Oldies But Goodies: Detective Comics #156 (Fev. 1950)

1 novembre 2009 Non Par Comic Box

Oldies But Goodies : Detective Comics #156 (Fev. 1950)[FRENCH] Fut un temps où dans Detective Comics on ne trouvait pas que le seul Batman (ou, plus récemment, que la seule Batwoman). Longtemps la série resta fidèle à la formule anthologique, permettant à des héros de second ordre de continuer d’exister. Parmi eux, le Robotman de l’Age d’Or a la particularité de partager son temps entre la chasse aux criminels et une véritable remise en question constante de son identité…

Robotman n'est pas le héros mineur qu'on pourrait croire...Au cours de son histoire DC Comics a publié les aventures de deux héros distincts surnommés Robotman. Le premier, celui qui nous intéresse aujourd’hui, est reconnaissable à sa couleur argent et fut principalement actif pendant le Golden Age. On ne le confondra pas avec le Robotman « moderne » (couleur dorée) qui se trouve être membre de la Doom Patrol depuis les années 60. Robotman « premier », celui des années 40, était à la base le scientifique Robert Crane. Ce dernier travaillait sur la mise au point d’un corps robotique quand il fut agressé et blessé mortellement. Heureusement pour lui, il fut possible de transférer son cerveau dans le corps artificiel, faisant de lui Robotman. Certes, les puristes nous diront que Robotman est un nom trompeur, qu’il ne s’agit pas réellement d’un robot mais d’un hybride homme/machine et que donc le terme de « Cyborg » s’y prêterait plus. Mais « Batman » n’est pas, lui non plus, une vraie chauve-souris… Dès lors « Robotman » est un nom tout à fait valide selon les critères habituelles des comics. On notera aussi une filiation lointaine avec un autre « homme d’acier » : C’est Jerry Siegel, co-créateur de Superman, qui lança Robotman en compagnie du dessinateur Leo Nowak. Siegel était fan de Metropolis (le film de Fritz Lang), d’où le nom de la ville où opère Superman. Mais cet intérêt pour l’oeuvre de Lang est également manifeste dans l’apparence de Robotman, qui ressemble à une version « mâle » de la femme-robot vue dans le long-métrage. Et il est difficile de penser que Siegel n’essayait pas au moins en partie de mettre au point un nouveau « man of steel » (surnom habituel de Superman) à travers ce Robotman. En fait le résultat sera différent, en particulier par l’utilisation qu’en feront les scénaristes succédant à Siegel.

Le thème du héros « transposé » dans un corps inhumain n’est pas rare, que ce soit dans la science-fiction en général ou dans les comics en particulier. On retiendra par exemple la Chose (le monstre orange des Fantastic Four) ou encore Metamorpho. Bien souvent le héros concerné va donner dans le pathos, se lamentant sur son humanité perdue et son incapacité à s’intégrer. Ce qui arrive à Robert Crane est d’un autre ordre à deux niveaux. D’abord, pour pouvoir faire arrêter son meurtrier, Robotman sera obligé de faire constater officiellement le décès de son alter-ego humain. Ce qui veut dire qu’au regard de la Loi, Robert Crane n’a plus d’existence légale. Robotman sera obligé de se forger une fausse identité humaine sous le nom de Paul Dennis. Il fait semblant d’être humain grâce à un faux visage et de fausses mains, accessoires dont on nous dit qu’ils sont en plastique (mais l’utilisation fait plus facilement penser à des masques de latex semblables à ceux de Mission Impossible). Du coup on serait tenté de se dire que Robotman est mieux intégré dans la société que la Chose (tandis que Metamorpho utilisait lui aussi des masques en latex du même ordre) mais il n’en est rien. Bien que ce ne soit pas présenté ainsi dans les histoires, le danger qui guète Robotman est simplement différent. Au lieu d’être considéré comme un « monstre », Robotman est régulièrement traité comme un « objet » (par exemple dans un épisode la justice le considère comme un véhicule et lui ordonne de porter une plaque d’immatriculation). Et Robotman lui-même est prompt à accentuer cette situation car bien souvent il se rajoute des extensions, des « plug-ins », qui vont encore l’éloigner d’un être à silhouette humaine. C’est d’ailleurs assez explicite dans ce récit de 1950…

