Oldies But Goodies: Adventure Comics #200 (1954)

Oldies But Goodies: Adventure Comics #200 (1954)

10 novembre 2012 Non Par Xavier Fournier

[FRENCH] Aquaman est connu pour être le monarque des océans et des formes de vies aquatiques. Mais les océans, dans les années 50, restaient assez peu peuplés dans l’univers DC. Les scénaristes s’arrachaient les cheveux en essayant de renouveler sans cesse des conditions qui justifiaient qu’on fasse appel à ce super-héros. Quitte à lui trouver des capacités très différentes de ce qu’on lui connaît d’habitude, l’entrainant très loin des océans… Mais dans une autre forme de liquide…

En 1954, Aquaman était publié depuis déjà 13 ans. Il ne faisait pas partie des super-héros les plus populaires mais il avait néanmoins survécu à l’extinction de la première vague de super-héros. Là où la Justice Society, Flash (Jay Garrick) et de nombreux autres héros de DC Comics s’étaient éteints sans laisser de trace, Aquaman avait la chance d’être une des créations de l’éditeur/scénariste Mort Weisinger et du dessinateur Paul Norris. Weisinger gardait visiblement une certain tendresse pour ses propres héros (Aquaman mais aussi Johnny Quick ou encore Green Arrow) et les conserva comme « backups » dans diverses anthologies. Il ne s’agit pas forcément d’une forme de « népotisme ». C’est à dire qu’il n’est pas obligatoire de penser que Weisinger voulait fondamentalement caser « ses enfants » au mépris des autres. Il est très possible que la situation soit née d’un certain calcul éditorial. DC Comics conservait jalousement les licences bien connues qu’étaient Superman, Batman ou encore Wonder Woman, qui avaient d’ailleurs tous un titre à leur nom (et le plus souvent plusieurs séries parallèles). Mais ca n’empêchait pas l’éditeur de connaître certains problèmes avec les auteurs (le cas le plus célèbre étant Jerry Siegel, le père de Superman, cherchant à récupérer les droits de son personnage). Pour les trois grands super-héros de DC, la maison d’édition entendait bien se battre bec et ongle dans ce genre de cas (et c’est encore aujourd’hui). Qui plus est, Superman, Batman et Wonder Woman étaient par ailleurs des marques commerciales déposées.

Pour le « deuxième rang » des super-héros survivants, les choses étaient un peu plus compliquées. Il s’agissait surtout de bouche-trous qu’on conservait dans un souci de diversité mais qui étaient publiés au fin fond d’anthologies. Il n’y a avait pas de revue Aquaman (et il n’y en aurait pas avant des années) et de ce fait l’identification via une marque commerciale était plus diffuse (qui plus est à l’époque, où le concept de propriété intellectuelle était encore assez flou). Sans doute est-ce aussi une des raisons pour lesquelles les super-héros de Weisinger furent conservés là où d’autres furent oubliés. Weisinger était des responsables éditoriaux de DC Comics, à une époque où le turn-over n’était pas courant dans la profession. Mort Weisinger venait de l’édition littéraire (et en particulier des revues de SF) où il avait pratiqué les mêmes techniques. Là aussi responsable éditorial, Il avait souvent dicté les caractéristiques premières d’un héros récurrent de manière à ce que le scénariste ne puisse prétendre en être l’auteur. Par exemple bien qu’Edmond Hamilton soit l’auteur des aventures de Captain Future (en VF « Capitaine Flam »), c’était Mort Weisinger qui avait créé le personnage avant de lui laisser le soin de l’écrire. En utilisant Aquaman plutôt que Wildcat ou le Spectre, DC Comics était pratiquement assurée de ne jamais avoir de problème avec le créateur du personnage, par opposition à des héros lancés par des scénaristes-pigistes. Aquaman était donc un « second couteau » de DC mais, par la force des choses, il avait des raisons structurelles pour durer dans le temps.

