Oldies But Goodies: Silver Streak Comics #13 (Août 1941)

Oldies But Goodies: Silver Streak Comics #13 (Août 1941)

21 avril 2012 Non Par Xavier Fournier

[FRENCH] Daredevil est un nom qui, pour les lecteurs modernes que nous sommes, fait immédiatement penser à l’univers Marvel. Parce qu’un Daredevil contemporain est venu supplanter l’original. Le premier Daredevil, personnage à succès publié chez Lev Gleason n’avait cependant rien à voir avec le Marvel des années quarante. Tout au moins officiellement. Mais rapidement plusieurs gros indices allaient démontrer que cet éditeur lorgnait énormément sur ce qui se faisait chez Timely/Marvel et plus précisément dans les pages de Captain America Comics. Au point de venir y piquer certaines adversaires sans la moindre gêne… D’où la curieuse affaire du Crâne Écarlate !

En principe, il n’y a pas photo : Le Daredevil du Golden Age (Bart Hill, reconnaissable à son costume bicolore, d’abord jaune et bleu puis finalement rouge et bleu sous sa forme classique) a fait ses début dans Silver Streak Comics #6. Ce héros ne risquait donc pas de copier quoi que ce soit sur Captain America (ce dernier étant lancé en 1941). Pour tout dire, même, Daredevil évoquait plutôt une sorte de mélange entre Batman et le Phantom. Le boomerang de ce Daredevil faisait en tout cas beaucoup plus penser au batarang du héros de Gotham qu’au bouclier de Cap. Idem pour la tragédie personnelle (ses parents avaient été assassinés) qui avait fait que Bart Hill devienne le justicier Daredevil, surnommé « le Maître du Courage ». Tout ça reste du principe. Car s’il est certain que lors de sa création Bart Hill ne pouvait pas, techniquement, avoir été copié sur un Captain America pas encore publié, son éditeur allait par contre copieusement se rattraper par la suite en empruntant une recette émergeante de Marvel : l’utilisation d’Hitler. En Mars 1941, Captain America Comics #1 avait été la première BD américaine à oser mettre sur sa couverture un super-héros en train de casser la figure à Hitler, plusieurs mois avant que les USA entrent dans la seconde guerre mondiale. C’était un risque pour l’éditeur (l’actualité internationale pouvait basculer à tout moment et certains pouvaient même lui reprocher d’avoir ridiculisé un leader politique étranger). Mais le risque fut payant. Captain America Comics fut un succès énorme et propulsa le héros du titre au rang d’icone patriotique. Lors de ses débuts, Daredevil avait été, lui, lancé dans la revue Silver Streak Comics. C’est à dire qu’il ne possédait pas encore son propre titre mais très vite il se révéla assez populaire pour que Lev Gleason pense à le faire monter en puissance, un peu à la manière d’un Batman qui était d’abord apparu dans Detective Comics avant d’évoluer aussi dans une série à son nom. Mais pour le booster l’éditeur emprunta non pas la stratégie de DC mais bien celle de Marvel. En lieu et place d’un Daredevil Comics #1 fut publié « Daredevil Battles Hitler #1 » en juillet 1941 (Puisqu’il se trouve que nous avons déjà parlé plus en détail de Daredevil Battles Hitler #1 les lecteurs peuvent se reporter à cette précédente chronique). Lev Gleason poussait ainsi la recette en allant encore plus loin. Non seulement Hitler était attaqué par les principaux héros de la firme mais cette fois on n’était même plus dans le domaine de la caricature, avec une photo à peine retravaillée et surtout le nom du leader nazi incorporé au titre ! Une bonne technique qui aura permis de booster le lancement de deux héros à quelques mois d’écart ? Certes mais ce rapprochement avec Captain America et le nazisme nous amène à Silver Streak Comics #13, paru un mois après Daredevil Battles Hitler #1 tout en démontrant là aussi une volonté délibérée de se rapprocher des recettes de Timely/Marvel…

