Oldies But Goodies: Daredevil Comics #42 (Mai 1947)

17 avril 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Le Daredevil du Golden Age était l’un des héros les plus notables de son époque. Acrobate vêtu de bleu et de rouge, armé d’un boomerang, Bart Hill concurrençait les tirages des meilleurs super-héros de l’époque. Et sa longévité (apparu en 1940 le personnage n’est parti à la retraite que vers 1951) dépasse la plupart de ses collègues de cette période. Autant dire qu’il faisait référence. Ce qui lui arriva en 1947 allait donc tout avoir d’un « Civil War » pour les lecteurs du moment…

Vous ne connaissez pas le premier Daredevil ? Celui dont on trouve des traces aujourd’hui encore dans des séries comme Savage Dragon ou Project Superpowers ? Si c’est le cas, pas de problème, un petit cours de rattrapage est disponible en consultant diverses chroniques précédentes ICI et/ou ICI. Maintenant que nous sommes tous à jour, intéressons-nous à un chapitre important de l’histoire de ce personnage. Un retournement majeur non seulement pour le héros mais pour de nombreuses séries qui allaient suivre… La série Daredevil Comics avait deux devises. D’abord un sous-titre qui proclamait que Daredevil était « le plus grand nom dans les comics » (ce qui est sans doute une des raisons pour lesquelles Stan Lee s’en emparerait quelques années plus tard pour nommer un personnage de sa création). Puis un surtitre placé au dessus du logo qui expliquait qu’il s’agissait du « magazine de comics qui osait être différent« . Derrière ces deux affirmations, la réalité était que Daredevil était une « série de gosses », semblable à bon nombre de concepts inventés par ailleurs (Les Young Allies, la Newsboy Legion, Les Boy Commandos…). Le héros Daredevil (Bart Hill dans le civil) était toujours flanqué d’une joyeuse bande de garnements nommés les Little Wise Guys qui étaient un des éléments forts du titre. Le jeune lecteur pouvait d’identifier aux jeunes compagnons de Daredevil. Mais dans l’après-guerre le concept du super-héros avait tendance à s’essouffler. Il était bien souvent identifié avec un patriotisme qui n’était plus d’actualité. Et petit à petit il devenait évident que la popularité des Little Wise Guys commençait à rivaliser avec celle de leur mentor. Au point que, pour redynamiser la formule, la maison d’édition (Lev Gleason) allait mettre sur pied un événement sans précédent dans les comics…

Tellement, en fait, qu’on sentait un peu la peur de l’éditeur dans un texte d’introduction: « Personne n’aime les changements soudains – L’humour non-contraint, le résultat naturel d’une situation sont toujours plus hilarants […] Daredevil prend son temps mais va au but aussi vite. Il y reste plus longtemps et continuera de le faire tant que nous garderons notre proximité avec les désires de l’audience des comics américains ! Ce n’est pas une chose simple pour certains éditeurs ! Cela nécessite de reconnaître que le lecteur moyen est au dessus d’un Q.I. imbécile. Qu’il est, globalement, logique et possède un cerveau avec lequel il peut penser. L’erreur faite par certains de nos concurrents (ce que prouve vos nombreuses lettres que nous avons digéré avec soin), c’est qu’ils sous-estiment votre intelligence ! Nous ne sommes pas parfaits mais notre moyenne s’améliore de façon constante. Ce qui prouve que nous sommes sur la bonne voie. Tant que vous, lecteurs, nous tiendrez au courant de vos goûts. Cette histoire de Daredevil en est la preuve #1 ! Je suis certain que lorsque vous l’aurez lu vous verrez ce que je veux dire. Et vous êtes responsable ! C’était votre voeux ! » et le texte est signé de la main du responsable éditorial Charles Biro. Mais quel changement majeur pouvait donc provoquer une telle mise en garde ? Avançons donc dans l’histoire en elle-même… Tout commence alors que Daredevil rentre d’une patrouille nocturne. En sautant par dessus une barrière (non sans utiliser certaines attitudes partagées par le futur Daredevil de Marvel), le héros s’étonne à voix haute : « C’est un miracle que les gens n’ont toujours pas réalisés que je suis Bart Hill…« . En commençant à reprendre sa tenue civile, le héros continue: « …Vu que je me change et que je cache mes vêtements dessous le même arbre toutes les nuits« .

