Oldies But Goodies: Flash Comics #86 (Août 1947)

Oldies But Goodies: Flash Comics #86 (Août 1947)

28 avril 2012 Non Par Xavier Fournier

[FRENCH] A travers les époques, l’héroïne Black Canary a fait partie des membres les plus populaires de la Justice Society et de la Justice League. Seulement voilà: En 1947, moment de sa création, ce Canari Noir n’a rien d’héroïque. Bien au contraire l’aventurière blonde commence sa carrière du côté du crime, comme ennemie attitrée d’un de ses futurs collègues, Johnny Thunder… Un épisode qui, à bien des égards, allait être déterminant pour l’Histoire de DC Comics…

L’été 1947 eut quelque chose de très particulier pour l’éditeur DC. Quelque chose qui n’est en général pas très connu car les chroniqueurs et les lecteurs ont l’habitude de regarder les choses séries par série et pas forcément de manière simultanée. En l’espace de quelques semaines plusieurs héros de la firme virent arriver de nouvelles femmes fatales venues les menacer. Longtemps la place de la femme s’était limité à celui de la potiche, de l’éternelle fiancée. Et les rares exceptions n’avaient pas forcément fait parler d’elles. Dans le cadre d’autres Oldies But Goodies, nous avons déjà pu souligner à quel point Catwoman fut traitée comme une adversaire très secondaire de Batman jusqu’en 1946/1947 où elle commença à prendre l’importance qu’on lui connait de nos jours dans le panthéon batmanien. On peut théoriser qu’au début des années 40 la plupart des scénaristes ou des responsables éditoriaux préféraient s’en tenir à une certaine posture chevaleresque qui veut qu’un « vrai héros ne peut pas se battre contre une femme ». Dans le milieu de l’année 1947, par contre, les choses allaient changer. Pour ce qui est des raisons de ce changement on peut tout imaginer. Que ce soit une volonté de se rapprocher de strips comme le Spirit (avec ses nombreuses criminelles redoutables) ou Terry et les Pirates (avec, entre autres, la fameuse Dragon Lady). Peut-être aussi que les auteurs, plus simplement, se synchronisaient avec ce qui se qu’on pouvait trouver dans les films ou certains romans policiers de l’époque. Si les causes sont indéterminées, les effets, eux, sont particulièrement tangibles à partir de l’été et jusqu’au début de l’automne 1947. Dans ce laps de temps relativement court on vit des figures comme la criminelle The Thorn (future mère de Jade et Obsidian), ou la Star Sapphire originelle (adversaire de Flash), Harlequin (qui combattra le Green Lantern des années 40 et finira plusieurs décennies plus tard par devenir sa femme) Black Lama (sorcière opposée à Sargon The Sorcerer), The Huntress (ennemie de Wildcat). Chose encore plus troublante, la plupart de ces criminelles d’un genre nouveau sont des inventions d’un seul scénariste : Robert Kanigher, par ailleurs éditeur et scénariste de la série Wonder Woman (où là aussi il produira un certain nombre de super-ennemies). Cet élan peut-il se limiter à une seule lubie de Kanigher ? Et si c’était le cas, comment et pourquoi cette vague de créations fut-elle localisée sur une période de quelques mois ? Allez savoir… Mais Kanigher s’occupait aussi d’un autre héros, Johnny Thunder, pour qui, pour satisfaire à cette « mode », il allait aussi falloir créer une nouvelle femme fatale…

