Oldies But Goodies: Daring Mystery Comics #6 (1940) (2)

12 mars 2011 Non Par Comic Box

[FRENCH] Chez Marvel/Timely, le besoin d’imiter Superman ne date pas d’hier. Avant Sentry, Wonder Man ou Wundar, l’éditeur avait déjà produit un invincible surhomme, Dynaman. Et s’il devance les autres imitateurs, ce n’est pas simplement qu’une affaire de date de publication : L’auteur avait tout simplement choisi de le placer dans un lointain passé. Quitte à mélanger les époques. Et pas qu’un peu…

En septembre 1940, Marvel rénove un peu la composition de son anthologie Daring Mystery Comics. De toute manière, la liste des personnages utilisés dans ce titre ne sera jamais vraiment fixe, l’éditeur tendant visiblement à promettre à ses lecteurs encore plus de nouveaux « mystery men » sans forcément s’obliger à ce que ces lancements aient des suites. On inventait aussi vite qu’on oubliait ces héros. Difficile de croire que c’était seulement parce que la réaction du public n’était pas au rendez-vous (en produisant le numéro suivant, les auteurs n’avaient pas les moyens de connaître les chiffres de ventes ou l’avis du public).

Sans doute que Martin Goodman, le grand patron de la firme, se contentait simplement de relancer les dès à chaque fois en espérant obtenir, parmi ces nouvelles créations, une gemme qu’il reconnaîtrait immédiatement comme étant un nouveau Sub-Mariner. Si le personnage lui semblait viable, alors il était capable de le lancer directement dans son propre titre (ce serait le cas en 1941 pour Captain America) ou en renfort dans une série existante (comme le Patriot dans Human Torch). Ce n’est qu’une supposition mais il est fort possible que lorsqu’on montrait à Goodman des création déjà produites qui ne l’inspiraient pas mais pour lesquelles il faudrait de toute manière payer, il se contentait alors de les publier en bouche-trous dans des anthologies comme Daring Mystery Comics. Encore que « Daring » aurait bien quelques personnages semi-réguliers comme Marvex. Tout n’était donc pas forcément « jetable » dans la revue mais une partie de ses pages étaient clairement agitées par un « turn over » permanent. Pour preuve, donc, Daring Mystery Comics #6, qui contenait les premières et uniques apparitions du Marvel Boy de Jack Kirby et du moins connu Dynaman de Steve Dahlman.

Dès l’image d’ouverture, Dynaman apparaît comme un personnage costaud, avec une cape rouge, un pantalon bleu et une initiale jaune sur la poitrine. Sans doute soucieux de ne pas aller plus loin dans la ressemblance avec Superman, le dessinateur Steve Dahlman décida néanmoins (à moins que ce soit une intervention éditoriale tardive) que la tunique du personnage ne serait pas bleue mais verte. Qui plus est, Dynaman porte une ceinture de force ainsi que des bracelets qui lui donnent une allure de catcheur de foire (non sans évoquer, par anticipation, certains éléments du costume du Superior de Leinil Yu). Mais c’est surtout par sa coiffe (un petit casque surmonté d’un aileron) que le héros se distingue physiquement de l’archétype de Superman. Pour qui sait détecter les signes dès cette première image, néanmoins, on sent déjà que les ambitions du scénariste (non crédité) lorgne du côté du surhomme de la concurrence. Si Dynaman s’était élancé pour repousser les attaques d’un savant fou, quelque part dans une métropole fictive, le portrait aurait été complet. Trop, sans doute, pour que Marvel accepte de prendre ce risque. En mai 1939 (dans Wonder Comics #1), l’éditeur Fox avait lancé un Wonderman qui est considéré comme le premier imitateur notoire de Superman. DC avait immédiatement attaqué Fox et en avril 1940 (sans doute aux alentours du moment où Steve Dahlman dessinait Dynaman), l’éditeur d’Action Comics avait été reconnu dans son droit par la justice. Tout en reconnaissant qu’ils n’avaient pas le même costume ou les mêmes origines, le juge Augustus Hand avait pointé un certain nombre de similitudes entre Superman et Wonderman, comme le fait qu’ils résistaient tous les deux aux balles et pouvaient sauter par dessus les buildings. En mars 1940, dans Master Comics #1, Fawcett Comics avait publié un autre surhomme, Master Man, lui aussi très fort et très rapide. DC, là aussi, attaquerait, provoquant la disparition rapide de ce deuxième imitateur. Pourtant ces deux « copieurs » n’avaient que peu de rapport, sur le plan visuel, avec leur modèle. Avec son costume, Dynaman avait déjà plus ce problème. Et son nom s’inscrivait clairement dans la même logique que Wonderman, Master Man… Il aurait aussi bien pu s’appeller « Hyperman »…

