Oldies But Goodies: More Fun Comics #85 (Nov. 1942)

9 janvier 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Le Doctor Fate est sans doute l’un des sorciers les plus emblématiques de l’univers DC et par ailleurs un pilier régulier de la Justice Society (même si ces dernières décennies des héros différents se sont succédés sous ce costume et cette identité). C’est aussi un lointain ancêtre d’un autre mystique, le Doctor Strange de Marvel, les deux mariant les arts occultes et la médecine. Encore que c’est assurément Doctor Fate qui a été le laboratoire d’essai de l’autre, passant à travers un certain nombre de variations avant de se « fixer » sur cette formule. On était même pas très loin d’un échec. Tant et si bien qu’en 1942 DC Comics proposait déjà aux lecteurs de rencontrer un « nouveau » Doctor Fate…

En mai 1940, Winston Churchill devient le Premier Ministre de la Grande-Bretagne tandis que la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg sont envahis par les forces nazies. Aux USA ? Les diverses industries consacrées aux loisirs regardent encore les choses de loin, préférant fournir de l’évasion et de l’exotisme à son public. C’est sous ces auspices qu’est lancé le mystérieux Doctor Fate dans More Fun Comics #55. Mystérieux parce que son scénariste, Gardner Fox, ne se donne pas la peine de lui inventer des origines où même une identité secrète. Doctor Fate, un magicien aux immenses pouvoirs (reconnaissable à un costume jaune et bleu, une amulette dorée ainsi qu’à un atypique casque de métal) est un héros passant visiblement son temps à lutter, 24 heures sur 24, contre des sorciers maléfiques et quelques démons assortis. La plupart des magiciens de l’époque n’ont pas un costume aussi identifiable que celui de Doctor Fate. La majeure partie d’entre eux suivent le modèle de Mandrake en se promenant en smoking (parfois affublés d’un turban ou d’un fez, comme Zatarra ou Monako). Certains se contentent d’une sorte de toge ou d’une pseudo-tenue de moine (comme le Green Lama) qui leur tenait lieu aussi bien de cape que de chapeau. Dans Doctor Fate tel qu’il apparaît, tout le souci semble avoir été porté vers la mise au point d’un costume marquant, plus proche des habitudes des grands super-héros que du magicien de cabaret. Avec qui plus est cet accessoire qui marque forcément le lecteur : un masque doré cachant toute la tête et qui ne laisse rien paraître des traits ou des émotions du personnage.

L’énigme posée au lecteur est énorme : c’est un peu comme si dans les premiers épisodes de Batman ou de Spider-Man on avait « oublié » de nous parler de leur identité civile. En fait la raison est à la base naturelle, elle aussi calquée sur les codes créés par Mandrake : un magicien n’est pas prisonnier des limites du quotidien. Il n’a pas besoin d’un travail puisque s’il a fin il lui suffit d’invoquer un repas. S’il a froid il se créera une maison ou se l’achètera avec une fortune matérialisée par pur magie. Un maître des arts mystiques n’a donc pas à s’abaisser à des tâches usuelles. D’ailleurs on remarquera que ce principe se répétera pendant des années et que de la même manière Doctor Strange apparaît bien plus tard comme un héros qui (bien qu’il ait eu une vie professionnelle avant de devenir sorcier) pratique la magie à plein temps. La magie s’autosuffit, elle échappe au quotidien et ne nécessite pas – en théorie – d’autres explications, y compris au niveau des origines. Pour être précis, il convient de souligner qu’il n’est finalement pas rare à l’époque qu’on ne révèle pas l’origine d’un héros dans son premier épisode (c’est le cas pour Batman, par exemple). Mais chez les magiciens, la proportion de personnages sans origine est autrement plus élevée. Que le lecteur ignore jusqu’au visage et à l’identité civile du héros, c’est déjà beaucoup plus rare… Qu’importe. La série est ainsi lancée : Il y a un sorcier costumé nommé Doctor Face et il est actif, même si on ne sait pas grand chose sur lui. Visiblement c’est un homme doué d’une grande connaissance de la magie et qui n’est pas insensible au charme de la belle Inza. Sorti de là, rien…