Pendant le Golden Age, Johnny Thunder fut peut-être le membre le plus puissant de la prestigieuse Justice Society of America… mais aussi le personnage le plus ridicule du groupe. Ses pouvoirs indirects étaient énormes : Bien que n’ayant de surhumain à proprement parler, Johnny Thunder était le maître d’un génie, le Thunderbolt, qui exécutait tous ses ordres, réalisait la plupart de ses souhaits (sauf qu’en général les scénaristes s’arrangeaient pour que Johnny ne se contente pas de dire « coffrer les bandits »). Potentiellement, il avait donc la puissance d’un dieu, comparable à celle du Beyonder chez Marvel. Mais Johnny Thunder avait débuté non pas comme un composant de la Justice Society mais bien comme un héros de ses propres aventures, publiées dans Flash Comics. Et dans ces exploits individuels, Johnny Thunder tenait plus lieu d’une série comique. Pour contrebalancer la toute-puissance du personnage, il avait été décidé d’en faire un abruti. Johnny Thunder avait le pouvoir de réaliser tous ses vœux, oui, mais c’était aussi un personnage qui n’avait pas beaucoup de volonté et en tout cas pas de suite dans les idées. D’une certaine manière le vrai héros du strip était le Thunderbolt lui-même, beaucoup plus mur que Johnny. Mais hélas le Thunderbolt était limité par le fait qu’il devait suivre les ordres de l’imbécile. Sous un certain angle Johnny Thunder était le point faible du Thunderbolt, comme une sorte de boulet qui aurait freiné la capacité du génie à réaliser de grandes choses. Dans les pages de la Justice Society (All-Star Comics), Johnny était de fait régulièrement traité comme une mascotte de l’équipe, finalement pas très éloigné de ce que seraient plus tard Snapper Carr et Rick Jones (respectivement les faire-valoirs initiaux de la Justice League et des Avengers). Johnny Thunder était donc traité comme un bouffon. Et pas sans raison. Johnny était un « gars bien gentil », avec de bonnes intentions. Mais un inguérissable idiot…

On pourrait donc facilement sous-estimer l’importance historique de Johnny Thunder, la limiter à une sorte de note de bas de page liée à sa seule présence dans les rangs de la Justice Society mais l’histoire parue dans Flash Comics #86 allait s’avérer déterminante à plus d’un titre. D’ailleurs en préambule le commentaire nous promet la rencontre de « l’escroc le plus fascinant de tous les temps » : le Black Canary (« Canari Noir »). On nous explique alors que la pègre donnerait cher pour connaître l’identité de cette semeuse de chaos. D’ailleurs le scénario ne perd pas de temps et enchaîne directement avec Johnny qui croise dans une ruelle sombre une mystérieuse blonde qui le manipule par son charme. Elle lui demande alors s’il peut l’aider et Johnny Thunder s’empresse de répondre qu’il n’a jamais laisser tomber une demoiselle.

L’inconnue porte un petit blouson sombre mais aussi des bas résilles avec des petites bottines à talon, le tout évoquant énormément le costume de l’héroïne Black Cat publiée chez Harvey. Mais, sans masque, cet accoutrement peut passer pour un costume de ville. De toute façon, pour justifier son apparence, la jeune blonde explique qu’elle doit se rendre à un bal costumé. Mais hélas elle a du « faire le mur » pour pouvoir aller à cette fête, son tuteur s’y opposant. Johnny Thunder ne manque pas de penser tout haut que ce tuteur a l’air bien rabat-joie. Mais le vrai problème de la jeune fille est qu’elle a oublié chez elle son masque, qui doit compléter son déguisement. Et si elle tente de retourner dans sa chambre, elle court le risque que son tuteur la surprenne et l’empêche de se rendre au bal. Qui plus est le masque a été rangé dans un coffre fort. Elle demande donc à Johnny de se glisser chez elle et de lui ramener le masque. Totalement sous le charme, le héros se contente de lui demander le code du coffre et grimpe via une échelle jusqu’à l’étage indiqué. Le chevalier servant a tôt fait d’ouvrir le coffre et de prendre le masque (un « loup » classique) sans faire de bruits… et de montrer le masque à la belle, quelques étages plus bas. Et quand celle-ci lui demande de lui jeter, Johnny n’y réfléchit pas à deux fois. Non seulement Johnny n’est pas spécialement connu pour réfléchir mais là, pour le coup, on peut le comprendre. Quel mal pourrait-il y avoir à rendre ce masque sans valeur à sa propriétaire. Encore que s’il est sans valeur alors Johnny pourrait se demander pourquoi on l’a rangé dans un coffre-fort.

