Oldies But Goodies: Yankee Comics #3 (1941)

27 février 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Les héros aquatiques n’étaient pas rares dans le Golden Age des comics. Si la mémoire du public s’est plus fixée sur des personnages comme Namor le Sub-Mariner ou Aquaman (essentiellement parce que ces personnages ont survécu jusqu’à l’ère moderne) la catégorie des « hommes poissons » était bien plus peuplée dans les années quarante. Le Shark, le Fin et quelques autres défendaient la justice au fond des mers. Rétrospectivement, on se souvient peu de l’étrange Barry Kuda. Comment ça « qui ça ? »…

« Se battant courageusement pour empêcher que le royaume de la Reine Merma tombe dans des mains peu scrupuleuses, Barry Kuda et Algie lancent une campagne sans fin contre les monstres sous-marins » nous explique la présentation de l’épisode dans Yankee Comics #3. Barry Kuda (prononcez « Barracuda », comme le nom du poisson) est un personnage musclé et la chevelure blonde, vêtu d’une tenue couverte d’écailles oranges. Algie est son jeune compagnon, un jeune homme brun vêtu de rouge. Tous les deux sont des « mortels » qui peuvent respirer sous l’eau après être entré en contact avec la civilisation de la belle Merma, une beauté brune dont la chevelure ondule au fil de l’eau. L’ennui, c’est que le royaume de Merma est l’objet de bien des convoitises, chaque épisode amenant son lot d’envahisseurs potentiels ou de coups d’état, le tout se passant dans une cité engloutie où tous les habitants vivent sous l’eau sans le moindre problème.

Au demeurant on sent l’influence de Sub-Mariner (lancé via Funnies Inc. et Marvel en 1939) et de son propre royaume. Ou plus exactement disons que le schéma est inversé. Dans les aventures de Sub-Mariner, le jeune prince d’une race sub-aquatique qui part vers le monde de la surface affronter l’humanité toute entière. Barry Kuda, lui, est un blondinet de type caucasien qui vient mettre de l’ordre dans le monde troublé de Merma, apparu dans Yankee Comics #2.

N’ayant pas de copie, scan, reprint ou microfiche de Yankee Comics #2, il vous faudra cependant vous satisfaire du 3ème numéro du magazine (et donc du deuxième épisode de Barry Kuda). En un seul épisode, le héros avait déjà eu l’occasion de gagner la confiance de la Reine Merma. Alors que sa seconde aventure débute, Merma désire tellement que Barry Kuda reste avec elle, dans son monde, qu’elle est prête à faire de lui son Premier Ministre. Taciturne, Barry répond d’un simple « je vais y réfléchir » parce qu’il n’est à l’évidence pas du genre à foncer quand on lui propose les manettes d’un pays (sans parler du fait que Merma semble toute disposée à lui proposer bien autre chose que le pays). Mais il semble que dans le même temps Algie, le jeune compagnon de Barry, n’est pas enclin à finir sa vie sous l’eau. Il tente de remémorer à son ami adulte que la terre a elle aussi ses avantages. Et Algie a un argument-massue: « Tu te souviens de la serveuse à San Francisco, Barry ? ». Pendant que l’avenir ministériel de Barry est en jeu, l’ancien Premier Ministre, un dénommé Belzam, rumine son envie de vengeance après avoir été chassé du royaume. Notons que Belzam a le corps couvert d’écailles, des oreilles en pointe et une peau verte. De manière assez classique dans les histoires de belle reine dirigeant des cités oubliées, le peuple de Merma a une allure monstrueuse. Mais la dirigeante, elle, a une allure totalement humaine. Là aussi un rapprochement est à faire avec Namor The Sub-Mariner (dans les épisodes des années 40, Namor et ses proches membres de la famille royale étaient les seuls avec une apparence humaine, leurs sujets ressemblant à des nabots difformes). Bref. Belzam n’est pas content et fonce chez les Octos, une nation adverse (laquelle vit également sous l’eau).

