Oldies But Goodies: Batman #26 (Dec. 1944)

12 juin 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Dans le futuriste Batman Beyond (le dessin animé connu en France sous le titre de « Batman La Relève ») Bruce Wayne est vieux et a pris sa retraite depuis des années, cédant la place à un nouveau Batman, plus jeune. Aussi si je vous demande, après cette courte explication, qui est le prédécesseur du jeune héros de Batman Beyond vous me répondrez sans doute dans un bel élan « Bruce Wayne ». Et vous aurez raison… mais seulement sous un certain angle…

C’est en 1944 que le panthéon Batmanien s’intéresse pour la première fois à la possibilité d’un successeur futur qui hériterait du costume et des méthodes de Bruce Wayne après que celui-ci ait raccroché. D’une certaine manière c’est rapide (Le concept de Batman, publié pour la première fois en 1939, n’a donc que cinq ans) mais d’un autre côté l’éditeur DC Comics n’était pas prêt à remettre en cause l’endurance virtuelle de Batman. Puisque le Bien triomphe toujours, Bruce Wayne ne semblait pas pressé de raccrocher sa cape. Il ne prenait pas une ride. Robin (Dick Grayson), son jeune compagnon ne faisait pas mine de grandir et on était finalement dans un rapport avec le temps très proche de celui démontré par les héros classiques de la BD Franco-Belge. Aucun personne (qu’il soit principal ou secondaire) de l’univers de Batman ne semblait vieillir. Ce qui semblait indiquer – au moins sur le plan symbolique – que jamais Bruce Wayne ne serait trop fatigué pour continuer d’être Batman. Et, de la même manière, jamais Dick ne grandirait. En tout cas pas tant qu’on serait dans cette phase de temps figé. Mais quand même… Batman n’était qu’un homme… Il ne serait pas toujours là pour sauver Gotham ou les USA en cas de coup dur. Il avait forcément une limite, même si elle restait non définie. Ajoutez à cela qu’il y avait des précédents, chez DC, de prendre un concept donné et de montrer ce qu’il serait devenu dans un futur lointain. Par exemple Siegel & Shuster (les créateurs de Superman) avait utilisé la technique dès 1937, dans les pages de New Adventure Comics #12. Eux qui d’habitude produisaient les exploits des Federal Men (de simples héros policiers) s’étaient essayés à montrer ce que seraient devenus les policiers un millénaire plus tard. Soit, donc, les Federal Men de l’an 3000.

Il y a fort à parier que le récit de Siegel et Shuster dans New Adventure Comics a eut une influence sur, Batman #26, l’épisode vers lequel nous allons maintenant nous tourner puisqu’il décrit le Batman… de l’an 3000. Ou, pour résumer l’avertissement du narrateur : « Cette histoire concerne Batman et Robin… Et cependant Batman et Robin n’y apparaissent pas ! Ce n’est pas une histoire sur Batman & Robin mais plutôt un récit sur des gens ordinaires, comme vous et moi… des gens qui aiment notre gouvernement (lequel nous offre la vie, la liberté et la recherche du bonheur) et qui sont prêts à se battre pour cela. Ce sont les gens qui feront l’objet de votre lecture… Des gens de demain, puisqu’il s’agit de l’histoire de… L’ANNEE 3000 ». L’introduction peut paraître curieusement patriote mais nous allons voir bien vite que nous sommes dans le domaine de la parabole et que sous couvert de « futur » l’épisode aborde également des sujets d’actualité pour 1944…