Mais Johnny n’a pas la tête à çà. Comme s’il avait été touché par les flèches de Cupidon, il ne pense qu’à une chose : « Que c’est romantique… Aider une dame en détresse ! ». Il est tellement dans la lune qu’au moment de redescendre il ne se rend pas compte que l’échelle n’est plus là. Il se rattrape de justesse, les mains sur le rebord de la fenêtre, coincé à plusieurs mètres de hauteur. Heureusement pour lui, Johnny n’est pas sans ressource. Il crie alors à l’aide en prononçant la phrase magique « Say you », faisant ainsi appel au génie Thunderbolt. D’ailleurs au passage on notera que Johnny se serait épargné bien des problèmes s’il avait fait appel au Thunderbolt dès le début et lui avait demandé d’aller chercher le masque dans le coffre à sa place (le Thunderbolt peut voler sans le moindre effort). Mais on comprendra que Johnny a sans doute voulu impressionner la belle inconnu en lui rendant service. Le Thunderbolt, sorte d’éclair rose humanoïde, apparaît alors en ne se cachant pas son agacement : « Tu te fourres toujours dans des situations idiotes ! Et forcément tu choisi pile le moment où je suis en train de lire Flash Comics ! ». Autrement dit quand on ne le voit pas le Thunderbolt est lui-même un lecteur forcené de BD… mais c’est aussi une sorte de clin d’œil métatextuel. Car si le Thunderbolt est en train de lire Flash Comics alors il est en train de se régaler des mésaventures… du même Johnny Thunder.

Si Johnny est idiot ou tout au moins très naïf, le Thunderbolt n’est pas seulement la voix de la raison dans la série. Il est aussi souvent irascible, énervé (plus ou moins faussement, l’exemple présent le prouve) d’être dérangé par les demandes de son « maître ». Pour ne pas perdre la face, Johnny se défend d’avoir des problèmes et temporise en tentant de faire croire qu’il veut simplement un conseil. Sans lâcher son Flash Comics dont la lecture a l’air captivante, le Thunderbolt répond alors qu’il a un seul conseil : Johnny devrait se faire examiner la tête ! Puis, comme on ne lui demandait qu’un conseil, le Thunderbolt retourne dans sa dimension d’origine sans demander son reste, sans doute pour mieux pouvoir lire son Flash Comics… Tout en semblant se moque royalement de ce que peut devenir Johnny Thunder, toujours pendu au rebord de la fenêtre. On voit bien que les relations entre le jeune homme et son génie n’étaient pas simples. Laissé à lui-même Johnny tente de réfléchir… « La fille a disparu. L’échelle à disparu. Mon Thunderbolt disparait. Qu’est ce qui va encore disparaître ? ». La réponse est simple : Il ne reste plus guère que Johnny a escamoter. Et c’est d’ailleurs ce qui se passe quand il est soudainement hissé à l’intérieur de la pièce d’où il venait de sortir…

A l’intérieur l’accueil n’est guère chaleureux. Un trio d’hommes vient de le tirer du vide et il ne s’agît très certainement pas d’un tuteur paternaliste entouré de quelques amis. A l’évidence il s’agit de quelques gangsters, furieux que Johnny ait volé le masque pour le compte de Black Canary. Black qui ? Le héros n’a jamais entendu ce nom et ne sait pas ce que cache ce pseudonyme. Mais les maffieux n’y croient pas : « Ne joue pas à l’idiot ! Tu sais que Black Canary ne vole que des escrocs comme nous ! ». Un autre homme rajoute : « Je n’ai aucune idée de comment Black Canary se débrouille pour savoir quand un vol est sur le point d’être commis. Mais c’est toujours le cas ! ». Tout en parlant les hommes ont frappé Johnny, qui tombe à la renverse vers un canapé et une lampe. L’élan de Johnny propulse la lampe, qui frappe un des gangsters en plein visage. Johnny s’exclame « Oh ! Je suis toujours si maladroit ! », d’une manière qui laisse planer le doute. Est-ce que Johnny fait de l’ironie ? D’un autre côté il est effectivement très maladroit en général… D’autant que les gangsters voient avec effarement leur complice qui ne se relève pas : « C’est un tueur ! ». Il faut croire effectivement que le choc a été suffisant pour tuer le bandit. Johnny bredouille : « Un tueur ? Moi ? Oh, non… je ne voulais pas ! ». Les deux gangsters restants, furieux, se précipitent sur Johnny. Mais ce dernier, dans la Lune, se précipite au même moment vers sa victime en hurlant « Je suis affreusement désolé mon gars ! C’était un accident ! ». Et comme il s’est baissé vers le mort pour présenter ses excuses, les deux bandits se heurtent… s’assommant respectivement…

