mais ne trouve que le capitaine. Le marin explique alors au héros comment Toro est tombé à l’eau et comment il faut absolument le tirer de ce mauvais pas. A cause des vagues qui font bouger le bateau, Toro court à tout moment le risque d’être écrasé entre le flanc du navire et la paroi du quai. Plus expérimenté que Toro, Human Torch se penche et ordonne au garçon de maintenir ses mains au dessus de l’eau, le temps qu’elles sèchent et qu’il puisse à nouveau les enflammer. Mais le bateau bouge à nouveau et risque d’écraser l’enfant. Human Torch utilise alors ses propres pouvoirs incendiaires pour s’envoler et attraper Toro au passage. Après un rapide débriefing de la situation, Human Torch médite : « Donc ils savent quelle cargaison ce navire transporte ! Bien sûr ils savent que c’est pour l’Allemagne… Et ça sent les ennuis ! Oh, bon… les gars de la R.A.F. (Royal Air Force) s’occuperont de ça ! » Assez bizarrement Human Torch ne font pas mine d’escorter le bateau au contenu si stratégique. Ils restent à quai et le regardent s’éloigner…

Une semaine plus tard, le bateau arrive en vue de Liverpool. Rapidement l’équipage décharge la cargaison. A part quelques exemplaires brulés lors de la tentative d’incendie, le reste des comic-books est dans un état parfait. Rapidement les fascicules sont emmenés vers un aérodrome de la Royal Air Force et… chargé dans de grands bombardiers. Les pilotes, au courant de leur mission hors-norme, se réjouissent déjà de cette aventure qui sera « plus de l’amusement que du devoir ! ». Bientôt les bombardiers plein de comics décollent en direction de l’Allemagne : « On arrive ! Adolf ! »

A Berlin, l’Adolf en question (Hitler) est au courant de la menace qui approche. Ses espions lui ont rapporté le contenu des BD. Dans son bureau il pousse une grosse colère (libre à vous d’imaginer la scène adaptée au fameux passage du film La Chute) : « Ach! Nous defiendrons la risée du monde entier fi les anglais arrifent jusqu’ifi et larguent ces livres ! Regarfez ! Ce numéro que nos agents nous ont enfoyé ! Mais ils n’arriferont pas jusqu’ifi ! J’ai ordonné à une centaine d’avions de les arrêter ! Nous détruirons cette cargaison dégoutante !« . Finalement le leader nazi se ravise et ordonne même que 200 avions soient envoyés pour faire barrage. Rapidement un combat aérien s’engage entre les escadrilles de la Royal Air Force et l’aviation allemande. En bas, Hitler s’amuse à regarder la bataille aérienne avec des jumelles. Il se réjouit de voir les avions tomber. « Quatre ! Cinq afions déscendus ! Pien ! Oh mais attendez ! Ils sont des nautres !« . Les bombardiers alliés arrivent à traverser le barrage aérien et commencent à larguer les tonnes de comics qu’ils transportaient ! Au sol, les enfants de Berlin se précipitent sur cette étrange pluie de BD : « Des comics ! Peut-être que les alliés aiment les enfants ! C’est mieux que des confiseries !« . Mais bientôt il n’y a pas que les enfants qui ramassent les illustrés. Les adultes s’y mettent aussi et rient. Ils se tordent de rire en voyant le Führer représenté de manière si ridicule. Dans son QG, Hitler est furieux et, soucieux de protéger son image, ordonne qu’on confisque tous ces comic-books. Toute personne riant en lisant un exemplaire devra être abattue ! Les SS se répandent dans la ville avec ces ordres.