Si les choses jouaient en faveur de sa longévité, Aquaman n’était cependant un personnage aussi riche qu’il peut l’être de nos jours. Confiné à des histoires de seconde importance, Aquaman semblait évoluer dans un océan désespérément vide. En gros, tout ce qui ferait son folklore dans les années 60 (le fait d’être le roi d’Atlantis, la compagnie d’Aqualad ou encore celle de Mera…) restait encore à inventer. L’essentiel des aventures d’Aquaman consistait donc à affronter des pirates ou d’autres malfaiteurs assez oubliables qui tentaient de s’attaquer à des bateaux. L’océan d’Aquaman semblait presque vide et, en tout cas, on y avait vite fait le tour de la gamme de menaces. Pour renouveler les histoires, il fallait donc entraîner Aquaman en dehors de son milieu naturel. Dans Adventure Comics #200 (mai 1954), l’auteur allait même faire d’Aquaman un héros microscopique, capable de tenir tête aux microbes et aux virus…

Si le style de la dessinatrice Ramona Fradon est très reconnaissable, on ne sait pas précisément qui écrivait le segment Aquaman dans Adventure Comics #200. En tout cas, dès l’image de présentation nous sommes fixé : Aquaman y est visiblement réduit à une taille infiniment petite, puisqu’on peut le voir pris au piège sous une lamelle de microscope, horrifié d’être confronté à une créature qui « a beau être microscopique par sa taille mais pour autant reste assez grande » pour l’exterminer. Autant dire que ce n’est pas vraiment le genre de situation qu’on associé avec Aquaman… ou même avec un héros de DC à l’époque. Le principal « héros qui rétrécit », Ray Palmer (l’Atom de la Justice League), ne serait introduit qu’en 1961. En attendant, dans les années 50, ce genre de pouvoir restait surtout l’apanage de Doll Man, un personnage publié par la concurrence (Quality Comics). Aquaman, lui, n’avait pas le pouvoir de changer de taille. Il rodait dans un Q.G. alors supposé être bâti sur les ruines de l’antique Atlantis. Comme tout bon héros aquatique qui se respecte, Aquaman pouvait respirer sous l’eau et arrivait à se faire obéir de la plupart des poissons, pieuvres, crabes et tous les animaux que l’océan pouvait bien renfermer. Comment diable avait-il pu se retrouver réduit à une taille si petite. C’est ce que l’histoire entreprend rapidement de nous expliquer…

Un jour, Aquaman est (comme toujours) seul dans son repaire, en train de donner la dernière touche à un équipement acoustique qui ressemble à une sorte de grand phonogramme. L’engin est un amplificateur qui devrait permettre à Aquaman de capter plus facilement les signaux de détresse émis à la surface. Mais, à peine branchée, l’invention répercute un véritable chaos de détonations. Aquaman reconnaît alors le son de canons qui tirer. Il décide de monter à la surface de toute urgence pour voir ce qu’il en est. Comme à son habitude, Aquaman ne fera pas mine de marquer le moindre palier de décompression. Il faut croire que sa constitution lui permet non seulement de respirer sous l’eau mais aussi de résister à la pression (ce qui en théorie lui donnerait une densité musculaire capable de rivaliser avec un Superman, même si l’idée est rarement évoquée de cette façon).

C’est monté sur une sorte de phoque (ou de morse édenté ?) qu’Aquaman crève la surface de l’océan. Pour découvrir un seul bateau américain, en train de tirer… sans cible apparente. Il n’y a rien d’autre en vue. Quand il approche pour poser des questions, les marins le renseignent sans se faire prier. C’est justement lui qu’ils cherchaient. Le sachant dans le secteur, ils ont fait feu en espérant que le bruit l’attirerait (ils ont une chance incroyable, ces marins ! Pensez à ça juste le jour où Aquaman mettait en place un système pour capter les bruits !). Mais le capitaine du navire est très solennel : « Vos services sont demandés de toute urgence sur la côté par votre gouvernement ! Viendrez-vous avez moi ? ». Aquaman ne se fait pas prier, à par sur un seul détail qui l’inquiète : « Vous avez dit sur la côte ? Mais mes pouvoirs fonctionnent en mer ! Cependant si mon pays a besoin de moi à terre, je vous suivrais ! ». Aquaman ne peut guère tenir ce genre de discussion que pendant le Golden Age. En effet, plus tard, ses origines seraient changées pour en faire l’héritier du trône d’Atlantis, avec un lien beaucoup plus distant avec les USA. Pour l’Aquaman des années 60, « son pays » était forcément Atlantis. L’Amérique aurait quand même pu lui demander de l’aide mais très certainement pas en cherchant chez lui une quelconque fibre patriotique. Mais là, cet Aquaman de 1954 vit encore seul : L’océan n’est pas encore un pays, c’est juste un endroit plein d’eau et les poissons ne peuvent pas passer pour des « compatriotes ». Le héros ne risque pas d’être déchiré entre deux pays. A l’époque, Atlantis ne représente rien pour lui. L’autre détail intéressant, c’est le manque de confiance apparent du héros, qui exprime de lui-même la réserve classique qu’on fait sur Aquaman : il est convaincu qu’en dehors de l’eau il n’a rien d’exceptionnel. Et c’est vrai qu’à priori, à l’air libre et loin de la mer, ses pouvoirs (respirer dans l’eau ou commander aux formes de vie aquatiques) ne servent à rien…

