Oldies But Goodies: Blackhawk #141 (1959)

Oldies But Goodies: Blackhawk #141 (1959)

1 septembre 2012 Non Par Xavier Fournier

[FRENCH] Les lecteurs de DC Comics connaissent en général assez bien Catman, adversaire de Batman (et plus récemment membre des Secret Six). Mais le public ignore généralement que le premier Catman de DC se cachait quelques années plus tôt dans les pages de la série Blackhawk.

En 1959 (Blackhawk, personnage publié à l’origine chez Quality Comics) a déjà été racheté par DC Comics depuis plusieurs années. Cet éditeur, sans doute satisfait des chiffres, poursuit alors sur la même ambiance qu’avait connue la série depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Des menaces de plus en plus pittoresques et sans doute moins réalistes qu’on aurait pu s’y attendre. Il ne s’agissait plus vraiment de raconter les aventures de héros militaires. Les Blackhawks étaient devenus au fil du temps des « super-aviateurs » qui repoussaient des menaces sortant réellement de l’ordinaire, qu’il s’agisse de robots géants ou d’adversaires costumés (Killer Shark ou encore Black Widow). Dans ce contexte, il n’est pas très étonnant de voir un personnage déguisé en chat sur la couverture de Blackhawk #141. A l’époque, pourtant, le concept d’un Catman dans l’univers DC était totalement inconnu. Quelques années plus tôt, le scénariste Bill Finger avait donné une vie nouvelle à Catwoman, qui s’était rachetée et avait abandonné sa carrière criminelle. Le nom de Catman faisait plus probablement penser à l’ancien super-héros qu’Holyoke Comics avait lancé dans les années 40… Mais chez DC ce nom était (alors) totalement inconnu au bataillon… « L’étrange Catman était arrivé de nulle part, mettant les Blackhawks au défi de l’empêcher de commettre un terrible crime ! Mais pourquoi était-il si intrépide ? Pourquoi défiait-il la mort ? Les réponses devinrent évidentes quand les chevaliers noirs furent confrontés aux… neuf vies du Catman ! ».

Sans perdre de temps le scénario nous entraîne alors dans le cockpit d’un avion, pardon, d’un « Cat-Jet » piloté par le mystérieux Catman. Ce dernier utilise alors sa radio pour lancer un appel. Il explique qu’il est sur le point de commettre le plus grand crime de tous les temps et il défie les Blackhawks de l’arrêter ! Il va même jusqu’à leur donner sa position actuelle pour être sur qu’ils pourront le trouver. Alors qu’ils reçoivent le message radio sur Blackhawk Island, les héros sont passablement surpris et se demandent si c’est un canular. Blackhawk explique alors à ses troupes que c’est sans doute un cinglé inoffensif mais qu’ils ne peuvent se permettre de prendre le moindre risque. L’escadrille décolle donc en direction des coordonnées qu’on vient de leur communiquer. Quelques instants plus tard les héros doivent se rendre à l’évidence. Il y a bien un avion survolant l’endroit indiqué. Et ils se demandent bien ce que le Catman va faire maintenant qu’il les a prévenu à l’avance de son intention de nuire, se privant de tout effet de surprise. En tout cas en théorie…

Car le « Cat-Jet » ne tarde pas à plonger vers le sol, alors qu’il n’y aucun emplacement permettant de se poser. Au contraire l’avion de Catman s’écrase contre des arbres, comme si le pilote avait été pris d’une folie suicidaire. Les Blackhawks sont convaincus que Catman a trouvé la mort dans le crash. Pour aller inspecter les décombres de plus près, ils prennent la décision de mettre leurs avions en pilotage automatique et de sauter en parachute vers le sol. Soulignons que la décision est assez idiote sur le plan stratégique puisqu’elle implique que les aviateurs se retrouvent au sol privés de leur armement de prédilection (ce n’est pas tout à fait comme s’ils pouvaient remonter dans les avions avec un élastique !). Mais alors qu’ils atterrissent, les Blackhawks sont surpris de découvrir Catman en pleine forme : « Bonjour Gentlemen ! Vous vous attentiez à me trouver mort, pas vrai ? ». Le leader de l’escadrille ne peut que répondre par l’affirmative : « Franchement, oui ! Tu as eu de la chance que des arbres freinent ta chute ! ».