Bientôt ils sont dans les rues et tentent de rattraper ceux qui rient de leur leader, tout en leur ordonnant d’arrêter de se moquer de lui. Finalement un passant leur rétorque « Ha ha… mais comment pourrions-nous ? Tenez, regardez !« . Les militaires jettent un coup d’œil dans le comic-book en se demandant ce qui peut être si drôle et… ils finissent eux aussi par s’esclaffer ! « Ho ho ! Regardez le Führer !« . Bientôt la cinquième colonne distribue ces comics dans toute l’Allemagne et un rire gigantesque secoue toute la nation (on voit d’ailleurs la carte du pays, hilare !). Hitler est furieux d’une telle humiliation. Faute de pouvoir arrêter la distribution de cette BD, il décide de se venger et ordonne que les agents de la Gestapo en place aux USA assassinent le dénommé Carl Burgos pour cet acte !

Aux USA, la nouvelle du comic-book qui ridiculise Hitler est reprise par les bulletins d’information. Un speaker s’étonne même de voir « de quoi est capable un comic-book de propagande !« . Chez Timely, on se félicite du tour joué aux nazis. Martin Goodman s’écrie « Bien joué, Carl ! Le plan de la Torche a fonctionné à merveille !« . Carl Burgos ajoute : « Toute l’Allemagne se soulève ! Les sabotages se multiplient et la résistance contre les Nazis se propage dans tout le pays !« . Puis le créateur d’Human Torch prend congé : Ce soir-là il a rendez-vous avec… Bill Everett. Burgos arrive dans le bar où ils doivent se rencontrer. La présence d’Everett dans cette histoire n’a sans doute rien de « forcé ». Le créateur de Sub-Mariner et Carl Burgos se connaissaient de longue date. Avant de produire des héros pour Marvel, les deux auteurs s’étaient déjà côtoyés chez l’éditeur Centaur. Puis ils avaient fait partie de l’équipe initiale de Funnies Inc. Ils avaient travaillé ensemble chez plusieurs studios/éditeurs. Everett est déjà au rendez-vous mais Burgos attend d’autres invités : Human Torch et Toro (qui visiblement ne sont pas rentrés dans la page d’où ils se sont échappés). Everett le prévient alors que les deux héros viennent justement de téléphoner pour prévenir qu’ils auraient un peu de retard. En les attendant les auteurs commencent à boire tous les deux. Everett félicite son collègue pour le succès de son histoire anti-Hitler… Mais soudain Burgos s’écroule sur la table, inconscient.

C’est à ce moment-là qu’arrivent Human Torch et Toro en civil. Everett leur explique comment Burgos vient de s’écrouler. Mais on ne la fait pas à Human Torch, qui s’aperçoit de la teinte cireuse du visage de l’auteur : « On dirait bien une atteinte délibérée à sa vie !« . Il ordonne à Toro de prévenir pour qu’on envoie une ambulance… Puis le super-héros s’aperçoit qu’il n’y a pas de serveur derrière le comptoir. Everett insiste : « Il était là il y a quelques minutes ! ». Human Torch se glisse dans l’arrière-boutique et surprend… l’agent nazi qui a assommé le vrai serveur pour prendre sa place et servir un soda empoisonné à Carl Burgos ! Mais le héros est surpris par un autre agent allemand qui arrive derrière lui. Le second espion lui ordonne de lever les mains et de se rendre. Human Torch reconnaît alors les deux hommes qui avaient tenté d’incendier les comics quelques pages plus tôt. Ils le reconnaissent, en lui annonçant que maintenant ils vont s’occuper de le détruire. Pourquoi le héros incendiaire ne fait pas usage de ses pouvoirs ? Ce n’est pas très clair. En un sens peu importe car il est rapidement « sauvé » par un lasso de feu émis par le fidèle Toro. Les deux nazis sont alors immobilisés, piégés… Il ne reste plus qu’à les maîtriser. Toro, Human Torch mais aussi Bill Everett se ruent alors sur les deux hommes jusqu’à ce qu’ils s’avouent vaincus. Bientôt c’est le moment des explications. Les deux saboteurs confessent qu’ils ont été envoyés par Hitler, qui voulait se venger de l’affront causé par les comics de Carl Burgos !

