Oldies But Goodies: Batman #62 (Dec. 1950)

Oldies But Goodies: Batman #62 (Dec. 1950)

28 janvier 2012 Non Par Comic Box

[FRENCH] En 1950 Catwoman existait depuis une dizaine d’années mais on savait assez peu de choses d’elle, si ce n’était que c’était une voleuse féroce et qu’elle éveillait chez Batman des sentiments contradictoires. Le trouble était étrangement partagé par la cambrioleuse… Dont on ne savait pourtant rien. Ou pas grand chose, pas même un changement d’origine. Son co-créateur, le scénariste Bill Finger, décida finalement de lui donner toute l’attention qu’elle méritait et de révéler, enfin, « la vie secrète de Catwoman ». Il était temps de faire connaissance avec Selina Kyle.

Apparue dans les pages de Batman #1, en 1940, Catwoman occupait depuis une place bien à part dans la galaxie des adversaires du justicier de Gotham. A l’époque Batman & Robin croisaient moins souvent des femmes fatales. Des criminelles sulfureuses comme Poison Ivy, Talia ou Nocturna ne seraient inventée que des années plus tard. Pour autant, il semble que dans un premier temps l’équipe créative de Batman ne savait pas vraiment quoi faire avec l’inconnue féline. Du coup, pendant les six premières années de son existence Catwoman ne fut utilisée qu’une demi-douzaine de fois tout au plus. Il y avait bien quelque chose, une sorte d’alchimie qui faisait que Batman, parfois, se laissait aller à penser qu’elle n’était peut-être pas foncièrement mauvaise. Et ça, mine de rien, ce n’était pas une mince affaire en soi. On se souviendra que Batman s’était lancé dans ses aventures avec des idées assez tranchées sur les criminels qui étaient des couards et des malfaisants.

Dans l’idée de départ de Batman, le monde était blanc ou noir. Il y avait les bons ou les méchants. Pourtant, quand il croisait Catwoman, Batman avait tendance à lui trouver des circonstances atténuantes (tout en cherchant à échapper à ses pièges). Il y avait là un élément potentiel, quelque chose à creuser. Mais entre 1940-1946 Catwoman fut éclipsée par l’omniprésent Joker et d’autres gangsters plus ou moins originaux. Ce n’est qu’ensuite qu’elle commença à prendre une importance croissante dans la série. Et là une double question commença à se poser : Pourquoi donc Batman, qui était en général un bon « juge », minaudait autour d’une « femme de mauvaise vie » et surtout d’où venait-elle ? Quelles circonstances avaient fait d’elle Catwoman ?

Bill Finger n’était pas un auteur forcément intéressé par le détail des origines de ses personnages. Le meilleur exemple c’est que dans Detective Comics #27 (la première apparition de Batman), le super-héros surgit déjà constitué, comme s’il n’avait rien de particulier à expliquer, comme si Bruce Wayne n’avait pas besoin d’une raison particulière pour se déguiser en chauve-souris géante. Les lecteurs devraient attendre plusieurs mois avant d’apprendre le drame qui avait frappé la famille Wayne. Le « déclic de l’origine », chez Finger & Kane, n’était pas « automatique ». Un autre exemple est le Joker lui-même, qui apparaît en 1940 avec le visage qu’on lui connaît sans qu’on sache très bien s’il s’agit d’un simple maquillage où bien d’une vraie maquillage. Ce n’est qu’en réalisant que le Joker ne changeait pas d’apparence pendant ses périodes d’incarcération que les lecteurs purent déduire qu’il y avait une sorte de défiguration. Et puis dans le début des années 50 Finger changea d’approche et commença à révéler les secrets de plusieurs de ses criminels emblématiques. Une hypothèse : avec la multiplication des dérivés (serials cinématographique ou radio), avec la multitude d’auteurs intervenant sur les personnages de DC, il est bien possible que Finger se soit finalement dit que s’il ne révélait pas, lui, les secrets de ses personnages les plus mystérieux quelqu’un finirait par le faire à sa place. Ainsi, pour le Joker, vint Detective Comics #168 (février 1951) et « The Man Behind The Red Hood » (l’histoire qui sert de base principale au plus tardif Killing Joke d’Alan Moore et Brian Bolland) pour voir une première ébauche des origines du « Clown du Crime ». Et Catwoman, elle aussi, eut droit à son numéro de révélation : Batman #62 (décembre 1950), un numéro intitulé The Secret Life of the Catwoman!. Tout un programme…