Plus tard, alors qu’il arrivé sur la côte et qu’on le fait monter dans une voiture pour l’emmener vers des laboratoires secrets, il tente encore d’en savoir plus. Où est-ce qu’il est escorté. Mais le capitaine du bateau, qui est monté avec lui dans le véhicule, s’excuse. Il jure ne rien en savoir lui-même. Il a suivi des ordres secrets. La seule chose qu’il imagine, c’est que la mission sera « grosse » (« big », dans le sens d’important). Vue l’image d’introduction et la vision prophétique d’un Aquaman sous un microscope, on se doute que le scénariste fait ici une sorte de pied de nez. La mission sera justement tout sauf « grosse » ou « grande ». Quand ils arrivent à l’endroit prévu, Aquaman reconnaît cependant « les laboratoires atomiques de l’armée ». Mais pour ce qui est de savoir comment Aquaman pourrait reconnaître de visu de telles installations, l’auteur ne donne pas de détail. Sans doute que dans une aventure précédente Aquaman aura sauvé l’endroit d’on ne sait quel danger.

Mais si l’installation étudie l’énergie atomique, c’est vers une salle d’opération qu’on emmène Aquaman. Le héros reconnaît immédiatement le patient qui est déjà installé sur la table : John Welky, « le fameux scientifique atomique ». Mais que lui arrive-t-il ? « C’est justement pour cela que nous vous avons fait venir, Aquaman ! » répond un des chirurgiens. « Alors qu’il travaillait sur une expérience importante, Welky a été frappé par un étrange virus sanguin – que nous nommons le Virus X – qui provoque une maladie ensommeillante ». Aquaman reconnaît que c’est une terrible nouvelle mais ne voit pas trop le rapport avec lui. Le chirurgien lui demande d’abord d’assister à une démonstration : « Je veux que vous regardiez cette machine à rayons, Aquaman. Il a fallu des années aux scientifiques de l’armée pour la créer ! ». Un assistant installe alors un lapin sous la machine et, une fois l’engin actionné, un rayon miniaturise en quelques instants l’animal, lui donnant une taille microscopique. La scène ne manque pas d’étonner Aquaman mais il est encore plus surpris quand le chirurgien rajoute « C’est exactement ce que nous voulons vous faire, Aquaman ! ». L’homme reprend : « Ainsi vous serez assez petit pour entrer dans le flux sanguin et vous pourrez vous attaquer au virus qui a privé votre gouvernement d’un savant de grande valeur ! ». Mais pourquoi Aquaman plus qu’un autre ? Le scénariste y a pensé. Le chirurgien rajoute : « Vous êtes le seul au monde qui pouvez vivre dans le milieu liquide ! ». En fait l’idée est assez réductrice car ce n’est pas parce qu’Aquaman peut vivre au fond de l’océan que ça le prédispose à vivre dans le sang humain. C’est comme si on remplissait les aquariums de sang, en expliquant qu’après tout c’est un liquide comme l’eau. Aucun poisson n’y survivrait. Mais pour le coup l’idée ne choque pas l’auteur et les personnages se comportent comme si elle coulait… de source.