Une fois les nazis livrés à la police, Human Torch, Toro et Everett décident d’aller prendre des nouvelles de Burgos à l’hôpital. A leur grande surprise ils trouvent l’auteur encore cloué au lit mais dans une assez bonne forme au regard des circonstances. Bill Everett s’écrie : « J’imagine qu’ils ne pouvaient pas empoisonner un homme avec un estomac d’acier !« . Toro renchérit : « Notre Boss ? Ca ne risquait pas !« . On est à nouveau dans cette confusion totale où les personnages de fiction ont conscience d’être aux ordres de Carl Burgos… tout en se tenant à quelques centimètres de lui et en étant capable d’agir de façon autonome. A ce moment-là, Human Torch est d’ailleurs pris d’une nouvelle inspiration. Il a une autre idée pour une histoire future. C’est Carl Burgos lui-même qui l’interrompt : « Attends une minute ! N’en parles pas maintenant sinon tu vas ruiner le suspens pour nos lecteurs ! On dirait qu’il va falloir qu’ils attendent un mois, jusqu’au prochain numéro de Marvel, pour découvrir de quoi il s’agit ! Et j’ai l’intuition que l’idée dépassera tout !« . L’histoire s’achève par quelques phrases de commentaires qui insistent sur le caractère incroyable de la nouvelle idée du héros. Car, nous dit-on, « Human Torch ne déçoit jamais ! Et pendant que vous attendez la prochaine sortie de Marvel Mystery Comics, pourquoi ne pas vous procurer un numéro du trimestriel d’Human Torch ?« .

Carl Burgos signe ici une histoire qui a du entretenir le doute dans l’esprit des jeunes lecteurs de l’époque : Human Torch et Toro apparaissent donc comme l’équivalent de fantômes pouvant sortir de la page pour « souffler » à leur auteur des idées d’aventures. Mais comme, dans le même temps, Human Torch et Toro sont montrés comme des êtres capables d’intervenir dans la réalité, le tout semble indiquer que ces idées empruntent au moins une partie réelle. Au pire, l’épisode revendique le fait d’être un outil de propagande. Les comics (et plus particulièrement les comics Timely) sont montrés comme des armes capables d’intervenir sur le moral de l’ennemi. Ce n’était très certainement pas la première fois qu’Hitler apparaissait dans un comic-book mais que Timely représente à ce point son équipe et ses coulisses… Là pour le coup les lecteurs n’avaient jamais vu la chose à cette ampleur. En fait, il aurait été bien plus logique que cette histoire intervienne dans les pages de Captain America Comics, série qui s’était bien plus moquée d’Hitler. Mais en 1942 la situation du titre était spéciale : Joe Simon et Jack Kirby, les créateurs de Captain America, venaient de claquer la porte de Marvel pour partir chez DC Comics. Pour Timely, il aurait sans doute été difficile de faire référence à Captain America comme opposant principal d’Hitler en mentionnant les nouveaux auteurs de la série, qui étaient pratiquement inconnus du grand public. Et pour des questions « politiques », il était bien évident que Timely n’allait pas produire une histoire utilisant des auteurs depuis passés à la concurrence.

Dans son histoire, Carl Burgos prend soin d’utiliser son collègue (Bill Everett) et son employeur (Martin Goodman), ainsi propulsés comme figures de proue de l’antinazisme dans les comics. On notera au passage que cette histoire a du être pensée au moment du « transfert de pouvoir », dans la phase où Joe Simon (jusqu’ici responsable éditorial) était déjà parti mais où Stan Lee n’était pas encore officiellement perçu comme son remplaçant : il n’est fait aucune mention du jeune homme ! Réponse où signe que ce genre d’histoire avait déjà été mise en route avant le départ de Simon ? Quelques semaines plus tard Simon et Kirby se fendraient d’une histoire (Boy Commandos #1) où ils sont eux-mêmes intégrés dans le récit et rencontrent certains de leurs personnages tout en représentant certains de leurs collègues. Ce qui fait qu’on peut se demander si la base de l’histoire présentée dans Marvel Mystery Comics #34 n’avait pas d’abord été pensée pour Captain America dans les derniers temps de leur présence chez Timely. A moins que les deux auteurs aient simplement pris ombrage de voir Burgos, Everett et Goodman représentés comme les principaux architectes de la propagande anti-Hitler… Quelque part, entre réalité et fiction, il est difficile de savoir avec certitude comment les choses ont pu s’organiser. Mais cette étrange aventure d’Human Torch reste historiquement un moment fondateur dans lequel le « Marvel Bullpen » (l’équipe éditoriale de la société) à l’époque se retrouve confronté à ses propres personnages. Absent de cette histoire, Stan Lee aurait par la suite beaucoup d’autres occasions de se représenter dans d’autres récits…