Catman explique alors que la chance n’a rien à y voir : « Je suis vivant parce qu’un sorcier africain m’a donné huit vies de plus, en échange de quelques babioles ! ». Les aviateurs sont incrédules mais Catman poursuit et raconte comment, en Afrique, il a déjà plusieurs fois échappé à la mort grâce à ce sort. On découvre alors le personnage avant qu’il n’adopte le costume de Catman, quand il était visiblement une sorte de chasseur. Une première fois il a failli disparaître dans des sables mouvants… Quand un geyser s’est soudainement formé, le catapultant hors de danger. Plus tard, il était sur le point d’être attaqué par un lion quand la bête est morte d’une crise cardiaque. Une troisième fois il a manqué d’être écrasé par un arbre énorme mais il a pu tomber dans un trou, ce qui l’a protégé. Sa « quatrième vie » a été dépensée quand un éléphant à fait mine de l’écraser. Heureusement il est tombé à la renverse dans un buisson avec des épines que les éléphants détestent car elles ont tendance à se coincer dans les plis de leur peau. Le chasseur a donc été une fois de plus épargné. Terminant le flashback, Catman explique qu’il a survécu au crash de son avion dont ils viennent d’être témoins en gaspillant une cinquième vie pour les besoins de sa démonstration.

Il faut croire que Catman est assez dépensier en matière de vie puisque sur les cinq vies supplémentaires qui lui restaient, il vient d’en utiliser une juste pour faire le malin devant les Blackhawks. Mais c’était sans doute nécessaire car si les aviateurs commencent à penser que l’étrange personnage dit la vérité, leur leader n’est pas du tout convaincu : « Il s’agit sans doute de simples coïncidences, qui l’ont poussé ensuite à prendre des risques stupides ! Mais ce que nous voulons savoir, Catman, c’est quel est ce crime énorme que tu dis préparer ? Et pourquoi nous avoir prévenu avant ? ». Catman s’écrie alors qu’il les laisse deviner la raison de ses agissements. Puis il tourne les talons en expliquant qu’il va rejoindre l’avion de rechange qu’il avait caché non loin de là. Les Blackhawks voudraient le stopper, bien sûr, mais ils sont surpris par un mur de flammes : le Cat-Jet accidenté vient d’exploser, provoquant un incendie de forêt. Blackhawk comprend néanmoins que Catman connaît une issue et qu’ils devront le suivre s’ils ne veulent pas mourir brulés. Néanmoins on a déjà vu le côté casse-cou de ce criminel costumé. Il fonce directement dans les flammes. Finalement les Blackhawks préfèrent plonger dans une rivière proche, pour ne pas prendre feu.

Quand ils sortent de l’eau, le Catman est à nouveau là pour les narguer, du haut d’une corniche : « Alors, les Blackhawks ? Surpris de me revoir ? Après tout ce n’était que ma sixième vie ! Il m’en reste encore trois ! ». Les héros sont sidérés de le retrouver indemne. Et le chef d’escadrille n’en démord pas : « Il en faudra plus que foncer à travers ces buissons enflammées avec beaucoup de chance pour nous décourager ! Courrons lui après, les gars ! ». Ils montent donc vers lui mais une nouvelle fois Catman s’enfuit… Tout en tirant bizarrement des coups de feu en l’air. Hans Hendrickson, un des Blackhawks, s’étonne de ce geste en apparence incohérent. Mais son chef, lui, flaire un piège. Et il a bien raison ! Les coups de feu de Catman avaient pour objectif de déclencher, par leur bruit, un éboulement dans le passage qu’ils empruntent. C’est bientôt une véritable pluie de rochers qui s’abat sur eux. Catman ricane : « Moi je peux me permettre de sacrifier une de mes vies. Mais le pouvez-vous ? ». Hendrickson est catastrophé : Jamais ils n’arriveront à sortir du passage avant que les rochers les écrasent ! Mais Blackhawk a une autre idée : Profitant du fait qu’il il y a beaucoup de vent, il ordonne à ses hommes d’ouvrir les parachutes de rechange cachés dans leurs uniformes (on voit mal où les aviateurs cacheraient un parachute sur eux mais bon…). Aussitôt la brise s’engouffre dans la toile et les traîne au loin, là où ils ne risquent plus rien. Alors que les héros se remettent de leurs émotions l’un d’entre eux, l’américain Chuck, s’exclame : « Blackhawk… Si jamais nous voyons à nouveau ce personnage je croirais vraiment qu’il a neuf vies ! Pas toi ? ». Et là, quand même, l’incrédulité du chef commence à faiblir, même s’il reste prudent : « C’est possible ! Mais il est plus probable que c’est sa confiance envers le sorcier africain qui l’a rendu si intrépide ! Il a de la chance ! ».