Quelques instants plus tard, Aquaman est donc miniaturisé sous l’effet de la machine à rayons, dans une scène qui n’est pas sans rappeler les premières transformations du futur Atom, sous le rayon d’une lentille spéciale. Ne manque guère que le motif de l’atome pour parfaire les similitudes. En termes de continuité, les deux scènes sont assez proches pour qu’on puisse imaginer que les savants de l’armée ont devancé Ray Palmer et ont inventé, quelques années avant lui, une technologie similaire de miniaturisation… C’est cependant une fois qu’Aquaman a été rendu ridiculement petit que les choses sérieuses commencent… Il est installé dans une seringue (sans doute pleine d’eau ou d’un sérum transparent) puis injecté dans une veine de John Welky. « L’instant d’après, Aquaman se retrouve dans la mer la plus étrange de toute sa vie… » ponctue le commentateur. Le héros, lui, en est encore à chercher ses marques mais se comporte comme s’il se trouvait à l’intérieur d’une mer rouge.

Reste cependant à identifier le mystérieux Virus X quand il le croisera… Mais pour ça Aquaman n’a pas trop de mal. Rapidement il tombe sur « un monstre »: une chose tentaculaire, un peu comme une pieuvre hideuse (mais qui ressemble également à un élément qui serait échappé du jeu Space Invaders), qui s’attaque à de petites créatures rouges. Aquaman remarque que d’autres créatures blanches se ruent à l’aide des rouges. Le héros en déduit que les choses rouges sont les globules rouges du flux sanguin, tandis que les cellules blanches sont des phagocytes, qui luttent contre les infections du corps. En gros, ce sont les globules blancs. A partir de là, Aquaman en déduit que le monstre ne peut qu’être le Virus X. Mais il voit bien que le virus est trop fort pour les globules blancs. Aquaman décide donc de leur donner un coup de main en les aidants à s’organiser. Par chance, en utilisant les capacités télépathiques qui lui permettent d’habitude de communiquer avec la vie maritime, Aquaman constate que les globules le comprennent. Il leur conseille alors de s’organiser en formation pour une attaque frontale contre le Virus X.

Mais la manœuvre échoue. Le « monstre » est trop costaud et fait même mine de s’attaquer à Aquaman. Le héros réfléchit alors : « Il n’a pas de jambes ou de moyen de locomotion. Il peut seulement voyager dans le flux sanguin dans une seule direction ! Si je pouvais placer mes forces derrière lui ! ». Mais bientôt il entend comme un bruit de tonnerre : les battements de cœur du patient ! Aquaman échafaude alors un nouveau plan : « Le cœur est équipé de valves qui sont comme les portes d’un barrage ». Il commence par soulever une des valves, permettant aux globules de fuir. Puis Aquaman se glisse lui-même sous la valve… Laissant le monstre de l’autre côté. Trop grosse, la créature ne peut pas passer. On notera au passage que la représentation des éléments biologiques est totalement incohérente. D’abord le propre d’un virus est de se diffuser dans un corps. Le Virus X, en toute logique, devrait se démultiplier et ne pas se limiter à une seule micro-créature. Ensuite, quand Aquaman fait passer les globules avant lui pour qu’ils échappent au Virus X, on se demande bien ce qui se passerait dans le flux sanguin si les phagocytes s’amusaient à se déplacer comme un troupeau en fuite à travers le corps humain, laissant des zones entières sans protection. Enfin, les globules blancs ne devraient-ils pas eux-mêmes considérer Aquaman comme un corps étranger qu’il convient de repousser ? Le scénariste donne finalement au virus le comportement d’un loup tandis que les globules se comportent comme des moutons.

Mais continuons. Au terme d’un cycle complet du système circulatoire, Aquaman et ses alliés reviennent en direction du cœur, là où le Virus X est toujours bloqué contre la valve et se comportant comme s’il regardait dans l’autre direction. Pour que le plan d’Aquaman marche, pour que les globules blancs puissent prendre le monstre par surprise, soulignons quand même qu’il faudrait que le virus ait une face et un dos, avec une « vision » portant seulement vers l’avant. Là aussi, au niveau biologique, on nage en plein délire… Pourtant ça marche : Les globules, obéissant au héros, bombardent littéralement le Virus X. Cette fois il semble que c’est le monstre qui ne fait pas le poids. Bientôt, constatant qu’il n’a plus rien à faire dans ce corps, Aquaman se met à la recherche d’une porte de sortie. Il retrouve l’endroit où il a été injecté dans l’organisme de John Welky : « Ce tunnel ! Oh, je comprends ! C’est le trou de l’aiguille quand j’ai été propulsé dans le flux sanguin ! Je ferais mieux de me dépêcher avant que le trou se referme ! ».

