From The Other Side – Episode #5

18 août 2004 Non Par Comic Box

Geeks sans frontières

Quand je lis des messages sur les forums, je suis toujours surpris de voir comment certaines personnes sont fières de se revendiquer des « geeks ». Quand j’ai débarqué dans cette industrie via Comic Box, une des premières questions qui m’est venu à l’esprit est « suis-je un geek ? »

J’ai commencé par juger de ma propre attitude avec un peu d’introspection et en regardant aux alentours.  Est considéré comme « geek » un type (désolé mesdames, vous n’êtes guère représentée dans cette catégorie, croyez-bien que je le regrette) qui regroupe les critères suivants:
A) Va religieusement à son « temple » des comics une fois par semaine pour dépenser son argent (ou au besoin l’argent des autres) dans les nouveautés du moment.
B) Lit les dits-comics très délicatement avant de les enfermer dans des plastiques afin de les protéger de l’affront du temps, avec l’espoir potentiel de devenir du coup un geek riche).
C) N’a de cesse de faire du prosélytisme, pour non seulement convertir des gens aux comics mais aussi et surtout les initier à ses propres théories sur les comics.
D) Pense haut et fort que les comics « mainstream » (grand public) puent (mais continue sans relâche de les acheter).
E) Espère que Jack Kirby va revenir d’entre les morts pour botter le cul des Mangakas.

En clair, un geek serait quelqu’un qui mange comics, s’habille comics, dort comics (baise comics ?) et ainsi de suite. Permettez moi de préciser: j’aime les geeks, jusqu’à un certain niveau. Mais tandis que je faisais le portrait d’un geek, je ne m’y reconnaissais guère.

Voyons ça… J’achète effectivement un paquet de comics (mon épouse se lamente tout le temps à cause de la facture qui ne cesse d’augmenter et j’en blâme le taux de change entre le dollar et l’euro. Salut chérie !). Mais je suis clairement un hérétique car je n’ai jamais acheté la moindre boîte de rangement ou un seul « plastic bag » pour protéger mes comics. Je n’ai jamais vérifié la valeur de ma collection, laquelle n’est même pas classée (oulàh, je ne vais pas me faire des amis en admettant ce sacrilège). Croyez-le ou pas, avant de rentrer dans ce milieu, je pensait que « mint » (terme qui définit l’était impeccable d’un comic) était un mot utilisé seulement pour parler de thé ou des chocolats After Eight. Ma croyance à moi est que la chose primordiale dans les comics reste l’histoire et le graphisme. C’est la vraie valeur ajoutée. Je sais que certains lecteurs monteront sur leurs grands chevaux pour les contredire mais c’est la vérité vraie. Je suis juste un journaliste qui se trouve aimer (beaucoup) les comics.

Nous avons aussi nos geeks en France. Parmi les collectionneurs de comics je veux dire. Vous pouvez les sentir venir à un kilomètre. Ils se ruent chaque jeudi dans les comic-shops pour être les premiers à lire les nouveautés de la semaine et sont toujours prompts à faire la queue pour les dédicaces. Mais la comparaison s’arrête là. D’abord les geeks français ne sont pas si nombreux. Peut-être 500 au maximum. Ils sont une minorité à l’intérieur de la minorité (les collectionneurs de comics n’étant déjà pas si nombreux en France). En général, on les trouve plutôt parmi les lecteurs qui lisent en VO, par opposition au plus grand nombre qui suit les versions traduites en VF. Ces versions VF étant principalement disponibles en kiosques ou en librairie, la trépidation, l’ambiance, y sont beaucoup plus modérées. Ce n’est pas franchement l’endroit où l’on va argumenter sur les « meilleurs costumes » ou « pourquoi les habitudes de fumeur alcooliques de Wolverine craignent » avec le manager de la librairie (qui bien souvent se fout des comics) ou le patron de kiosque qui cache les comics dans des endroits inaccessibles « pour qu’on ne les lui vole pas ». Ca c’est sûr…

Je me souviens de la première fois où je me suis rendu de manière officielle à une convention américaine, en 1999, à la WizardWorld Chicago. Je discutait un peu avec certains des créateurs que je connaissais et le sujet des geeks fut abordé en parlant avec Brian Haberlin, le grand patron de Avalon Studios. Il m’a dit « Tu penses que tu sais de quoi ils sont capable mais tu l’ignores… ». Il avait raison. Ici, en Europe, les créateurs sont relativement intouchables. Quand les fans les approchent, lors de dédicaces ou de festivals (comme à Angoulème), c’est avec respect, dans le calme ou sinon… ils sont jetés dehors par la sécurité.

A Chicago, j’assistais à un débait sur les X-Men, modéré par Bill Rosemann. Joe Casey, Devin Grayson et Brandon Peterson étaient présents (souvenez-vous, c’était encore l’ère Bob Harras chez Marvel). Je m’étais assis au fond. A côté de moi il y avait un fan passionné des X-Men. Alors que le débat commençait, il était déjà furieux. Les questions et les réponses fusaient de toutes parts mais les paroles des auteurs ne semblaient pas calmer mon « voisin ». La plus grosse interrogation du moment à l’époque (concernant les X-Men) était le problème du virus Legacy. Un fan demanda si les scénaristes savaient quel était le remède. Joe Casey plaisanta « oui, bien sûr, c’est Advil » (un anti-inflammatoire). Tout le public en rit mais le mec à côté de moi ne pouvait pas le supporter. Il se mis à crier de manière agressive, murmura quelques insultes, se leva et quitta l’endroit. Il était furieux tel un taureau lors d’une corrida et je n’aurais pas voulu être le mec qui allait croiser son chemin… Je suis sûr que vous avez tous des histoires du même genre..

Créateurs et fans « hardcore » ont vraiment une relation étrange. Je suis étonné de l’agressivité de certaines personnes sur Internet. Et quand un créateur OSE se défendre, il est virtuellement lynché par la foule. C’est comme dans « Gladiator »…l’arène version Web !

Après tout ça, voici la conclusion (logique): avoir des fans est une bénédiction pour les créateurs de comics. Mais il n’y a qu’une mince frontière entre l’amour et la haine. Cette frontière est franchie trop souvent ces derniers temps. Quand je vois que la « geek attitude » s’est propagée dans toutes les facettes de « l’entertainment », j’en suis sonné… Les critiques font partie du jeu. Mais la démolition en règle est un poil trop violente, n’est-il pas vrai ? Je pense que beaucoup admettrons que l’audience américaine est encore dans sa période « bleue ». Les comic-book en tant que média est encore jeune. Une des formes d’art héritées du XXème siècle. Quelque fois enfantine, quelques fois idiote, elle reste la plupart du temps extrèmement expressive. Je vraiment convaincu que lorsque cette industrie aura achevée sa mutation (en cours depuis ces dernières années) les comics américains seront enfin considérés en tant qu’art dans leur propre pays, comme la BD est perçue en Europe.

A ce moment-là on ne parlera plus de geeks. Ils seront très probablement vus comme des « amateurs éclairés ». A ce moment-là, on en reparlera…

[Fabrice Sapolsky]

LA PROCHAINE FOIS : Odeurs & Comics, le plus étonnant des « team-up » ! ‘Nuff said !