La chose est manifeste dès la page d’introduction. Sous un logo omniprésent de Daredevil, le narrateur annonce : « Et maintenant le rideau s’ouvre sur une histoire de corruption et d’esprits criminels, qui manigancent pour détruire la marche de la vie démocratique… et de comment Daredevil les défie et ouvre… l’AFFAIRE DU CRÂNE ECARLATE ! ». Et là, sur l’image, tenant une dague se tient un personnage habillé dans une tenue verte mais reconnaissable, surtout, à son masque à l’effigie d’un crâne grimaçant… Le Scarlet Skull (« Crâne Écarlate ») est à l’évidence une copie conforme du Red Skull (« Crâne Rouge »), l’ennemi juré de Captain America. Les deux personnages n’ont pas seulement un masque identique (statistiquement cela pourrait s’expliquer : on a vu qu’un grand nombre de criminels des comics utilisaient le motif du crâne ou du squelette. A partir de là, que le crâne soit vert ou rouge pourrait tenir d’un concours de probabilités). Mais non. Car le Scarlet Skull n’a pas seulement le même crâne. Il porte EXACTEMENT la même tenue que le Red Skull lors de sa première apparition (Captain America Comics #1) quelques mois plus tôt. Et là, la chose est un peu grosse pour pouvoir être mise sur le dos d’un simple hasard. D’autant que les motivations du Red Skull et du Scarlet Skull sont, elles aussi, similaires…

Tout commence alors qu’un bal est donné à Washington, lors d’une fête nationale. Les convives dansent et parmi eux un couple discute : « On ne se douterait pas qu’il y a une guerre terrible en Europe en ce moment ! » dit la femme. Mais son cavalier change de sujet : « N’y pensons pas ce soir ». Le narrateur nous explique que les invités cherchent à oublier au moins pour une soirée la réalité d’un monde troublé. L’auteur (le scénariste/dessinateur Don Rico) instaure ainsi ce simple bal mondain dans le contexte historique de la seconde guerre mondiale. Un conflit qui ne concerne pas encore l’Amérique mais à l’évidence les personnages présentent savent très bien que la guerre est à leur porte. Parmi les invités on trouve également le millionnaire Bart Hill (Daredevil en civil) et sa fiancée Tonia Saunders. Ceux qui connaissent le Daredevil du Golden Age l’associent le plus souvent avec les Little Wise Guys (les « Petits Malins »), une bande de gosses des rues toujours dans son sillage. Et c’est vrai qu’à partir d’une certaine époque de la série, Daredevil donne l’accent sur les quartiers populaires, comme un justicier masqué façon « Superbarrio », un luchador qui aiderait plus spécialement les enfants pauvres. Mais les Little Wise Guys ne sont apparus qu’en 1942. Et en 1941 Bart Hill s’en tient encore au modèle Batmanien, ressemblant par conséquent plutôt au richissime Bruce Wayne. A noter cependant un point où Bart Hill/Daredevil se distingue de Bruce Wayne/Batman : la fiancée de Bart, Tonia, est au courant de la double identité de son amoureux. Mais dans l’histoire qui nous intéresse aujourd’hui, Bart Hill tente de passer inaperçu dans ce milieu oisif et joue à l’idiot. Et même au goujat. Il s’extasie devant Tonia du nombre de belles femmes qu’il y a ce soir. Pas dupe, Tonia lui dit d’arrêter de jouer au playboy et de regarder plutôt qui vient d’entrer dans la pièce. Eric Sinhart, un agent d’un « réseau international d’aventuriers nazis » vient d’arriver, flanqué de deux hommes de main. Bart Hill s’énerve : Bon sang ! Il a le culot de venir ici ! Regarde ! Il va présenter ses respects au Président ! ».