Dans la salle d’opération, on constate que John Welky est en train de reprendre conscience. Un des chirurgiens rajoute : « Et si je ne me trompe pas, ce grain de poussière qui vient d’apparaître au dessus de la trace de piqure doit être Aquaman ! ». Reste l’incontournable scène finale. Aquaman reprend taille humaine (sans doute grâce à une autre dose de la machine à rayons) et fait face à Welky, qui le remercie chaleureusement, bien que ne sachant pas encore les détails de l’opération : « J’ai compris que vous avez détruit le virus qui me rendait malade. Mais je ne savais pas que vous étiez docteur ! Parlez-moi de l’opération ! ».

Aquaman, en souriant, préfère s’en tenir à un simple « J’aimerais bien mais vous ne me croiriez jamais. Alors autant éviter les détails ! ». Mais, tandis qu’Aquaman est tout content d’avoir pu sauver un homme tout en prouvant sa valeur en dehors de l’eau, intéressons-nous justement à certains détails. Ce sont eux qui vont donner à cette histoire toute sa saveur…

Il serait difficile, voir impossible, de ne pas faire le rapprochement entre cette aventure d’Aquaman et le film Fantastic Voyage (« le Voyage Fantastique ») de Richard Fleischer, dans lequel un équipage prend place à l’intérieur d’une sorte de sous-marin miniaturisé, qui est lui-même injecté dans le flux sanguin d’un diplomate grièvement blessé. Même si les deux victimes ne sont pas identiques, il s’agit dans les deux cas de sauver quelqu’un d’une grande importance stratégique pour les USA en injectant dans leur sang des êtres humains miniaturisés qui vont les sauver « de l’intérieur ». Dans les deux cas, aussi, il y a une analogie entre le flux sanguin et le milieu aquatique. Dans Adventure Comics #200 on envoie « Aquaman » mais dans Fantastic Voyage, les héros se déplacent dans un mini-sous-marin et dans les deux histoires la « faune » du flux sanguin est représentée comme des bancs de poissons. Non pas qu’on puisse dire que les deux récits sont totalement similaires mais ils se ressemblent beaucoup. Et pas de risque que cette aventure d’Aquaman ait été inspirée par Fantastic Voyage. Adventure Comics #200 date de 1954 tandis que Fantastic Voyage est sorti… en 1966 !

Peut-on alors imaginer une situation inverse ? Ce serait alors Aquaman qui aurait été l’inspiration de Fantastic Voyage ? Ce serait à la fois tentant et surprenant, car tant qu’à copier des choses dans les comics il y avait des épisodes plus hauts en couleurs, plus remarquables, que ceux d’Aquaman. En fait les choses commencent à se connecter quand on s’intéresse aux auteurs. Fantastic Voyage était à la base une nouvelle inédite écrite par Jerome Bixby et un certain Otto Klement (précisons que le film a par la suite fait l’objet d’une adaptation en roman par Isaac Asimov mais ce n’est pas ce dernier qui est l’auteur du récit d’origine). Bixby ou Klement seraient-ils des lecteurs convaincus de comics ? Pas vraiment. Mais quand on s’intéresse au cursus de Jerome Bixby, on voit que cet auteur fut très actif dans le milieu des revues « pulps » de science-fiction. Il fut en particulier le responsable éditorial de Planet Stories entre 1950 et 1951 et participa à plusieurs autres titres, comme Thrilling Wonder Stories…

