Oldies But Goodies: All-Winners Comics #12 (1944)

16 octobre 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Création de Stan Lee, le Destroyer était avant tout une variation de Captain America a qui on avait retiré l’attirail patriotique. Keene Marlow (tel qu’il se nommait dans les épisodes originaux) était devenu lui aussi un super-soldat mais agissait hors des frontières américaines, plus spécifiquement derrière les lignes allemandes. Avec des aventures régulièrement inspirées des journaux de l’époque, le Destroyer allait suivre le ton du conflit. Ou même anticiper l’Histoire.

Le Destroyer fut l’un des premiers super-héros initiés par Stan Lee. Mais, en termes de longévité ou de popularité, ce serait également le personnage de Lee le plus endurant de tout le Golden Age (éclipsant ainsi ses autres créations comme Jack Frost ou Father Time). Publié dans divers magazines entre 1941 et 1946, le Destroyer dépasse même, en termes de longévité, la plupart des héros Timely. De quoi faire de lui, par ordre d’importance, le quatrième ou cinquième personnage de la firme dans les années 40. Ce succès relatif s’explique par le fait que Stan Lee, contrairement à ce qu’il avait fait pour Jack Frost et Father Time, n’avait pas vraiment joué la carte de l’originalité. Dans l’épisode initial du Destroyer (Mystic Comics #6, octobre 1941), il utilisait clairement une recette empruntée à Captain America (et donc à Joe Simon et Jack Kirby) en la « délocalisant » : Le journaliste américain Keene Marlow décide que pour enquêter sur les méfaits des nazis il lui faut s’aventurer en Allemagne, derrière les lignes ennemies, mais il ne tarde pas à être fait prisonnier. Conduit dans un camp de concentration, il est enfermé aux côtés d’un scientifique qui s’est révolté contre les nazis. Heureusement pour Marlow, le bon professeur ne se déplace jamais sans un exemplaire d’un miraculeux sérum qu’il a mis au point (ou bien les éléments du sérum peuvent se réunir au fond d’une geôle, ce n’est pas très clair). Louant l’héroïsme de Marlow, le scientifique, avant de mourir, lui injecte ce produit et fait de lui l’équivalent d’un super-soldat. Marlow, devenu un être humain parfait, peut alors s’enfuir et décide de profiter à la fois de sa nouvelle endurance physique et du fait qu’il se trouve en Allemagne pour attaquer les nazis de l’intérieur, par l’arrière. Il devient une sorte de super-héros infiltré, le Destroyer, actif surtout en Europe continentale.

Le Destroyer est essentiellement un Captain America prenant le maquis en Europe. Du fait de cette expatriation, le motif de son costume se fait moins patriotique, avec un curieux assemblage de pantalon rayé, de masque intégral bleuté et de crâne porté sur l’abdomen… Malgré ce côté « non-patriotique » et le fait qu’au contraire de Captain America le personnage ne débute pas dans son propre titre, on sent bien que Marvel/Timely avait d’emblée de hautes espérances pour ce personnage. Dès Mystic Comics #6, il a non seulement droit à la couverture de l’anthologie mais le numéro contient deux histoires aventures distinctes… Il réapparait ensuite dans All-Winners Comics #2 où non seulement il partage la couverture avec Human Torch, Sub-Mariner, Captain America et le Whizzer mais, dans une courte nouvelle, il est également intronisé comme membre des All-Winners (le prototype du All-Winners Squad et des Invaders). Bien sûr Keene Marlow est un journaliste là où Steve Rogers était un troufion l’identité civile de Marlow entre peu en compte une fois qu’il est devenu un héros masqué. D’autant qu’il a un peu mille visages : Le Destroyer n’hésite pas à se faire passer quand besoin est à changer d’identité ou à se faire passer un officier nazi (de manière souvent involontairement comique, d’ailleurs, puisque même quand il est déguisé il conserve son masque bleuté digne de Fantomas, ce qui fait que normalement tous ses interlocuteurs devraient tiquer en voyant la cagoule du Destroyer). L’identité de Keene Marlow reste relativement en arrière plan disions-nous (à plus forte raison puisque coincé en Allemagne il peut difficilement continuer à travailler régulièrement au sein de d’une rédaction) pourtant Stan Lee va détailler un peu le personnage en expliquant par ailleurs que Marlow a toujours été un vif opposant du nazisme et qu’avant même de partir en Europe, alors qu’il n’était qu’un simple journaliste, il avait déjà contribué à démasquer le Bund (les sympathisants américains du nazisme) avant même l’entrée en guerre des USA. L’impression générale était donc que Keene Marlow n’avait pas attendu l’émergence de Captain America pour être un patriote forcené. Un dur à cuire ! Un vrai !