Bientôt les Blackhawks voient passer dans le ciel le Cat-jet de rechange, ce qui prouve que Cat-Man a bien survécu à l’éboulement. Les héros décident alors de faire atterrir leurs avions (qu’ils peuvent sans doute radio-commander) et de le prendre en chasse pour en finir avec cette histoire. Rapidement l’escadrille est donc de retour dans le ciel. André, le français de la bande, se demande toujours pourquoi Catman a pris la peine de les prévenir qu’il était là. Mais Blackhawk commence à le comprendre : « Peut-être que c’était un truc pour nous attirer dans ces catastrophes ! Il était si sur qu’il y survivrait mais que nous ne nous en tirerions pas ! ». Et pour le crime qu’il est sur le point de commettre ? Les Blackhawks comprennent rapidement ce qu’il en est puisqu’ils survolent le laboratoire d’un certain professeur Ward. Ce dernier est en train d’y mettre au point le premier canon anti-gravité. Et s’il y a quelque chose de précieux à voler dans le coin c’est assurément ce prototype. D’ailleurs ils aperçoivent Catman qui saute en parachute, se dirigeant vers le laboratoire. Catman passe à travers une sorte de clôture aérienne en forme de dôme, qui sert à repousser les oiseaux afin qu’ils ne viennent pas déranger les expériences de Ward. Blackhawk s’exclame : « Cette arme ferait de Catman le criminel le plus puissant de la Terre ! Nous devons l’empêcher de s’en emparer ! ».

Arrivé à ce niveau, il faut remarquer que l’histoire toute entière est lourdement influencée par le Comics Code, le procédé d’auto-censure qui sévissait à l’époque pour satisfaire différents groupes conservateurs. Les Blackhawks pilotent des avions de chasse et si le sort de la Terre était vraiment en jeu, il leur serait facile de cribler Catman de balles alors qu’il amorce sa descente. Ce ne serait pas très chevaleresque ou conforme à l’ambiance des comics mais si on y regarde bien la plupart des actions représentées dans cet épisode seraient aisément résolues en l’espace d’un instant par de vrais soldats. Au pire, ils auraient pu tirer sur le Cat-jet quelques instants plus tôt. Mais non. Les Blackhawk ne tirent pas un coup de feu de tout l’épisode : Le Comics Code avait limité la représentation de la violence ainsi que l’usage des armes. On remarquera que bien que les héros soient des vétérans de la guerre et que Catman s’affiche comme un criminel, les seuls tirs sont ceux de Catman, quand il a déclenché l’éboulement. Le scénariste et le dessinateur s’efforcent de ne pas représenter quelqu’un qui tire directement sur un autre personnage. Toutes les tentatives de meurtres de l’épisode sont indirectes. D’ailleurs du coup Catman n’est guère plus cohérent que ses adversaires. Si son objectif est vraiment de se débarrasser des Blackhawks, il lui aurait été facile de leur tirer dessus au moment où il les a survolé avec son second Cat-jet, lorsqu’ils étaient encore à terre et sans moyen de défense…