Enfin rien au niveau de sa vie personnelle. Mais DC croit assez en cette énigme pour en faire quelques mois plus tard, dans All-Star Comics #3, l’un des co-fondateurs de la Justice Society of America, le premier groupe de super-héros de l’Histoire. Cette particularité va aider à asseoir l’importance de Doctor Fate bien qu’il semble manifeste qu’en coulisses les responsables éditoriaux sont moyennement convaincus par sa popularité. En général DC (comme la plupart de ses concurrents de l’époque) ne donne jamais dans la subtilité quand il s’agît d’identifier la star d’un magazine sur la couverture. Et, en 1940, la star de More Fun Comics c’est un autre personnage de la revue : le Spectre. S’il s’agit bien d’un autre héros mystique, on ne peut le considérer vraiment comme un magicien mais comme un esprit vengeur. Qui plus est, on connaît les origines et l’identité du Spectre tandis que ses pouvoirs semblent plus spectaculaires que ceux de Fate. Autant d’éléments qui expliquent, peut-être, que la préférence soit d’abord allé vers le fantôme plutôt que vers le magicien. En dehors d’une seule exception (More Fun Comics #56, juillet 1940) Doctor Fate devra attendre juin 1941 (#68) pour détrôner le Spectre sur les couvertures du magazine. Et encore cette victoire sera de courte durée puisque dès mars 1942 (#77) c’est Green Arrow qui devient la vedette du titre.

C’est simple : le Doctor Fate des origines ne donne pas les résultats escomptés et on voit bien que, graduellement, les auteurs tentent de changer la formule. Dans More Fun Comics #67 (, soit un an après son apparition et juste avant que le héros devienne pendant quelques mois la vedette des couvertures), on consent enfin à nous apprendre que sous son casque de métal il est en fait le blond Kent Nelson, qui a appris la magie auprès d’un très vieux sorcier égyptien nommé Nabu (enfin en tout cas c’est la version de départ. A partir de 1975 Nabu sera identifié comme une entité éternelle, un des Seigneurs de l’Ordre, dont l’esprit hante le masque de métal). De la même manière on tente dans les mois suivants d’humaniser Doctor Fate tout en le rapprochant encore plus d’un super-héros typique. Ainsi le masque de métal qui cachait jusqu’ici toute la tête de Doctor Fate devient à partir de More Fun Comics #72 un casque qui laisse apparaître le bas du visage du héros, tandis que ses aventures se font moins mystiques. Mais on est encore bien loin de la proximité que le lecteur peut alors avoir avec un Superman/Clark Kent ou un Batman/Bruce Wayne. Et tout ça, de toute manière, vient un peu trop tard. Dans More Fun Comics #73 débutera Green Arrow, plus proche de la formule de Batman, plus coloré, plus riche en action ou en humour. Doctor Fate est sur le point d’être dépassé par l’archer masqué mais ne le sait pas encore…