Pour toutes ces raisons, Dynaman démarrait pratiquement comme si, sur le plan légal, il avait eut une cible sur la tête. Pour faire passer les rapprochements possibles il faudrait que l’histoire se distingue beaucoup des modèles établis. Le scénariste du nouveau héros de Timely fit alors un choix drastique : Baser son personnage dans une époque différente. Difficile de savoir si la chose était calculée mais en le faisant vivre dans un lointain passé, Dynaman pourrait être surpuissant sans avoir à sauter par dessus les immeubles ou à résister aux balles (autant d’éléments qui avaient pesé sur la balance lors du jugement condamnant Fox). C’est pourquoi dès l’introduction de l’histoire, le narrateur insiste beaucoup sur le contexte : « Selon certaines légendes anciennes, il y eut un age distant pendant lequel l’Homme était puissant, aussi bien pas ses connaissances que par ses réalisations. Cette ancienne civilisation était montée si haut que les hommes pouvaient contrôler les forces fondamentales des éléments et avaient acquis des pouvoir superbes tenant de l’esprit et du corps ». On remarquera au passage que le narrateur utilise le terme « pouvoir superbes » (en anglais « superb powers ») en remplacement de superpouvoirs (« super powers »), sans doute toujours dans l’idée de s’approcher de Superman sans pour autant s’y brûler les ailes. Puis le scénariste décrit plus en détail sa civilisation passée: « Cet étrange pays était le royaume de Korug, il était doté d’une architecture magnifique et d’une culture avancée, créée par la connaissance des sages et des patriarches…« .

Puis l’histoire s’intéresse plus particulièrement à un habitant de Korug en particulier : « A cette époque, un jeune d’une beauté physique inhabituelle et d’une spiritualité supérieure arrivait à maturité« . Ce personnage est si fort qu’il étonne même les autres représentants de cette « super-race » (là pour le coup le mot « super-race » est utilisé en toute lettre). En combat régulier il arrive même à battre le plus grand gladiateur du royaume. Le nom de ce jeune homme surpuissant est Lagaro (ce qui, nous précise le scénario, veut dire « Dynaman, l’homme de puissance »  dans la langue de Korug). A Korug, Dynaman n’est pas seulement considéré comme un colosse : il a aussi une mémoire augmentée, qui lui permet de retenir tous les détails d’un livre même s’il ne l’a lu qu’une fois. Considéré comme la fierté du royaume. Chaque matin il s’entraîne en utilisant d’énormes troncs d’arbres comme s’il s’agissait d’altères. Néanmoins toute la puissance de Lagaro/Dynaman et des habitants de Korug ne suffira pas à protéger leur civilisation. Un jour, « après un grand orage« , le pays de Korug est balayé par un grand désastre. L’océan commence à avaler le pays ! « Le continent tout entier continua de couler, jusqu’à ce que les plus grands montagnes disparaissent dans les profondeurs !« . L’histoire fait un peu penser à la disparition de l’Atlantide ou plus exactement à la fin de la version émergée d’Atlantis telle qu’elle est décrite dans l’univers Marvel (et en particulier dans une back-up « Tales of Atlantis » parue Sub-Mariner vol.1 #62) mais on verra un peu plus loin que cela ne colle pas avec la chronologie des événements… Les eaux (d’un océan ou de la Méditerranée ? allez savoir…) se referment sur Korug, qui disparaît sans laisser de trace… Personne n’a survécu. Notre histoire s’arrêterait là ? Non, car soudain à la surface apparaît Dynaman, propulsé comme un missile. Comme il compte parmi ses nombreux pouvoirs le fait de voler, il plane au dessus de l’eau pendant plusieurs jours.