Robotman prend les problèmes... à bras le corps ?Invité un soir à dîner chez un ami, Paul Dennis observe le maître de maison donner des ordres à son domestique et féliciter le cuisinier pour le repas. Intérieurement, Dennis pense pour lui : « Je ne peux pas avoir de domestiques sinon les gens découvriraient que je suis Robotman. Je dois tout faire moi-même ! ». La réflexion est un peu étrange et dénote du rang social du personnage : si Bruce Wayne/Batman a bien un domestique, la plupart des héros de comics n’en ont pas… et vivent très bien sans. Pourtant la chose devient visiblement importante pour Dennis. Elle devient le critère qui lui permettra ou pas de s’intégrer dans le cercle social qui est le sien. Pour tenir son train de vie, Robotman aurait besoin d’un serviteur… ou d’une astuce… Dans la discussion son ami, Merton, mentionne qu’il est fabriquant d’armes (jeu de mot manifeste avec « arms », qui veut dire « armes » mais aussi « bras » en anglais). Paul Dennis prends congé en promettant d’aller un jour visiter l’usine de Merton. Mais ce qui occupe vraiment son esprit, ce sont toutes les tâches qu’il a à faire. Rentré chez lui et posant ses vêtements pour révéler son corps de métal, Robotman ne peut que constater le désordre : « Quel foutoir ! Je dois mettre de l’ordre dans ces papiers, enlever la poussière, écrire un rapport scientifique… Personne ne le fera pour moi… ». Mais le héros appuie sur un bouton sur son corps métallique et deux nouvelles paires de bras surgissent de ses côtes. Voila Robotman désormais pourvu de six bras et paré pour tout faire. Avec deux bras il tape à la machine, avec deux autres il range ses papier, avec le cinquième il fait de l’ordre sur un meuble. Et avec le sixième ? Rien. Il le laisse de manière nonchalante sur le bord d’une commode : « Je n’utilise pas mon sixième bras… Je suis d’humeur fainéante aujourd’hui ! ».

Plus tard, Robotman va s’entraîner avec des punching-balls. Au demeurant on serait tenté de se dire que ça ne sert absolument à rien d’entraîner un corps de robot, qui n’a pas de muscles à faire progresser. Mais le scénariste insiste bien sur le fait que la séance permettra au héros « d’être certain que ses muscles en métal seront en forme ». Au moins Robotman évoque lui-même une explication plus convaincante en tapant sur trois punching-balls différents avec tous ses bras surnuméraires : « C’est bien d’entraîner ma coordination, de faire plusieurs choses en même temps… »

It's a job for... Robotman !Le lendemain, Paul Dennis accepte l’invitation de Merton pour aller visiter sa fabrique d’armes à feu. Mais alors que les deux hommes arrivent vers l’entrée, ils écoutent des cris. Des gangsters sont en train de cambrioler l’usine et ont assommés les gardes tout en coupant les communications. Dennis s’éclipse bien vite pour pouvoir assumer son identité de Robotman. Il surprend le gang et résiste sans mal aux balles qui lui sont tirées dessus (elles s’écrasent contre son corps. Quand on vous disait que Robotman c’était un peu un Superman « techno »). Mais un autre gangster, placé du côté opposé, est sur le point de défoncer la tête du héros en utilisant une barre à mine. Heureusement pour Robotman, il peut alors compter sur son bouton secret et ses bras supplémentaires surgissent. « Eeeeeh ! Il a autant de bras d’une pieuvre ! » s’écrie un gangster. « Pas vraiment, mais ce n’est pas une mauvaise idée » répond Robotman. Très vite le héros terrasse divers malfrats mais Merton vient le prévenir qu’une autre partie de la bande est en train de s’enfuir avec des douzaines de carabines et de revolvers. Robotman ne peut pas être à plusieurs à la fois, poursuivre une partie de la bande, tout en surveillant ses prisonniers. A moins que…