Ce qui nous amène directement à l’épisode qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, qu’on pourrait en quelque sorte sous-titrer « le lifting de la dernière chance pour Doctor Fate ». Dans More Fun Comics #84, l’aventure du bon docteur le montre dans l’état classique, dans son costume bleu et jaune, sa cape et son amulette ainsi que son nouveau casque qui permet de voir sa bouche. Et dans la dernière case le scénariste promet pourtant aux lecteurs que le mois suivant ils feront la connaissance d’un nouveau Doctor Fate. Le casque est-il sur le point de changer de propriétaire ? DC, lassé par Kent Nelson, aurait décidé, déjà, de trouver un nouveau personnage pour continuer la lignée ? Non. Ce qui attends Doctor Fate c’est une nouvelle (et ultime, en tout cas pour le Golden Age) mutation qui va encore plus le rapprocher des super-héros habituels. D’ailleurs en commençant l’épisode de More Fun #85, le scénariste revient encore sur la promesse d’un grand changement dans l’histoire à venir : un nouveau Docteur Fate dans une aventure intitulée « L’Homme qui changeait de face ». Dès la première page, le lecteur habitué aura déjà perçu le premier changement puisqu’il est visuel : Doctor Fate ne porte plus de cape. Changement confirmé dès qu’on tourne la page : non il ne s’agissait pas d’un oubli du dessinateur. Désormais la tenue a été simplifiée et ne comprend plus de cape. Cette modification du costume n’est pourtant que la partie visible de l’iceberg. Les méthodes e les pouvoirs aussi ont changé. Doctor Fate ne flotte pas majestueusement dans le ciel, il saute au dessus des immeubles dans une attitude assez semblable à celle du Superman des origines. Il est essentiellement devenu un Superman de la magie, n’utilisant pas de sortilèges ou d’incantations mais profitant des pouvoirs que lui procure ses divers talismans. Par exemple il a une bague magique qui luit quand un danger nécessite son attention.

C’est d’ailleurs ce qui se passe quand l’anneau lui signale non pas un sorcier ennemi mais un hold-up qui se déroule dans le voisinage. Sans perdre de temps Fate roue de coups les gangsters. Ces derniers ont beau lui tirer dessus à coup de mitraillette, cela n’a aucune incidence : Doctor Fate est à l’épreuve des balles. Elles rebondissent sur sa peau super-dure. Fate est également plus « super-héros » que magicien dans ses méthodes. Visiblement, s’il ne prononce plus la moindre incantation il est par contre désormais très au courant des mœurs de la pègre. On croirait presque qu’il a suivi des cours auprès de  Batman : Quand il stoppe le hold-up et capture les bandits il réalise que l’un d’en eux porte un tatouage caractéristique (représentant un masque brisé et un revolver fumant). Problème : normalement l’homme qui porte ce tatouage est Mark Suffrito, un gangster bien connu. Seulement Doctor Fate voit bien que l’individu ne ressemble en rien à Suffrito. Et la police, à qui Fate remet ses prisonniers, est incapable d’identifier cet homme. Quel est donc ce mystère ?

Le lendemain matin, revenu à son appartement (on en déduira qu’il a patrouillé toute la nuit), Doctor Fate pose son costume et redevient le « simple » Kent Nelson, jusqu’ici identifié dans la série comme étant un « playboy » (comprenez : « il est richissime et ne venez pas nous embêter en nous demandant quel est son travail ou la source de sa fortune). Ce flou artistique, cependant, s’arrête avec More Fun Comics #85, puisque Nelson a décidé de faire quelque chose de sa vie civile. Il commence à lire de volumineux livres en murmurant  « Le plus j’en apprends, le plus je réalise combien j’en sais peu. J’ai certainement encore beaucoup d’études à faire avant de pouvoir passer ces examens ». C’est dans cet état que Inza, sa petite amie, le trouve. Curieuse, elle s’étonne de le trouver devant de si gros livres. Et si le lecteur pourrait penser que Kent Nelson est en train de réviser ses cours de magie, il n’en est rien.