Mais d’abord il faut partir de ce que les lecteurs connaissent à l’époque. La page d’introduction montre Batman et Robin poursuivis par un chat géant, lequel est chevauché par la fameuse Catwoman. Pourtant au premier plan on voit une autre femme. Une brune plantureuse en larmes, qui crie « Non ! Non ! Non ! »… et dont les yeux sont étrangement félins. Serait-ce Catwoman en civil ? Le conteur, lui, nous explique que Catwoman est de retour une nouvelle fois pour essayer de planter ses griffes dans Batman et Robin mais que quelque chose arrive… et que ce quelque chose va vous étonner, vous, autant que les deux héros le seront ! Car derrière les yeux de Catwoman se cache un mystère, « l’étonnante vie secrète de Catwoman »…

Pourtant quand on tourne la page il n’y a pas de Catwoman en vue. On fait au contraire connaissance avec un gang qui n’a rien à voir avec elle : le gang de Mister X, qui vient de dévaliser une troisième banque de Gotham dans la même semaine. Sachant que Gotham est la ville de Batman, arriver à organiser ces hold-ups sous son nez n’est pas une mince affaire. D’autant que Mister X et ses hommes sont de simples gangsters sans aptitude particulière ou gadget sophistiqué. Si Mister X ne portait pas un masque pour cacher son identité il ne serait même pas considéré comme un super-vilain. Ce nouveau caïd de Gotham doit d’ailleurs en être conscient alors qu’il prépare leurs prochains coups. Il sent qu’il va avoir besoin d’un partenaire pour les futures opérations et annonce à sa bande qu’il compte s’assurer les services de « La plus rusée, la plus dangereuse et plus belle dame criminelle de tout le pays… Catwoman ! ». A ces mots on comprendra que l’admiration de Mister X pour la femme féline ne s’arrête pas au seul plan technique.

Pourtant la fascination de Mister X pour Catwoman lui a fait oublier un détail qui a son importance. Un de ses hommes lui apprend qu’en ce moment Catwoman est en prison, bien incapable de les aider. Qu’à cela ne tienne, en tapant du poing sur la table Mister X explique « Et bien puisque c’est comme ça, nous la feront sortir ! Oui, je sais comment nous y prendre… Et une fois Catwoman libre plus rien ne nous arrêtera ! Nous lancerons une vague de crimes comme Gotham City n’en a jamais vu ! ». Bill Finger ne perd pas de temps à nous expliquer avec quelles ressources ce Mister X compte faire évader Catwoman. Dès le lendemain Batman et Robin sont le commissaire Gordon (attention, pas au commissariat mais bien chez lui, il faut croire qu’ils étaient passés boire l’apéro) quand ils apprennent tous les trois, par le biais de la télévision, l’évasion de Catwoman. Gordon se désole : « Catwoman est dehors, prête à commettre de nouveaux crimes ! ». Batman se veut rassurant : « Pas si nous pouvons nous en mêler, pas vrai Robin ? ».

Pendant ce temps Catwoman, après qu’on ai pris soin de lui bander les yeux, est escortée jusqu’à Mister X. C’est à ce moment là que le gangster explique en quoi il a besoin d’elle: « J’ai beaucoup de vols prévus pour ma bande. Mais pour les réaliser mes gars pourraient avoir à tuer des gardes ou des policiers. Et ça, je n’en veux pas. Je ne veux jamais risquer d’avoir une accusation de meurtre qui me plane dessus ! ». Mister X précise « Catwoman, tu vole toujours sans tuer, en utilisant ta connaissance des chats ! Alors voici mon offre : Tu fais ces vols pour mon compte et on partagera le butin. Si tu refuses je ferais quand même ces vols mais sans toi. Et là Bill Finger vient d’induire un glissement important dans la perception générale qu’on peut avoir de la femme chat. Auparavant Catwoman avait fait comme les autres adversaires de Batman, elle n’avait pas manqué d’essayer de le piéger, à l’occasion, dans des traquenards mortels, bien qu’elle semble troublée par lui. Là, d’un seul coup, Mister X souligne l’évidence : Catwoman n’a jamais tué. Ce qui permet à Bill Finger d’insinuer qu’elle ne veut pas tuer. On verra un peu plus loin que ce « glissement » n’est pas sans retombées. Catwoman accepte le pacte de Mister X. Avec un des hommes de la bande, Dipper, elle se rend dans un bar de la pègre pour organiser le prochain vol. Mais ils sont dérangés par un malfrat malingre, Mousey (Souriceau) qui voudrait entrer dans le gang. Mais Dipper se moque de lui et lui donne une claque tandis que Catwoman, étant ce qu’elle est, explique que si ce « souriceau » ne fait pas attention elle lancera sur lui son chat.