Belzam promet alors au roi des Octos d’être son vassal et de lui offrir un millier de perles par jour s’il l’aide à conquérir le royaume de Merma. Mais il faut faire vite, la reine s’est amourachée de ce mortel de Barry Kuda ! Le petit problème de logique dans le plan de Belzam, c’est que fondamentalement les Octos n’ont pas besoin de lui pour attaquer. Pourquoi le mettre à la tête de l’autre nation alors qu’ils peuvent eux-même prendre le pouvoir, sans intermédiaire ? Belzam est donc promptement sacrifié au dieu des Octos, un grand serpent violet qui vit visiblement au fond des océans. Une fois que le dieu a été nourrit, les Octos (parfois aussi appelé les Octo-Men) décident alors de lancer leur attaque. La tentative d’invasion ne passe cependant pas inaperçue et Merma prévient Barry et Algie… Qui se demandent alors si le royaume de Merma a la moindre armée qui pourrait les aider. Sans doute que non : quand les Octos arrivent à leur hauteur, les deux mortels et la reine sont les trois seules personnes qui leur font face. Rapidement Merma n’a d’autre choix que de se rendre, de peur que ses défenseurs ne soient tués.

Le roi des Octos médite : il pourra donner les deux mortels à manger à Slimo (sans doute le nom du dieu-serpent) tandis que la belle Merma pourra passer dans une sorte différente de casserole et devenir sa reine. Merma, en larmes, implore : maintenant qu’elle s’est rendue, il suffirait de gracier les deux hommes et de les laisser repartir vers leur monde. On notera d’ailleurs que dans ce passage le dessinateur travaille à l’évidence d’après une source externe (photo tirée d’un film, d’une affiche ou d’une publicité ?) car le visage de Merma, vu en gros plan, est traité d’une façon beaucoup plus réaliste que dans le reste de l’épisode. Mais le roi ennemi, insensible à la beauté soudainement « photoréaliste » de Merma, objecte : « Il vaut mieux qu’il soit tué de manière à ce que ton amour pour lui soit tué également. Ainsi tu deviendra ma reine et tu pourras apprendre à m’aimer ».

Barry et Algie sont donc enchaînés et offerts en sacrifice à Slimo. Et le serpent des mers s’approche d’eux pour en faire son « 4 heures ». Heureusement, Aquama… enfin Barry, est assez fort et rapide pour arriver à se libérer de ses chaînes (la scène semble impliquer que le héros arrive à « glisser » ses mains hors des menottes, alors que si c’était possible la logique voudrait que ce soit Algie, plus petit, qui y arrive avant). Du coup le serpent Slimo tente d’étouffer en premier le jeune Algie, toujours enchaîné. Libre, Barry peut alors commencer à frapper le serpent du mieux qu’il peut. Mais rapidement Slimo, le dieu-serpent, se retourne vers lui et tente de l’enserrer et d’écraser sa cage thoracique. Avec l’énergie du désespoir, sentant ses os se compresser, Barry arrive à s’emparer des mâchoires du serpent (en gros typiquement pas l’endroit qu’il faudrait toucher chez un serpent dont on ignore s’il a un venin dangereux ou pas, sans parler de la force des mâchoires en question). Mais Barry Kuda tiens bon et arrive à rompre les mâchoires du reptile, le tuant dans la foulée. Le héros peut donc se précipiter vers Algie, inconscient. Mais, ouf, le serpent n’avait pas eu le temps de le tuer. L’objectif est maintenant de sauver la reine Merma.

Au palais du Roi Octo, Merma n’a toujours pas accepté d’épouser son adversaire. Elle résiste. Et le Roi Octo est visiblement de ces garçons polis qui, bien qu’ils arrivent à conquérir les royaumes voisins sans la moindre hésitation, ne sont pour autant pas du genre à jeter de force une reine capturée dans leur lit. Puisqu’il en est ainsi, Octo ordonne qu’on emmène Merma jusqu’à la chambre de torture où on enferme un de ses sujets dans une sorte de machine de mort qui lui broie la poitrine.