Le chef d’escadrille donne ses ordres. Une partie des pilotes resteront en l’air, en renfort éventuel. André va se parachuter de l’autre côté du laboratoire tandis que Blackhawk se laisse descendre à l’endroit où Catman est entré dans l’édifice, en passant à travers le trou que Catman a fait dans la clôture aérienne. Quand Blackhawk arrive au sol, il trouve le professeur Ward couché à terre. Il a visiblement été agressé. Il souffle alors qu’un homme étrangement vêtu vient de s’emparer des pièces du canon à gravité et s’est enfui vers la falaise. Le savant implore l’aviateur de le récupérer. Bien sûr, le héros se lance à la poursuite du voleur. Ce qui semble d’autant plus facile que Catman, les bras chargés avec les éléments du canon, arrive au bout d’une corniche. Il ne peut plus avancer sans tomber dans le vide. Mais par défi il se retourne et explique à son poursuivant qu’au fond du ravin un hors-bord l’attend, avec lequel il s’enfuira. Pour la forme, Blackhawk lui demande comment il espère survivre à la chute dans le ravin. Mais Catman lui explique alors ce que tout lecteur aura déjà compris : Il lui reste encore deux vies. Il lui suffit d’en sacrifier une ! Mais Blackhawk conteste : « Tu as tort ! Catman ! Tu as déjà utilisé ta huitième vie, que tu as perdu quand tu as traversé la clôture électrifiée ! Regardes ! ». Blackhawk lance alors un bout de métal sur le dôme qui entoure le laboratoire, ce même dôme que Catman a traversé en parachute quelques minutes plus tôt. Et un grand éclair traverse la clôture ! Cette fois Catman est vraiment surpris : « Elle… elle est électrifiée et je n’y avais pas fait attention ! ». Blackhawk résume alors : « Tu es en train de vivre la dernière vie qui te reste ! Tu ferais mieux de jouer la prudence et de te rendre, Cat-Man ! ».

Ironiquement, alors que Catman est sur le point de se rendre, la corniche cède sous son poids : « Je… je vais être tué ! Sauvez-moi ! ». Blackhawk lance alors des ordres par radio et l’avion d’Olaf, un des Blackhawks, surgit. Il lance une échelle de corde à Blackhawk qui grimpe dessus et rattrape au passage Catman alors qu’il était encore ne pleine chute. Une sacrée chute quand même puisque entre le moment où Catman commence à tomber et celui où il est rattrapé, Blackhawk a le temps de tenir une courte conversation radio et un avion descend vers le sol tout en déployant une échelle. Il faut croire que les Blackhawks ont une réactivité digne de la vitesse de la lumière ! Néanmoins Catman est sauvé… et prêt à être jeté en prison. Hendrickson questionne alors son chef, pour souligner l’évidence : « Tu veux dire que parce qu’il ignorait que la clôture était électrifiée, il a perdu le compte des vies qui lui restaient ? ». Mais c’est là que Blackhawk révèle l’astuce : « Non ! J’ai demandé à André d’aller attacher des fils électriques à la clôture après que nous nous soyons posé ! ». En fait, si l’histoire de Catman est vraie, alors il lui reste encore une deuxième vie de rechange (sauf bien sûr si le sauvetage par l’aviateur compte pour une vie gaspillée de plus). Les Blackhawks l’ont juste convaincu du contraire. Blackhawk conclut : « De toute manière, quel que soit le nombre de vies qui lui reste, il les passera derrière les barreaux ! ».

Il faut dire que Catman mérite un peu son sort car dès les premières pages on mesure bien à quel point ce personnage est… un idiot. Il avait visiblement tout bien préparé, au point d’avoir un deuxième Car-jet de rechange et un hors-bord. Il lui aurait suffit d’attaquer le laboratoire du professeur Ward sans prendre la peine de prévenir d’abord les Blackhawks et le tour aurait été joué ! Mettons que dans la logique interne de la série Catman se doutait que les héros seraient à ses trousses sitôt le vol commis et qu’il a préféré anticiper pour tenter de les tuer avant… Mais quand bien même, on voit bien que Catman gaspille la plupart de ses vies en fanfaronnant, perdant ainsi graduellement tout avantage. C’est d’ailleurs évident dès le début, quand il provoque le crash de son propre avion pour montrer aux Blackhawks ce dont il est capable. Même en imaginant que vous disposiez de plusieurs vies de rechanges, est-ce que vous les gaspilleriez aussi bêtement en l’espace de quelques minutes ?