Bien sûr, il n’en faut pas moins que pour que non loin de là un homme ait aperçu la scène (et sans doute entendu Bart Hill mentionner son propre nom à voix haute). L’inconnu continue donc d’observer de loin Hill qui commente toujours « Si j’étais démasqué, je serais fini comme Daredevil. Même mon valet pense que je suis juste un playboy tête-en-l’air« . Et, une fois habillé en costume de ville, Bart Hill rentre chez lui (suivi de loin par l’inconnu). Le valet, Williams, informe alors Hill qu’un certain Kilroy est venu le demander plusieurs fois dans la soirée. Bart Hill croit à une blague. Il ordonne qu’on ne le dérange pas et que si ce Kilroy se présente à nouveau on lui fasse répondre de laisser son vrai nom et qu’on le recevra seulement au matin. Il faut dire que « Kilroy » était une sorte de blague pendant la seconde guerre mondiale. L’équivalent d’une « chasse au dahu » militaire à l’attention des forces ennemies : les G.I. avaient pris l’habitude d’écrire partout « Kilroy was here » pour faire croire à l’adversaire qu’une sorte de héros fictif était présent sur la plupart des champs de bataille. Se présenter sous le nom de Kilroy chez Bart Hill, c’était comme s’appeler « Monsieur Incognito » ou « Monsieur Alias ».

Mais ce Kilroy existe réellement. C’est l’inconnu moustachu qui épie de loin Daredevil depuis le début de l’histoire… Il a donc suivi Bart Hill jusque chez lui. Mieux : il y était déjà passé auparavant puisqu’il a laissé son nom au majordome. Il semble donc qu’il connaît bien la double vie du héros. Et maintenant qu’il a vu Bart rentrer chez lui, Kilroy fonce à l’endroit où, quelques instants plus tôt, il l’a vu planquer le costume de Daredevil : « Je vais envelopper cette petite tenue de jeu et ce sera ma preuve A », s’exclame l’étrange personnage tout en reprenant le chemin de la demeure Hill. Là, bien sûr, le majordome commence par réciter les ordres de son employeur, à savoir qu’il est tenu de donner son vrai nom… et de ne repasser qu’au matin. Mais Kilroy insiste : non seulement c’est bien son vrai nom mais il doit voir Bart Hill pour une affaire de la plus haute importance. Devant l’insistance du petit moustachu, le domestique consent à aller en parler à son employeur et donc à taper à la porte de la salle de bains où Bart Hill prend une douche. Mais avec le bruit de l’eau Bart n’entends pas distinctement ce que lui dit Williams. Il lui demande d’entrer dans la salle d’eau… Hélas pour les deux hommes, le serviteur n’a pas remarqué que Kilroy l’avait suivit. Voici ce dernier qui s’introduit dans la pièce et qui prend… une photo de Bart alors qu’il est encore sous la douche. Bart est estomaqué ! Williams tente bien d’arrêter Kilroy mais sans résultat. L’intrus arrive à s’enfuir non sans avoir réussit à prendre quelques clichés de plus…

Cependant Bart est quand même un athlète. Il arrive à rattraper Kilroy en bas du grand escalier de la maison et l’arrêter grâce à une prise. Bart exige l’appareil photo mais Kilroy ne perd pas son sang-froid. Au contraire ce dernier commence à expliquer qu’il sait très bien que Bart Hill n’est autre que Daredevil !!! Le héros tente alors de simuler l’incrédulité… Sans se démonter, Kilroy explique alors que de toute manière l’histoire sera publiée au petit matin dans le journal local, le Hourglass (le Sablier). Visiblement Kilroy est journaliste. Dans un autre effort Bart Hill nie et explique que de toute manière ce sera sa parole contre la sienne. Kilroy, tout sourire, exhibe alors la tenu de Daredevil qu’il a récupéré dans le parc. Bart Hill ne peut répondre que d’un « Ohhh… » de surprise. Puis le héros tente de reprendre le costume mais Kilroy a tout prévu. Il a même pris des photos de Bart en train de cacher le costume ce soir. Il n’y a plus de raison de nier. En dernier espoir Bart Hill tente alors d’expliquer à Kilroy qu’il n’a rien à gagner à révéler cette vérité et que si c’est une question de bonus que lui donnerait le journal, le playboy peut s’arranger. Il propose divers cadeaux…. Une voiture. Un appartement. Tout ça n’y changer rien. Kilroy est incorruptible et s’en va en prévenant que quoi qu’il arrive l’article sera publié au matin. Et là, appuyons sur le bouton « pause »… Ce à quoi nous venons d’assister, ce démasquage du Daredevil du Golden Age par un journaliste évoque (à défaut des détails, au moins au niveau structurel) des événements similaires dans la série Daredevil moderne (celle de Marvel), à l’époque où Matt Murdock fut démasqué par le journaliste Ben Urich. La grosse différence est que Urich se laissait attendrir par Daredevil et décidait de mettre de côté son job de journaliste. Ici, Kilroy est au contraire incorruptible (Non pas que je pense un instant que Frank Miller ait pu s’inspirer de la situation entre Bart Hill et Kilroy pour imaginer sa propre intrigue. C’est un point commun important mais nous allons voir qu’à partir de là les deux histoires divergent énormément)…