Le récit commence cependant par un exposé en apparence idyllique de la fin du troisième millénaire. En l’an 3000, l’humanité a construit des villes aux tours gigantesques, qui s’élèvent vers le ciel. Mais le voyage interplanétaire s’est lui aussi banalisé, l’Homme pouvant facilement voyager de planète en planète. La Terre est un monde en paix « où les seules guerres sont celles que les chercheurs et les enseignants livrent à la maladie et à l’ignorance ». Les enfants jouent à l’air libre au lieu de se cacher dans des abris anti-aériens (référence évidente à ce que vécu, dans le début des années 40, une partie de l’Europe) . Bref, c’est le bonheur universel jusqu’au 19 avril 3000, à 9h12, quand la planète Saturne attaque par surprise la Terre en lui livrant une « Blitzkrieg » (en allemand dans le texte, soit l’équivalent d’une guerre-éclair). Les Saturniens sont de petits êtres grotesques (avec des pattes semblables à celles des canards dans les dessins animés et des oreilles démesurés) qui portent un uniforme vert. Ils ravagent le monde, face à une humanité qui a complètement oublié comment se battre après plus d’un siècle de paix. Les magnifiques cités humaines s’écroulent les unes après les autres tandis que le leader Saturnien, un certain Fura, resté sur sa planète mère, se félicite : « D’abord la Terre, puis Mars, puis ensuite Mercure… et demain le reste du système solaire ! Saturne sera le monde régnant ! ». Au second degré, tout renvoie à une évocation cachée de la seconde guerre mondiale, étendue à la taille du système solaire. Les survivants humains sont obligés de se terrer dans des abris de fortune, évoquant à nouveau l’image de l’Europe ravagée. Les envahisseurs attaquent via une « Blitzkrieg ». Le plan de leur leader évoque assez la conquête progressive de l’Europe, les planètes convoitées par Fura remplaçant les pays annexés par Hitler. Et puis il y a le nom de ce leader Saturnien. Avec la prononciation américaine, non seulement « Fura » se prononce de manière très proche de « Fury » (aucun rapport avec le Nick Fury publié plus tard par Marvel, il faut y voir la consonance du mot « Furie ») mais le terme s’approche aussi du mot «fürher ». Bref, si l’action se déroule en l’an 3000, il est clair qu’elle est imprégnée de l’époque à laquelle elle est écrite (décembre 1944). D’ailleurs, si un doute restait, on va assez vite nous parler de « camps de concentration »…

C’est à l’extérieur d’un d’entre eux que deux personnages bruns (un adulte, flanqué d’un jeune garçon), encore libres, regardent les soldats saturniens escorter des prisonniers à l’intérieur du camp. L’adulte (on comprendra dans une autre case qu’il s’appelle Brane) est furieux, les poings serrés : « Le Nouvel Ordre ! Des prisonniers politiques, des scientifiques et d’honnêtes auteurs… enchaînés ! ». Ce qui est assez ironique, rétrospectivement parlant, c’est que l’histoire véhicule la perspective des années 40 mais que si le même épisode avait été rédigé dix ans plus tard (quand l’Amérique sombrait dans la paranoïa anti-communiste et traquait des espions plus ou moins réels parmi ses scientifiques ou ses auteurs) le point de vue du héros aurait peut-être été totalement opposé. Visiblement lassé du spectacle, Brane et son jeune compagnon, Ricky, rebroussent chemin. Brane est toujours lancé dans un monologue anti-Saturnien mais le garçon l’interrompt, remarquant quelque chose au fond du cratère atomique au bord duquel ils marchent (Bien sûr la scène véhicule la naïveté de l’époque en ce qui concerne le potentiel destructeur de la bombe atomique). Ricky a aperçu une sorte de grand tube. Poussés par la curiosité (et visiblement pas effrayés par l’idée que plus ils restent à l’extérieur plus ils peuvent se faire surprendre par les Saturniens), Brane et Ricky descendent dans le cratère et inspectent ce qui ressemble à une torpille. Descendus au fond d’un cratère atomique et trouvant une torpille on pourrait croire que ces deux-là vont rebrousser chemin à vitesse grand V mais ils inspectent l’objet et trouvent une inscription. Il s’agit d’une « capsule temporelle » datant de l’Exposition Universelle de 1939 à New York. Pour ceux d’entre vous qui ignorerait ce qu’est ce genre de capsule, il ne s’agit pas d’un engin fantaisiste mais d’une pratique qui consiste à enterrer dans le sol un objet qui contient des témoignages à destination des générations futures. La capsule temporelle de 1939 à laquelle il est fait référence dans cet épisode existe réellement, construite par la compagnie Westinghouse, elle a bien été enterrée pendant l’exposition universelle de New York (contenant des messages de personnalités comme Einstein) et ressemble bien à ce qui est décrit dans l’épisode de Batman, mis à part peut-être la taille et le fait que les auteurs (le dessin est attribuable sans erreur possible à Dick Sprang, dont le style est très reconnaissable tandis que pour le scénario on est réduit à des suppositions, comics.org l’attribuant à Joseph Greene , qui écrivit incognito de nombreux comics pour le DC de l’époque) n’ont sans doute pas poussé bien loin leurs recherches : la capsule montrée dans la BD ne contient qu’une courte inscription pour l’identifier (« New York World’s Fai 1939 Time Capsule ») là où le vrai objet est identifié par un texte bien plus long, demandant aux gens de ne pas toucher à son contenu avant l’an 6939 (les créateurs de la capsule estimaient qu’elle pourrait durer 5000 ans). Ou peut-être que ce dernier avertissement a été omis volontairement par les auteurs pour ne pas montrer les deux héros en train d’enfreindre la loi, même dans ces circonstances. Sans mise en garde sur cette version de la capsule, Brane et Ricky peuvent l’ouvrir sans état d’âme pour voir ce qu’elle contient.