Robotman en voiture ? Non, Robotman EST la voiture...Quand l’un des malfrats revient à lui, il sens sur son épaule la lourde main de Robotman qui le tient en place. Mais le héros n’est pas là. Il a attaché son bras à un proche tuyau, comme s’il s’agissait d’une sorte de paire de menottes perfectionnées. Il reste 5 bras à Robotman, ce qui est largement suffisant pour terrasser les gangsters restants (d’autant qu’il en avait un de rechange dans sa poitrine et que le voici donc revenu à six). Sauf que ceux-ci ont déjà pris la poudre d’escampette en sabotant la voiture de Merton pour qu’on ne puisse les pourchasser. Qu’à cela ne tienne ! Robotman se glisse sous le châssis de la voiture sabotée: les roues sont actionnées par ses mains et son propre corps devient le moteur. Dans cette voiture « robotisée », le héros a vite fait de rattraper ses proies, qui s’apprêtaient à attaquer une prison. Le vol des armes, ce n’était que pour préparer une évasion. Sans perdre de temps, Robotman s’en mêle, d’autant plus que les armes à feu ne lui font toujours ni chaud ni froid. Très vite, l’évasion est stoppée net et les gardiens remercient Robotman : « Au lieu que le pénitencier perde certains de ses prisonniers, nous en avons de nouveaux en plus ! On est contents que tu ai ces nouveaux bras Robotman ! ». Et le soir, alors qu’il est invité chez Merton, Paul Dennis écoute son ami lui raconter les exploits du Robotman à six bras, tout en riant intérieurement puisqu’il lui suffira de se regarder dans le miroir quand il voudra les voir.

Ce n’est là qu’une des aventures du héros où il s’éloigne volontairement de la forme humaine, prêt à sacrifier une certaine notion de son humanité si cela peut accroître son rendement. On le constate non seulement avec cet ajout de bras mais aussi avec la facilité avec laquelle il devient le moteur de la voiture. D’ailleurs dans une histoire plus tardive (Detective Comics #164), le héros transforme son corps dans ce qu’il appelle la « Robot-Mobile »: une sorte de plan de travail attaché à sa taille qui lui permet d’emporter partout un laboratoire de criminologie. Quand aux bras « surnuméraires », s’ils ont l’air d’être une sorte de transformation temporaire, le temps d’un épisode, ils continueront au contraire à être utilisés de temps à autre par l’homme-robot (comme dans Detective Comics #165, où ils ont des extrémités-extincteurs qui permettent de lutter contre les incendies). Le Robotman de l’Age d’Or n’est donc pas tellement un « monstre » façon la Chose, il est plus proche d’un équivalent électronique de Gregor Samsa (le héros de Franz Kafka dans la Métamorphose). Au delà de sa transformation physique initiale, Robotman a tendance à continuer à se transformer de plus en plus en objet (voiture, aspirateur…) au fil de ses aventures… Sans que forcément les scénaristes semblent désirer s’engager sur cette voie au premier degré. Cette bizarrerie ou plus exactement ce discours accidentel sur la perte des valeurs humaines d’un homme-objet donne aux aventures de Robotman un petit ton « cyberpunk » avant l’heure ou quelque chose qui lorgne plus vers les questionnements de certains romans de Philip K. Dick que vers les « lois de la robotique » d’Asimov. Et pourtant il y aura bien un robot dans la série. En 1943 Paul Dennis se construit un compagnon : Robbie The Robotdog (sans doute qu’un vrai chien aurait été trop « commun »),  un compagnon canin qui prédate Krypto ou Ace The Bat-Dog et qui accompagnera Robotman dans ses aventures pendant quelques années en poussant la loufoquerie jusqu’à porter lui aussi des postiches pour passer pour un chien normal quand Paul Dennis est en civil. On ne sait pas trop ce que Robotdog est devenu depuis…