Il devient évident que rien n’arrêtera la révélation du lendemain matin. Désespéré, Bart Hill marche jusqu’au dortoir où vivent les Little Wise Guys, la bande de gosses des rues qui aide régulièrement Daredevil. Jusqu’ici, ces gamins étaient fiers d’être les seuls à connaître l’identité secrète du héros. Mais tout ça, forcément, va changer. Dans la pénombre, Bart entre dans la pièce en demandant aux garçons s’ils sont réveillés. Bien vite les enfants allument la lumière en se frottant les yeux, étonnés de voir Bart en civil. Il faut dire que dans ses aventures Daredevil donnait une nette prédominance à son identité costumée et qu’il était rare de voir son alter ego.  Très vite les questions fusent. Bart leur explique alors qu’il est venu leur annoncer la fin de Daredevil. Il a été démasqué. Bart propose aux enfants de venir manger chez lui pour en discuter. Mais les habitudes ont la dent dure et l’un des gosses objecte « Quelqu’un pourrait se douter, s’il nous voit nous glisser dans ta maison, D.D. ! » (car, oui, le Daredevil du Golden Age était déjà surnommé « D.D. », tout comme son homonyme de Marvel plus tard). Les Little Wise Guys sont tellement habitués à ne pas se montrer en présence de Bart, pour qu’on ne comprenne pas qu’il est leur mentor Daredevil, qu’ils n’ont pas encore enregistré le fait que les précautions sont désormais inutiles. Toute l’équipe, surexcitée, prend donc la route de la demeure de Hill où ce dernier, la pipe à la bouche (fumer la pipe n’était pas rare chez les héros de l’époque, Captain America lui-même en était adepte), leur explique sa rencontre avec le journaliste. Les enfants proposent d’aller récupérer les photos. Pour qui se prend-il ce Kilroy ? Ne sait-il pas que s’il est démasqué Daredevil ne pourra plus combattre le crime comme avant ? Mais Bart leur explique que c’est peine perdue. Il y a trop de preuves. Rien ne pourra empêcher la révélation… Les discussions durent si tard que les Little Wise Guys tombent de sommeil. Bart décide de les garder chez lui pour la nuit…

Mais au petit matin, c’est le chaos. Williams a toutes les peines du monde à tenir la porte fermée. Curieux, Bart Hill demande ce qui se passe mais la seule réponse du domestique est « je ne pourrais pas les retenir longtemps ! ». En fait une horde de jeunes femmes hystériques, se rendant compte que Bart est de l’autre côté de la porte redoublent d’ardeur et forcent le passage. Le secret a bel et bien été brisé par la presse. Elles savent toutes qu’il est Daredevil et se ruent sur lui dans un état proche de ce qu’on verra des années plus tard pendant les concerts des Beatles. Elles le veulent toutes ! Réveillés par le bruit, les Little Wise Guys croient d’abord qu’il s’agit d’un tremblement de terre. En sous-vêtements ils se ruent pour voir ce qui arrive… et n’en croient pas leurs yeux ! « Des dames ! Par millions ! » (ce qui est bien sûr une exagération, les Little Wise Guys sont les rois de la démesure). En les voyant arriver, Bart, qui est comme pris dans une mêlée, leur crie « Les Wise Guys ! Dieu merci ! Dépêchez-vous et libérez moi de ces femelles ! ». Mais l’aide des garçons fait long feu : les femmes sont également très admiratives de ces « bambins » et se ruent sur eux pour les couvrir de bisous affectueux. C’est l’émeute et bientôt la police arrive en courant pour calmer la foule et la faire sortir de la demeure…