Comme nous avons déjà pu le voir dans de précédentes chroniques, différents personnages avaient utilisé le nom de Catman dans les années 40. En particulier un Catman publié par Holyoke Comics, qui se targuait également d’avoir neuf vies. L’expression populaire vouant plusieurs vies aux chats, sans doute ne faut-il pas trop s’étonner de trouver différents hommes-chats qui, à quelques années d’écart, se vantent d’avoir des vies multiples. Le Catman d’Holyoke, cependant, avait été la vedette de son propre titre et n’était pas spécialement un inconnu où un héros de troisième zone. Il semble difficile de croire que les auteurs de Blackhawk #141 ne pensaient pas au moins un peu à lui en inventent leur version de Catman. Encore que si on y regarde bien il y a quelque chose de « batmanien » dans le Catman que les Blackhawks affrontent. Comme par exemple l’usage d’un Cat-Jet en lieu et place d’un Batplane. Si le style du dessinateur Dick Dillin est reconnaissable, on ignore qui fut le scénariste de « The Nine Lives of the Cat-Man ». L’important est que l’épisode aurait pu tout à fait être une histoire de Batman. Quand on y regarde bien il n’y a besoin que d’un héros principal et d’un auxiliaire pour lui donner la réplique et électrifier la clôture. Il suffirait de remplacer les noms de Blackhawk et d’André par Batman et Robin. Et le Catman lui-même ressemble plus à un Bat-villain qu’à une menace destinée à affronter des aviateurs. Il est tentant d’imaginer qu’il puisse s’agir de Bill Finger, le co-créateur de Batman (mais aussi de Catwoman). Mais les crédits de la série Blackhawk à l’époque restent un vrai mystère. Ce qui est certain, par contre, c’est que Blackhawk était édité par Jack Schiff, qui supervisait aussi les séries Detective Comics et Batman. Schiff gérait la revue avec en employant les auteurs et artistes de son cercle. La meilleure preuve en est que Dick Dillin aussi aurait, à peu près à la même époque, l’occasion de dessiner des aventures de Batman. Qui que soit le scénariste de Blackhawk #141, il y a de bonnes chances qu’il s’agissait d’une plume que Schiff employait par ailleurs à l’occasion pour des histoires de Batman.

Bill Finger n’est très certainement pas un « suspect » à exclure, d’autant que d’autres gros indices viennent s’ajouter à cette théorie. En 1946 (Batman #35) Finger avait écrit « Nine Lives has the Catwoman », un épisode dans lequel la criminelle décide de faire croire que « comme les chats » elle dispose de neuf vies. En fait il s’agit d’un stratagème, chacune de ses « morts » étant mise en scène. Mais finalement, après qu’elle ait tenté de les écraser avec un véhicule de chantier (un Caterpillar) Batman et Robin la voient disparaître dans une cataracte, tombant vers ce qui semble être cette fois une mort certaine. On notera la volonté scénaristique de l’ironie et du jeu de mots : CATwoman disparaît dans une CATaracte en conduisant un CATerpillar. Les deux héros se demandent alors si elle a pu survivre à une chute de ce genre où s’il lui restait une de ses « neufs vies ». Il semble que ce soit également Bill Finger qui ait écrit « The Outlaw Who Had Nine Lives » (Detective Comics #172, juin 1951), un épisode dans lequel un criminel (qui cette fois n’est pas déguisé en chat) prétend avoir neuf vies. Batman et Robin le poursuivent et révèlent que tout est une supercherie. Mais quand l’homme tente de s’échapper il est victime d’une chute et meurt, tandis que Batman explique qu’il a compté et qu’il aurait fallu une dixième vie à l’homme pour s’en tirer. Il est intéressant de noter que sur la couverture de Detective Comics #172 le criminel montre qu’il a plusieurs vies en traversant un rideau de flammes. Tout comme Catman, sur la couverture de Blackhawk #141, traverse lui aussi le feu dans un contexte similaire. Bill Finger était un auteur notoirement brouillé avec les délais, qui peinait à rendre ses histoires à temps. On comprendra que ces thèmes cycliques étaient sans doute liés à une certaine difficulté à tenir le rythme…