Empoignant une « ceinture anti-gravité » pour soulever l’engin, les deux personnages ramènent la capsule jusqu’à leur cachette et l’ouvrent à l’aide d’une scie. Ils y trouvent ainsi une montagne d’informations sur le vingtième siècle et même des microfilms, avec des instructions pour pouvoir construire un projecteur afin de les lire. Grâce à ces microfilms, Brane et Ricky peuvent se familiariser avec l’histoire oubliée de l’Amérique, redécouvrant comment les américains gagnèrent leur indépendance, tournant un regard plein d’espoir vers le futur, à une époque où « seuls des hommes libres fouleraient la Terre ». Mais en lisant ces propos Ricky se lamente : « NOUS sommes le futur ! Et regarde nous ! Des esclaves ! ». Brane a cependant été inspiré par les propos des hommes du vingtième siècle. Puisque les hommes du passé ont pu se battre pour leur liberté, alors ils peuvent en faire de même. Brane va trouver d’autres survivants dans un abri qui semble être une ancienne station de métro. Il leur explique qu’en 1776 les américains ont combattu pour leur indépendance et qu’ils peuvent, eux aussi, combattre. Mais la réaction n’est pas à la hauteur des espoirs de Brane. Les autres humains lui opposent qu’ils n’ont pas d’armes alors que les Saturniens ont des canons atomiques et des fusils désintégrateurs. Brane a beau se référer aux fondateurs de l’Amérique, son public lui oppose que c’est du passé et que ça ne marcherait pas aujourd’hui. Ils s’en vont, laissant Brane seul avec sa dulcinée, la brune Loral, seule à lui accorder un peu de soutien « Brane, je suis contente que c’est toi que je vais épouser et pas un de ces couards ». Brane est plus compréhensif : « Ce ne sont pas des couards. Mais ils ont considéré la liberté comme une chose acquise depuis si longtemps qu’ils ont oublié comment se battre pour elle ».

N’empêche : Brane a fait chou blanc. Il n’est pas arrivé à organiser la Résistance. Et il retourne chez lui où il retrouve Ricky. On notera d’ailleurs que les auteurs ne nous renseignent pas sur les liens exacts entre Brane et Ricky. L’enfant est-il un fils ? un frère ? un cousin ? un enfant sans lien de parenté que Brane aurait recueilli après l’invasion des Saturniens ? On ne le dit pas. Mais il est clair que Ricky est resté à la maison en continuant d’explorer le contenu de la capsule. Brane le trouve en train de visionner des reportages d’actualités de l’époque et en particulier les exploits de deux personnages masqués qui intriguent l’adulte. Le garçon explique que ce sont Batman et Robin : « Il est dit qu’à eux seuls ils arrivaient à combattre le crime et le mal, qu’ils étaient des champions de la justice et une inspiration pour les gens. Une preuve vivante du courage de l’Homme ! ». Et Brane de marmonner pensivement : « Oui… c’est ça ! C’est ce dont nous avons besoin ! ».