Kent est prompt à expliquer ce qui va sans doute être le virage le plus important du personnage  : « Inza, je vais devenir un docteur… Un VRAI docteur ! Doctor Fate soigne l’âme des hommes… J’ai donc décidé que Kent Nelson devrait aider à soigner leurs corps ». Inza est admirative : « C’est merveilleux ! Tu aura totalement le droit de t’appeler DOCTEUR Fate maintenant ! » (Inza fait partie de ces rares fiancées des comics qui savent que leur amoureux est un héros masqué). Voilà Kent Nelson qui va devenir médecin… Ceci m’inspire une « théorie » personnelle qui n’est étayée par aucun élément, disons plutôt qu’il s’agit d’un sentiment : Dans More Fun Comics #84 les auteurs, conscients de la perte de popularité du personnage, avaient terminé en promettant un « nouveau Doctor Fate » dans l’épisode suivant surtout pour piquer l’intérêt du lecteur. Probablement avec une idée au mieux très approximative de l’histoire du #85. D’une part il était rare que les scénaristes travaillent avec beaucoup d’avance. Par ailleurs si la décision avait déjà été prise un mois plus tôt de transformer Nelson en médecin, pourquoi le scénariste aurait-il décidé d’attendre un mois de plus ? L’impression donnée c’est qu’on a promis un « nouveau Docteur Fate » dans le #84 et que – faute de totalement remplacer Kent Nelson par un autre personnage – cette nouvelle profession intervient surtout pour sauver la face par rapport à l’annonce du mois précédent. Pour ne pas se priver de la présence d’Inza, le scénariste lui impose également une sorte de révélation. En écoutant la résolution de son amoureux elle s’écrie : « C’est une grande idée ! Je… Je pense que je deviendrais une infirmière… Peut-être même ton assistante ! ». Et voilà comment les deux principaux personnages de la série basculent dans l’univers médical, pratiquement par caprice…

La case suivante se déroule « plus tard », après une ellipse qui fait que Kent Nelson a eu le temps de passer les examens qui lui faisaient souci. Il est désormais interne à la clinique Weatherby, un établissement « gratuit » qui accueille donc en priorité les plus démunis. Le narrateur insiste : « Et ainsi un nouveau Docteur Fate émerge de l’ancien… Une figure maintenant destinée non seulement à sauver des vies… Mais aussi les corps ! ». Bien sûr techniquement ce n’est pas un « nouveau Docteur Fate » mais un nouveau docteur Nelson. Cependant on sent que l’idée est de convaincre le public que tout change. Le commentaire s’enflamme pour promettre au lecteur ce qui sera le ton nouveau de la série : « Oui, ce nouveau Doctor Fate aura encore plus de compréhension de la race humaine… Plus de dignité ! Plus d’humanité ! ». Après deux ou trois vignettes où Kent Nelson soigne quelques cas simples, on le retrouve au terme d’une nouvelle ellipse dans le bureau du directeur de la clinique, qui lui assène : « Vous êtes l’un de nos meilleurs internes et je vous transfère dans un service plus important ». Humble, Kent Nelson répond simplement qu’il a seulement fait de son mieux. Tu m’étonnes : en l’espace de deux strips Nelson est passé du rang de personne voulant étudier la médecine à celui d’interne trop doué pour rester avec le tout venant des médecins… En rentrant chez lui, Nelson exulte encore, histoire d’enfoncer le clou : « Tous ces gens que j’ai guéri, que j’ai rendu heureux ! Je suis docteur maintenant ! Un vrai docteur ! ».

Le nouveau service auquel Nelson est muté est visiblement celui des interventions à l’extérieur de la clinique. Le lendemain le fringuant docteur reçoit en effet un appel qui l’informe qu’un homme a été blessé par balle à l’angle de la Cinquième Avenue et de Madison. Nelson saute dans une ambulance et découvre effectivement un mourant qui, dans son dernier souffle, mentionne le nom de Benson-Hurst. Tandis que la police cherche à rassurer Nelson, en lui affirmant qu’il a fait son maximum mais qu’il ne pouvait sauver ce blessé, l’esprit du héros est déjà ailleurs. Il est temps que Doctor Fate intervienne ! Tiens d’ailleurs c’est vrai ça… Qu’était-il advenu de l’alter-ego de Nelson ? Avait-il continué à jouer les super-héros pendant la fin de ses études de médecine ? On a l’impression que non. La meilleure preuve c’est que Nelson a eu besoin de recevoir un coup de téléphone pour l’avertir qu’un homme était mourant non loin de là. L’anneau magique, supposé le prévenir en cas de besoin, n’a pas fait son œuvre. Visiblement Nelson ne le porte pas…