Mais il existe un autre auteur qui ferait également un bon suspect dans l’affaire : Le scénariste Bill Woolfolk avait scénarisé beaucoup d’aventures de Blackhawk du temps où la série était publiée par son éditeur initial, Quality Comics. Woolfolk aussi avait écrit à plusieurs reprises sur le thème du criminel aux neuf vies. Dans « The Man With Nine Lives » (Feature Comics #110, mai 1947) un de ses scénarios confrontait le héros Doll Man à Fat Cat, un personnage disposant de vies multiples et donc lui aussi lié au thème du chat. Et Woolfolk rentabilisant visiblement ses idées, il signa dans Whiz Comics #88 (août 1947) un épisode d’Ibis l’Invicible où ce sorcier affronte un autre personnage du même genre. Au point que l’histoire est également titrée « The Man With Nine Lives » ! Woolfolk travaillait également pour DC comics et, à l’occasion, sur des épisodes de Batman. Associé à Blackhawk, à Batman et lui aussi adepte des personnages à neuf vies, Woolfolk pourrait donc fournir une bonne alternative à l’hypothèse Bill Finger. Si ce n’est que Woolfolk semble avoir cessé de travailler pour DC (où pour d’autres éditeurs de comics) aux alentours de 1956, donc trop tôt pour avoir écrit Blackhawk #141. Encore que. Comme nous l’évoquions il y a quelques lignes, les crédits de la revue Blackhawk à la fin des années 50 sont inexistants et on ne peut totalement exclure que Woolfolk aurait pu encore fournir à Jack Schiff quelques scripts pour cette série.

Ce qui remet sérieusement Bill Finger dans la course, c’est qu’il créera plus tard dans les pages de Detective Comics #311 (janvier 1963) un autre Catman. celui que la plupart des lecteurs contemporains de DC connaissent. Dans cet épisode dessiné par Jim Mooney, Tom Blake démarre d’abord comme une sorte de double maléfique de Batman, qui utilise un arsenal de gadgets basé sur le motif des chats. A l’origine ce Catman là ne prétend pas avoir neuf vies. C’est plutôt vers la fin de l’histoire que Batman lui-même introduit cette notion. Catman vient de plonger vers une mort certaine, entraîné par une… cataracte (souvenez-vous de la fin apparente de Catwoman dans des circonstances similaires). Batman explique alors à Robin qu’on reverra peut-être le criminel puisqu’après tout les chats sont supposés avoir neuf vies ! Une simple tournure de phrase sans conséquence ? Oui et non. Car quand ce Catman refait surface dans Detective Comics #318 (toujours dans une aventure rédigée par Bill Finger), il semble une nouvelle fois mourir à la fin de l’histoire. Et même Batman remarque la répétition, au point d’expliquer : « La dernière fois, il avait déjà semblé mourir mais il était revenu. Peut-être qu’après ça il lui reste encore sept vies ! ». Il semble donc que Bill Finger avait entamé une sorte de compte-à-rebours feuilletonant au sujet de son Catman, avec chaque nouvelle aventure le concernant se soldant par la perte d’une vie.

Mais çà, au début, ce n’était énoncé que par le seul Batman. Catman (Tom Blake) ne se ventait pas particulièrement de disposer de plusieurs vies. En tout cas pas au départ. Ce n’est que dans Detective Comics #325 (lors d’une troisième apparition de ce Catman, en 1964) que Bill Finger allait préciser les choses en donnant finalement une autre origine, très familière, à Tom Blake. Réfugié dans sa « Cat-Cave », Catman explique (en parlant tout seul, comme les super-villains des comics aiment le faire) qu’il dispose d’un atout pour échapper à la mort : son costume de Catman est taillé dans un tissu mystique qui donne neuf vies à celui qui le porte ! La grosse différence avec le Catman de Blackhawk #141 est que le tissu utilisé par Tom Blake est supposé venir d’une île du Pacifique et n’est pas lié à l’Afrique. Néanmoins tout ceci nous encourage quand même à penser que le Catman affronté par Blackhawk est bel et bien l’œuvre de Finger. Au point d’ailleurs que les couvertures de Blackhawk #141 et Detective Comics #325 sont très similaires. Non seulement les deux Catman foncent dans les flammes (comme dans le cas de Detective Comics #172) mais la réaction des héros est presque identique. Blackhawk s’écrie « He’s going right through the fire ! We can’t follow him ! » (« Il fonce dans le feu ! Nous ne pouvons pas le suivre ! »). Batman, lui, s’exclame « He’s going right through the flames ! But they don’t affect him ! » (« Il fonce dans les flammes ! Mais elles ne l’affectent pas ! »). Notez à quel point la première phrase utilisée par les deux héros est similaire !