Au même moment, Fura donnent ses ordres à ses subordonnés (qui le saluent avec la main et le bras tendus, autrement dit le salut hitlérien, encore une autre preuve que Fura est présenté comme le Hitler de l’an 3000). Fura a trouvé encore une autre méthode pour faire souffrir l’humanité : toute personne trouvée dans les rues après 9 heures du soir sera désintégrée. Puis, resté seul, Fura ricane du fait que les humains peuvent être opprimés et réduits à l’esclavage, comme des robots. Et Fura rit alors encore plus de sa bonne « joke », ce qui peut-être perçu comme une manière de le rapprocher également d’un Joker futuriste (bien que l’apparence soit nettement différente). A neuf heure, à l’instauration du couvre-feu, les Saturniens se mettent à menacer tous les humains qu’ils peuvent trouver, y compris une femme seule et son enfant. Ignorant les suppliques, ils sont sur le point de les exterminer quand deux silhouettes interviennent : Batman et Robin ! Tandis que les deux héros commencent à rouer de coups les Saturniens sidérés, le narrateur s’étonne « Mais attendez ! Ces uniformes ! Ce jargon de bataille ! Cela évoque des choses ! Ca ne semble pas possible mais nous devons croire ce que voient nos yeux ! Ce sont Batman et Robin… en l’an 3000 ! ». Oui c’est ça, ami narrateur, prend nous pour des arriérés. Ben voyons. Comme si nous n’avions pas compris qui sont réellement les deux héros qui interviennent…Dans la bataille Batman s’étonne « Robin, je pensais que ces gars étaient supposés être des durs ! » mais le dit-Robin rétorque « Peut-être qu’ils le sont, Batman, mais maintenant ils ont de la concurrence ! ». La femme et l’enfant, sauvés, remercient Batman tandis que Robin s’approprie les armes des Saturniens battus : « Je connais des Terriens qui leur trouveront un usage ! ».

Ce n’est là que le premier fait d’armes en l’an 3000 de Batman et Robin. Très vite leurs exploits se multiplient. Ils détruisent des usines d’armes ennemies. Ils affrontent des patrouilles. Aux commandes d’un engin qui ressemble à une Batmobile volante, ils libèrent les prisonniers d’un camp de concentration. Bientôt leur nom est à nouveau connu de la Terre entière tandis que les Saturniens aussi se familiarisent avec le nom et le logo de Batman, trouvant sa carte sur des soldats qu’il a ligoté. L’imagination des humains s’enflamme. D’autant qu’ils trouvent également des traces de l’existence du héros au vingtième siècle ! Aurait-il vécu pendant 1000 ans ou bien aurait-il utilisé une machine à voyager dans le temps pour venir les libérer ? Le lecteur, lui, est vite fixé alors que Batman et Robin rentrent à leur foyer. Sans surprise, quand les deux héros se démasquent on peu constater qu’il s’agit de Brane et de Ricky. Le nouveau Robin de l’an 3000 s’exclame : « Je pense que ton plan « Batman » fonctionne ! Tu as inspiré les gens ! ». Et Brane de poursuivre : « Ils pensaient tous qu’aucun homme ne pouvait battre les Saturniens mais je pense qu’ils sont en train de changer d’avis ». Et au même moment, dans les rues, les humains se font de plus en plus irrespectueux envers les envahisseurs, au fur et à mesure que la peur de ces derniers s’estompe. Fura a beau donner l’ordre qu’on trouve et qu’on désintègre ces Batman & Robin, rien n’y fait. D’autant que Brane a compris la technique maintenant… Il lui faut chercher ses idées dans le passé. Aussi lui et Ricky vont-ils piller un antique musée qui contient des armes du vingtième siècle. Des mitrailleuses et même des grenades. En prime Brane y découvre un ouvrage sur la stratégie militaire et le dévore dans la nuit. A l’aube, il est devenu l’équivalent d’un expert en guérilla. Il retourne dans l’ancienne station de métro mais cette fois, sous les traits de Batman, il n’a aucun mal à les convaincre de se rebeller. Les tunnels du métro deviendront une sorte de « batcave » où les résistants s’entraîneront en préparation du grand jour…