Maintenant qu’il a entendu le nom de Benson-Hurst, Kent Nelson se plonge dans le répertoire des médecins. Au même moment les journaux s’étonnent du nombre croissant de têtes pensantes de la pègre qui disparaissent sans laisser de trace… Et sans que la police puisse y faire grand-chose… L’information semble sans lien avec l’intrigue mais bien vite elle va jouer un rôle dans l’aventure.  Ayant trouvé l’adresse de la clinique Benson-Hurst, Nelson redevient Doctor Fate, sautant à nouveau à travers le ciel. Mais quand il approche de l’endroit, il a la surprise d’apercevoir par la fenêtre un des patients qui porte le tatouage caractéristique du gangster Suffrito. Sauf qu’il ne s’agit pas du visage de Suffrito ni de l’homme que Fate a capturé quelques temps plus tôt. S’introduisant à l’intérieur, le super-héros tombe nez à nez avec un autre praticien. Le docteur Brennan (ou Brennen, les deux orthographes apparaissent quand le personnage se présente) est un spécialiste de la chirurgie esthétique. Tout s’explique : depuis quelques mois ce chirurgien est contraint d’opérer sur les gangsters et de changer leurs visages pour qu’ils échappent à la police. Le gang est dirigé par un nazi et ce dernier menace de faire éliminer le frère de Brennan, retenu en Allemagne. Compatissant, Doctor Fate annonce : « Docteur Brennan je vais vous aider. Mais d’abord je fais enfumer ce nid de rats ! ».

Dommage pour les deux docteurs : un des gangsters nazis les a entendu parler. Il arrive dans la pièce et menace d’abattre Brennan si Fate ne se rend pas. Dans cette version plus super-héros, Doctor Fate a visiblement été recentré sur des pouvoirs physiques (le vol, la force, l’invulnérabilité…) et ne lance plus des décharges énergétiques. Pour preuve, au lieu de lancer un sort il se précipite sur un robinet et influe avec ses doigts sur la pression du jet. Elle devient suffisante pour aveugler le gangster, laissant à Fate le temps d’assommer son adversaire avec un puissant coup de poing. Doctor Fate s’éclipse ensuite en demandant à Brennan de faire semblant de continuer d’obéir aux nazis. Dans les pièces voisines Fate affronte plusieurs nazis. Mais l’un d’entre eux jette alors une fiole d’éther sur le héros en s’écriant « Tu est peut-être à l’épreuve des balles, Doctor Fate… Mais tu n’est pas à l’épreuve du feu ! ». Et ce faisant l’homme lance un bec bunsen. Les flammes enveloppent Fate mais le magicien, indemne, rétorque « Tu as tort… Je ne crains pas le feu. Mais je peux voir que ce n’est pas ton cas ! ». En effet c’est le gangster qui est dévoré par les flammes et tombe à terre. Aussitôt la nouvelle vocation de Fate reprend le dessus. Le héros masqué se précipite avec une trousse de secours vers celui qui voulait le tuer : « Il a beau être un criminel mais je suis un docteur… Je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour le sauver ».

Malheureusement pour Doctor Fate, tout le monde n’est pas aussi ouvert d’esprit. Pendant qu’il prend soin de l’homme à terre, quelqu’un lui saute dessus avec un tissu imbibé de chloroforme. Le héros ne revient à lui qu’une fois qu’il a été solidement attaché avec le tuyau d’une lance à incendie… Ce « piège » peut sembler bizarre mais l’idée est qu’avec des entraves caoutchouteuses Fate ne peut pas se dégager. L’homme qui a capturé Doctor Fate est couvert de pansements, comme une momie, fume le cigare et se présente comme Carl Grubber. C’est visiblement le fameux nazi chef du gang. Grubber explique qu’il vient de changer de visage. Un chirurgien vient de l’opérer (visiblement Brennan n’est pas le seul spécialiste à être forcé à leur obéir). Et Grubber explique qu’il a supprimé ce docteur. Tout en précisant maintenant que son but est de trouver un moyen de forcer Doctor Fate à travailler pour les nazis.