Merma, impuissante dans son joli petit bikini rouge, assiste ainsi au calvaire. Octo lui explique alors qu’il traitera ainsi tous les sujets de Merma si elle ne change pas d’avis. C’est gagné : la main sur le front en signe de désarroi, la reine capturée doit se résoudre : pour le bien de son peuple elle deviendra la femme de ce monstre. Plus tard, alors qu’elle est préparée par une dame de compagnie, Merma se lamente : « Hélas, les deux mortels sont morts. Il n’y a plus personne pour me sauver de cet horrible destin ! ».  La voici qui marche aux côtés d’Octo « vers un sort pire que la mort ».

Bien sûr, le lecteur sait, lui, que les deux mortels sont loin d’être morts. Au contraire, ils s’infiltrent au même moment dans le palais d’Octo, profitant du fait qu’une sentinelle ennemie (se sentant sans doute très à l’aise avec toute opposition écrasée) s’est endormie. Neutralisant d’autres gardes, Barry Kuda et Algie arrivent ainsi jusqu’aux geôles où sont gardés les prisonniers de guerre (autrement dit les sujets de Merma). Là, alors qu’ils libèrent leurs alliés, les deux héros apprennent qu’au moment même la cérémonie de mariage a commencé. Barry explique son plan : profiter qu’ils sont de fait à la tête d’une armée infiltrée dans le palais de l’ennemi et se rendre jusqu’à la salle de la cérémonie en neutralisant toute opposition.

Alors que le prêtre est sur le point de prononcer Octo et Merma comme étant « mari et femme », Barry Kuda arrive en hurlant un juron bien yankee « Yipppeee… ! ». Non seulement Merma se réjouit en constatant que « ce sont les Terriens ! » mais, surprise, un autre retournement se produit. Le prêtre lui même s’exclame : « Peuple d’Octoland, votre salut est venu ! Levez-vous et joignez-vous aux braves guerriers du royaume de Merma ». Visiblement obéir à Octo n’avait rien d’une partie de plaisir. Et sans doute, aussi, que le prêtre en question est d’une toute autre religion que celle du dieu-serpent Slimo (sinon il risque d’avoir une sacrée surprise plus tard). Rapidement le roi Octo est non seulement renversé mais tué par ses propres hommes. Le prêtre se tourne alors vers Merma, libérée, et Barry Kuda. Il explique : « Ne soyez pas surpris. Mon peuple vous doit beaucoup. Depuis des années les gens ont tenté de renverser le tyran Octo… Mais ce jour, avec votre aide, ils sont devenus une race qui aime la paix !  Avec Octo hors d’état de nuire, nous pouvons nous poser et construire notre nation au lieu de risquer nos gens dans des guerres sans but ! ». Et une pastille vient marquer sur cette déclaration la fin de l’épisode, annonçant que Barry Kuda apparaît dans chaque numéro de Yankee Comics.

Normalement les habitués des comics parmi vous auront vu comme un air de famille entre Aquaman et Barry Kuda (tous les deux sont physiquement identiques, ont les mêmes pouvoirs, portent la même tunique d’écailles oranges et la grosse différence s’arrête au fait qu’Aquaman porte en plus un pantalon vert). Barry Kuda serait un « clone » à mi-chemin entre Sub-Mariner et Aquaman ? Oui et non. Ce dynamique héros est apparu à la base dans Yankee Comics #2 en novembre 1941. Le même mois paraissait More Fun Comics #73, contenant la première histoire d’Aquaman. Matériellement Barry Kuda donc n’a pas pu copier Aquaman (pas plus que l’inverse). Tous les deux, en cherchant à émuler Namor The Sub-Mariner tout en se gardant un peu de valeur ajoutée ont donc tout simplement choisi un chemin étrangement similaire. Barry Kuda est donc comme un frère jumeau d’Aquaman, né au même moment et adopté par un autre éditeur (DC Comics pour Aquaman, tandis que Barry était publié par Harry Chesler).