Il y avait un potentiel inexploité dans la personnalité de Marlow qui n’allait pourtant guère intéresser les auteurs. Stan Lee et ceux qui écriraient à sa suite les aventures du personnage se concentreraient plus sur le côté « maquis », le Destroyer apparaissant souvent comme s’il était en activité 24h sur 24 sans grande vie civile et sans « supporting cast » autre que l’agent Florence Von Banger (nom qui, de nos jours, la ferait passer pour une pornstar puisqu’en argot américain, par analogie au « gangbang » un banger est un partouzeur ou une partouzeuse). En fait, comme le Destroyer laisse le plus souvent de côté l’autre penchant de sa vie, les scénaristes n’ont pas toujours l’air d’être d’accord sur qui se cache sous le masque. Ou en tout cas ils n’en ont pas forcément la même définition. Dans All-Winners Comics #9, par exemple, après avoir ramené une jeune femme en Angleterre, il s’en va en expliquant qu’il doit retourner vers son « peuple ». Or il retourne bien dans l’Europe occupée, ce qui laisserait croire que le Destroyer est soit un européen ressortissant d’un des pays occupés soit un allemand qui est opposé au régime nazi.

Le Destroyer était d’autant plus hyper-actif que les scénaristes s’inspiraient souvent de ce qu’ils lisaient dans les journaux pour la trame de leurs histoires. Ce qui n’était d’ailleurs pas rare à l’époque. A défaut d’internet ou d’une télévision qui pouvait faire vivre les expériences en direct, la plupart des auteurs de comics vivaient les événements par procuration, en lisant la presse et quand, dans certains cas, l’aspect militaire d’une aventure semble beaucoup plus détaillé ou ancré dans la réalité, il n’est pas rare qu’on puisse retrouver un article paru quelques semaines en amont qui en soit clairement l’inspiration.

Dans All-Winners Comics #12 (paru au printemps 1944), le Destroyer est donc actif depuis quelques années déjà, occupé à casser du nazi à chaque occasion qui lui en est donné. A plus forte raison parce que l’Europe est toujours sous la domination de l’Axe. Il n’est donc pas étonnant de voir le héros en train de frapper Hitler, Göring ou Goebbels dès la page d’introduction (bien qu’il s’agisse surtout d’une scène symbolique, qui n’intervient pas réellement dans le récit mais qui ramène une nouvelle fois le Destroyer dans la lignée de son modèle, le rapprochement avec la couverture de Captain America Comics #1 étant évident). Non, en fait si le Destroyer ne tape allègrement sur Hitler et sa clique dans l’histoire, c’est assurément quelque chose qu’il aimerait faire dans un proche avenir. Soulignons que nous sommes au printemps 1944 et que les forces alliées se massent en Angleterre, dans l’attente d’un débarquement qui reste à faire. Ni la date ni le lieu ne sont connus de l’opinion publique, bien sûr, mais l’acte en lui-même semble aussi logique qu’inexorable. Dès la première page on voit le gros titre d’un journal qui annonce « Le second front commence ! Les alliées arrivent sur les plages ». Le « second front » c’était à l’époque ainsi qu’on appelait le projet de débarquement en France dans les médias, par opposition au « premier front » situé du côté de l’URSS. Et le narrateur s’exclame d’emblée : « Quand est-ce que ces glorieuses manchettes apparaîtront ? Est-ce que le Destroyer le sait ? Est-ce qu’il transporte une copie du plan d’invasion ? Qu’arriverait-il si les Nazis le capturaient ? Les réponses convergent pour former une nouvelle saga du Destroyer ! »

Le principe de base du Destroyer était de n’apparaître que derrière les lignes ennemies mais pas forcément en Allemagne. Plusieurs de ses aventures se déroulent ainsi dans la France occupée et c’est ainsi que nous retrouvons le personnage près des côtes de France, où la Résistance l’a prévenu qu’il devait absolument rencontrer une unité anglaise de commandos. Le Major Whalen, qui est le contact du héros, ne tarde pas à arriver et à tout bonnement lui confier la garde des plans du « Second Front ». Autrement dit, il donne au Destroyer les détails du D-Day pour qu’il les remette aux résistants français. Mais avant de quitter le héros, Whalen glisse une confidence à son oreille (ce qui n’a pas de sens puisqu’ils sont seuls et que si vraiment il fallait tenir un secret, il aurait fallu faire des messes basses depuis le début de l’entrevue). Cette fois totalement briffé, le Destroyer s’élance, non sans avoir promis qu’il ne faillirait pas à sa mission.