Mais pour l’instant il fait l’erreur de laisser seul son prisonnier. Doctor Fate tente d’abord de rompre la lance à incendie mais n’y arrive pas. Puis il s’aperçoit que le mégot encore à demi-allumé du cigare de Grubber est tombé non loin de la bouteille d’éther avec laquelle on a tenté de l’enflammer. Avec le pied, Doctor Fate rapproche les deux éléments. Le feu prend et brûle le tuyau qui retenait Fate. Le voici libre.

Assez rapidement le héros capture certains des gangsters qui étaient en convalescence dans cette clinique. Il les attache avec du bandage… Grubber et ses hommes tentent bien de s’interposer mais Fate fabrique une sorte de « bombe à l’ammoniaque » dont les vapeurs indisposent le restant de la bande.  Quand la police arrive, Doctor Fate leur montre l’homme couvert de bandages en l’identifiant comme Grubber. Mais il reste une dernière surprise pour l’espion nazi, surprise qu’on lui révèle en lui retirant ses bandages. Le chirurgien qui l’a opéré savait qu’il serait abattu après l’opération et a préparé à l’avance sa vengeance : il a marqué à jamais le visage de Grubber avec des swastikas de manière à ce que où qu’il aille personne ne puisse ignorer qu’il s’agit d’un nazi ! Doctor Fate se porte ensuite garant de Brennan, en expliquant qu’il n’opérait que parce son frère était retenu en otage. A ce sujet un des policiers le rassure : la radio vient justement d’annoncer que des commandos ont secouru l’autre frère Brennan et que ce dernier est désormais à l’abri en Angleterre, en train de mettre au point une arme secrète (Ben voyons ! Parce que bien sûr quand les gens travaillent sur des armes secrètes la chose est annoncée à la radio !).

L’affaire est donc réglée et Kent Nelson peut reprendre le chemin de la clinique où il travaille. Un de ses collègues y lit d’ailleurs le journal, s’émerveillant des exploits de Doctor Fate qui y sont relatés. L’homme s’exclame qu’il aimerait bien faire des choses aussi importantes que le super-héros. Mais Nelson le contredit : « Tu oublies, Jim, que nous avons un travail important à faire également. Un travail très important ! ». Le commentaire final promet au lecteur : « Il y aura de nombreux cas médicaux et des enquêtes contre le crime pour le docteur combattant ! Surveillez chaque numéro de More Fun Comics !!! ».

Mine de rien le concept de Doctor Fate est altéré en profondeur. On promet au public des aventures qui mélangent à parts égales l’enquête policière et l’ambiance médicale (type « Urgences » de 1942). Plus un mot sur la magie et tout se passe comme si Doctor Fate tenait ses pouvoirs de ses divers talismans (l’anneau, l’amulette…) mais n’était pas un sorcier à part entière. Cette version secondaire de Doctor Fate (moitié médecin/moitié surhomme mais pratiquement pas magicien) va durer un peu moins de deux ans. Les modifications n’y feront rien : Doctor Fate est de plus en plus éclipsé par le succès de Green Arrow. En juillet 1944, dans More Fun Comics #98, le bon Docteur Fate cesse donc finalement d’apparaître. A peu près en même temps il disparaît des rangs de la Justice Society of America (All-Star Comics #21, dans l’été 1944, montrant sa dernière participation). On ne le reverra pas jusque dans les années 60 quand, surprise, la Justice Society refit son apparition dans les pages de Justice League of America. Dès le retour de l’équipe Doctor Fate y figure en bonne place, comme si le groupe n’avait jamais fonctionné sans lui. Mieux : sa pratique de la magie est au centre même des contacts entre Earth 1 (le monde de la Justice League) et Earth 2 (celui de la JSA). Doctor Fate/Kent Nelson ne sera plus que très rarement dans une position de médecin, laissant la plupart du temps ce rôle à son confrère Doctor Mid-Nite, lui aussi membre de la Justice Society. Fate, lui, se recentrera sur la pratique de la magie, (re)prenant enfin le profil pour lequel il est le plus connu et oubliant largement cette curieuse époque où il piégeait les criminels avec des bandages…

[Xavier Fournier]