Bart Hill explique aux policiers qu’ils ont toute sa gratitude. Mais le chef de la police leur explique qu’en lisant le journal ce matin il savait que leur aide serait nécessaire. Bien sûr Bart se doute que l’article de Killroy est paru mais il ne l’a pas encore vu. Le chef ordonne à un de ses hommes d’aller chercher le journal. Un article titré « L’identité de Daredevil enfin révélée » fait la une du journal. Le chef est tout bonnement désolé : « Mes hommes et moi voulions découvrir qui vous étiez mais nous sommes déçus de perdre le meilleur atout de la police que cette ville ait jamais connue ! Nous tenons à vous remercier pour tout ce que vous avez fait ! Et encore on en sait sans doute que la moitié ». Bart, humble, remercie à son tour : « Merci Chef ! Ce fut drôle ! Et l’amitié que j’avais avec vous et vos hommes fut plus importante que tous les ennemis que j’ai pu me faire ! ». Mais là le Chef prévient, au sujet de ces nombreux adversaires : « Justement, maintenant ils savent qui vous êtes. Ils vont vous prendre pour cible. Soyez prudent ! ». En fait ce ne sont des criminels qui viennent, dès que la police a tourné les talons. Mais des profiteurs en tous genres. D’abord des journalistes qui voudraient eux aussi prendre une photo de Bart dans son costume de Daredevil. Puis des producteurs de cinéma qui voudraient lui faire signer un contrat pour tourner un film basé sur sa vie. Bart Hill, débordé, est furieux ! « Ohh… Si seulement je pouvais mettre la main sur ce Kilroy ! ».

Et justement il est là, le Kilroy. Lui aussi est venu rendre visite à Bart Hill. Ce dernier commence par lui passer un savon sévère mais le journaliste ne se démonte pas : « Qu’est-ce qui t’énerve de toute façon ? Tu devrais être content ! La ville entière est dehors pour te rendre hommage ! Des offres d’Hollywood et des centaines de jolies filles qui se jettent sur toi… ». Devant le scepticisme de Hill, Kilroy continue : « Bon, Daredevil, tu te trompes sur moi… je suis un bon gars. On m’a donné comme mission de découvrir qui était Daredevil. C’était mon boulot. Je n’aimais pas çà mais je l’ai fait ! Tu aurais fait la même chose à ma place […] Bien sûr, tu as fait un truc super en combattant le crime et j’y ai mis un frein ! Mais j’essaie de te montrer que tu peux le combattre à une plus grande échelle ! Au niveau mondial ! ».

D’abord nettement hostile, Bart finit par se montrer curieux. Kilroy continue : « Le type pour qui je travaille, tout comme son journal, est pourri. Il y a une place à prendre pour un journal honnête !  Je me prépare à ça depuis des années mais je ne peux le faire tout seul ! Tu es le seul au monde en qui j’aurais confiance pour être mon partenaire ! ». Bart Hill rumine. Oui, c’est vrai, un journal serait un grand atout pour combattre le crime. Kilroy expose alors le projet d’un journal qui ne dirait que la vérité, qui ne plierait pas devant la puissance économique des annonceurs. Et le journal en question s’opposerait aux mauvais américains qui n’ont pas de  respect pour les autres races ou les autres religions ! Le journal défendrait les libertés civiques et soutiendrait les Nations Unies ! Bart Hill est finalement convaincu, à condition que ses partenaires, les Little Wise Guys, fassent partie de l’aventure. Les gosses, eux, n’en reviennent pas. Voici Daredevil partenaire avec le type qui l’a démasqué ? Mais Bart lui-même leur explique que finalement tout est pour le mieux, qu’il sera plus efficace de cette manière. Finalement les Little Wise Guys font comme toujours : ils se rangent à l’avis de leur mentor. Ils font enfin la paix avec Kilroy et tout le monde saute dans la voiture du journaliste pour aller voir si des locaux sont à louer pour leur nouveau projet. Un agent immobilier du nom de Mooney leur propose alors un bâtiment très caractéristique, très anguleux (visiblement le dessinateur s’est basé sur le Chrysler Building de New York, en lui enlevant quelques étages), qui était l’ancien siège d’un journal nommé le Globe (et qui du coup est équipé de ses propres presses à imprimer). Après avoir tergiversé sur le prix, le richissime Bart Hill se décide. Plutôt que de le louer, il va l’acheter. Mooney décide même de faire une énorme ristourne. Quand Hill s’en étonne, l’autre lui explique qu’il n’aime pas faire de l’argent au dépens des autres et que c’est d’ailleurs pour cela qu’il ne sera jamais riche. Devant l’honnêteté de Mooney, Hill lui propose de devenir le business manager de leur futur journal.

