Oldies But Goodies: Science Comics #6 (Juil. 1940)

20 février 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Dans la jungle, terrible jungle… Les héroïnes se bousculaient en 1940. Dans le sillage de Sheena et de Tarzan, de nombreuses européennes se retrouvaient pour une raison ou une autre catapultées « princesse » d’un coin de l’Afrique. La plupart, cependant, n’étaient pas aussi sanguinaires que Marga The Panther Woman, sorte de chaînon manquant entre Wonder Woman et Wolverine. Une femme-panthère qui ne se contentait pas de porter un maillot de bain en fourrure mais sortait ses griffes quand les circonstances l’exigeaient.

Au demeurant on pourrait se demander ce qu’une aventurière de la jungle pouvait faire dans Science Comics, série lancée par Fox Comics en février 1940d’oeil à Marga The Panther Woman. Cette grande beauté brune ressemble à une Wonder Woman (bien que cette dernière n’existait pas encore) habillée en peau de panthère noire et virevolte dans l’Afrique sauvage sans que le lien avec la science saute aux yeux. Seulement voila : Marga n’est pas la fille de riches explorateurs qui seraient venus perdre leur fille dans une région sauvage. A la base, dans le premier épisode, Marga était infirmière dans un asile psychiatrique où était retenu un savant (fou) nommé Von Dorf. Mais Von Dorf finit par s’évader, tout en prenant en otage la première jolie infirmière qui lui passe sous la main. Qui plus est Von Dorf décide d’utiliser la femme dans le cadre de ses expériences, lesquelles visent à créer une race supérieure… d’hommes-panthères. Le nom « Von Dorf » et le discours sur la race supérieure peuvent passer pour une des premières allusions aux nazis dans les comics. Quand à savoir comment et pourquoi Von Dorf a décidé que sa race supérieure serait basée sur les panthères plus que les dauphins, les insectes ou les loutres, allez savoir… De toute façon, on vous avait prévenu, c’est un déséquilibré. En définitive peu importe. La seule chose qui compte c’est que le savant soumet la jeune infirmière à un procédé qui en fait une sorte d’hybride de panthère (bien qu’elle garde une apparence totalement humaine). Le procédé implique d’injecter à la femme du sang de panthère… Mais quelque chose tourne mal pendant l’expérience, Von Dorf est tué et Marga émerge, douée d’une force supérieure et d’instincts très « animaliers ». A partir de là, Marga The Panther Woman se contente de vivre dans la jungle, sauvant à l’occasion quelques personnes qui s’y égarent et copinant bien sûr avec toutes les panthères qu’elle peut croiser… Voici donc comment on obtient une femme sauvage tout en passant par la case « science » pour justicier sa publication dans ce titre…

Mais pourquoi Marga ne rentrait-elle pas chez elle alors qu’elle aurait pu reprendre sa vie d’avant Von Dorf ? Science Comics allait en démontrer la raison tout en soulignant la sauvagerie du personnage. L’épisode commence avec une scène anodine, alors que Marga erre dans la jungle, cherchant une proie pour se nourrir. Elle finit par s’installer vers un point d’eau, en décidant d’attendre jusqu’à ce qu’un animal vienne boire. Mais contre toutes attentes, ce sont des hommes qui arrivent. En l’occurrence il s’agit de Jim Buckler, un propriétaire de cirque qui s’est aventuré dans l’Afrique profonde pour capturer quelques animaux. Mais peut-être que sont les bêtes qui vont trouver Buckler plutôt que le contraire. Alors que Buckler avance dans les hautes herbes, un tigre surgit et semble bien parti pour attaquer l’homme. Agissant sur un réflexe, Marga intervient, toutes griffes dehors. Non pas qu’elle ait réellement des griffes rétractables comme Wolverine ou quelques autres héros mais le dessinateur ne manque jamais une occasion de montrer que Marga a des ongles longs et acérés… Elle saute sur le tigre et lui règle vite son compte. Buckler est admiratif. Quelle femme ! Marga est plus pragmatique dans son discours. Elle le salue d’un simple « Mon nom est Marga. J’ai la force et le sang d’une panthère ». Mais l’esprit de Buckler voit immédiatement ce qu’elle pourrait apporter à son show : « Merci pour avoir sauvé ma vie. Je te donnerais 100$ par semaine pour travailler dans mon cirque ! ». Femme de peu de mots, Marga rétorque d’un simple « très bien, j’accepte » sans qu’on sache trop à quoi lui servirait 100$ par semaine vue la vie qu’elle mène…

Rapidement elle est donc ajoutée au programme du cirque, dans un numéro où elle doit soumettre un tigre sauvage, rejouant ainsi les circonstances de sa rencontre avec Buckler. On sent une vague influence non seulement des romans de Tarzan (où le premier réflexe des occidentaux est de ramener le personnage à la civilisation sans se rendre compte de son incapacité à y retourner) mais aussi du King Kong de 1933 (où on met en spectacle le phénomène ramené, en faisant rejouer les circonstances de sa rencontre avec les promoteurs du show). Mais la belle Marga n’a décidément pas de chance avec les scientifiques. Un homme hideux, le Docteur Borgia (déjà, rien qu’au nom, on sent que ce n’est pas un enfant de choeur) lui demande si elle veut dîner avec lui. Toujours taciturne, Marga répond simplement qu’elle ne peut pas… Pas démonté, le docteur propose alors de dîner avec elle le lendemain. Il faut alors que la brune sauvage soit plus explicite : elle n’a aucune intention de manger avec lui, et peu importe la date ! Vexé, Borgia jure qu’il la fera payer pour cet affront…