Au terme de ce procédé, on notera donc que Dynaman est bien un pseudo-Superman dont les origines ont été transposées sur Terre. Au lieu d’être une autre planète, sa propre Krypton est une île mais le mécanisme est le même. L’éventail de pouvoirs est également semblable. Si ce n’est que Dynaman vole « en défiant les lois de la gravité » là où, pendant quelques années encore, Superman se contentera de « sauter par-dessus les immeubles ». En un sens, sur ce point, Dynaman devance son modèle. La question qu’on peut se poser, cependant, c’est pourquoi et comment Dynaman est le seul survivant de cette civilisation. Admettons que Lagaro soit un phénomène parmi les siens, qu’il soit le plus fort mais aussi le plus endurant et le seul capable de voler. Ceci explique qu’il en réchappe. Mais avec sa force qui lui permet de soulever des arbres il n’aurait pas pu porter d’autres survivants ? Finalement Dynaman arrive en vue d’un continent et se réjouit de voir de la terre sèche. Ce continent, c’est l’Afrique… car rapidement le surhomme survole les pyramides et le Sphinx dans la vallée du Nil. Lagaro n’en a visiblement jamais entendu parlé et s’étonne, en apercevant les monuments, de découvrir « ce pays étrange »…

La présence du Sphinx nous permet de donner une première fourchette chronologique car la plupart des historiens fixent sa construction aux alentours de -2500 avant JC, les plus « avant(gardistes » allant jusqu’à avancer une date plus ancienne tournant aux alentours de -12000 ou -10000 ans. Prendre l’existence du Sphinx comme repère peut se révéler un peu compliquer dans le contexte de l’univers Marvel puisque la continuité s’est chargé de trouver diverses explications au monument, certains scénarios l’imaginant comme un robot de guerre déguisé, d’autres comme une machine à remonter le temps construite par Rama-Tut. Ces concepts venant se greffer sur l’existence indéniable du vrai monument fait qu’il faut partir du principe qu’il existe plusieurs Sphinx en dehors de celui que nous connaissons à Gizeh, avec au moins un des faux Sphinx qui a la faculté de se déplacer à travers le temps. En dernière analyse le fait qu’on aperçoive plusieurs pyramides dans le paysage fait que le récit se déroule au plus tard il y 4500 ans (date de la construction de la pyramide de Khéops). C’est cet indice qui finit de nous prouver que Korug ne pouvait être l’Atlantis antique, Marvel ayant fixé la destruction de l’Atlantide 21000 ans en arrière. Toujours d’après Marvel, les premiers atlantéens amphibiens (la race de Namor le Sub-Mariner) auraient pris possession des ruines submergées d’Atlantis il y a environ 8000 ans. Si la destruction de Korug est contemporaine de la pyramide de Khéops, elle intervient alors qu’Atlantis est déjà sous l’eau depuis des millénaires…