Le lendemain, la première réunion des partenaires du dit journal doit résoudre une question. Quel sera son titre. Très vite, un choix est adopté : The Daredevil Press ! Désormais Bart Hill ne peut plus être un super-héros mais le journal continuera de faire vivre le nom de son alter ego (et par la même occasion justifiera que la revue dans laquelle parait ces histoires continue de s’appeler Daredevil Comics). Mais l’équipe de rédaction se heurte à un problème. Oui, ils ont l’immeuble. Oui ils ont les presses. Mais il n’y a personne pour les faire marcher et il leur manque aussi du papier pour imprimer les journaux. Bart Hill estime qu’il leur faudra sans doute un an avant de pouvoir sortir leur premier numéro.  Mais Kilroy a pensé à ça. Avant de quitter son emploi au Hourglass, il s’est arrangé pour détourner l’article à la une de ce journal désormais concurrent (ce qui n’est pas vraiment conforme à l’image de chantre de la déontologie que Kilroy affichait depuis le début de l’épisode mais bon…). L’article du Hourglass titre « Daredevil lance son propre journal » et explique comment il a désespérément besoin d’encre et de papier. Alors que Bart Hill en est encore tout étonné, les Little Wise Guys crient à leur mentor de se mettre à la fenêtre. Au pied du bâtiment de nombreux camions transportant du papier et de l’encre arrivent. Les citoyens de la ville, reconnaissants, se sont mobilisés : Si Daredevil a besoin d’eux, alors il aura tout ce qu’il veut ! Clairement, on n’est pas dans le contexte de l’univers Marvel où la réaction du public serait plutôt de jeter des pierres aux super-héros. Ici, Bart Hill est admiré pour sa carrière de bienfaiteur et remercié comme il se doit… Dehors, on fait même la queue pour avoir une chance de pouvoir travailler au Daredevil Press.

A la fin de la journée Bart est même exténué d’avoir fait passer tant d’entretiens d’embauche. Mais reste à pourvoir un dernier poste : celui de secrétaire du patron. Et Kilroy dit que la fille qui attend a l’air d’être particulièrement intelligent. Bart est estomaqué quand il la reconnaît. C’est Tonia Saunders, son ancienne fiancée ! Et pour bien marquer l’importance de cette relation, Tonia explique : « Quand je t’ai rendu ta bague de fiançailles, ce n’est pas que je ne t’aimais plus. Ta bravoure était même un plus ! Mais je ne pouvais supporter de rester à la maison chaque nuit en m’inquiétant pour toi ». Bien sûr, maintenant que Bart n’est plus un super-héros, ce n’est plus la même chose. Tonia devient donc illico la secrétaire de Bart mais aussi dans la foulée son « love interest ». Encore que Bart a une façon bien à lui de l’annoncer aux Little Wise Guys : « Tonia ne sera toujours pas ma femme. Mais elle sera la chose qui s’en approche le plus… Ma secrétaire ! ».

C’est à ce moment que Kilroy arrive, débordant de joie : le premier numéro du Daredevil Press vient de paraître ! La une annonce la couleur ! Le titre fera la guerre au crime et soutiendra l’humanisme ! Tonia en pleure de joie ! Bart explique alors à son équipe : «  C’est le plus heureux jour de ma vie. Pas seulement à cause du journal mais aussi parce qu’en un tel moment tous les gens que j’aime le plus sont autour de moi ! ». Tout en se moquant un peu de l’émotivité de Tonia, certains des Little Wise Guys cachent difficilement leurs propres larmes, marquant la fin de l’épisode.

Même si vous n’accordez par forcément beaucoup d’importance au Daredevil du Golden Age, Daredevil Comics #42 est d’une importance considérable (mais méconnue) dans l’histoire de la BD de super-héros. C’était un « first » à plusieurs niveaux : c’était la première fois qu’un héros masqué était victime d’un coming-out forcé (bien plus tard le Daredevil moderne, tel qu’écrit par Brian Michael Bendis, en serait à son tour victime mais on peut parler également, dans un style moins subit, du démasquage de Spider-Man à la fin de Civil War #2). C’était aussi la première fois qu’un super-héros décidait de mettre un terme à sa carrière pour passer à des choses plus sérieuses (en exemple plus récent on pourra citer la période à laquelle Diana Prince cessa d’être Wonder Woman pour mieux représenter la femme libérée des années 70). Plus globalement c’était sans doute la première fois que les lecteurs de comics étaient face à un tel changement de direction ! Daredevil avait pris sa retraite et les épisodes à venir ne le montreraient plus qu’en civil, en « simple » patron de presse ! Un peu comme si dans Action Comics Clark Kent avait cessé d’être Superman et continué de faire le bien seulement comme journaliste !