Malheureusement pour lui, le Destroyer ne tarde pas à tomber sur un garde nazi (ne nous demandez pas ce que fait ce garde au milieu de nulle part). Le héros masqué a tôt fait de venir à bout de cet unique adversaire mais il n’a pas le temps de rester sur place pour l’achever. Au contraire il s’écrie : « Pas le temps de le finir ! Je dois livrer ces plans du Second Front à la Résistance ! ». Quelle imprudence ! Pas totalement dans les pommes, le nazi a entendu le monologue du Destroyer et prévient rapidement sa hiérarchie. Très vite toutes les forces allemandes du secteur apprennent ainsi que le Destroyer transporte le fameux plan tant convoité et elles se mettent à sa recherche. Même le responsable global, le Hauptmann Schnagel, décide de se joindre à la chasse à l’homme et, en voiture, prend la route de Chapelle (« Chapelle » pourrait désigner plusieurs endroits en France, ce qui fait que la région exacte des événements reste indistincte, mis à part qu’on reste forcément à proximité des côtes de l’Atlantique ou de la Manche). Conscient qu’on le recherche, le Destroyer est loin de s’affoler. Au contraire il s’en félicite… Quand Schnagel et ses hommes le rattrape, le héros est assez agile pour neutraliser le détachement et pour s’enfuir au volant de la voiture personnelle du gradé. Les allemands le prennent en chasse, néanmoins, et arrivent à suivre la trace du véhicule jusque dans les bois, à proximité d’une maison dont ils s’approchent en faisant preuve de discrétion.

A l’intérieur, le Destroyer est en train d’expliquer les choses à un groupe de résistants français : « Ais-je été clair ? Êtes-vous prêts à sacrifier vos vies pour ces documents ? ». Sans hésitation les français répondent par l’affirmative, « pour la Belle France !». Mais l’un d’entre eux (forcément moustachu) tend l’oreille : « Hssst ! J’entends les Boches qui viennent ! ». Le groupe s’écrie alors « Ce sont les plans du Second Front ! Nous devons faire passer l’information sur toute la côte ! ». A ces mots les nazis n’hésitent plus et entrent dans la maison, mitraillant à tout va. Les français s’écroulent, après avoir promis de combattre jusqu’au dernier. Seul le Destroyer, détenteur des plans convoités, est épargné. Bien sûr il tente de s’échapper mais, face au nombre, il est rapidement fait prisonnier et assommé. Schnagel s’esclaffe : « Qui a dit que le Destroyer était si puissant ? Un coup et il est vaincu ! Maintenant donnez moi ces papiers ! ». Immédiatement le gradé s’aperçoit que le débarquement allié est prévu pour… le lendemain et qu’il commencera à Chapelle ! Bien sûr pourvu d’un accent épais, Schnagel s’écrie « Zela daune à l’armée guermanique le temps de ze mettre en pozition et de les renvoyer à la mer ! ».

Le Destroyer ? Il est enfermé sur le champ dans une geôle, sans doute pour qu’il puisse assister au carnage qu’à provoqué sa propre incompétence. Ses gardiens se moquent de lui : « Der Destroyer être en train de defenir fou ! Il sait qu’il est la causse de l’échec du débarquement ! ». Et un autre renchérit « Schnagel l’a laissé vivre pour qu’il puise écouter la grande noufelle de la défaite de l’armée des alliés ! ». Et, comme prévu, les forces allemandes attendent, tapies du côté de Chapelle. Mais quand vient le moment, elles ne voient rien venir. Les nazis n’y comprennent rien. Pourtant les plans parlaient bien d’une invasion ici et à cet instant ! En fait l’heure était la bonne mais c’est à des centaines de kilomètres de là que le débarquement se déroule réellement. Là où les forces allemandes sont diminués… parce qu’une partie des troupes a été envoyée à Chapelle attendre un faux débarquement ! Le tout était une tromperie ! Les plans mentionnant Chapelle sont des faux, prévus pour leurrer les nazis et les inciter à se concentrer au mauvais endroit ! Le vrai débarquement (comprenez par là celui qui aura lieu finalement en Normandie) est en train de se dérouler ailleurs !