Plus tard, Catwoman est dans son repaire, se prélassant devant un feu de cheminée : « Je déteste quitter ce feu chaud et mes beaux animaux mais il est l’heure que j’aille voir le premier endroit que je dois cambrioler ». Mais alors qu’elle sort a l’extérieur elle est aperçue de loin par Batman et Robin qui, embusqués, se doutaient que sa base secrète était dans les parages. Aussitôt le duo dynamique se lance à sa poursuite mais elle se retourne, ouvre un coffret qu’elle tenait et qui contenait… un chat hystérique, qu’elle leur lance à la figure ; « Je vous attendais ! Voyez mon Persan Roux, un chat connu pour son tempérament enragé ! ». Le chat saute sur Robin qui doit s’en occuper, tenter de le maîtriser… tandis que Batman continue de poursuivre Catwoman. Mais alors que le héros s’élance derrière la femme-chat, il passe devant un immeuble désaffecté et bien mal en point qui, allez savoir pourquoi, s’écroule précisément à ce moment. Catwoman se retourne, voit qu’un énorme mur va s’écraser sur Batman : « Batman va être tué ! Je serais capable de fuir ! Je serais libre ! ». Catwoman a en effet toutes les raisons de se réjouir d’une éventuelle disparition du justicier de Gotham. Sauf… Sauf qu’en un instant elle décide de faire demi-tour et de projeter Batman hors de la trajectoire des briques. C’est elle qui prend les briques sur la tête. Elle a voulu sauver son poursuivant ! Quand la poussière se dissipe, Robin et Batman sont réunis. Ce dernier porte dans ses bras Catwoman, inconsciente. Robin est sidéré : « J’ai tout vu Batman ! Elle a risqué sa vie pour te sauver ! Je ne comprends pas ! Parfois on dirait qu’elle agît de façon totalement contraire ! ». Batman est plus préoccupé par l’urgence de la situation : « Elle est encore inconsciente ! Nous ferions mieux de nous précipiter à la Batcave… Elle a besoin d’un traitement d’urgence ! Et vite ! ». On aurait envie de dire à Batman que s’il y a tellement urgence il semblerait plus logique de se rendre dans un hôpital de Gotham plutôt que de prendre le temps d’aller à la Batcave, qui est notoirement en dehors de la ville. Mais bon, sans doute que la Batcave est mieux équipée qu’un banal hôpital citadin…

Bientôt le trio est dans la caverne qui sert de Q.G. à Batman. Catwoman, installée sur un lit, n’est toujours pas réveillée mais se comporte de manière surréaliste. Elle parle dans son sommeil et récite… comme si elle était hôtesse de l’air : « Attachez vos ceintures de sécurité ! Si nous restons calme le pilote nous posera tranquillement ! Attachez vos ceintures de sécurité ! »? C’est, en apparence, incohérent. Et puis finalement elle revient à elle… mais sa conduite est toujours aussi étrange. Elle hésite : « Où suis-je ? Où sont les passagers ? Est-ce qu’on s’est bien posé ? Qui… qui êtes vous ? ». Batman s’étonne : « Catwoman ! Tu sais parfaitement que nous sommes Batman et Robin ! ». La femme répond : « Oh oui ! J’ai lu des articles sur vous ! Mais pourquoi m’avez vous appelé Catwoman ? Je suis Selina Kyle… une hôtesse chez Speed Airlines et… Ohh… Pourquoi est-ce que je porte ce costume étrange ? Et pourquoi votre calendrier est-il faux ? Il faudra des années avant qu’on soit en 1950 ! ». Catwo… enfin Selina s’écroule en larmes dans un fauteuil : « Je ne sais plus où j’en suis ! Tout ce dont je me souviens c’est que je suis tombée par la porte alors que l’avion s’écrasait… Ma tête a heurté une branche et je me suis évanouie ! ». Batman commence à comprendre: « Si ce que tu dis est vrai, il n’y a qu’une explication : l’amnésie ! Ce choc contre la branche a du causer ça. Et maintenant ce nouveau choc à la tête t’as rendu ta mémoire ! ».