Pendant ce temps, sur le toit de l’immeuble, le génie Thunderbolt s’en veut d’avoir parlé si durement à Johnny : « C’est une tête-à-claques… Mais je me fais du souci à son propos. Je n’aurais pas du le laisser comme ça. Je ferais mieux de vérifier qu’il va bien ! ». La créature se penche alors pour voir le rebord de fenêtre où il a laissé Johnny. Et ne le voyant pas, il s’inquiète : « Il n’est pas là… Et pas non plus sur le sol ! Peut-être qu’il a été tiré à l’intérieur ? On l’a peut-être agressé ? Il pourrait même être mort ! Et tout est de ma faute ! C’était vraiment un chouette petit gars ! Sniff ! ». La façade austère que maintient le Thunderbolt quand il parle à Johnny n’est donc qu’un masque. Bien qu’il fasse semblant de mépriser l’humain, le Thunderbolt est en fait réellement attaché à son maître et la dynamique de leur relation n’est pas sans évoquer l’amitié forte en gouaille de la Chose et la Torche Humaine, dans les futurs Fantastic Four. Curieux, le Thunderbolt descend donc jusqu’à la fenêtre et passe la tête dans l’appartement… où il découvre un Johnny Thunder triomphant, assis sur un tas de gangsters morts ou inconscients. Le Thunderbolt s’écrie « Sacrés éclairs de foudre ! Qu’est-il arrivé ? Et comment est tu arrivé à faire ça ? ».

Johnny Thunder est un incapable mais sa propre malchance joue pour lui et, à son insu, le rend donc dangereux. Mais le jeune héros n’est pas toujours conscient de sa maladresse. Lui est convaincu de sa propre valeur. Dans le cas présent, il répond simplement : « J’imagine que je ne connais pas ma propre force ! Je pense que je devrais jeter un coup d’œil dans le coffre… Peut-être que je trouverais un indice concernant le Black Canary… ! ». Mais Johnny ne découvre que des notes indiquant que les gangsters projetaient de dévaliser un certain « Socks » Slade pour lui voler le saphir Kooblin. Dans une attitude à la « Bon sang mais c’est bien sur ! », le Thunderbolt tape du poing dans une de ses mains : cette pierre précieuse a été volée à madame Van Ept le mois dernier. « Socks » est sans doute celui qui a commis le vol initial !

Une fois la police prévenue à propos des « trois prisonniers » (ce qui implique que l’homme frappé par la lampe n’est pas mort mais inconscient, contrairement à ce que pensaient ses deux complices), le Thunderbolt s’envole tout en transportant Johnny. Le génie récapitule : « Alors Black Canary voulait voler les gars qui voulaient voler « Socks », qui lui-même avait volé Madame Van Ept ! ». Mais qui est donc ce « Socks » Slade. C’est un gangster qui roule visiblement sur l’or. Le même soir il donne une fête dans sa demeure. On le retrouve d’ailleurs avec ses hommes. Ces derniers sont inquiets : « Mais « Socks », cette fête ! C’est trop dangereux ! Trop de gens aimeraient te descendre ! ». Slade n’est cependant pas impressionné. Il a tout prévu : « Relax ! C’est pour ma petite amie ! Elle veut rencontrer la haute société ! J’ai choisi moi-même les invités ! Et je leur ai envoyé un masque spécial, comme celui-ci ! Personne ne peut entrer sans. Personne ! ». On s’aperçoit alors que le « masque spécial » tenu par Slade est identique en tous points à celui que Johnny a volé pour le compte de Black Canary. C’est donc pour celà que la jeune femme voulait le masque. Pour pouvoir entrer dans cette fête…