L’Amérique n’étant pas encore en guerre, le fait qu’un nazi puisse apparaître au grand jour où même rencontre le Président des USA pour des raisons diplomatiques est en effet tout à fait possible. Mais Daredevil sait ce qui est bon ou pas. Et clairement le nazisme ne représente rien de bon, que les USA soit en guerre ou pas. Bart Hill s’approche donc assez de Sinhart pour l’observer alors qu’il est en train de mentionner le Président à un de ses hommes. Sentant que quelque chose se prépare, Bart Hill prévient Tonia qu’il s’en va. Il va prendre Sinhart en filature. Quelques instants plus tard, alors que la voiture du nazi quitte les lieux, une silhouette costumée rouge et bleue monte sur le pare-choc arrière (une « méthode » de filature souvent utilisée par des héros Marvel comme Captain America ou The Angel). Vous l’aurez compris, Bart Hill a changé d’identité. Daredevil entre alors officiellement dans l’aventure. Bien sûr, la limite de ce genre de filature est que vous avez intérêt à ne pas vous trouver encore à l’arrière quand l’occupant de la voiture descend. Quand Daredevil note que le véhicule est en train de ralentir puisque bientôt arrivé, il saute et se cache derrière un arbre. Le héros observe alors Sinhart qui entre dans une maison.

Mais une voix s’éléve derrière lui : « Vous cherchez quelqu’un, monsieur Daredevil ? ». Ce dernier se retourne… Il est menacé par un étrange individu tout habillé de vert, qui porte surtout un masque rouge de « tête de mort ». Brandissant un revolver, l’inconnu se présente : « Votre serviteur, le Scarlet Skull ! Et maintenant marche jusqu’à la maison ! ». Mais là les choses diffèrent beaucoup du modèle habituel. Daredevil (qui est après tout le « Maître du Courage ») ne se laisse pas démonter pour si peu. Il assène un premier coup de poing au Scarlet Skull, le désarmant. Puis un deuxième coup assomme l’inconnu au crâne rouge. Le Scarlet Skull semble neutralisé en deux cases. Même Daredevil est étonné de la rapidité du combat : « Ah… ne me dis pas que tu es tombé dans les pommes ! ». Mais le héros profite de la situation : il enfile le costume du Scarlett Skull et, en se faisant passer pour son adversaire, peut ainsi pénétrer dans la maison des nazis.

A l’intérieur une surprise l’attend. Si on le prend bien pour le Scarlet Skull, comme prévu, Daredevil trouve Sinhart… en compagnie du Président ! Sinhart demande alors à la silhouette sinistre si elle a pu se débarrasser de l’intrus. Visiblement le nazi n’avait pas manqué de remarquer que quelqu’un s’était accroché à l’arrière de sa voiture. Le faux Scarlet Skull assura alors l’avoir attaché et jeté au fond de la cave. Mais Daredevil se demande bien ce que le Président peut faire là. Jusqu’à ce que ses deux interlocuteurs lui demandent ce qu’ils pensent du « travail de maquillage ». Et le « Président » demande alors s’il ressemble bien… au Président ! C’est visiblement un imposteur. De justesse le faux Scarlet Skull comprend la supercherie. Si la même histoire était racontée de nos jours, il y aurait sans doute une situation à la « Face Off » à détailler, avec un nazi déguisé de manière à ressembler au Président tandis que le héros se fait passer, lui, pour un nazi. Mais à l’époque ce genre de récit est court. Il ne laisse pas la place à d’énormes complications. Sinhart explique alors qu’il va résumer à nouveau le plan afin de s’assurer que tout le monde a bien compris (astuce scénaristique qui permet aussi et surtout de détailler les choses pour les lecteurs un peu plus lents. Et vu que l’âge moyen du lectorat à l’époque devait se situer sous la barre des dix ans, ce n’est sans doute pas du luxe) : « Toi, le Skull, tu dois arriver à déjouer les gardes du Président, t’introduire dans sa chambre et le kidnapper ! Puis Condor, ici présent, prendra sa place comme Président des USA et sabotera de l’intérieur le gouvernement ! ». Le faux Scarlet Skull continue la supercherie et assure qu’il fera son job, qu’ils peuvent entrer en action dès à présent. C’est aussi l’avis de Condor, le faux Président. Mais Sinhart surprend les deux autres en expliquant qu’avant de partir il leur reste quelque chose à faire : « Descendons dans la cave et débarrassons-nous de Daredevil ! ». Et çà, le héros ne l’avait pas vraiment prévu.