Comme pour compliquer les choses, le récit va multiplier les indices chronologiques en cultivant les incohérences (on verra un peu plus loin qu’il y a cependant une certaine forme de logique culturelle). Le narrateur nous explique que « En ces temps-là, il existait dans la haute vallée du Nil un « peuple mammouth » nommé la tribu de Gurban. Ils voulaient la guerre et détestaient le pharaon régnant, Khufor. Leur chef, Ribur, voulait la possession totale de l’Égypte. De son primitif château-caverne, Ribur donnait ses ordres à ses guerriers… ». Par « Peuple Mammouth », il faut comprendre des géants. Ribur et ses hommes sont dépeint comme d’imposants hommes des cavernes (vêtus de peaux de bête)  mesurant aux environs de trois mètres. Sans parler de la taille, il est déjà difficile en soi de comprendre ce que font ces échappés de « La Guerre du Feu » à l’époque des Pharaons. Et il évident que si on prend en compte la taille, il devient difficile de croire qu’une telle race aurait pu exister 4500 ans en arrière sans laisser la moindre trace, le moindre squelette. Déjà, on est dans une sorte de « no man’s land » historique qui place le récit quelque part dans le même registre que l’incohérent film « 10 000 » de Roland Emmerich (2008). Mais pourquoi s’arrêter là ? Cerise sur le gâteau (parce qu’au point où on en est…), les Gurbans utilisent comme bêtes de charge d’énormes… brontosaures domestiqués, qui servent à transporter de lourdes catapultes. Nous voici donc dans un espace-temps ahurissant où les pharaons cohabitent avec des hommes des cavernes et des dinosaures !

Les Gurbans attaquent le « château » de Khufor avec leurs puissantes catapultes, tandis que les soldats du pharaon n’ont que des lances et des flèches pour se défendre. Autant dire que c’est comme si les Gurbans avaient inventés l’artillerie lourde.  Haut dans le ciel, Dynaman observe la bataille et s’y intéresse. Instinctivement il décide de prendre fait et cause pour le camp qui a l’air le plus mal en point. Il se pose dont à l’intérieur des fortifications de Khufor et demande à un garde (qui n’a absolument rien d’égyptien) de rencontrer le roi. Bientôt Lagaro est mis en présence de Khufor mais il semble évident que le dessinateur Steve Dahlman n’a jamais rendu la moindre visite au rayon « égyptologie » d’un musée. Son pharaon est un vénérable sage au physique caucasien et à la barbe blanche, qui ressemble plus à Charlemagne qu’autre chose. La chose est d’ailleurs assez répandue dans les comics des années quarante où, colonialisme oblige, l’Occident avait du mal à imaginer que des monuments comme les pyramides aient été l’œuvre du peuple égyptien. On remarquera ainsi que, chez la concurrence, quand on représentait alors la vie antérieure du super-héros Hawkman (qui avait été le pharaon Khufu, autrement dit Khéops), il apparaissait toujours sous les traits d’un prince blanc et blond de surcroît. Il n’est pas évident que Khufor soit pensé comme étant un pharaon historique en particulier. Peut-être, dans la tête des auteurs, s’agit-il d’une autre façon d’écrire Khufu (pour éviter de vexer DC ?). Il est aussi possible que Khufor soit en fait l’authentique pharaon Khafre (fils de Khéops) ou encore que Khufor soit un nom choisi en toute connaissance de cause pour évoquer une sorte de roi que l’Histoire aurait perdu la trace mais qui aurait régné dans cette ère-là. Mais de toute manière Khufor, qu’il ait une base réelle ou soit totalement fictif, ne devrait par ressembler à un Charlemagne qui se serait trompé d’époque.