Sauf que Selina se souvient bien de sa vie avant l’accident mais pas après. Batman décide alors de lui montrer ce qu’a été l’existence de Catwoman ces dernières années. Il lui projette de vieux films qui montre d’anciens combats entre opposant le héros et la femme-chat. Ce qui est intéressant dans ce passage c’est que Bill Finger prend la peine de mentionner des « affaires » en faisant référence, à travers la bouche de Batman, à des numéros très précis en identifiant les aventures par le titre de l’épisode initial. Ainsi Batman montre l’affaire « Nine lives of the catwoman »s » (Batman #35, 1946) mais aussi « The Duped Domestics » (Batman #22, 1944), « Claws of the Catwoman » (Batman #42, 1947), « The Lady Rogues » (Batman #45, 1948). C’est un travail de recherche de continuité assez inhabituel pour l’époque, d’autant que Finger ne fait pas forcément référence aux seuls épisodes qui auraient été écrits pas lui : « The Duped Domestics » et « The Lady Rogues » proviennent d’autres scénaristes. Qui plus est Finger fait l’impasse sur ce qui devrait être le cas le plus évident (le premier combat Batman/Catwoman, dans Batman #1) et enfin fait référence seulement à des apparitions de Catwoman dans la revue Batman et aucune de celles qu’elle a pu faire dans la série soeur, Detective Comics. Mais bien sûr tout le coté comic-books passe à des années-lumières au dessus de Selina Kyle, qui réalise soudain avec horreur que pendant des années elle a été une criminelle. Elle éclate en pleurs. Batman s’excuse alors : « Je suis désolé Selina mais tu devais connaître la vérité ! ».

Reste une dernière chose à élucider. Pourquoi une telle obsession pour les chats ? Rien dans l’origine de Selina n’explique son « totem ». La jeune femme explique : « Mon père possédait une animalerie. Il m’a tout appris sur les chats ! J’imagine que de manière subconsciente je me suis souvenue des chats, même en ayant cette amnésie ! ». Batman décide qu’il faut aller voir le commissaire Gordon pour tout lui expliquer mais s’excuse d’avance de devoir bander les yeux de pour qu’elle ne puisse savoir où se trouve la Batcave. A cette idée de « bander les yeux », le cerveau de la femme se débloque. D’un seul coup elle se souvient.. « Attendez ! Je me souviens ! Dipper ! Le meeting secret ! Mister X ! ». On lui avait en effet aussi bandé les yeux pour la rencontre, l’idée lui rend toute sa mémoire, y compris ses années où elle était Catwoman… Mais sa personnalité reste celle de Kyle. C’est donc très docilement qu’elle accompagne Batman et Robin pour rencontrer le commissaire et lui apprendre ce qu’elle sait de Mister X. Gordon ne perd pas de temps à élaborer un plan : « Catwoman… enfin mademoiselle Kyle. Si vous souhaitez vous racheter pour vos crimes passés vous pouvez le faire en devenant un agent infiltré pour nous ! ». Et Batman est d’accord : « C’est vrai… Tu es notre meilleure piste vers Mister X. Du coup nous voulons que tu reste sa partenaire. Mais n’a vraiment pas le tempérament d’une Catwoman : « Non, s’il vous plait ! Je veux laisser mon passé criminel derrière moi ! ». Batman promet alors : « Et tu le feras… Mais après ! Souviens-toi, si tu fais semblant d’être l’associée de Mister X il n’y aura plus de meurtres ! Tu rendras un service d’utilité publique ! Et si mon idée fonctionne tu n’auras qu’un seul vol à réaliser ! ».

