Oldies But Goodies: Blue Beetle #56 (Mai 1948)

6 février 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] De nombreux super-héros notables furent créés pendant le Golden Age. On ne peut pas en dire autant de leurs adversaires. Tout le monde n’avait pas, loin s’en faut, une galerie d’ennemis aussi riche que Batman ou Captain America. Peu de gens seraient sans doute capables de citer, de manière spontanée, le nom des principaux criminels que Dan Garrett, le Blue Beetle du Golden Age, a pu mettre hors d’état de nuire. Le Sphinx, par exemple, n’a laissé aucune trace dans l’ère moderne. A l’époque de l’épisode la concernant, cette tueuse masquée allait faire scandale et faire que Blue Beetle #56 allait faire l’objet de bien des études. L’éditeur Fox Feature, tout en étant un brin raccoleur, ne s’attendait sans doute pas à tant de polémique…

Vers la fin des années 40, Fox Feature avait pris note de l’essoufflement progressif de la mode des super-héros et s’était mis en tête d’entretenir ses titres existants en titillant le lecteur. Enfin.. comprenons-nous bien. Sans doute que le public moderne ne trouverait rien de particulièrement aguicheur dans la plupart des épisodes concernés. Mais enfin pour l’époque Fox ne faisait pas dans la dentelle et ne rechignait pas à déshabiller un peu ses héroïnes en relevant les jupes et en ouvrant des décolletés au maximum. L’exemple le plus célèbre en est sans doute Phantom Lady, personnage à la base apparu chez Quality Comics puis récupéré par Fox pour graduellement en faire une justicière très sexy, en particulier sous le crayon de Matt Baker. Ces jolies femmes qui ne cachaient rien de leurs jambes, se penchaient de manière lascive et se retrouvaient à l’occasion dans des situations très « bondage » (nous avions déjà parlé dans cette chronique des aventures de Rulah), dignes d’une séance sado-maso, étaient considérées comme un genre à part entière, le « Good Girl Art ». Good Girl car ces héroïnes étaient pleine de bonne volonté. Le péché était dans l’oeil et dans l’esprit du voyeur qui s’attardait sur les couvertures. Elles, sur le plan de la personnalité, n’avaient pas l’ombre d’un vice. Elles étaient des cousines de Wonder Woman un peu plus osées mais pas moins civiques…

Et puis il y avait les héros mâles, que Fox pouvait difficilement traiter de la même manière, sachant que l’effet produit sur les petits garçons n’aurait sans doute pas été le même. Ces hommes d’action, il fallait bien quand même faire le maximum pour les mettre au goût du jour. Blue Beetle, par exemple, avait des superpouvoirs depuis 1940 en se « chargeant » avec une super-énergie produite par la vitamine 2X. Vers la fin des années 40, on allait diminuer les allusions à ces superpouvoirs (on n’allait pas réellement les contredire, on cesserait simplement d’y faire référence) pour en refaire un personnage plus terre-à-terre, une sorte de version urbaine du Phantom. Et dans le même temps on allait renforcer le sex-appeal féminin de la série et une certaine remontée générale de la violence. A ce propos la couverture de Blue Beetle #56 est un véritable aveu puisqu’elle est centrée sur les jambes d’une jeune femme, elle-même victime d’un homme qui lui tire dessus. La présence du Blue Beetle n’est que symbolisée dans un coin par un macaron. Si la revue ne portait pas le nom du héros, on ne se rendrait pas compte que c’est lui le personnage régulier…

A l’époque Fox commençait les histoires sans attendre la première page intérieure (à droite), préférant commencer dès le revers de la couverture (à gauche, donc). Comme le revers n’était pas imprimé en quadrichromie, l’éditeur se contentait d’une impression noir et blanc ainsi que d’une autre couleur dominante sur cette « première page ». On est donc tout de suite dans l’ambiance,  avec un ton bleu crépusculaire et une disposition d’éléments qui ferait presque penser à une allégorie : Une femme (brune) est poursuivie pas une autre (une blonde dans une tenue révélatrice, le couteau à la main) tandis que le Blue Beetle s’élance vers l’attaquante en se lançant du haut d’un Sphinx à tête de mort, sur lequel fond une bougie géante. En introduction, ce préambule plutôt macho : « Délivrez moi des femmes folles ! disait Dan Garrett, alias Blue Beetle, souvent pour plaisanter. Puis il rencontra une femelle assez paranoïaque pour enterrer toutes les autres femmes ! Et d’ailleurs c’est ce qu’elle faisait… Elle tuait toutes les femmes ! Jusqu’à ce que le plus grand de tous les tueurs de bandits résolve l’énigme du SINISTRE SPHINX ! ».