Seul problème : pour rester un symbole Brane ne doit pas révéler qu’il est Batman. Et il lui est impossible d’apparaître comme Brane dans des séances d’entraînement alors qu’il s’y trouve déjà comme Batman. La belle Loral commence à poser des questions. Pourquoi ne voit-on pas Brane s’entraîner avec les autres. Pour éviter de révéler la vérité, Brane est obligé de prétendre qu’il a changé d’avis, qu’il pense que ce serait idiot d’attaquer les Saturniens. Loral, furieuse, pense qu’elle s’est trompée d’homme ! Elle lui rend son anneau de fiançailles et annule le future mariage. Brane est abattu mais Ricky lui dit qu’il sera toujours temps, après, de tout expliquer à Loral… Puis finalement vient le jour du soulèvement. Montés sur des « luges aériennes », Batman, Robin et les résistants peuvent attaquer de front la forteresse terrienne des Saturniens. Il suffit de trois cases aux humains pour écraser les envahisseurs. C’est la liesse ! La victoire ! Mais Batman joue les rabats joie : « Attendez ! Nous n’avons pas terminé ! Nous devons aller sur Saturne. MAINTENANT. Avant que Fura puisse attaquer à nouveau la Terre ! ». Attaquer Saturne ? Ce serait du suicide ! Les résistants contredisent Batman « Nous avons eu de la chance mais nous ne sommes pas des combattants professionnels ». C’est le moment pour Batman de retourner les choses… en se démasquant devant tout le monde. Et tous reconnaissent Brane : « Suis-je un combattant professionnel ou bien suis-je juste un homme comme vous ? J’ai seulement adopté ce déguisement de Batman car je savais que vous ne croiriez pas en Brane ! Mais maintenant que je vous ai prouvé que nous, gens ordinaires, pouvons écraser l’ennemi, allez vous faire marche-arrière ?». Non. Si le « simple » Brane y arrive, alors le reste des hommes est d’accord : ils iront sur Saturne écraser le camp adverse. Enfin après que Loral se soit précipitée au cou de Batman/Brane pour s’excuser de sa conduite, l’implorant de revenir de Saturne. Brane la rassure : grâce à elle il a une raison de revenir.

S’envolant à bord de vaisseaux qu’ils ont sans doute arrachés aux Saturniens, les terriens prennent la direction de Saturne et les deux flottes s’affrontent dans l’espace, à proximité des anneaux de Saturne. La scène de bataille est sobrement sous-titrée « Terre contre Saturne : La Guerre des Mondes ! ». Et il est certain que si la planète concernée est Saturne, l’ombre du roman « La Guerre des Mondes » plane sur toute cette histoire, les Saturniens robots se comportant à peu de choses près comme les Martiens du roman. Mais la Terre a vite le dessus car elle combine non seulement la flotte volée aux Saturniens, quelques vaisseaux terriens reconstruits et aussi les « luges aériennes » vues plus tôt. Apercevant un gros et mystérieux bâtiment qui ressemble à une centrale énergétique, Batman le fait aussitôt détruire, provoquant un résultat inattendu : les soldats de Fura s’immobilisent… puis se mettent à tomber comme des mouches, comme s’ils étaient morts. Inspectant les cadavres, Batman découvre la vérité (il faut croire que personne n’a songé à inspecter les Saturniens abattus sur Terre): il s’agissait seulement de robots ! C’est pour cela qu’ils obéissaient si mécaniquement à Fura ! Le bâtiment détruit devait être leur source d’énergie. Robin s’interroge « Mais alors… Il n’existerait pas de vrai saturniens en dehors des robots de Fura ? ». Si. Ils apparaissent même devant les héros, sortant de cavernes souterraines où ils s’étaient réfugiés, fuyant eux aussi le régime totalitaire de Fura. Batman a donc sauvé deux mondes et les habitants de Saturne lui sont reconnaissants. L’existence d’une population indigène sur Saturne fonctionne d’ailleurs assez bien avec l’univers DC moderne où il existe également une race sur cette planète, en périphérie des aventures du héros Jemm, Son of Saturn. Les saturniens de Jemm ont la peau plus rouge mais tout peut se raccorder en expliquant, par exemple, que les saturniens entrevus par Brane pourraient porter des masques rituels ou quelque chose de ce genre.