Batman est en train d’expliquer comme Catwoman sera une sorte d’agent secret quand soudain la porte s’ouvre. Un policier amène un prisonnier dans le bureau de Gordon : « Commissaire ! Je viens d’arrêter cette crapule qui transportait une arme ! Il… Oh, désolé je pensais que vous étiez seul ! ». L’ennui c’est que la crapule en question est Mousey, le malfrat que Catwoman a rencontré plus tôt : « Cet homme est dangereux ! Il a toujours voulu rejoindre le camp de Mister X. Maintenant il va sûrement lui dire à propos de moi, pour se placer ! ». Gordon décide donc que pour calmer le jeu on va enfermer Mousey pour port illégal d’arme, jusqu’à ce que l’enquête sur Mister X soit terminée. Une fois Mousey emprisonné, Batman peut finir de sceller son pacte : « Et bien Kyle, alias Catwoman, tu travaille désormais pour la Loi ! Ne l’oublies pas ! ». L’ex-criminelle acquiesce : « Je n’oublierais pas. Sauf si j’ai encore une amnésie ! J’avais peur mais plus maintenant que Mousey est enfermé ». L’ennui c’est qu’au même moment Mousey ricane dans sa cellule. En le fouillant les policiers n’ont pas remarqué une lime cachée dans sa chaussure. Avec l’outil Mousey peut alors commencer à user les barreaux… Il sera bientôt dehors !

Le soir même, Catwoman participe au cambriolage prévu. Il s’agit de s’attaquer à un studio de disques. Elle lâche un chat pourvu d’une sorte de cloche qui fait irruption dans les locaux et fait assez de bruit pour empêcher l’enregistrement de disques. Tout le personnel de la société se lance à la poursuite du chat pour qu’il arrête de faire du bruit… Et pendant ce temps Catwoman et la bande peuvent s’attaquer sans problème à leur objectif : dérober toutes les plaques d’or qui sont utilisées lors de la gravure des « masters ». Le vol réussit Catwoman s’attend à être menée vers Mister X mais la bande lui explique que le patron a donné des ordres : elle ne doit le rencontrer à nouveau que lorsque que tous les vols auront été commis. Plus tard, la femme-chat retourne donc voir Gordon et Batman en leur expliquant que le plan n’a pas marché. Gordon constate : « Ainsi la Welpruf Cash Register Company est la prochaine sur leur liste ! ». Mais Catwoman l’arrête tout de suite : « Oui, commissaire… Mais dois-je vraiment continuer ? Je trouve que voler est si détestable… si horrible ! ». Mais Batman tempère : « Nous allons changer nos plans et attraper Mister X de façon différente, maintenant écoutez… ». Pendant ce temps Mousey continue de s’attaquer aux barreaux de sa cellule. Il n’en reste plus que deux et bientôt il pourra s’évader, aller raconter au gang la trahison de Catwoman…

Plus tard, Catwoman arrive à se motive pour retrouver les gangsters sur le toit de la Welpruf Cash Register Company. Cette fois le problème est que la porte ne s’ouvre que de l’intérieur, quand un garde active un interrupteur. Une fois encore Catwoman a une solution à base de… chat. Elle lance une souris mécanique par la fenêtre, de manière à ce que le chat qui la poursuit ne puisse le faire qu’en bondissant sur l’interrupteur en question. Sous le poids du chat, le système se comporte comme si on avait appuyé dessus. La porte s’ouvre et la bande peut entrer. Mais cette fois une surprise les attend : Batman et Robin font irruption et précipitent les gangsters contre une caisse enregistreuse géante. Les gigantismes de la décoration de Gotham étaient un élément propre à de nombreuses histoires de Bill Finger. Tout ça fait néanmoins partie d’une ruse. Catwoman fait mine de capturer Batman & Robin. Les gangsters, eux, comptent bien profiter de l’occasion pour abattre les deux héros mais elle les empêche de le faire : « Crétins ! Mon deal avec Mister X n’incluait pas la capture de Batman et Robin ! Je veux un bonus pour ça ! Et je ne parlerais pas affaire tant que je n’aurais pas vu Mister X ! ». Dipper acquiesce : « OK ! C’est assez important pour que je le contacte ! ». Vous aurez deviné que pendant ce temps Mousey est toujours en train se scier le dernier barreau de sa cellule. Bientôt il dénoncera Catwoman… et la vie de Batman et Robin ne tiendra qu’à un fil !