D’ailleurs Black Canary est déjà dans la maison. En robe de soirée noire, elle s’est glissée parmi les invités puis s’est isolée dans la bibliothèque, cherchant la pierre précieuse, estimant à voix haute que « Socks Slade l’a depuis assez longtemps ! ». Mais la lumière s’allume. « Socks » et ses hommes sont là. Et le chef du gang ricane en expliquant que, justement, il compte bien la garder encore longtemps ! Mais c’est à ce moment que Johnny et son Thunderbolt fracassent une fenêtre et font irruption dans la pièce. L’arrivée des deux héros ne fait cependant pas peur à Slade. L’homme sort un revolver de sa poche et s’apprête à en faire usage. Mais comme on est dans une bibliothèque, Black Canary s’empare d’un livre qu’elle lance, désarmant du coup Sock Slade : « Personne ne se sert de mes amis comme cibles ! ». Mais même sans l’intervention de Black Canary, la magie de Thunderbolt aurait été de taille à neutraliser la bande. C’est d’ailleurs ce qu’il fait, tandis que Black Canary s’éclipse par la fenêtre cassée. Johnny, avec des cœurs dessinés autour de sa tête, est trop séduit pour intervenir.

Plus tard Johnny et le Thunderbolt quittent le commissariat local, avec que Socks Slade et sa bande aient été jetés en prison et que la pierre précieuse ait retrouvé sa propriétaire d’origine. « Mais Black Canary s’est échappée dans tout ce fracas ! J’ai reconnu sa voix… comme de la musique ! Est-ce que je la reverrais un jour ? ». On est donc clairement dans l’archétype du héros qui tombe amoureux d’une criminelle qu’il trouve trop belle pour être foncièrement mauvaise. Un peu à l’instar de la relation Batman/Catwoman… Mais là le scénariste apporte une différence importante. Le Thunderbolt est, on l’aura compris, la voix de la raison dans la série. Mais le début de l’histoire nous a également montré que le Thunderbolt était un lecteur acharné de comics. Et là, il remet clairement Johnny à sa place : « Non, tu ne la reverras pas ! Je suis fatigué de voir les héros des comic-books devenir amoureux de belles criminelles ! Tu ne vaux pas grand chose comme héros mon garçon mais tu ne vivras pas d’histoire d’amour. Pas dans cette histoire ! ». Johnny ne peut pas cacher sa déception sur cette fin très moralisatrice où Robert Kanigher semble exprimer une sorte de commentaire sur le travail de ses collègues.

Le Thunderbolt ne le sait pas encore mais il a tort quand il prédit à son maître qu’il ne reverra pas Black Canary. Johnny Thunder va systématiquement croiser le chemin de la jeune femme dans les mois suivants, cette blonde inconnue prenant de plus en plus de place dans la série. On est typiquement dans le cas où le personnage secondaire dévore la place du héros principal. A plus forte raison quand le héros en question est généralement considéré comme un bouffon. Black Canary apparaît alors comme une manipulatrice de plus en plus organisée, qui mérite d’ailleurs son pseudonyme en utilisant des canaris noirs tout spécialement dressés. Le lecteur moderne sera rétrospectivement tenté de trouver des circonstances atténuantes à Black Canary. Après tout n’est-elle pas une « voleuse de voleurs » ? Et vers la fin elle est bien venue en aide aux héros… Oui mais cette version première de Black Canary est avant tout une menteuse, une manipulatrice occupant un rôle de « trickster » et on remarquera qu’elle n’hésite pas à faire courir des risques à ceux qu’elle utilise. D’abord elle a envoyé Johnny Thunder vers le danger en lui faisant cambrioler la maison de la première bande de gangsters. Ensuite elle a retiré l’échelle, ce qui fait que Johnny a failli se rompre le cou en tombant dans le vide. Black Canary avait déjà son masque, elle aurait pu s’enfuir sans demander son reste, en laissant l’échelle en place, mais elle a bien décidé de laisser Johnny dans une position dangereuse où il ne pouvait que tomber ou être découvert par les gangsters. Et, si certains voulaient encore laisser la place au doute, le discours final du Thunderbolt identifie clairement Black Canary comme une « méchante ». Dans Flash Comics #87, Johnny dit d’ailleurs que « les journaux sont remplis des crimes du Black Canary ».