Dans tous les cas, c’est bien le Catman ennemi de Batman qui finira par s’imposer (surtout dans les années 60-80, le personnage passant de mode avant d’être revu et corrigé par Brad Meltzer puis par Gail Simone pour en faire un membre des Secret Six). On ne reverra pas le Catman de 1959 mais il est intéressant de remarquer qu’il se fusionnera au fil du temps avec l’autre Catman. Dans les premiers Detective Comics où il apparaît, Tom Blake est une sorte de gardien de zoo, pas du tout un intrépide chasseur se livrant à des safaris exotiques. Et comme nous l’avons vu, Blake n’est pas lié à l’Afrique. Le chasseur africain, c’est bel et bien le Catman de 1959 ! Mais au fil des ans Tom Blake va vampiriser certains aspects de son prédécesseur. Au point qu’ensuite on présentera Tom Blake comme un intrépide chasseur opérant en Afrique. Que ce soit Bill Finger ou pas qui ait écrit Blackhawk #141, il est certain que le Catman de 1959 est à l’origine de celui de 1963 ! On ne reverra pas, non, le Catman rencontré par Blackhawk. Ce qui est dommage non seulement parce qu’il disposait encore au moins de deux vies mais aussi parce qu’il lui en restait peut-être plus. En effet si on y regarde bien le Catman de 1959 ne meurt pas précisément dans l’histoire. Il échappe chaque fois à la mort. Ce qui fait que techniquement il n’utilise qu’une vie sans qu’elle s’arrête. Il se peut très bien, donc, qu’il ait échappé à la mort par un coup de chance (comme le pense Blackhawk) mais qu’il lui reste par ailleurs huit autres vies d’essence mystique !

En fait quand on regarde bien les deux Catman de DC auraient très bien pu coexister, en particulier à partir du moment où Tom Blake est « s’africanise » (et que sa tenue n’est plus liée à une île du Pacifique). Le sorcier africain évoqué par le Catman de 1959 aurait très bien pu commercer avec différents chasseurs blancs, créant ainsi plusieurs Catman utilisant une même magie. D’ailleurs si ce genre de sorcellerie peut sembler un peu étrange dans le contexte de Batman, soulignons qu’au fil des ans sa présence a pris une certaine logique. Tom Blake n’est en effet pas le seul adversaire de Batman qui se fasse une spécialité de ressusciter. C’est aussi le cas du célèbre Ra’s Al Ghul, qui doit son immortalité à des bains dans des « puits de Lazare » qui lui permettent d’échapper à la mort. Dans Catwoman Annual #1 (1994), le scénariste Christopher Priest a d’ailleurs connecté les deux types de résurrections pour n’en faire qu’un. Cette histoire est un « Elseworld », la description d’une réalité alternative, plus barbare, où Catwoman est une créature en partie animale. Dans ce monde-là, Ra’s Al Ghul est surnommé le Cat-Man et doué seulement de neuf vies (qu’il fini par épuiser avant de mourir pour de bon). Même si ces évènements se déroulent dans un autre contexte que l’univers DC classique, l’idée de Priest de lier Ra’s Al Ghul à Catman est loin d’être idiote et pourrait facilement être transposée dans la continuité. Il suffit d’imaginer que les tenues utilisées par les différents Catman de DC ont simplement été trempées dans un Puit de Lazare, retenant du coup un certain nombre de propriétés du puit mais seulement pour un nombre limité de vies… En définitive, le Catman de 1959 serait encore tout à fait viable, même dans l’univers moderne de DC. Il faudrait juste lui donner… une seconde vie ?

[Xavier Fournier]