Quelques heures plus tard Catwoman, ses « prisonniers » et les gangsters retrouvent Mister X dans une petite ferme à l’écart de Gotham City. Mister X est heureux de la capture, expliquant qu’il a des plans pour Batman et Robin. Mais le chat de Catwoman est toujours furieux d’avoir poursuivi la « souris » un peu plus tôt. Il saute sur les jambes de Mister X et le griffe. Mais « X » ne semble pas réagir. Il exige simplement qu’on jette le chat dehors, sans montrer le moindre signe de douleur. Mister X peut alors à nouveau se concentrer sur l’affaire qui les amène là. Il ordonne qu’on enferme Batman & Robin dans un proche silo à grain… et qu’on y installe une bombe à retardement. Bien sûr, c’est, sur le plan scénaristique, oublier un peu vite que Mister X expliquait en début d’épisode ne pas vouloir risquer qu’on le juge pour meurtre. Peut-être que « X » pense être sur de les tuer sans laisser de témoin. Mais même dans ce cas, pourquoi se donner le mal d’installer une bombe à retardement alors qu’un revolver et une balle feraient l’affaire ? N’empêche. Bientôt Batman et Robin sont enfermés dans la même pièce que la bombe. Batman s’exclame : « Catwoman ferait mieux de ne pas nous décevoir… sinon nous sommes foutus ! ».

D’ailleurs au même moment Catwoman se prépare à agir. Mais elle est arrêtée, surprise par Mister X : « Aha ! Comme je m’y attendais : Elle allait jeter cette fiole, probablement bourrée de gaz soporifique ! Attrapez là les garçons ! ». Le reste de la bande ne comprend pas vraiment ce retournement mais neutralise Catwoman. Mister X explique alors : « Dommage Catwoman ! Mousey s’est échappé de prison et m’a raconté tout ton plan ! Maintenant tu es cuite ! On va t’attacher à un tracteur et l’envoyer s’écraser en bas de la falaise ! Ha ha ! ». Encore une fois Mister X se donne beaucoup de mal pour éviter une mort trop « normale ». Laissés sans surveillance dans le silo à grain, Batman et Robin n’ont certainement pas envie de se laisser faire. Puisque la pièce où ils sont sert aussi à entreposer des sacs de riz, ils ont l’idée d’empiler les sacs devant la porte. Puis Robin se sert d’un tuyau d’arrosage pour mouiller les sacs. Batman explique : « Le riz gonfle énormément quand il est mouillé. C’est un fait connu qu’une cargaison de riz humide est arrivée à briser la coque de navires en bois… ».

Mais quelques secondes plus tard, à la falaise, Mister X et Catwoman aperçoivent l’explosion du silo. Selina s’écrie : « Ohh ! Ils sont morts ! Batman et Robin sont morts ! ». Sans se laisser distraire Mister X ordonne qu’on fasse démarrer le tracteur. Catwoman est attachée à une corde traînée par l’engin, qui fonce vers la falaise… Heureusement qu’on sait que Batman et Robin ne sont pas morts en 1950… Les voici qui arrivent ! L’astuce du riz a fonctionné. Elle a brisé la porte du silo quelques instants avant l’explosion. Les voici libres d’aider Catwoman… Sauf qu’elle fonce déjà vers la mort. Mais puisqu’on est dans une ferme, Batman s’empare d’une faux qui traînait par là et s’en sert comme une sorte de boomerang géant… et tranchant. La faux coupe alors la corde qui tirait Catwoman. Le tracteur part s’écraser tout seul au pied de la falaise. La femme sauvée, Batman et Robin sautent sur les membres du gang et les affrontent tandis que Mister X tente de s’enfuir.

Mais c’est peine perdue : dès que les hommes de main sont neutralisés les héros, Batman & Robin rattrapent « X » et le démasque. Comme Batman s’y attendait, il s’agit en fait d’un homme beaucoup plus maigre qu’il n’y parait et qui porte un costume rembourré et équipé de béquilles pour le faire paraître plus massif et plus grand. Batman s’en était rendu compte parce les chaises ne semblaient pas peiner sous la charge. Et aussi parce que Mister X n’avait pas senti les griffes du chat. Et Mister X est en fait… Mousey, qui se servait de cet autre identité pour faire carrière dans la pègre car autrement il n’aurait pas été assez impressionnant.