Mais pour le coup les choses allaient pas la suite contredire le Thunderbolt et le scénariste qui s’exprimait à travers sa bouche. Dès Flash Comics #87, un virage s’amorce, DC semblant changer son fusil d’épaule. Il semble que Johnny Thunder et son Thunderbolt étaient en perte de vitesse. Dans ce #87, on ne voit donc pas le génie. L’épisode est consacré au seul Johnny et à Black Canary qui font équipe « dans leur guerre contre le crime ». On comprendra par la suite que Black Canary était en fait une héroïne infiltrée dans la pègre pour mieux la combatte de l’intérieur ! Mais dès Flash Comics #88, alors que Johnny Thunder s’est à nouveau mis dans de sales draps suite à une enquête avec Black Canary, le Thunderbolt revient pour sauver le jeune homme tout en ne cachant pas son agacement : »Ne t’avais-je pas dis de te méfier des femmes ? Et tout spécialement de Black Canary ? ». La mystérieuse blonde serait absente de Flash Comics #89 mais dans les épisodes #90 et 91, le segment serait carrément rebaptisé « Johnny Thunder & Black Canary ». Elle allait s’avérer si populaire qu’il fallait maintenant lui donner des missions autonomes. Dans Flash Comics #92, Johnny Thunder avait disparu, son segment dans l’anthologie s’arrêtant… pour mieux laisser la place à une Black Canary se comportant désormais en super-héroïne clairement identifiée comme telle. Ce n’est que dans cet épisode qu’on découvrirait finalement que la blonde Black Canary était en fait une brune fleuriste, Dinah Drake, qui portait une perruque pour combattre le crime sans qu’on puisse la reconnaître.

Flash Comics #86 n’est pas seulement important en raison de la première apparition de Black Canary. L’épisode a une double importance historique. En plus de la création de cette héroïne qui allait marquer la fin des années quarante chez DC, ce récit est aussi la première commande que l’éditeur passa à un jeune dessinateur, Carmine Infantino, qui jusque là n’avait travaillé que pour la concurrence. Infantino allait prospérer chez DC (il serait plus tard le co-créateur du Flash du Silver Age, Barry Allen) au point de devenir l’éditeur-en-chef de la firme dans les années 60 et plus globalement quelqu’un qui allait véritablement façonner le destin de DC pendant des décennies…

Le « Canari Noir » aussi aurait une belle carrière : Dans All-Stars Comics #39, en 1948, Robert Kanigher pousserait encore la chose plus loin en faisant de Black Canary la deuxième femme à intégrer les rangs de la Justice Society of America. En fait elle ne se contenterait pas de rejoindre le groupe : là aussi elle prendrait la place de Johnny Thunder. Il y a d’abord un épisode de transition (le #39) où les deux héros apparaissent avec l’équipe. Puis, dans All-Stars Comics #40, Johnny Thunder n’est plus là tandis que Black Canary continue d’aider la JSA comme si c’était désormais une chose normale. Ce n’est que dans le #41 que Black Canary est formellement recrutée dans le groupe au terme d’un procédé clairement empirique étalé sur quelques mois. On se rend compte que la trajectoire de Black Canary a tenu à peu de choses. Si Kanigher avait décidé de forcer le trait lors de sa première apparition et d’en faire, par des dialogues ou par des actes, une criminelle au delà de toute forme de rédemption on voit bien que la suite des événements aurait été clairement différente. Et Johnny dans tout ça ? La répartition des héros de la JSA tenait d’une certaine alchimie. Et comme Johnny Thunder ne paraissait plus dans Flash Comics, continuer de l’utiliser dans les aventures de la Justice Society devenait impossible. Son génie et lui étaient considérés comme obsolètes et on ne jugeait plus utile de les mentionner dans la JSA. Le Thunderbolt l’avait pourtant prévenu depuis le début : Il aurait mieux fait de se méfier de Black Canary !

[Xavier Fournier]