Les deux nazis descendent au sous-sol en expliquant qu’ils seront plus tranquilles une fois qu’ils auront tué ce gêneur. Le faux Scarlet Skull ferme la marche. Mais bien sur en bas il n’y a aucun prisonnier. Sinhart et Condor, trouvant l’endroit vide, s’exclament « Il n’est pas là ! ». Daredevil décide alors de mettre fin à son imposture. Derrière eux il vient de poser son déguisement du Scarlet Skull et s’écrie « Je suis juste derrière vous, Gentlemen ! ». A un contre deux, Daredevil n’a pas de mal à prendre le dessus dans la bataille qui s’engage alors. Très vite Sinhart et Condor tombent à ses pieds, inconscients. Et le justicier fanfaronne même un peu : « Hmmm… Je dois devenir vieux ! Ca m’a pris plus de cinq secondes pour mettre K.O. ces canailles ! ». Puis Daredevil s’élance vers l’extérieur. Il veut vérifier que le vrai Scarlet Skull est bien toujours hors d’état de nuire. Vous me direz que de toute manière, vu le peu d’endurance dont a fait preuve le nazi masqué plus tôt il ne représente pas vraiment une menace. Mais les événements vont aller dans une direction imprévue…

Car pendant ce temps Tonia est arrivée sur les lieux. Elle a suivi Daredevil jusqu’au repaire nazi (il faut croire qu’elle roulait en voiture derrière Sinhart, ce qui fait qu’au lieu de se donner la peine de monter sur le pare-choc Daredevil aurait tout aussi bien pu prendre place dans ce second véhicule). La jeune femme attend à l’extérieur en s’inquiétant : « C’est la maison où il est entré. J’espère qu’il n’a pas eu de problème ! ». Là aussi le scénario prend un tournant curieux puisque pour savoir que Daredevil est entré dans la maison Tonia aurait du être au courant du déguisement emprunté (si elle s’était contenté d’observer les lieux elle n’aurait vu qu’un inconnu portant un masque de crâne rouge). Mais on devine qu’à ce stade le scénariste Don Rico se moque un peu des finitions : il s’agît avant tout et surtout d’expliquer que Tonia se trouve sur les lieux. La vraie finalité de la scène se comprend quand quelqu’un saute sur l’amie du héros. Le vrai Scarlet Skull a en effet repris ses esprits, bien que ne portant plus son masque (il a cependant sa tenue verte, ce qui est curieux puisque Daredevil est supposé l’avoir empruntée pour entrer dans le repaire). Le nazi s’écrie : « Ha-Ha ! Je vais coincer Daredevil à travers toi ! ». Sous le choc Tonia s’évanouit. Le Scarlett Skull a donc un otage. C’est à ce moment-là que le héros sort de la maison. Le malfaiteur se glisse derrière lui et l’assommer avec une matraque.