Tout ça s’inscrivait dans une certaine tendance de l’après-guerre où les éditeurs avaient peur que les super-héros soient considérés seulement comme des « casseurs de nazis » et donc déjà un peu démodé. Quelques mois plus tôt, dans cette même tendance, Steve Rogers (dans Captain America Comics #59, en Novembre 1946) avait bien cessé d’être soldat pour devenir professeur. Mais c’était un changement de métier qui ne changeait rien au fait qu’il restait Captain America. Ici, la modification semblait plus profonde. Irrémédiable. Pour les fans de ce Daredevil (et mine de rien pendant le Golden Age la longévité de ce D.D. dépasse celle de Captain America et de la plupart des membres de la Justice Society), il y aurait un « avant » et un « après » Daredevil Comics #42…  Sans doute qu’en toile de fond l’idée des auteurs était de rapprocher encore plus les Little Wise Guys de la Newsboy Legion de DC (dans les aventures de cette dernière le Guardian était en retrait tandis que les jeunes occupaient le premier plan). Il fallait «  ranger » Daredevil de manière à ce qu’on voit mieux les garnements comiques de la série, tourner le dos au genre du super-héros pour faire du titre quelque chose de comparable aux aventures de gosses (façon « la Guerre des Boutons »). Mais si l’histoire semblait ne permettre aucun retour en arrière, le pari était plutôt risqué. C’était un peu comme retirer Wolverine de sa propre série pour y laisser Jubilee et Kitty Pryde qui auraient pris la relève. Il faut croire que la réaction du public ne fut pas celle que l’éditeur attendait puisque, très vite (deux épisodes plus tard, c’est dire si le retour de manivelle fut rapide) une sorte de marche arrière fut amorcée. Si Daredevil Comics #42 est le lointain ancêtre de tous les démasquages de super-héros, alors Daredevil Comics #44 est le précurseur de tous les « retours » qui suivent généralement ce genre de saga, tout en lorgnant également un peu sur le même angle (mais bien entendu avant l’heure) que l’arc « Back in Black » d’Amazing Spider-Man (celui où Tante May est blessée, indirectement parce que Peter s’est démasqué) ou sur le « Born Again » du Daredevil de Marvel.

Pour être précis, Bart Hill redevient Daredevil dans la dernière case de Daredevil Comics #43 (soit un épisode après sa « mise à la retraite ») mais c’est le #44 qui donne toutes les explications nécessaires. Dans cet autre épisode, la pègre se déchaîne contre Bart Hill, puisqu’elle sait désormais qu’il était Daredevil. Elle s’attaque plusieurs fois à lui en tentant de l’éliminer et fait même exploser sa maison, mettant en danger ses proches. Démasqué et se sachant un danger pour ceux qu’il aime, Bart décide de faire croire à sa mort. Et le plan marche globalement, même si à un moment la pègre assassine quand même le responsable des pompes funèbres. Bart (qui n’est plus Bart, mais vous m’aurez compris), se sentant responsable, décide donc de redevenir le super-héros Daredevil et, avec l’aide des Little Wise Guys, de régler les choses à la force de ses poings. Mais quelle sera sa vie quand il ne portera pas le costume rouge et bleu ? Il s’invente un déguisement qui implique de porter un monocle et un chapeau. Comme Bart Hill est supposé être mort, personne ne soupçonnera cet individu plus distingué et un poil plus baroque d’être Daredevil. Incapable de se trouver un nom, l’ex-Bart Hill se fera un temps appeler le Professor (après qu’un des Little Wise Guys lui ait fait remarque qu’il avait l’air d’un prof dans son déguisement). Bien sûr, il y a une lointaine filiation avec Edmond Dantès qui, se faisant passer pour mort, devient le Comte de Monte-Cristo. Mais il est amusant de remarquer que bien des années plus tard le Daredevil de Marvel connaîtrait quelques sagas très similaires dans lesquelles il ferait croire tantôt à la mort de Matt Murdock (son alter ego civil) ou bine à celle de « Mike », son frère imaginaire, pour lequel il se faisait passer en portant un chapeau et une tenue finalement pas si différente de celle du Professeur post-Daredevil Comics #44. Même si on ne se passionne pas pour les aventures du premier Daredevil/Bart Hill/Professor, il y a tellement de choses qui en découlent que les fans de Marvel ne peuvent qu’être intrigués…

[Xavier Fournier]