Dynaman a donc son entrevue face à Khufor. Ce dernier, dont le « château » est assiégé, a quand même d’autres chats à fouetter et demande à son visiteur ce qu’il lui veut. Lagaro se présente alors comme le dernier survivant de Korug… mais le pharaon lui rappelle que l’heure est grave et qu’il n’a pas trop le temps de papoter. Dynaman lui explique donc qu’il a l’intention de mettre ses pouvoirs à son service. S’envolant au dessus du palais de Khufor, l’homme dynamique intercepte les rochers lancés par les catapultes et les renvoient à leur expéditeur. « Par la déesse verte ! Quelle sorte d’homme est-ce là ? » s’exclame Ribur, leader des Gurbans (sans qu’on sache trop ce qu’est la déesse verte dont il est question). Le géant des cavernes ordonne alors qu’on lâche des bêtes sauvages qu’on gardait quelque part… Bien que le texte ne s’étende pas sur le sujet, les bestioles en question semblent être des phénomènes de foire ou des mutants (on voit par exemple un énorme crocodile affublé d’une corne de rhinocéros). Malheureusement pour les Gurbans, Dynaman passe deux pages à écraser ces bêtes, sous le regard consterné des hommes des cavernes. « Il est inhumain », lâche l’un d’entre eux. Bien vite les animaux tombent inanimés au pied de Dynaman, que le récit surnomme « The Man of Might » (« L’homme de puissance »). A ce moment-là, Tibur ne voit pas d’autre choix que de se précipiter seul sur Dynaman. Oui, « Tibur »… Quelques pages plus tôt il s’appelait Ribur… Pour une raison qui échappe sans doute autant au scénariste qu’à nous-mêmes, Ribur/Tibur ne voit pas l’utilité de lâcher sur le surhomme ses armées ou même, allez, ses dinosaures dressés. Il y va seul, avec un couteau de pierre… et Dynaman a vite fait de le projeter dans un arbre voisin (arbre qui doit être gigantesque si on compare la taille du tronc à celle de Ribur, qui fait déjà, lui, trois mètres de haut). Il n’en faut pas plus pour que les Gurbans prennent leurs jambes à leur cou…

L’ennemi mis en déroute, Dynaman est célébré en héros dans le palais du Pharaon. Le royaume du Nil est sauvé. Très humblement, Lagaro explique que cela a été un plaisir de battre celui qui se voyait comme un dictateur (et on peut y voir une référence oblique à ce qui se passait en 1940 en Europe). Contre toute attente, Dynaman ne reste pas avec ses nouveaux amis mais, dans la case finale, décide de reprendre sa route, tandis que le narrateur ponctue cette fin d’un discours prometteur : « Dans quels pays étranges se rendra-t-il ? Quels dangers l’attendent ? Surveillez Dynaman dans le prochain numéro de Daring Comics ! ». En fait, en admettant que ce fouillis historique ait séduit les jeunes lecteurs de l’époque, ils resteront sur leur faim. D’une part le numéro suivant paraîtra des mois plus tard (Daring Mystery Comics #6 date de septembre 1940, le #7… d’avril 1941 !) mais surtout, contrairement à la promesse, il ne comportera aucune référence à Dynaman.

Dans une préface qui accompagne le Marvel Masterworks Golden Age Daring Mystery Volume 2 (qui réimprime, entre autres choses, la présente histoire), Will Murray explique que même si Steve Dahlman et ses éventuels collaborateurs avaient prit le soin de transposer leur pseudo-Superman dans le passé lointain il ne fait pas l’ombre d’un doute que les responsables de DC se soient manifestés pour s’assurer qu’on ne reverrait pas de si tôt la copie. Même si DC n’était pas intervenu, on peut se demander combien de temps aurait tenu le héros maintenant qu’il avait choisi de quitter l’Egypte. Combien d’autres civilisations baroques aurait-il pu découvrir/sauver avant que le scénario tourne en rond ? Dynaman s’arrêta donc à cette aventure initiale biscornue et bizarrement peuplée de dinosaures…