Le dernier qualificatif  donné à Blue Beetle (« le plus grand de tous les tueurs de bandit s ») est intéressant en soi car il montre bien que dans les comics d’après-guerre il avait une certain radicalisation, les éditeurs lorgnant plus vers les « crime comics ». Du coup le Blue Beetle ne passait plus pour un justicier exerçant une juste riposte proportionnelle au méfait. On attendait de lui qu’il tue les malfrats sans autre forme de procès. Ou en tout cas la chose était assez banalisée pour qu’on le définisse ainsi…

L’accent sur le crime, sur la tuerie, marque ainsi tout l’épisode. Dès la case suivante le commentaire insiste : « Le meurtre, marchant sur des pieds discrets, menace la débutante de l’année ». La débutante, pour ceux qui ne connaîtraient pas les usages de la bourgeoisie aisée, c’est une jeune fille de bonne famille qui va être présentée à ses pairs lors d’un bal réunissant tous les notables du coin. La débutante de l’année, c’est donc un peu un « miss de la haute société ». A la fenêtre , une jeune femme blonde masquée plaque la main contre la vitre et rumine : « Prête à se coucher, hein ? Debba Marsh dormira profondément ce soir ! ». Ne tournons pas autour du pot : la blonde masquée en question, c’est Sphinx, la criminelle qui va frapper pendant tout l’épisode. Elle porte une sorte de « vêtement » (enfin » vêtement » est un grand mot) qui à tout d’une sorte de lingerie féminine conçue pour des soirées un peu spéciale. Son ventre et ses hanches sont apparents, le décolleté est vaste… En fait si on fait abstraction du style du dessinateur,  Sphinx pourrait tout aussi bien passer pour une des filles de joie du Sin City de Frank Miller. Sauf que quatre décennies ans séparent les deux parutions ! C’est dire si, pour 1948, ce style de tenue est plutôt « osé » et avant-gardiste.

A l’intérieur, Debba Marsh souhaite bonne nuit à sa femme de chambre , laquelle quitte la pièce. Dès que Debba reste seule, le Sphinx ouvre la fenêtre, un grand couteau à la main, s’écriant : « Il fallait dire adieu, Miss Marsh, pas bonne nuit : ». On passe sur la page suivante (la première page intérieure en fait, celle de droite) qui est donc en couleurs, ce qui nous permet de voir que le costume très bondage de Sphinx est rose (ce qui donne un effet moins « cuir » que dans les premières cases). Sphinx plonge son couteau dans la gorge de la demoiselle. La tueuse explique : « Je suis plutôt désolée, gamine, mais n’est qu’une  partie d’un plan… le plan le plus énorme du monde ! ». Une autre case montre de manière rapprochée la poitrine ensanglantée de la victime, visiblement morte. Petite touche finale, la tueuse place sur un des seins une petite reproduction en cuivre du Sphinx égyptien en expliquant que c’est son signe. Une heure plus tard, au journal local (le Daily Banner) on apprend que cette « autre mort ». Car Debba Marsh n’est que la dernière victime en date sur une liste qui s’allonge de femmes tuées au moment où elles allaient se coucher. La journaliste Joan (véritable clone de Lois Lane) est horrifiée. Les choses en sont au point où les jeunes femmes vont avoir peur d’aller dormir. Mais il est tard. La journée de travail touche à sa fin et Joan quitte son bureau. Elle a rendez-vous avec ses amis, les policiers Dan et Mike, mais elle annonce à son rédacteur-en-chef qu’elle pourrait avoir une idée pour piéger Sphinx. En fait Joan et Dan (le Blue Beetle originel dans son identité secrète) sont plus qu’amis. Ils sortent ensemble. Et on ne peut pas dire que Dan saute de joie quand il entend que Joan veut se lancer sur la piste de Sphinx. La journaliste proteste en expliquant que la police a échouée pour l’instant. Dan explique qu’ils ont besoin d’un peu plus de temps tandis que Mike, le partenaire de Dan, affirme que si ses supérieurs ne le cantonnaient pas à patrouiller dans les rues, il aurait arrêté Sphinx depuis longtemps. Sachant que le même Mike est aussi, en dehors de Dan Garrett lui-même,  le plus ancien personnage de la série et qu’il affirme depuis 1939 (Mystery Men Comics #1) qu’il est le point de démasquer Blue Beetle sans réaliser que le héros masqué est en fait son plus proche ami, cette affirmation a quelque chose de forcément comique…