Batman lui promet alors un bel avenir en prison… De toute façon on aura bien compris que ce n’est pas Mister X/Mousey la vraie vedette de l’histoire. Il n’est qu’un gangster de pacotille que Bill Finger a inventé à la va-vite sans intention de s’en resservir par la suite. Non, le personnage qui sort transformé par cette histoire c »est bien Catwoman… Si vous pensiez qu’elle allait à nouveau heurter sa tête quelque part et redevenir maléfique, protégeant ainsi le statu quo antérieur… Et bien non !

L’épisode dans lequel on apprend l’identité et les origines de Selina Kyle est aussi celui où Catwoman tourne le dos au crime… Et cesse d’ailleurs d’être Catwoman tout court ! La conclusion de l’histoire nous montre Selina (en civil) qui retrouve Batman, Robin et le commissaire Gordon dans le bureau de ce dernier. Et l’ex-criminelle leur annonce, en leur confiant son costume : « C’est tout ! A partir de maintenant je suis juste Selina Kyle ! Catwoman prend sa retraite ! ». De quoi se réjouir ? Batman est plus mesuré dans sa réaction. Lui n’a pas forcément envie d’en finir avec la femme-chat : « Je demande ! Je pense que d’une manière ou d’une autre la Loi aura de nouveau besoin des services de Catwoman, l’alliée de la police… Et cela pourrait être plus proche que tu le penses ! ». Bill Finger envoie donc Selina Kyle à la retraite… tout en lui promettant un avenir possible de… super héroïne. Et l’épisode s’arrête ainsi, ne semblant pas laisse de place à une marche arrière. Au pire Selina Kyle disparaîtra, se fondra dans la foule des gens honnêtes. Au mieux on la reverra bientôt comme super héroïne. Et il semble bien possible que Bill Finger et DC voulaient poursuivre dans cette voie. La fin des années 40 fut marquée par une certaine féminisation, l’apparition de nouvelles héroïnes (Black Canary, Namora…). En transformant Catwoman en héroïne, Finger avait ce qu’il fallait pour envisager un « spin-off ». Les plus optimistes rêveront de la création envisagée d’un Catwoman #1 à cette époque mais je n’y crois guère, DC n’était pas vraiment dans une logique d’expansion de ses titres à l’époque. Mais Catwoman aurait pu devenir une héroïne dont les aventures auraient été oubliées en « back-up » de Batman, Detective Comics ou encore dans une des autres anthologies de DC. Au pire Catwoman aurait pu prendre la place occupée plus tard par la Batwoman des années 50. La face du petit monde de Gotham en aurait été changée. Mais, à la différence de Black Canary, le revirement de Selina Kyle intervient quelques années plus tard, quelques mois avant que DC commence à calmer le jeu et à renoncer à la plupart de ses super-héros non-iconiques (c’est à dire hors Batman, Superman, Wonder Woman et dans une moindre mesure Aquaman et Green Arrow). Avec la disparition de la Justice Society of America, les ambitions de DC allaient être revues à la baisse.

Et puis après tout Bill Finger semblait montrer la porte de sortie à Selina Kyle quand elle se débarrasse de son costume en refusant de redevenir Catwoman, pas vrai ? Oui, mais tout cela faisait partie d’une sorte de petit feuilleton. Dans Batman #65 (Juin 1951), Finger écrit une nouvelle histoire intitulée « Catwoman – Empress of the Underworld » (« Catwoman, impératrice de la pègre »). Catwoman semble avoir de nouveau basculé du mauvais côté puisque des crimes « félins » se produisent dans Gotham. En fait il s’agit d’une ruse de la part d’un gang de voleurs qui copie volontairement les méthodes de Catwoman pour la faire accuser. Les malfrats pensent qu’au minimum cela détourne les soupçons… Et au mieux, si Selina Kyle est accusée, elle pourrait craquer et finir par les rejoindre. Finalement Selina est obligée de reprendre son costume pour défendre sa réputation. Avec l’aide de Batman & Robin elle arrête les vrais voleurs. Catwoman vient une nouvelle fois de montrer sa nature héroïque. Et cette fois promet moins catégoriquement de cesser ses activités costumées. Dans Batman #69 (Février 1952), Catwoman aide encore le duo « dynamique » dans une histoire toujours écrite par Bill Finger. Mais il faut croire que ces épisodes n’ont pas l’impact prévu sur les lecteurs. Ou que quelqu’un au niveau éditorial n’est guère intéressé par la rédemption de Catwoman. Ou bien c’est Finger lui-même qui peine à trouver des prétextes pour justifier l’intervention de Catwoman dans telle ou telle enquête. L’espacement des épisodes semble être un premier indice dans ce sens : chaque aventure utilisant la Catwoman honnête est séparée par environ six mois. On n’a pas l’impression d’un plan progressant vite… D’ailleurs après Batman #69, DC reste deux ans sans utiliser Catwoman. Pas de mention, pas de petite référence, honnête ou criminelle Catwoman disparaît comme si elle n’avait jamais existé…