Et justement, elle est là, la connexion. Comme nous l’avons vu au début de cet article, Mort Weisinger, le créateur d’Aquaman, venait du milieu des pulps. Il avait été auteur, mais aussi agent d’auteur et responsable éditorial de revues. En particulier, dans le cas qui nous intéresse, il avait collaboré sous ces divers rôles à la revue Wonder Stories. Revue qui, en 1936, avait été rebaptisée… Thrilling Wonder Stories. A partir du moment où Mort Weisinger et Jerome Bixby se retrouvent tous les deux liés à ce même titre, ne faudrait-il pas tout simplement chercher si, par « hasard », Wonder Stories n’aurait pas publié une histoire de « sauvetage microscopique » qui serait l’ancêtre commun de l’aventure d’Aquaman et de Fantastic Voyage ? Bingo ! Dans Wonder Stories #73 (février 1936) on découvre la nouvelle A World Unseen, par Joseph W. Skidmore. Bien qu’il n’écrive pas exclusivement des récits sur l’infiniment petit, Skidmore s’était fait connaître avec « les aventures de Posi et Nega », deux petites particules microscopiques dont les exploits furent publiés dans Amazing Stories entre 1932 et 1935. Dans « A World Unseen », Skidmore raconte les aventures de Donald Millstein, une sorte d’homme parfait, à la fois savant et aventurier (une variation de Doc Savage d’une certaine manière). Mais Millstein créé des jalousies. Les russes, en particulier, n’apprécient pas l’existence de cet américain surdoué. Ils décident donc de l’abattre. Millstein est en train d’explique à sa fiancée, Joane, sa nouvelle découverte, le « Réducteur Atomique » quand un assassin tente de tuer le héros. Joane s’interpose et c’est elle qui prend la balle. Elle est grièvement blessée mais ne peut être sauvé par aucune opération. Là où la balle s’est logée, on pourrait la paralyser ou même la tuer si on tentait quelque chose. Donald Millstein décide donc de profiter de son invention : le réducteur atomique va servir à le miniaturiser ainsi qu’un médecin capable de sauver Joane. Ensemble, ils feront les réparations nécessaires à l’intérieur même du corps de la jeune femme…

Skidmore ne fut pas le seul ou même le premier à écrire un récit où des héros sont miniaturisés avant de s’aventurer dans le corps humain. On trouve déjà ce genre d’histoires à la fin du dix-neuvième siècle. Mais celle de Skidmore a la particularité d’avoir des points communs évidents aussi bien avec l’exploit d’Aquaman qu’avec Fantastic Voyage, tout en étant publié dans une revue que lisait Weisinger tout comme Bixby. Il n’est pas certain que Mort Weisinger est lui-même écrit le récit d’Aquaman dans Adventure Comics #200. Mais si ce n’est lui, c’est sans doute un de ses auteurs qu’il aura briefé, comme il aimait à le faire. Et on voit clairement, par endroit, l’influence de l’A World Unseen de Skidmore. Même si la « machine à rayons » qui réduit Aquaman n’est pas identifiée comme un « réducteur atomique », il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une machine à réduire située au beau milieu d’un complexe atomique.

Pour la petite histoire, précisons également qu’en 1936 Joseph W. Skidmore publia également dans Amazing Stories « The Maelstrom of Atlantis », dans lequel des héros explorent les fonds maritimes jusqu’à visiter la ville mythique d’Atlantis. Comme nous l’avons vu plus tôt, l’Aquaman initial de Mort Weisinger était relativement déconnecté d’Atlantis, qui n’était qu’une ruine dans les premières histoires. Aquaman évoluera dans une Atlantis « vivante » seulement à partir d’Adventure Comics #260 (mai 1959), dans un script signé Robert Bernstein. Il ne s’agit donc pas de dire que Weisinger serait venu puiser auprès de Skidmore l’idée de son Aquaman mais la coïncidence est amusante.

Si l’aventure d’Aquaman ne risque pas d’avoir été inspirée par Fantastic Voyage, la nouvelle et le film ont par contre lourdement inspirés un certain nombre de comics parus à la fin des années 60. Dans Fantastic Four #76 (juillet 1968), lors d’une histoire produite par Stan Lee et Jack Kirby, trois des Quatre Fantastiques sont obligés de se miniaturiser et de partir à la recherche du Silver Surfer, qui s’est caché dans un univers « subatomique ». Il ne s’agit pas de parcourir le flux sanguin d’un malade ou de s’aventurer dans un organisme vivant mais le « reducta-craft », le véhicule utilisé par les héros pour voyager dans l’infiniment petit, pourrait passer pour un sous-marin et l’ombre de Fantastic Voyage est manifeste. Dans Avengers #93 (novembre 1971), par Roy Thomas et Neal Adams, on retrouve la situation du patient qu’il faut sauver de l’intérieur. Mais cette fois l’originalité vient du fait qu’il s’agit d’un androïde : Vision (un des Vengeurs mais aussi un être d’origine artificielle) tombe dans l’inconscience et le héros Ant-Man (Hank Pym) doit alors se miniaturiser et opérer de l’intérieur. Les différentes fonctions automatiques de Vision vont alors se comporter comme si elles étaient autant de défenses naturelles, d’anticorps combattant l’arrivée d’Ant-Man comme s’il était une infection. Cet épisode est devenu un classique, au point que, souvent, les lecteurs qui remarquent une nouvelle histoire de héros miniaturisé pour s’aventurer dans le corps d’un autre pensent à une allusion à Avengers #93 plus qu’à un clin d’œil à Fantastic Voyage. Par exemple dans Tom Strong #33 (par Joe Casey et Ben Oliver) le héros de la série voyage à l’intérieur du corps de son robot, Pneuman (une allusion évidente à Avengers #93 et à l’exploration de Vision). Et à peu près aucune de ces sources ne fait le rapprochement avec les écrits antérieurs de J. W. Skidmore. Atom (Ray Palmer), le héros microscopique de DC, bien qu’apparu bien après Aquaman, n’est pas en reste. Dans Brave & The Bold #115 (1974), Batman est déclaré cliniquement mort après un choc électrique. Atom se réduit et s’installe dans le cerveau de Batman qu’il manipule un peu comme une marionnette en courant au long de son cerveau (bien plus tard Jean Loring, la dulcinée de Palmer, tentera une manœuvre du même genre qui dégénérera et sera à la base de la saga Identity Crisis).