Allez savoir comment, Joan a dressé un portrait psychologique de l’assassin : « Le tueur doit être paranoïaque ! Il… ou elle… laisse ces sphinx de cuivre comme une carte de visite, pour être sur d’être crédité de ses crimes ! Ce tueur est fier de ses crimes ! Je vais donc m’approprier un peu de sa gloire et voir ce qui se passe… Tandis que Mike, assez idiot, en est encore à ce que veut dire le mot « para… » qu’il n’arrive même pas à prononcer en entier, Dan Garrett, intérieurement, se dit que l’idée est loin d’être mauvaise et que le Blue Beetle va donc veiller sur Joan. Mais cette même nuit Sphinx est déjà passé à un autre meurtre.

Tandis qu’elle roule au volant de sa voiture noire, elle pense : « Ils pensent que je suis folle, hein ? Attends un peu que j’ai tué une demi-douzaine de femmes célèbres sous mon identité de Sphinx ! Puis je commencerais à les kidnapper et leurs amis feront la queue pour payer la rançon ! Ils seront que je ne plaisante pas ! ». Pourtant la nouvelle cible n’a rien d’une femme de la haute société. Sphinx se gare non loin d’un club de strip-tease : « Je vais me faire cette strip-teaseuse ! Je vais la dévêtir de sa vie ! J’aurais sûrement droit aux gros titres des journaux avec cette petite affaire ! ». Sphinx profite du fait que le gardien de nuit est endormi pour s’introduire dans le club et se glisser jusqu’aux coulisses tandis que le spectacle a déjà commencé et qu’une strip-teaseuse est restée seule à se préparer. Sphinx la poignarde en pleine poitrine. La victime s’effondre, donnant lieu à une nouvelle case révélatrice où l’on voit le torse ensanglanté de la jeune femme, un sphinx de cuivre disposé entre ses seins.

A l’autre bout de la ville Joan sort de chez un fabricant d’objets en cuivre et prépare son plan. Marquons un temps d’arrêt pour souligner que l’histoire a commencé en pleine soirée, au moment où Debba Marsh allait se coucher et que le Daily Banner n’a appris la chose qu’une heure plus tard. Qu’en prime Joan et ses amis ont eut le temps d’aller boire un coup tandis que le Sphinx a assassiné quelqu’un d’autre.  Au bas mot nous sommes donc très tard dans la soirée, pour ne pas dire en plein milieu de la nuit… Et on se demandera bien par quel miracle Joan a trouvé un vendeur de cuivre encore ouvert à cette heure !

Le soir suivant, Dan et Mike emmènent Joan dans leur voiture. Elle explique que son plan implique de cambrioler une bijouterie en imitant les méthodes du Sphinx. Joan a fait faire des copies des sphinxs de cuivre en faisant mouler un de ceux la tueuse (comment l’aurait-elle obtenue ? mystère). Dès que Joan a pénétré dans la bijouterie, Dan enfile son costume de Blue Beetle, prêt à intervenir en cas de danger. Il observe ainsi son amie qui cache les bijoux de la fameuse collection Montrose dans un endroit de la boutique où ils ne seront découverts que quelques jours plus tard. Du coup la manigance est morale. Même pour piéger une tueuse, Joan ne va pas s’abaisser à voler pour de bon. Ce qui d’ailleurs réponds indirectement à une autre question. Etant journaliste, Joan n’avait normalement pas besoin de cambrioler une bijouterie. Elle aurait tout aussi bien pu inventer un fait divers et le publier directement dans le Daily Banner . Mais là aussi, cela aurait été mentir. En agissant ainsi, Joan fabrique une réelle disparition de bijoux tout en conservant toute sa déontologie. D’ailleurs ce n’est même pas elle qui écrit l’article sur l’affaire : le lendemain elle est obligée de lire dans le journal si son plan a marché ou pas. C’est un contraste assez marqué avec les conflits d’intérêts assez courants pour les journalistes dans les comics (Clark Kent écrit sur les aventures de Superman sans trouver ça gênant, Peter Parker vend des photos de Spider-Man…). Non pas que ça ait la moindre importance dans l’histoire de Blue Beetle #56 mais c’est intéressant de le souligner.