Robotman, héros du multi-tâche ?Autre source d’intérêt: Contre toute attente, malgré ce que pourrait laisser penser le peu de souvenir que peu laisser l’existence de ce premier Robotman, il n’a rien d’une anecdote de l’histoire des comics. Ou alors d’autres que lui sont bons à être passés aux oubliettes. Avec des débuts parus dans en avril 1942 (Star Spangled Comics from #7) et une fin de parution en décembre 1953 (Detective Comics #202), le run initial de Robotman totalise une durée de 11 ans et égale (ou parfois dépasse de beaucoup) la plupart des sociétaires de la JSA. Par exemple le premier Hawkman débute en 1940 mais disparaît en 1951, ce qui fait que sa longévité est égale à celle de Robotman. Mais Doctor Fate, lancé lui aussi en 1940, cesse de paraître en 1944. Wildcat, lancé en 1942 dans les pages de Sensation Comics, s’arrête en 1949. Autant dire qu’à la fin des années 40/début des années 50, si vous aviez demandé à un jeune lecteur qui était des membres de la Justice Society ou de Robotman il connaissait le mieux, le choix se serait porté sur l’homme de métal. A plus forte raison parce que la JSA elle même disparaît tandis que Robotman, lui, dure deux ans de plus. Protégé parce qu’il était publié en seconde partie de Detective Comics (et vivant donc un peu dans l’ombre de Batman), Robotman aurait pu durer facilement jusqu’au Silver Age, un peu à la manière d’Aquaman et de Green Arrow (publiés eux aussi en « back-up » d’autres magazines). Il s’en est d’ailleurs sans doute fallu d’un cheveu. Ce qui a fait la différence, au final, c’est que Robotman, sans doute à cause de son côté plus « SF », ne fut jamais (en tout cas pas à l’époque) intégré dans les rangs de la Justice Society ou des Seven Soldiers of Victory. Sans lien réel avec les autres super-héros de DC, son « importance » historique fut revue à la baisse, là où les Doctor Fate, Wildcat et autres furent sauvés de l’oubli parce qu’ils étaient membres de la JSA.

Au début des années 70, les revues DC augmentant le nombre de leurs pages, l’éditeur puisera dans les vieilles séries pour alimenter la pagination. C’est ainsi qu’on retrouvera des réimpressions du premier Robotman dans World’s Finest Comics. C’est par la force des choses que le premier Robotman fera son retour réel dans l’univers DC, d’abord en 1977, dans Justice League of America #144, quand il fut révélé qu’il avait fait partie de la première aventure de la Justice League… Ce qui n’était pas sans poser un gros problème de continuité puisque les héros des années 40 étaient supposés exister sur une Terre alternative, Terre-2 (à la différence de la Justice League qui existait sur Terre-1). DC Comics Presents #31 (Mars 1981) donna une conclusion aux aventures du héros, bien qu’il s’agissait d’une nouvelle contradiction avec Justice League of America #144 : on apprenait que si Robotman avait été inactif pendant des années, c’est qu’il a avait piégé par un éboulement, pas détruit mais incapable de s’en sortir. Quand, finalement, il s’en échappe c’est pour apprendre que son ancien assistant est mort d’une tumeur au cerveau mais qu’il lui a légué son corps humain (qui en dehors du cerveau est en parfait état), lequel a été préservé par cryogénie en attendant que Robert Crane/Paul Dennis puisse en profiter. « Robotman » fait donc transférer son cerveau dans ce nouveau corps, laissant derrière lui les aventures robotiques mais reste mentionné de temps à autre quand il faut justifier d’un background technologique (par exemple des parties de Robotman ont été utilisées dans l’armure de S.T.R.I.P.E.S, le beau-père de Star Girl).

La vraie reconnaissance de Robotman viendra à partir de Justice League of America #193 (août 1981), quand Roy Thomas inventera rétroactivement les aventures du All-Star Squadron (l’Escadron des Étoiles), une équipe supposée avoir existé dans les années 40 en parallèle de la Justice Society. Robotman figurait en bonne place dans le All-Star Squadron et bon nombre de lecteurs pensèrent alors qu’il s’agissait du retour d’un personnage du Golden Age ayant eu tout au plus une poignée d’épisode, sa réelle longévité ayant été oubliée de longue date. De nos jours, éclipsé par le Robotman de la Doom Patrol, le premier utilisateur du nom n’est guère plus que l’objet d’allusion. Par exemple on a récemment revu le corps mécanique de Robotman dans Superman #692 (novembre 2009) dans les laboratoires du projet « Hell », aux cotés de Bozo The Iron Man, lui aussi désactivé. L’insinuation étant que le corps de Robotman a servit de modèle pour la mise au point du corps artificiel de cyborgs plus modernes comme Metallo et Reactron (des adversaires de Superman). Que d’autres cyborgs aient succédé à ce premier Robotman, c’est une chose. Mais bien peu ont exploité le filon de l’homme-objet tel que lui…

[Xavier Fournier]