Furieux, Schnagel se précipite à la prison pour se venger sur le Destroyer mais celui-ci a déjà étranglé les gardes et s’est enfui, laissant une lettre à son adversaire : « Cher Schnagel… Tout avait été prévu pour que vous pensiez que ces plans étaient authentiques ! Je voulais que vous capturiez… Et il fallait que cela ait l’air vrai ! On se reverra à Berlin quand les Alliés y défileront ! ». En jouant la diversion (et avec le sacrifice tout à fait conscient de quelques résistants), le Destroyer a tout simplement rendu possible le débarquement… Dans un comic-book qui sort au printemps 1944 quelques temps avant que des événements historiques se déroulent de manière très ressemblante. Dans la réalité, en effet, les Alliés ont également joué avec les nerfs des allemands en les incitant à penser que le débarquement se produirait ailleurs, divisant les forces sur toute la côte. Il y a donc un fond de vrai dans l’histoire du Destroyer ! Maintenant on ne peut pas non plus parler d’une clairvoyance sans bornes de la part du scénariste (son identité n’est pas connue, mais il ne peut s’agir de Stan Lee, qui avait été appelé sous les drapeaux à l’époque, loin des bureaux de Marvel/Timely) : les journaux rapportaient non seulement les préparatifs pour le débarquement tout en relevant que les forces alliées lançaient des leurres pour tromper l’adversaire. Les auteurs ont donc anticipé ce qui était anticipable… Encore que bien sûr c’est facile à dire avec le recul, une fois qu’on sait ce qui s’est finalement passé. Le débarquement aurait aussi bien pu être un échec se produisant entre le moment où le récit a été produit et sa sortie en kiosque. Le Destroyer aurait donc proclamé la réussite d’un débarquement à contre-temps ! Dans ces conditions, on comprendra que même si les auteurs ne se sont pas transformés en analystes militaires, sortir ce récit était plutôt gonflé !

Keene Marlow a donc un rôle essentiel dans la seconde guerre mondiale telle que vue par Marvel mais sur le long terme il a finalement laissé peu de traces. Bien qu’utilisant le Destroyer, Roy Thomas a totalement effacé Keene Marlow pour le remplacer purement et simplement par un anglais. Fini l’histoire du glorieux journaliste qui avait déjoué le Bund américain sans attendre la guerre. Dans la version réinventée, l’origine est la même (l’homme est bien enfermé avec un professeur qui lui injecte un sérum de super-soldat) mais tout le reste est différent. C’est en fait Brian Falsworth, fils du Union Jack originel (celui de la première guerre mondiale) et frère de Spitfire (héroïne associée aux Invaders). Tout au plus ce que pressentaient de nombreux fans fut officialisé dans le récent Marvels Project : Keene Marlow est une sorte de nom de rechange utilisé par Falsworth pour entrer en Allemagne à une époque où cette dernière était déjà en guerre avec l’Angleterre mais pas encore avec les Américains. L’idée tente de réconcilier les deux noms du héros mais elle me paraît tout au plus un petit pansement de continuité qui remplace peu (ou pas) l’idée d’un américain altruiste qui n’a pas attendu Pearl Harbor pour infiltrer l’Allemagne ou pour lutter contre les fascistes quand il était encore en Amérique. Ceci dit, il en est ainsi : Brian agît comme Destroyer (Marvel l’appelle souvent le Mighty Destroyer pour ne pas confondre avec Drax le Destroyer, le Destroyer lié à Asgard et les nombreux autres Destroyer/Destructeur qu’on peut trouver dans les revues) jusqu’au moment où les Invaders arrivent en Allemagne, en 1942, pensant le sauver. Finalement, Falsworth consent à revenir avec eux en Grande-Bretagne, où il devient le second Union Jack (celui le plus souvent vu quand un flashback montre les alliés anglais des Invaders).

Mais avant de quitter l’Allemagne, Falsworth est réticent à laisser derrière lui le rôle du Destroyer, qui frappe de terreur les nazis. C’est donc l’ami (plus tard révélé comme étant l’amant) de Falsworth, Roger Aubrey (ex-super-héros miniature surnommé Dyna-Mite) qui devient le deuxième Destroyer (ou le troisième si vous comptez quand même Keene Marlow) à parti de 1942. En toute logique c’est donc, du point de vue de l’univers Marvel, Roger Aubrey qui est le héros de l’épisode que nous venons de voir. En fait les deux approches sont possibles (même celle conservant Keene Marlow) puisque récemment Robert Kirkman a ramené le Destroyer originel dans une mini-série MAX se déroulant dans sa propre continuité. Dans cette mini le Destroyer est bien Marlow qui est resté actif pendant des décennies, père et grand-père d’une petite famille. Ces exploits publiés pendant la guerre peuvent donc s’appliquer à lui. D’une certaine manière, en ce qui concerne le Golden Age, l’important reste que le Destroyer (qu’il soit Marlow, Falsworth ou Aubrey) ait été un des personnages Marvel/Timely dont l’actualité ait été le plus lié à au déroulement de la guerre… Peut-être encore plus que Captain America lui-même, qui luttait, lui, contre des saboteurs plus illusoires… Et le débarquement n’était qu’un de ses faits d’armes. Nous reviendrons sans doute à d’autres aspects du Destroyer dans de futures chroniques…

[Xavier Fournier]