Si d’autres Oldies But Goodies nous ont fait voir que dans l’univers Marvel les dinosaures ont survécus jusqu’à l’ère moderne dans de petites poches isolées, les utiliser au grand jour dans la Vallée du Nil n’est quand même pas du même ressort. Ca n’a rien à voir avec une petite vallée perdue dans le Congo ou une réserve naturelle comme la Terre Sauvage. Et même pour les cours d’Histoire qu’on dispensait au début du vingtième siècle, la ficelle peut sembler un peu grosse. A quoi pensait l’auteur en mixant ainsi hommes des cavernes et pyramides ? En fait il y a quand même une certaine logique littéraire. Il s’agit simplement de la remettre dans le contexte. Les événements font appel à une vision créationniste du monde : Longtemps, la découverte de squelettes de dinosaures (ainsi que la datation qui allait avec) posa un problème aux religions judéo-chrétiennes. Ce n’était pas tant l’existence ou la nature des dinosaures qui créait un souci (le Livre de la Genèse fait référence à une époque où les « Géants » auraient marché sur Terre avec si peu de détails qu’on peut très bien y voir une référence aux sauriens géants). Mais bien la chronologie qu’ils représentaient. C’est-à-dire qu’alors que ces religions partaient du principe que le monde n’avait pas plus de 6000 ans, les dinosaures repoussaient cette limite bien au-delà. Aujourd’hui encore les créationnistes modernes tentent de réfuter l’idée que les dinosaures auraient existé des millions d’années dans le passé, en essayant de réduire la chose à une simple « théorie des évolutionnistes » qui serait avancée sans preuve car (je cite) : « Aucun scientifique n’était présent, à ce soi-disant “âge des dinosaures”, pour les voir vivre » (ce à quoi j’aurais bien envie de leur dire qu’aucun religieux actuel n’était présent pour voir un certain nombre de miracles). Les créationnistes partent du principe que les fossiles sont en fait les os des dinosaures n’ayant pas trouvé refuge à bord de l’arche de Noé lors du Déluge qui se serait produit environ 4500 ans dans le passé. Là, pour en revenir à ce qui nous intéresse vraiment et non pas vers une version hallucinée de l’Histoire, on retombe sur une date (en gros 2500 avant JC) proche des aventures de Dynaman. Et l’engloutissement de Korug (semblable au Déluge) est un indice qui aurait du, déjà, nous mettre sur la voie. Tandis que les créationnistes vont jusqu’à imaginer que quelques dinosaures étaient présents sur l’arche de Noë et ont cohabité avec les humains dans l’après-Déluge, comme l’énorme Béhémoth mentionné dans les passages sur Job. Ajoutons que pour jongler également avec l’âge des Pyramides, qui lui aussi pose problème à ceux qui suivent les écrits religieux au pied de la lettre, certains farfelus ont avancé une « théorie » délirante qui voudrait que, pour arriver à bouger une telle masse de pierres, les dinosaures ont sans doute été utilisés dans la construction de ces édifices. Si on fait le compte, pratiquement tous les éléments chronologiques présents dans l’aventure de Dynaman sont présents dans cette version des choses. Il devient évident que le scénariste a été lourdement influencé par un ouvrage qui devait avancer les thèses créationnistes. Issu d’un Déluge, Dynaman a donc une dimension biblique sous-jacente…

N’empêche que jusqu’à preuve du contraire ce ne sont pas les squelettes de dinosaures qui, avec leurs petites pattes, ont creusé sous la terre pour aller s’installer dans des couches de terrains datant de millions d’années. Si on peut appréhender la logique qu’a décidé de suivre le scénariste en 1940, le résultat ne tiendrait pas deux secondes devant un historien digne de ce nom. Dans cette incohérence temporelle totale, il nous reste cependant les branches de la continuité Marvel pour nous raccrocher. On sait, à travers différents comics, que plusieurs personnages caucasiens et voyageurs du temps ont séjourné dans l’Égypte ancienne au point d’en devenir un temps pharaon. C’est le cas de Kang/Rama-Tut/Immortus (Fantastic Four #19, 1963), ennemi des Quatre Fantastiques ou des Avengers. C’est le cas aussi du moins connu Ashley Hunt (Journey Into Mystery #51, 1959), un pilleur de tombes qui remonte jusqu’à l’an 2699 avant JC dans l’espoir de s’approprier les trésors du pharaon « Tut-Kin-Tut » mais qui finit par perdre la mémoire. Il reste alors parmi les égyptiens en oubliant tout de son ancienne identité, vieillissant jusqu’à porter une longue barbe (ce qui serait raccord avec ce que nous voyons ici. Rama-Tut a également eu un fils, Ramades, qui lui aussi a tenté de conquérir d’autres époques. Si « Khufor » était Rama-Tut ou  Ashley Hunt (ou un de leurs rejetons), la situation aurait l’avantage de permettre d’expliquer la présence d’hommes des cavernes et de dinosaures à proximité des pyramides. Rama-Tut/Kang/Immortus est connu pour utiliser des personnages qu’il a pêché dans diverses époques (comme ses Anachronauts). Donc dans le contexte de l’univers Marvel, l’idée qu’un faux pharaon (Rama-Tut ou sa descendance) ait importé des dinosaures mais aussi quelques hommes des cavernes pour lui servir d’esclaves est cohérente. Dans le cas d’Ashley Hunt, c’est une variante qui s’applique : si Hunt a joué les pharaons blancs pendant quelques décennies, il a laissé à l’abandon une machine temporelle qui a pu se dérégler et amener des créatures d’autres époques sans que personne ne réalise la cause de ces événements. C’est beaucoup d’efforts pour expliquer une masse d’erreurs chronologiques mais, à l’intérieur de l’univers Marvel, cela peut fonctionner et même lancer des pistes vers d’autres histoires.