L’armée est défaite. Reste son leader. Seul, sans ses robots, pour affronter deux mondes, Fura décolle sans demander son reste. Tous le voient qui s’élève dans le ciel grâce à son costume de « strato-fusée », tentant de se rendre sur une lune de Saturne, Titan (ce qui colle d’ailleurs assez bien avec la continuité DC puisque dans les épisodes de la Legion of Super-Heroes Titan est habitée par la race de Saturn Girl). Mais il est hors de question de laisser Fura s’enfuir. Batman ordonne qu’on lui amène une tenue semblable et s’élance dans l’espace, à sa poursuite. Tentant de lui tirer dessus, Fura fait cependant un faux mouvement qui a pour effet de trouer la combinaison de l’extra-terrestre. Fura est immédiatement gelé à mort, incapable de résister à la température du vide sidéral (le narrateur insiste sur ce fait, sans évoquer le problème de décompression). Batman voit donc le cadavre dériver dans l’espace (encore qu’on peut se demander si un saturnien craint vraiment la température de la même manière qu’un humain, s’il ne s’agit pas plutôt d’hibernation et si Fura ne serait pas ramenable dans un futur épisode). Le dictateur étant déclaré mort, les humains peuvent quitter Saturne. Batman, revenu sur Terre, peut alors apparaître une dernière fois sur un écran géant pour s’adresser à la foule, haranguant la race humaine pour que plus jamais elle n’oublie que la paix et la liberté doivent faire l’objet d’une vigilance quotidienne.

C’est un happy-end. Brane peut retrouver Loral qui a une dernière question à lui poser : « Je suis curieuse de savoir quel est ton vrai nom. Nous raccourcissons tout dans cette époque moderne, au point que nous comprimions notre prénom et notre nom de famille. Tu sais que je m’appelle en fait Lora Hall. Mais tu ne m’a jamais dit ton nom entier ». Brane s’excuse : « Je suis le vingtième descendant d’affilée à porter le même prénom et le même nom de famille. Je pensais que tu savais que c’était Wayne… Bruce Wayne ! ». Heu… certes Brane mais si vous vous appelez Wayne et pas Wane, est-ce que votre nom contracté ne devrait pas être Brayne ? Au passage on notera que Hall est le nom de famille de deux héros marquants de DC : Hawkman et Hawk (le partenaire de Dove). Lora Halle, la fiancée de Brane, pourrait, elle aussi, être la descendante d’un héros du DC moderne. Une question se pose également au sujet de Ricky. Est-ce que lui aussi son nom peut se décomposer, avec « Ky » qui serait la fin de son véritable nom de famille ? Ou bien est-il exempt de cette règle puisqu’il est enfant et Ricky est-il son vrai prénom ? On notera quand même que Ricky est, comme Dick, le diminutif de Richard. Le Robin de l’an 3000 a donc – sans doute pas par hasard – le même prénom que le Robin originel. Bruce Wayne, vingtième du nom, a donc entretenu la tradition familiale d’être Batman sans avoir conscience que le premier Batman était également son ancêtre ! Et tout ça grâce à une capsule temporelle… Qui repose quand même sur une grosse erreur chronologique qui apparaît en partie dès qu’on connaît un peu la chronologie de Batman et de ses proches : La première apparition de Robin n’a eu lieu qu’en 1940. Le fan de comics comprends donc vite que Robin ne pouvait figurer dans des reportages enterrés à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1939 ! Mieux (ou pire, selon votre point de vue), la capsule enterrée par Westinghouse en prévision de l’Exposition de 1939 a été mise en terre le 23 septembre 1938. Batman, lui, n’est apparu qu’en mai 1939 ! Même en se situant dans la perspective du DC Universe du Golden Age, la capsule temporelle de cette exposition universelle ne pouvait en aucun cas faire mention de Batman ! Tout l’épisode est donc construit sur une erreur !