Plus récemment, la boucle a été bouclée lors du 70ème anniversaire de Marvel. Dans Young Allies Comics 70th Anniversary Special #1, le scénariste Roger Stern a expliqué un grand nombre de scénarios ridicules des années 40 en révélant, à l’intérieur de l’histoire, que l’armée américaine aurait passé commande de comic-books de propagande. Ainsi les caricatures parfois racistes des Young Allies devaient se prendre comme des fictions racontées à l’intérieur de l’univers Marvel par un Timely produisant pour l’armée. L’idée a depuis été reprise dans la minisérie (inachevée) All-Winners Squad: Band of Heroes. Là aussi on voyait Timely produire des comics de propagande déformant les exploits de super-héros supposés être réels. De ce fait on peut porter un certain regard sur Marvel Mystery Comics #34 et sa compression de la réalité et de la fiction. Si les personnages secondaires comme le capitaine ou Everett ne tiquent pas quand Human Torch intervient, c’est sans doute parce que tout se passe dans un univers où, bien que Timely édite des aventures d’Human Torch pour des besoins de propagande, le héros existe par ailleurs dans la « réalité ».

Ironiquement, c’est en 1942, quelques temps après avoir produit cette histoire, que Carl Burgos serait appelé sous les drapeaux puis envoyé sur le front… Il aurait ainsi l’occasion de s’attaquer aux forces ennemies d’une manière sans doute bien plus directe qu’il avait pu l’imaginer en se lançant dans cette histoire… A son retour, Burgos reprit son travail dans les comics et fut à nouveau un auteur fréquent de Timely/Marvel. En décembre 1953, il participa (comme encreur) au retour d’Human Torch dans les pages de Young Men #24. Burgos cessa de travailler pour cette maison d’édition en 1960. Timely, devenu Atlas Comics, était alors moribonde. L’éditeur arrêtait d’employer un certain nombre de collaborateurs. C’était dans l’ordre des choses. Mais un an plus tard la société trouva un second souffle à travers la parution de Fantastic Four #1. Les Quatre Fantastiques connurent le succès et sauvèrent Marvel. Carl Burgos, lui, fut passablement dégouté en découvrant que Stan Lee et Jack Kirby (on donne souvent le mauvais rôle à Lee mais pour le coup Kirby ne pouvait ignorer ce qu’il faisait en s’emparant du design du héros de Burgos) s’étaient approprié son Human Torch en le transformant en teen-ager. Et même cette modification ne fut sans doute pas jugée très originale par Burgos, qui était après tout aussi l’inventeur… du jeune Toro.

On retrouve néanmoins le nom de Carl Burgos au générique de Strange Tales #123 (août 1964) où il dessine une aventure de la Torche Humaine moderne (Johnny Storm) et de la Chose. L’épisode, écrit par Stan Lee, semble faire preuve d’une volonté de flatter Burgos dans le sens du poil. Dès la première page, sous le crédit de dessinateur de Burgos, on précise « qui fut le premier à dessiner la Torch pendant le Golden Age des comics ! ». Même chose à la fin de l’épisode où le commentaire insiste : « Et voilà les amis ! Ce fut un vrai plaisir pour nous
d’avoir Carl Burgos pour illustrer cette histoire, après une absence de tant d’années !
». Plus encore : la dernière case va jusqu’à représenter Stan Lee et Carl Burgos en train de regarder la Chose et la Torche qui s’éloignent. D’ailleurs on voit bien que cette fois, à vingt-deux d’écart, la volonté de l’artiste n’est plus la même. Autant en 1942 il jouait sur des effets d’ombres pour cacher son visage, restant discret, autant en 1964 il désire être reconnu et se montre. Lee s’exclame « Ce sont les plus chouettes gars au monde, Carl ! ». Ce à quoi Burgos réponds, sur un ton blasé « Ah, tu n’es pas objectif, Stan ! ». On est à nouveau dans une membrane entre la fiction et la réalité, membrane que Carl Burgos lui-même avait apporté dans l’univers Marvel dès 1942 (et même 1940 si on compte le récit d’Human Torch #2).