En fait la situation est même plus étonnante que cela. Parce que le Aquaman de DC, tel que paru en 1941, était très différent du Aquaman moderne. Son origine et son contexte variaient considérablement de ce qui deviendrait la version classique du personnage. En 1941, Aquaman est le fils d’un savant qui, étant tombé sur les ruines de l’Atlantide (civilisation visiblement détruite depuis des millénaires) a mis la main sur la technologie utilisée par les Anciens pour vivre sous l’eau. Et le savant a appliqué ce savoir à son propre fils (Kurt Busiek s’est largement inspiré de cette origine pour définir sa propre version d’un nouvel Aquaman, dans Sword of Atlantis, après Infinite Crisis). Capable de respirer sous l’eau, l’Aquaman de 1941 erre donc sous la surface mais sans connaître aucun semblable. Ce n’est que bien plus tard qu’on oublierait cette première origine, qu’on en fera le fils (adoptif ou naturel, selon les versions) d’un gardien de phare et d’une princesse atlante. Ce n’est qu’à la longue qu’Aquaman ferait la connaissance du jeune Aqualad (compagnon brun vêtu de rouge) et encore bien plus tard qu’il rencontrerait la Reine Mera, venue d’une autre dimension où tout le monde respire sous l’eau. La version classique d’Aquaman ne date guère, en quelque sorte, que de la première moitié du Silver Age, c’est à dire cheval entre la fin des années 50 et le début de la décennie suivante.

En 1941, Barry Kuda, lui, avait non seulement une ressemblance physique frappante avec Aquaman mais il avait de nombreux atouts qui deviendraient par la suite ceux du héros aquatique de DC. Barry avait, dès 1941, un sidekick vêtu de rouge et aux cheveux noirs (Algie et Aqualad sont comme deux sosies). Et il fréquentait déjà la reine d’un royaume englouti. Même si Merma et Mera sont visuellement plus éloignées, on notera qu’il n’y a guère qu’une lettre de différence entre leurs deux noms ! La ressemblance serait voulue ? Difficile à croire. Barry Kuda est un héros mineur (qui n’a jamais vraiment connu de popularité autonome) de son éditeur. En gros l’homme-poisson n’a connu qu’une dizaine d’aventures avant de rapidement retomber dans l’oubli. Quel intérêt aurait eu DC a calquer son Aquaman sur un personnage qui n’avait pas été populaire ? Toutes, les ressemblances, alors, seraient le fruit du hasard ? Dans une certaine mesure ce serait possible. Ce qu’en France on appelle le « poisson rouge » est nommé par les anglo-saxons le « goldfish » (poisson doré). Que deux héros aquatiques se retrouvent avec une tenue évoquant des écailles dorées n’est donc pas très étonnant. Et qu’on nomme, à près de deux décennies de distance, deux reines de mondes engloutis avec des noms comme « Merma » ou « Mera » n’évoque pas forcément une filiation frontale (elles auraient aussi bien pu se prénommer « Oceania » et « Oceana », leur nom venant en fait de leur environnement).

Reste quand même que tous ces « coïncidences » convergeant sur deux mêmes séries c’est quand même beaucoup à mettre sur le dos d’un simple hasard. Et rien de logique ne viendrait expliquer pourquoi les deux Aquamen blonds se retrouvent affublés d’un sidekick identique. Au demeurant, la seule explication plausible relève du subconscient : les scénaristes d’Aquaman auraient lu, à une époque, les aventures de Barry Kuda et en aurait gardé un souvenir enfoui quelque part, le reproduisant peut-être par accident. Allez savoir… Ce qui est certain, c’est que par cette situation bizarre, Barry Kuda ressemble plus à Aquaman… qu’Aquaman ne se ressemblait à lui-même en 1941. Finalement peu de lecteurs contemporains se souviennent du Aquaman de 1941 (la version où il était le fils d’un savant explorant l’Atlantide). La plupart d’entre eux connaissent par contre le héros blond flanqué d’un sidekick en rouge et lové dans les bras d’une reine sub-aquatique. Bref, ce qu’ils connaissent c’est Barry Kuda rebaptisé Aquaman…

[Xavier Fournier]