Désormais le Scarlet Skull a deux prisonniers. Il descend les deux corps à la cave (où on ne voit ni Condor ni Sinhart, il faut croire que Daredevil les a enfermé ailleurs avant de sortir de la maison) et se précipite sur son déguisement, que le héros avait laissé à terre. Le Scarlet Skull fait alors preuve d’une dépendance presque maladive à son alter-ego : « Ah ! Et voici mon déguisement de Skull ! Je me sens mieux avec ça ! Mon propre visage est trop laid ! Même pour moi ! ». On sent le poids d’une certaine caricature ici car tout au plus le Crâne Écarlate est chauve quand on le voit sans son masque. Don Rico ne s’est pas donné la peine d’en faire un personnage défiguré. Mais enfin bon, quelques années plus tard le « simple » traumatisme de devenir chauve servirait à justifier le fait que Lex Luthor ait basculé dans le crime. Peut-être qu’ici le Scarlet Skull fonctionne sur un ressort du même genre. C’est à dire qu’il n’est pas vraiment défiguré mais, par orgueil ou par démence, préfère cacher son vrai visage. Quand Daredevil reprend conscience, il est attaché, son corps pendant sous ses mains liées. Tonia, toujours inanimée, a été partiellement déshabillée et installé sur une sorte de roue de torture mal définie. Visiblement le Scarlet Skull préfère se rincer l’œil quand il torture des femmes. S’apercevant que le héros s’est réveillé, le nazi jubile : « Juste à temps pour me voir découper ta petite amie en lambeaux ! ». Évidemment Daredevil est scandalisé et demande même qu’on le tue, lui, au lieu de toucher au moindre cheveu de Tonia !

C’était l’effet recherché. Le Scarlet Skull compte bien tuer la jeune femme avant Daredevil, de manière à ce que ce dernier assiste impuissant au meurtre de sa fiancée. Mais Bart Hill est un dur à cuire : « Bon sang… Ce que j’aimerais te faire si je pouvais mettre mes mains sur toi ! ». Le Scarlet Skull ironise : »Ah oui ! Mais tu ne peux pas, justement ! ». Daredevil reconnaît que c’est le cas mais… que le nazi a oublié de lui attacher les pieds ! Dans un mouvement de balancier Bart donne donc un double coup de pied à son adversaire, qui tombe à la renverse. Profitant que l’autre est à terre, Daredevil tente alors de se libérer. Mais il n’a fait que sonner le Skull pendant quelques instants. Bien vite l’assassin se redresse et s’approche de son prisonnier. Finalement il a changé d’avis. Daredevil représente une trop grande menace pour qu’on le laisse vivre. Il va le tuer sans attendre. Heureusement les précieuses secondes ont permis au héros d’affaiblir ses liens. Il se libère des cordes et un combat à la loyale s’engage… Et dans ces conditions là le Scarlet Skull (donc on comprend bien que ce n’est pas un as de la boxe) ne peut qu’à nouveau être battu. Le nazi inconscient, Daredevil se précipite au secours de sa belle et la libère. On notera d’ailleurs que l’aventurier ne se montre pas forcément toujours très prévenant. Alors que Tonia, traumatisée, explique que l’expérience a été horrible, Bart se montre peu compréhensif et même pressé : « Sors de là vite ! J’ai du travail qui m’attend ! ».

Une heure plus tard, au commissariat de police, un homme est occupé à lire un épisode de Silver Streak : « Bon sang ce type, Daredevil… Quel personnage ! J’aimerais qu’il existe et travailler pour nous ! ». Et bien sûr c’est le moment que choisi Daredevil pour faire irruption dans la pièce : « Alors, on parle de moi, Mahoney ? Tiens, j’ai une note pour toi ! ». Au passage on notera une petite « private joke » dans ce passage : Mahoney n’est pas un nom choisi au hasard. C’est le nom de famille de l’épouse de Jack Cole, responsable éditorial du titre mais aussi celui qui avait véritablement réinventé Daredevil au deuxième épisode (alors que dans le premier c’était un héros muet vêtu de jaune et bleu). Mahoney est donc au mieux un clin d’œil à la femme de Cole… Ou une manière de mettre en boîte le beau-père de ce dernier. Que ce soit une mention affectueuse ou au contraire un pied de nez à la belle-famille de l’éditeur, l’inspecteur Mahoney se retrouve vite seul. Daredevil s’éclipse sans demander son reste, laissant son message derrière lui. Il y explique à quelle adresse les forces de l’Ordre pourront trouver trois agents nazis qui étaient sur le point de kidnapper le Président… Et sur cette victoire l’histoire s’achève.