En 1995, dans Iron Man ##314, le vengeur en armure est réduit de manière à pouvoir explorer l’organisme de Captain America. Le titre assume la filiation avec le film : « le Voyage Fantastique d’Iron Man ». Plus récemment, on a encore pu voir ce genre « d’opération microscopique » dans Superman vol.2 #158, en juillet 2000 (Atom réduit Superboy, Steel III et Supergirl et les expédie dans le corps de Superman pour retirer une tumeur due à la Kryptonite). Dans New Avengers #60, Hank Pym (utilisant alors le pseudonyme de Wasp) opère de l’intérieur son co-équipier Luke Cage afin de retirer une micro-bombe qui a été implantée dans son organisme. Il semble évident que New Avengers #60 est encore une référence assumée à Avengers #93 sans que les auteurs réalisent que, bien avant Hank Pym ou Atom, Aquaman voyageait déjà dans les méandres du corps humain comme s’il s’agissait d’un nouvel océan caverneux. Dans Wolverine & The X-Men #6 et 7, Kitty Pryde est victime d’une invasion de Broods dans son flux sanguin. Le Fauve et quelques jeunes X-Men se miniaturisent alors pour aller combattre le mal dans le corps de Kitty. Dans Fantastic Four #606 (2012), les Quatre Fantastiques se réduisent pour pouvoir opérer de l’intérieur une tumeur réputée incurable dont souffre leur facteur, Willie Lumpkin… On pourrait encore passer des paragraphes entiers à énumérer les occasions où ce genre de script a été utilisé de façon similaire dans des récits de comics. Les quelques exemples ici listés permettent cependant de montrer que cet archétype de la « miniaturisation chirurgicale » n’a rien d’un cas isolé chez DC aussi bien que Marvel. Mais Aquaman est quand même passé avant pas mal de monde…

Dans l’état, Adventure Comics #200 et sa source, A World Unseen, démontrent deux choses. La première est que Joe Skidmore aurait sans doute eut l’étoffe d’un bon scénariste de super-héros. Hélas Skidmore trouva la mort dans un accident de voiture en janvier 1938, quelques mois avant l’apparition de Superman. Il n’eut donc jamais connaissance de cette catégorie de personnages et n’eut pas l’occasion de faire partie des auteurs de SF (comme Ed Hamilton) que Mort Weisinger ou Julius Schwartz importèrent dans les comics. La seconde information, c’est qu’à l’évidence dès le début du Golden Age Weisinger et Schwartz avaient tous les ingrédients nécessaires à la création d’un héros « miniaturiste » basé sur le Donald Millstein de Skidmore. Au lieu de cela le cheminement fut plus long. Il fallut attendre 1954 pour que Weisinger supervise (plus ou moins directement si un autre scénariste est intervenu) cette odyssée microscopique d’Aquaman. En 1961 Julius Schwartz dirigerait la création du nouvel Atom (Ray Palmer). Un autre héros miniaturiste qui utilisait le nom et l’imagerie symbolique de l’atome… et qui était peut-être, à sa manière, un autre enfant indirect de Joe Skidmore.

[Xavier Fournier]