La raison d’être de Strange Tales #123 était sans doute une réponse à une demande impérieuse de Burgos d’être reconnu comme le créateur d’Human Torch. Encore qu’on notera avec quel soin les mots ont été choisis : Burgos est bel et bien identifié comme le premier qui a dessiné les aventures du personnage. On ne fait pas mention de son rôle de scénariste et on évite, surtout, le terme exact de créateur… Mais si Marvel avait pensé s’en tirer en laissant Carl Burgos dessiner cette petite histoire et en le laissant apparaître à l’image, l’éditeur n’était pas au bout de ses peines. Burgos entama ensuite une procédure (rapportée par sa fille, Susan Burgos, dans les pages du magazine Alter Ego #49, en 2005) pour tenter de récupérer les droits de son personnage. D’après ce qu’en dit la famille, la procédure se solda à l’amiable, avant d’arriver devant les tribunaux. Ce qui laisse à penser que l’éditeur transigea pour une somme bien inférieure à ce que Burgos aurait pu espérer. Encore qu’à l’époque la valeur d’une propriété intellectuelle dans le domaine des comics restait assez peu connue…

Dans Alter Ego #49, Susan Burgos se souvient d’un jour de 1966 où son père se débarrassa de tout ce qui pouvait lui rappeler le Golden Age. 1966, c’est aussi l’année où Marvel Comics décida de ramener le Human Torch des années 40 dans les pages de Fantastic Four Annual #4… En un sens ce numéro annuel pouvait même se concevoir comme une parabole : le Human Torch des origines venait combattre rageusement celui qui avait osé prendre sa place. Mais à la fin c’était bien la version moderne qui survivait, l’original semblant être détruit. On peut même se demander si la résurrection éclair du héros des années quarante et sa destruction non moins rapide n’était pas tout bonnement une précaution pour se couvrir : démontrer que les deux Human Torch n’étaient pas les mèmes, que le jeune ne devait rien (en théorie) à l’ancien et que la version du Golden Age n’existait plus. Tout ça se déroulant cette fois sans mention élogieuse d’un Carl Burgos. Terminés les honneurs de Strange Tales #123 ! La membrane s’était refermée. Le Human Torch de Marvel ne se souvenait plus vraiment de qui était son « Papa ». Le personnage de fiction ne croiserait plus jamais le chemin de son créateur réel… Novembre 1966, date de parution de Fantastic Four Annual #6, marque aussi le moment où Burgos cessa de dessiner (après cette date il se concentra sur des responsabilités éditoriales, plus sur la création). Par la force des choses Human Torch et Toro ne risquaient plus de surgir de la page pour venir lui souffler des idées nouvelles…

[Xavier Fournier]

(Note: En dehors de la couverture de Marvel Mystery Comics #34, les images utilisées dans cet article proviennent de scans des « microfiches » Marvel éditées par Microcolour à la fin des années 90 dans des résolutions assez mauvaises, ce qui explique la pauvreté des illustrations. L’épisode en question n’a jamais été réédité depuis 1942 mais devrait figurer au sommaire d’un Marvel Masterworks consacré à Marvel Mystery Comics d’ici deux ou trois tomes…)

(Ce post est le 6000ème article publié sur www.comicbox.com !)