Pour ce qui est de la nature même de Dynaman, elle s’inscrit elle aussi sans doute assez bien dans la continuité moderne. Korug peut être un certain nombre d’îles perdues qui furent citées au fil des ans (comme, par exemple, l’île que Magneto fait ressortir de l’eau aux alentours d’Uncanny X-Men #150) mais il parait peu probable que les « Korugiens » aient été une des races oubliées que nous connaissons dans l’univers Marvel contemporain. Quand on y regarde bien, Dynaman est beaucoup trop puissant pour être réellement du même peuple (même les gens de Korug s’étonnent de ses exploits) et il semble beaucoup plus probable que Lagaro soit en fait un membre des Eternals (ou d’une race similaire) qui séjournait à Korug (de la même manière que les Eternals modernes de Jack Kirby vivent à New York parmi les humains). Les pouvoirs de Dynaman correspondent à peu près à ceux d’un Éternel. Il se pourrait aussi que Lagaro soit un membre des Inhumans, autre race ancienne de Kirby. Quand un des Gurbans le traite « d’Inhumain », on pourrait penser, après tout, que c’est à prendre au sens littéral. Peut-être les Gurbans pourraient avoir croisés quelques Inhumans et reconnaître de ce fait la nature de Lagaro. L’hypothèse Eternal est cependant la plus intéressante car elle prêterait de ce fait à Lagaro une longévité qui lui permettrait de jouer un rôle dans le présent. Même s’il serait toujours intéressant d’utiliser Dynaman dans son époque d’origine (après tout il pourrait y croiser Konshu, le mentor de Moon Knight, le jeune Apocalype ou encore la mystérieuse Déesse Verte mentionnée par Rubir) le nombre d’histoires potentielles semble limité. C’est cette logique que semblent avoir suivis Alex Ross et Jim Krueger pour leur Avengers/Invaders (2008). Dynaman fait partie des héros que le Red Skull a tenté de tuer grâce au Cube Cosmique dans Avengers/Invaders #12, dans une scène se déroulant en 1943 (Lagaro est montré aux côtés du Patriot et de Miss America). Il faut donc en déduire que Lagaro a traversé les siècles sans vieillir (il est donc soit immortel, soit capable de voyager dans le Temps).

Dynaman reste un pseudo-Superman incrusté dans l’univers Marvel depuis plus de 70 ans (d’autant que dans  Avengers/Invaders et un récent handbook de la firme il apparaissait totalement colorié en rouge et bleu, le vert ayant été remplacé) mais finalement peu utilisé… Pourtant, son existence supposée lui donnerait une longévité de plus de quarante siècles, de quoi intervenir dans de nombreux flashbacks. Et après sa réapparition en 1943, on peut même penser que rien n’empêcherait de l’utiliser dans un contexte moderne…

[Xavier Fournier]

P.S. : Lagaro/Dynaman est le personnage que je citais il y a quelques temps dans les autres commentaires quand il était question de savoir qui aurait été assez costaud pour, dans l’antiquité, casser le nez du Sphinx robot de Journey Into Mystery #59.