La conclusion initiale de ce Oldies But Goodies, alors que je travaillais dessus la semaine dernière, exprimait le fait qu’on n’avait plus revu Brane depuis Batman #26, paru en 1944 et que, soixante-six ans plus tard, les chances paraissaient bien minces de le revoir. Pourtant il y avait des choses avec ce premier Batman du futur. Non seulement parce qu’il permettait d’étendre le mythe de Batman et la chronologie de la famille Wayne (encore que si on regarde les événements sous l’angle de la continuité moderne il est intéressant de noter que Brane descend de Bruce Wayne mais pas de Damian Wayne, son seul fils connu à ce jour, puisque la lignée s’est toujours prénommée Bruce). Si on passe outre les dessins de Dick Sprang, forcément un peu désuets parce qu’ils respirent un certain état d’esprit du Golden Age (même en pleine bataille militaire Brane n’écorche pas son Bat-costume), le Batman de l’an 3000 a quelque chose de commun avec d’autres séries futuristes plus tardives de Marvel, comme Killraven résistant contre les envahisseurs martiens et les Guardians of The Galaxy repoussant les extra-terrestres Badoons. Non pas qu’il faille penser un instant que Killraven ou les Guardians puissent être dérivés de Brane. Plus probablement les trois puisent une partie de leurs racines dans l’invasion extra-terrestre décrite dans la Guerre des Mondes. Elles sont donc « cousines » plus qu’autre chose. Ma conclusion initiale allait vous dire que d’une part il était injuste que le premier « Batman du futur » sombre dans l’oubli, qu’il avait non seulement ouvert la porte pour les Batman Beyond mais aussi, d’une certaine manière, pour des choses comme Damian Wayne adulte (Batman #666) ou The Dark Knight Returns (bien que là aussi j’exclue toute filiation directe). Que d’autre part il y avait quelque chose de captivant dans un Batman descendant de Bruce Wayne prenant le maquis, qu’au prix d’un petit coup de dépoussiérage il ne me semblait pas exclu qu’on puisse le ramener dans toutes les intrigues temporelles lancées par Grant Morrison après Final Crisis, avec l’authentique Bruce naufragé à travers l’espace-temps… Tout cela aurait été valable jusqu’à mercredi dernier et la parution de Batman #700, qui se termine par une succession de séquences (dessinées par David Finch) montrant les Batman ayant pris la relève de Bruce Wayne dans l’avenir. Si on voit des personnages facilement reconnaissables comme le héros de Batman Beyond ou encore le Batman de l’univers DC One Million (inventé par Morrison il y a une dizaine d’années) une page concerne un Batman futuriste moins célèbre, au costume déchiré. A priori rien ne permet d’identifier ce Batman évoluant dans des ruines. Jusqu’à ce que ses adversaires lui lancent… « Nous sommes le talon d’acier de Fura ! La résistance est impossible ! ». Et ce Batman rebelle leur rétorque « Qu’est-ce qu’on est alors ? », impliquant qu’il forme, avec le Robin à ses côtés, la résistance en question… Puisqu’en face ce sont les saturniens robotisés de Fura, vous ne pouvez guère être que le Batman de l’an 3000, mon cher ! Un Brane (redesigné sous le crayon de Finch et donc un peu plus dans l’ambiance Killraven) qui fait son retour après 64 ans sans la moindre mention, prouvant ainsi que rien n’est jamais vraiment perdu pour les personnages de BD…

[Xavier Fournier]