Au même moment où Joan découvre que son plan a attiré l’attention des médias comme elle l’espérait, Sphinx est chez elle, dans un luxueux appartement et se promène bien évidemment dans un peignoir qui révèle ses sous-vêtements. Elle aussi lit le journal, découvre que son nom est mentionné dans un simple cambriolage et déchire, furieuse, le quotidien. Elle décide alors de frapper un grand coup. Quelques heures plus tard le Daily Banner reçoit un paquet avec un sphinx en cuivre pour l’authentifier (ce qui est illogique car Sphinx est supposée croire que quelqu’un imite précisément ces petits sphinxs). Le patron de Joan découvre alors un message : « Je tuerais ce soir Cynthia Barstrow à minuit ! Toute la police de la ville ne m’arrêtera pas ! Signé… Le Sphinx ! ». Cynthia Barstrow ? Joan en a entendu parler, c’est une physicienne connue ! Le rédacteur, lui, est paniqué. Il ordonne de prévenir la police, de stopper les presses… Et demande à Joan d’aller prévenir Barstrow… Avec une longueur d’avance elle y fonce… Tandis que la police ne réagit guère que quand le journal annonçant la menace a déjà été imprimé. Au commissariat, Dan et Mike se voient intimés l’ordre d’aller garder Cynthia Barstrow. Pour Dan, c’est une nouvelle calamiteuse car du coup il est obligé de rester en compagnie de son partenaire et ne peut pas se changer en Blue Beetle, rôle dans lequel il serait beaucoup plus utile. Et il est déjà minuit moins le quart !

Sur un toit, non loin de l’appartement de Bastrow, Sphinx fait son apparition. En passant par les toits, elle n’est pas vue : « Je vais leur montrer quels crétins ils sont. Il n’y a qu’un Sphinx ! Je vais tuer cette femme sous leur nez ! Ils la retiennent dans l’étage supérieur, dans une pièce pleine de flics mais je l’aurais ! ». Et, alors qu’elle descend le long de la façade jusqu’à une fenêtre, le plan de Sphinx commence à prendre forme : « C’est une bonne chose que ce soit une femme ! Un homme se moquerait qu’un store fasse du bruit ». A l’intérieur se trouvent quatre policiers qui surveillent la pièce et Barstrow. Il ne reste que deux minutes et Dan est toujours coincé par les circonstances. Mais il s’éclipse par une petite porte, comme s’il allait inspecter l’étage. Au même moment Sphinx, qui s’est installée à l’extérieur, près de la fenêtre, commence à secouer le store. Immédiatement Cynthia Barstrow s’approche « Ce store ! Le vent va le mettre en pièces ! ». Mike, lui, regarde sa montre et voit qu’il ne reste plus que 15 secondes avant minuit ! Il ricane d’avance d’avoir déjoué les plans de Sphinx… Or, quand minuit sonne, alors que Cynthia s’est approchée pour relever le store, Sphinx apparaît et lance son couteau directement dans la gorge de la jeune femme. Puis elle lui jette un sphinx de cuivre.

Blue Beetle est là (Dan a profité d’être passé hors de vue pour se changer mais il arrive trop tard. Se jetant à la fenêtre, il voit la silhouette de Sphinx qui remonte vers le toit. « Le Sphinx ! Et que je sois pendu s’il ne s’agit pas d’une FEMME ! ». Blue Beetle se jette vers l’échelle de corde utilisée par la criminelle et commence lui aussi à monter. Quand Sphinx réalise qu’elle est suivie, elle se précipite sur la corde pour la couper, ce qui aurait pour effet de précipiter Blue Beetle dans le vide. Mais… elle ne le fait pas. « Quelque chose a du l’effrayer » pense le héros. En fait la blonde fatale a réalisé qu’elle ne peut s’attarder, qu’il vaut mieux qu’elle s’échappe. Du coup, Blue Beetle continue de la suivre « Capturer cette diablesse ne rachètera pas la mort de cette pauvre femme… Mais c’est de la Justice ! ». Et il la poursuit à travers un immeuble en construction.

