Trade Paper Box #41: Crossed T1

26 juin 2011 Non Par Comic Box

[FRENCH] Avec l’énorme (et mérité) succès de « Walking Dead », les éditeurs français auraient tort de ne pas tenter leur chance. A l’image de l’élan retrouvé au cinéma (revival type « Shaun of the Dead »…), la série phénomène de Robert Kirkman a démontré qu’un public existe encore pour les histoires de morts-vivants. Or, le genre a déjà énormément été balisé, arpenté et codifié. Comment tirer son épingle du jeu et produire un comic-book capable de renouveler l’approche ? En se lançant dans le projet (2008), Garth Ennis a probablement souhaité lâcher la bride. Pas de problème, on met sa combinaison anti-éclaboussures et on y va. Parue chez Bragelonne-Milady en mars dernier, « Crossed » n’est clairement pas une BD à mettre entre toutes les mains, et les splash-pages ont rarement aussi bien porté leur nom. Pourtant, même si on pressent effectivement un message que souhaiterait faire passer le scénariste sur les instincts bestiaux de tout individu, toute cette joyeuse folie tarde sévèrement à décoller… La viande serait-elle faisandée ?

« Into the wild »…

Un crachat de leur part et vous êtes condamné à intégrer leur communauté. Alors, une partie de jambes en l’air n’en parlons pas ! Un soir, l’Amérique se trouve confrontée, brutalement, à une mystérieuse infection qui transforme les hommes en bêtes mues par le vice. Le signe distinctif de ces créatures : une croix de chair putréfiée se dessine sur leur visage à mesure que le fléau prend possession d’eux. Bientôt, toute la ville semble contaminée et les rues deviennent le théâtre de scènes dignes de Pandemonium. « Crossed » vous propose ainsi de suivre la lutte pour leur survie d’une poignée d’individus ordinaires, dans une fuite qui doit les conduire vers l’Alaska. Dommage pour les pauvres bougres, il est audacieux de vouloir passer une frontière lorsque les armes lourdes qui y sont disposées sont désormais aux commandes des zombies !

… ou « plat pays »

On apprécie d’emblée la capacité d’Ennis à nous plonger dans une atmosphère crédible. Tout commence par l’irruption d’un « infecté » dans un resto lambda, colonne vertébrale à la main… L’auteur de « Preacher » met en scène un scénario qui dans, ses premiers développement, pourrait offrir un excellent film d’horreur-catastrophe, crash d’avion et émeutes à l’appui. Rapidement, la boucherie commence avec un bout de nez qui se fait arracher à pleines dents. Les premiers véhicules des alentours deviennent incontrôlables et s’encastrent allègrement dans les murs et pylônes du quartier. Sauf que là, les conducteurs sourient encore après être passés à travers le pare-brise et, pire encore, se relèvent pour chercher de la viande à consommer… Après une ellipse de quelques mois, on découvre comment se sont organisés les derniers survivants de la bourgade. Terrés dans des tunnels désaffectés, armés de fusils grattés ça et là, condamnés à la fuite, on croit volontiers à leur migration vers l’Alaska. Car la folie de pareille situation nous semble palpable.

Malheureusement, le scénario évolue peu au cours de ces 128 pages. Du moins, on ne retrouve pas de révélation majeure au programme de ce premier tome, et l’origine du fléau conserve tout son mystère à l’issue de ces 5 premiers épisodes. Avec la plus grande bienveillance qui soit, on ne sait quoi penser. Soit on y voit une BD trop mollement narrée, soit on se dit que le meilleur est à venir et que ce premier tome prépare bien le plat de résistance. Ah, l’éternelle question du verre à moitié plein ou à moitié vide… Quoi qu’il en soit, dans « Crossed », les zombies font preuve d’une inventivité sexuelle étonnante. Ils aiment bien la cuisse, pas de doute là-dessus. En revanche, on n’aurait pas idée de se servir d’une biroute d’emprunt comme d’une matraque ! Allons, messieurs… De même, le rite de la biscotte y est présenté sous un jour nouveau : point de gâchis, car ici, la semence des zombies sert à « infecter » les balles de revolver que nos chers infectés utilisent. Vous l’aurez compris, l’humour un brin « crado » est à l’honneur.

Côté visuel, la copie de Jacen Burrows (« Transmetropolitan », « Chronicles of Wormwood ») est – à l’inverse – propre (trop ?), mais ne réveillerait les morts. Ses dessins, qui ne sont pas vilains, restent tout de même un poil trop figés et les décors bien vides aussi. Il est vrai, à sa décharge, que la colorisation – franchement primitive– n’aide pas vraiment. Seules quelques doubles-pages, là encore, parviennent à faire leur effet. On se surprend alors à jouer à « Où est Charlie ? », en version gangbang pour macchabées. Pourtant, malgré toutes ces réserves, le « look » des morts-vivants est tellement cool, avec cette belle croix de pourriture/brûlure qui quadrille leurs trognes qu’on se sent comme envahi d’une tendresse déplacée pour leur sort (sic). Plaisanterie à part, cette esthétique concourt également à alimenter notre appétit, et on aimerait vraiment connaître l’origine, sinon le sens, de cette contamination. Mais non, amis lecteurs, n’attendez pas de réponses pour ce premier volume, vous n’en trouverez pas. Bigre, alors.

Faire une croix dessus ?

« Crossed » est une BD qui plaira très probablement aux fanas du genre, ne serait-ce que pour ses dialogues fleuris et particulièrement sadiques. C’est vulgaire, c’est sombre, mais ce n’est que du divertissement. Malheureusement, cet album ne compensera pas votre envie de vous refaire un cycle zombies de Romero à « Zombieland », devant votre télé, loin s’en faut. Pour le coup, on en viendrait à souhaiter plutôt un TPB des TPBs ( !). Car devant ce premier tome, on reste circonspect. Ça charcle, ça couche, ça se complait dans le stupre, oui… mais on reste à regret dans le registre du travail « préliminaire ». Etonnant pour des créatures qui vont d’habitude à l’essentiel ! Seuls les derniers épisodes permettront, en somme, d’éclairer cette mini-série, ou au contraire, de la renvoyer dans les abimes des productions sans queue ni tête.

[Nicolas Lambret]

« Crossed », par Garth Ennis (scenario) et Jacen Burrows (dessin), Editions Bragelonne-Milady, Coll. Milady Graphics, mars 2011, 128 p.