Ironiquement ce terme de Crâne Écarlate allait refaire surface des décennies plus tard en France, quand l’éditeur Arédit/Artima s’occupa de traduire la série de Captain America. Dans les premières années, la société utilisa le même nom que le concurrent Lug pour identifier le nazi masqué. Ou plus exactement d’ailleurs c’est Lug qui utilisa le même terme (« Crâne Rouge ») qu’Arédit/Artima. D’ailleurs il ne semblait pas y avoir à hésiter, la traduction de « Red Skull » étant évidente. Jusqu’en 1975 où Arédit/Artima changea brusquement son fusil d’épaule et se mis à traduire systématiquement « Red Skull » par… Crâne Écarlate. Certains ont théorisé qu’Arédit/Artima avait préféré ne pas utiliser le nom de « Crâne Rouge » de peur qu’on l’associe à de l’anti-communiste où que la commission de surveillance des publications pour la jeunesse (où siégeaient, entre autres, des communistes) aurait pu avoir forcé cette traduction. Mais les deux hypothèses semblent délirantes. D’abord, s’il avait fallu rebaptiser tous les personnages « rouges » en « écarlates » à cause d’un caprice de la commission, la chose se serait retrouvée dans toutes les traductions de l’époque et pas seulement chez Arédit/Artima. A plus forte raison parce que l’éditeur a d’abord utilisé le nom de Crâne Rouge pendant des années avant de changer vers 1975 (la date a été vérifiée par Jean-Michel Ferragatti). S’il est vrai que la commission a accueillit des communistes, l’époque où ceux-ci faisaient régner un certain anti-américanisme remonte plutôt aux années 50, éventuellement aux années 60. Mais il est clair que si de sombres censeurs communistes avaient été en position de décider du contenu des histoires dans les années 70, Arédit/Artima aurait connu d’autres problèmes que la traduction de « Crâne Rouge ». D’ailleurs la meilleure preuve est que l’éditeur n’aura aucun problème à publier les violentes tirades anti-communistes de Captain America dans Avengers #18. La chose est plutôt à mettre sur le compte de certaines traductions aléatoires de l’époque (le même genre de « traduction » qui fera que Deathlok sera rebaptisé en « Cyberman » chez le même éditeur). De fait, les lecteurs français furent ainsi exposés à un Red Skull transformé en Crâne Écarlate pour un simple caprice éditorial.

Si le scénario est clairement différent des premières escarmouches opposant Captain America au Red Skull, on est néanmoins surpris au premier abord par la manière assumée de copier ce dernier pour en faire le Scarlet Skull. Un personnage il est vrai moins compétent que son modèle (le Red Skull, lui était capable de tenir tête à Captain America lors d’un combat) mais identique en tous points sur le plan visuel. Comment le scénariste/dessinateur Don Rico et le responsable éditorial Jack Cole purent-ils oser sans introduire la moindre modification (par exemple en faire un « Purple Skull » ou quelque chose de ce genre…).

Rétrospectivement la chose peut paraître énorme au lecteur moderne. Encore faut-il se remettre dans le contexte de l’époque. De nos jours le Red Skull est bien connu des amateurs de Marvel. C’est même en un sens le premier super-villain récurrent de Timely/Marvel et celui qui peut se targuer de la longue existence. Des comics entiers lui ont été consacrés. En apercevant le Scarlet Skull, le lecteur d’aujourd’hui ne peut donc penser qu’au seul Red Skull. Impossible de faire l’impasse. Mais ironiquement en 1941 la chose n’était pas si évidente que ça. Et pour une bonne raison : Dans Captain America Comics #1, le Red Skull n’était qu’un personnage périssable parmi d’autres. Il semblait mourir à la fin de son premier combat contre Captain America. S’il ne fait pas de doute que Rico et Cole s’inspirèrent de lui pour « inventer » leur Scarlet Skull, ils le firent probablement que le Red Skull n’était jamais qu’un saboteur nazi éphémère qu’on ne reverrait jamais.