Ce n’est que dans Detective Comics #203 (Janvier 1954) qu’on retrouverait Selina Kyle. Mais avec une différence de taille : cette fois l’épisode n’est pas écrit par Bill Finger (la base de référence comics.org attribue la paternité de l’histoire à Edmond Hamilton). Et là c’est une autre paire de manche. L’objectif est évident dès les premières pages. Ramener Catwoman… et la ramener dans sa version « historique », c’est à dire criminelle. Un jour Selina Kyle, qui est devenue la propriétaire d’une petite animalerie, lit dans le journal un article rétrospectif sur les exploits de Batman. Le passage qui parle de Catwoman la ridiculise et, dans les clichés sexistes que les comics véhiculent à l’époque, la vanité de Selina est touchée. Quand Batman vient la voir pour lui jurer qu’il n’est pas à l’origine de l’article qui la ridiculise, Selina est furieuse, convaincue que le héros est venue se moquer d’elle. Au contraire il lui explique qu’il veut qu’elle laisse derrière elle son passé de Catwoman. Mais quelque chose est brisé. Selina réfléchit… « Je me demande… On dit toujours qu’un léopard ne peut pas se débarrasser sa fourrure de ses taches… et le léopard est un félin ! ». Finalement Selina décide de redevenir la « mauvaise » Catwoman afin de retrouver l’excitation de ses débuts et de se tailler une nouvelle réputation : « Ils ne ridiculiseront plus jamais Catwoman ! ». Quand il apprend que Selina a à nouveau versé dans le crime, il est sans pitié : « J’ai tenté de l’aider mais elle a choisi de retourner au crime ! Je dois l’arrêter ! ». Il resterait toujours une relation trouble entre Batman et Catwoman mais la femme-chat ne parlerait à nouveau de se racheter que 25 ans plus tard. Ainsi s’achèvent les quatre ans (1950-1954) de carrière honnête de Catwoman. C’est par conséquent la fin de la rédemption défendue par le seul Bill Finger. Et il faut croire qu’honnête ou malhonnête pas grand monde chez DC ne s’intéressait à Catwoman. Après 1954 et en dehors de réimpressions, il faudrait attendre les années 60 pour la revoir à nouveau apparaître dans une histoire. Ce qui fait qu’on peut se demander si l’épisode d’Edmond Hamilton dans Detective Comics #203 n’a pas été déterminant dans la perception qu’on a de Catwoman de nos jours. S’il n’y avait pas eu cette bascule en arrière (et les un ou deux autres épisodes publiés en 1954 à sa suite), Catwoman serait restée cette criminelle qui avait su se racheter. Et quand seraient venues les années 60, qui sait si on aurait ramené Catwoman comme une voleuse… ou bien au contraire comme une vieille alliée de Batman, qui aurait pu, au besoin, se glisser dans les rangs de la Justice Society. Comme quoi il suffit d’un épisode pour changer le destin d’un personnage sur des décennies.

En 1992, dans le film Batman Returns de Tim Burton, l’origine de la Selina Kyle/Catwoman incarnée par Michelle Pfeiffer ne doit rien à une histoire d’hôtesse de l’air. C’est au contraire une timide secrétaire. Mais après une tentative de meurtre, elle est poussée par une fenêtre et tombe… Sous le choc elle change fondamentalement de personnalité et devient Catwoman. Même si le « coup » est géré autrement, on peut y voir une petite survivance de l’idée de Bill Finger qui la faisait chuter d’un avion et heurter une branche avant de devenir « mauvaise »…

[Xavier Fournier]