Mais où est passée Joan ? Vous vous souvenez ? Joan ? Celle qui avait une longueur d’avance sur la police et qui aurait du prévenir Cynthia Barstrow en premier ? Et bien elle se trouve non loin de là. Au pied de l’immeuble en chantier en fait. Un pneu de sa voiture est crevé, ce qui explique qu’elle ne soit pas arrivée chez Barstrow. Sphinx se précipite sur elle pour s’emparer de sa voiture. Elle titre Joan par la tête puis entreprend de la fouiller : « Et je vais vérifier que tu ne porte pas de pistolet… ». Joan comprend immédiatement que l’autre va trouver… les copies des sphinx en cuivre. Et ça ne manque pas. La vraie Sphinx comprend immédiatement qu’elle est face à celle qui s’est fait passer pour elle. « Ainsi tu est la personne qui m’imite ? Bien… Je savais que nous nous rencontrions ! Et maintenant je vais te trancher la gorge, faussaire ! ».

Mais la rencontre a suffisamment ralenti Sphinx pour que Blue Beetle arrive : « Sur toutes les personnes, il a fallu qu’elle s’attaque à Joan ! Et bien, pour cette fois je vais traiter cette dame à l’inverse de ce qu’on doit faire à une dame ! ». Et le héros décoche un coup de poing en pleine mâchoire de sa blonde ennemie, la mettant visiblement K.O. Joan reconnaît son sauveur : « Blue Beetle ! ». Et l’autre lui rétorque : « Exact ! Dans un rôle que je n’apprécie pas… frappant une femme… Mais celle-ci est une sorcière ! ».

Le héros n’a plus qu’à s’éclipser avant l’arrivée de la police (il faut dire qu’il lui faut vite retourner récupérer l’uniforme de Dan avant que quelqu’un se demande où est passé l’agent). Un peu plus tard les policiers Mike et Dan retrouvent Joan, qui leur explique alors qu’elle peut tout leur raconter, puisqu’elle a vécu cette enquête de l’intérieur. Dan, intérieurement, s’en amuse… Et le mot fin apparaît…

La vedette dans ce numéro, ce n’est pas Blue Beetle. Ce sont les deux femmes. D’une part c’est quand même beaucoup Joan qui mène l’enquête et qui est à la base des initiatives, là où Blue Beetle ne fait que réagir à la présence de la criminelle, et encore après avoir failli à sa mission de protéger Cynthia. Et surtout, Sphinx est un monument de perversité, de cruauté et de violence pour l’époque. A côté d’elle Catwoman, ennemie de Batman, fait pâle figure. A plus forte raison quand on sait que l’âge moyen des lecteurs à l’époque devait se situer quelque part aux alentours de 12 ans. D’ailleurs elle vaudrait à cet épisode d’être remarqué et cité par le psychologue Fredric Wertham dans son brûlot anti-comics, Seduction of the Innocent, un livre qui allait servir à retourner une partie de l’opinion contre les comic-books. Loin de moi l’idée de dire que Wertham avait raison dans sa croisade (ce serait quand même un comble dans le cadre d’une chronique consacrée aux comics) mais le fait qu’à l’époque aucune graduation d’âge (semblable à ce qui peut exister au cinéma) n’était en place. Les institutions (et la plupart des éditeurs) partaient du principe que la BD c’était pour les enfants. Personne (ou pas grand monde) n’était donc partisan d’une signalétique qui aurait permis l’émergence d’une BD mature plus noire. Et quand il publia Seduction of The Innocent en 1954, Wertham se garda bien de dire que parmi les preuves cités, les comics de Fox n’avaient plus d’actualité : L’éditeur avait cessé d’exister depuis plusieurs années et ses parutions ne risquaient plus de « traumatiser » qui que ce soit. N’empêche : Du coup la campagne de terreur de Sphinx serait connue bien au-delà des pages de Blue Beetle #56 et la criminelle sadique deviendrait l’un des symboles incarnant la violence de la BD américaine. Sphinx est aussi un pied de nez à ceux qui pensent que les comics modernes sont plus noirs ou plus brutaux que ceux qui ont les précédés. Catwoman peut décidément aller se rhabiller…

[Xavier Fournier]