Ailleurs, d’autres sont également furieux contre Marga. Les gens du cirque rival, le Randler Circus, constatent que les spectateurs les délaissent, préférant aller voir les exploits de la femme panthère. Randler, décide alors qu’il va proposer à Buckler de lui acheter sa femme sauvage. Ce qu’il fait le lendemain, en proposant 50000 $ pour ce « rachat ». Buckler ne veut pas en entendre parler, même quand Randler fait monter les enchères à 100000 $. Au point même que Buckler se met en colère et menace de frapper Randler s’il insiste encore. Puis il s’en va, laissant Randler seul. Enfin pas tout à fait car le Docteur Borgia, qui a entendu la conversation, lui propose alors ses services. Il a étudié la « fusion » des fluides sanguins et il a déterminé que si l’on transfusait du sang de lion au tigre de Marga, celui-ci deviendrait trop puissant pour que la femme puisse le maîtriser. Randler est tout de suite intéressé et la nuit même les deux hommes volent le tigre dont Marga se sert pour son show, pour lui injecter le sang de lion.

Le lendemain, Marga sent que quelque chose ne tourne pas rond. Son instinct animal (comparable au sens d’araignée de Spider-Man) la prévient d’un danger et elle se demande d’où il pourrait venir. En inspectant les alentours elle aperçoit Randler et Borgia qui sont en train de remettre le tigre dans sa cage comme si de rien n’était. Mais la jeune femme surprend leur conversation quand ils se vantent de la transfusion et du fait que Marga n’aura pas une chance. Marga est tellement surprise qu’elle ne sait pas comment réagir. De toute façon, elle n’a plus le temps. On l’appelle déjà pour son numéro…

Elle entre donc en scène tout en sachant que le tigre ne lui fera pas de cadeau. Et c’est le début du carnage ! Non, le tigre ne blesse pas Marga. Il n’arrive même pas à l’attraper en fait. Marga est trop rapide et ne lui permet qu’un coup de patte dans le vide avant… de lui briser cette patte ! Puis elle lui déchire la gorge avec ses mains ! Alors que le tigre, mort, gît à ses pieds, Marga est couverte de sang, les mains dégoulinantes. Rappelons que nous sommes en 1940 et que l’âge moyen du lectorat n’est pas bien élevé. Une telle débauche de sauvagerie est donc étonnante. Mais ce n’est pas fini…

Apercevant Borgia et Randler dans le public, Marga se lance à leur poursuite. Paniqué, Buckler prévient un policier ; « Marga les a pris en chasse. Nous devons l’arrêter ! ». Et de fait, effectivement, Randler et Borgia ont couru jusqu’au bord de la rivière. Avant qu’ils ne puissent se jeter à l’eau, Marga les a déjà rattrapé, accroupie et prête à l’attaque. Quand Jim Buckler et la police arrivent, ils la trouvent debout, avec les cadavres des deux hommes à ses pieds. Elle ne rigole pas avec la justice, Marga ! Mais là c’est quand même un peu « too much » et le meurtre de Borgia et de Randler ne peut être passé sous silence. La femme-panthère passe donc devant un tribunal. Heureusement pour elle le juge refuse de la condamner à quoi que ce soit (la case ne justifie en rien la décision du juge, sans doute qu’il a considéré qu’elle avait des circonstances atténuantes). Elle est donc relâchée et Buckler ne pense qu’à une chose : la ramener au cirque pour qu’elle reprenne le show. Mais Marga refuse : elle réalise qu’elle n’y est pas à sa place et qu’elle doit retourner dans la jungle, la case finale la montrant revenue dans son habitat naturel…

Si l’idée était de démontrer que Marga ne pouvait plus retourner vivre « à la ville », c’est réussi ! Sheena et les autres héroïnes de la jungle étaient plus proches de Barbie en maillot de bain. Elles arrêtait bien quelques criminels et même, dans certaines circonstances, pouvaient provoquer la mort de leurs adversaires. Mais c’était souvent dans des conditions spéciales (par exemple un méchant explorateur allait tomber au fond d’un ravin ou allait être dévoré par une bête sauvage en tentant d’échapper à la vedette de la série). Avec Marga, pas contre, on ne fait pas dans la dentelle : Elle semble se baigner dans le sang de ses victimes, les griffes dégoulinantes et sans le moindre signe de regret. Marga n’est pas une super héroïne et n’est peut-être même pas une héroïne au sens traditionnel. Il y a donc peu de chance qu’un grand éditeur se donne la peine de la récupérer un jour dans le contexte d’un univers partagé (je ne pense même pas qu’on l’ait vu dans la foule de personnages ramenés dans Project Superpowers, même s’il est difficile d’en être certain vue la profusion de héros). C’est une lointaine ancêtre de Pantha. Mais niveau férocité elle pourrait rendre coup pour coup à Wolverine alors qu’elle a débuté plusieurs décennies avant lui. En tout cas dans ces premiers épisodes. Par la suite Fox l’utilisera parfois comme une « princesse de la jungle » plus traditionnelle mais de temps à autre lui rendra ce coup de griffe sauvage qui la caractérise. Sa carrière continuera ainsi jusqu’en 1942 (après l’interruption de la série Science Comics elle sera transférée dans le titre Weird Comics du même éditeur). Voilà une bad girl avant l’heure (une sorte de Sheena politiquement incorrecte puisque plus violente et plus expéditive) qui a hélas largement disparue des mémoires mais qui se prêtait sans doute bien à un retour dans le contexte d’un comic-book « indé » ultra-violent. Quand on voit l’avance qu’elle avait sur ses congénères à l’époque, on imagine qu’une Marga du 21ème siècle serait une femme vraiment très très en colère…

[Xavier Fournier]