Puisque Silver Streak Comics #13 est paru officiellement en août 1941 alors que la date de sortie de Captain America Comics #1 est mars de la même année. On peut en déduire facilement que cette histoire de Daredevil contre le Crâne Écarlate a sans doute été produite au plus tard au moment où Captain America Comics #2 a été mis en vente. Peut-être même avant. Dans Captain America Comics #1, le Red Skull semblait avoir trouvé la mort. Rien ne laissait deviner qu’il reviendrait pour devenir l’adversaire le plus régulier et le plus connu du patriote masqué. Ce n’est que dans Captain America Comics #3 que les auteurs décidèrent de trouver une astuce pour expliquer qu’il n’était pas mort. En réalisant Silver Streak Comics #13, Rico et Cole pouvaient croire qu’ils singeaient un personnage qu’on ne reverrait jamais. Même leur titre, « The Affair of the Scarlet Skull », trahi la filiation précise avec la première apparition de « Crâne Rouge », intitulée « The Riddle of the Red Skull ». En lieu et place de « l’énigme du Crâne Rouge » on avait donc droit à « l’affaire du Crâne Écarlate » mais on voit bien à quel point les terminologies sont proches. Et ce qui est drôle, en un sens, c’est qu’eux avaient pris la précaution de ne pas tuer le Scarlet Skull à la fin de l’histoire. Le nazi était donc libre de revenir empoisonner la vie de Daredevil. Sauf, bien sûr, qu’entretemps Timely s’était ravisé. L’éditeur avait non seulement ramené le Red Skull dans les aventures de Captain America mais avait aussi fait de lui l’adversaire majeur dans Young Allies Comics #1. Autrement dit Timely/Marvel affichait clairement la couleur (rouge, bien sûr): Non seulement le Red Skull n’était pas mort mais en plus l’éditeur le destinait visiblement à un usage intensif, dépassant les seuls aventures de Captain America. De ce fait, Lev Gleason préféra oublier son Scarlet Skull. Le Daredevil du Golden Age en serait quitte pour se trouver d’autres adversaires. Ironiquement Don Rico serait finalement engagé plus tard chez Marvel où on ne manquerait pas de lui confier dès 1942 des épisodes… de Captain America. Il faut croire que soit le Scarlet Skull était passé inaperçu chez Marvel, soit on n’en tenait pas rigueur à Rico quit finit d’ailleurs par y faire une belle carrière et à devenir responsable éditorial de différents titres (aujourd’hui on parlerait d’un « group editor« ) sous les ordres de Stan Lee.

Pour en revenir à Silver Streak Comics #13, le tout débouche in fine sur une situation curieuse : Si de nos jours le Red Skull appartient toujours à Marvel, le Daredevil du Golden Age ainsi que tous ses personnages secondaires (les Little Wise Guys par exemple) sont retombés dans le domaine public américain, faute de propriétaire caractérisé (la société Lev Gleason ayant disparu). C’est d’ailleurs ce qui permet à cette version de Daredevil d’être utilisé de nos jours par divers éditeurs (il est rebaptisé Red Devil chez AC Comics, ‘Devil chez Dynamite et enfin Erik Larsen l’utilise carrément sous le nom Daredevil dans les pages de Savage Dragon). Mais la chose faut aussi pour ses ennemis. Donc le Red Skull est la propriété incontestable de Marvel mais le Scarlet Skull, qui est son « clone » en tous points, est dans le domaine public américain (mais pas le domaine public français, si d’aventure cela donnait des idées à certains petits malins). En théorie les éditeurs de comic-books seraient donc en droit d’utiliser le Scarlet Skull selon leur bon vouloir. Seul obstacle ? Comme peu de lecteurs se souviennent de cet épisode de Silver Streak Comics, les nouveaux utilisateurs passeraient sans doute pour des faussaires auprès du public moderne… Et est-il vraiment nécessaire de ramener un pseudo-Crâne Rouge qui ne sait même pas se battre ?

[Xavier Fournier]