From The Other Side – Episode #3

15 mars 2004 Non Par Comic Box

Les étrangers dans les comics #2 « Personne ne nous aime ? »

FABRICE : Premièrement, je m’excuse de mon retard. Comme vous pouvez le deviner, cette rubrique n’est ma seule activité et je dois admettre que j’avais surévalué ma capacité à jongler avec mes différents projets. Pour éviter toute nouvelle déception, From The Other Side sera mensuelle, à commencer par ce nouveau chapitre. Mais je pourrais cependant vous faire une surprise de temps à autre et updater plus souvent. Pour cette fois, je partage le micro avec mon ami de longue date et néanmoins collègue de Comic Box, Xavier Fournier. J’adore le ping-pong !

XAVIER : Bon… Alors il se trouve que je bosse avec ce type et soudainement, pendant la nuit, il m’envoit un email d’appel à l’aide. « Xavier », me dit-il, « nous avons besoin d’améliorer l’image des personnages français dans les comics US ». Et comme fait exprès, je ne m’éveille qu’en milieu de matinée, encore dans la brume, et je ne découvre ce mail qu’une heure avant la deadline. OK, laissez-moi attraper une tasse de café et allons-y…

FABRICE : Maintenant continuons. Dans mon dernier papier, je vous disais comment, selon moi (et la majeure partie des Européens), les créateurs américains de comics représentaient les personnages étrangers d’une manière simpliste, utilisant de nombreux clichés. Laissez moi vous dire que la plus horrible représentation d’étrangers représente cette contrée où nous sommes, la France.
Laissons de côté toutes les différences politiques et regardons les faits. La France et les USA ont toujours eut une amitié bien spéciale. Dans toutes les blagues américaines, le Français est celui dont on peut rire (tout comme ici nous avons les Belges… que voulez-vous, les gens sont les gens :)) Et c’est donc sans grande surprise que les plus ridicules ou incompétents personnages dans certains comics sont… Français.

XAVIER : Je pense que « Comics » est un mot clé dans l’affaire. Essayons de prendre une autre perspective… Il y a beaucoup d’autres champs d’actions pour un créateur de fiction aux USA comme ailleurs. Hollywood a eu sa part de personnages français. Vous pouvez bien apercevoir un français ridicule de temps en temps mais vous en verrez ausssi dans des rôles plus valorisants. Des personnages non-américains arrivent à être « castés » en tant qu’agents secrets, amants suaves et d’autres fonctions encore… Et les français sont assez bien représentés dans ces catégories. Par « bien », je ne veux pas parler de la quantité. Le cinéma américain montre généralement les français d’une manière assez bonne. De temps à autre, il y a bien un traitre ou un incapable français mais à la base, cela reste dans les mêmes proportions que pour les rôles d’américains.
Ce que je veux dire c’est: Vous pouvez être français et regarder des films américains sans penser « Bon sang, ces mecs n’aiment pas la France ! ». Ce qui n’est pas le cas avec un certain nombre de comics…

FABRICE : Je pense que cette « tradition » remonte à la seconde guerre mondiale. Il est vrai qu’en Juin 1940, le gouvernement de Vichy s’est rendu contre les Nazis qui étaient en position de supériorité militaire. Mais bon, souvenons-bous qu’en 1918 c’était l’inverse. Bien sûr, les quatre ans d’occupation se terminèrent par les efforts communs du Royaume Uni, des USA et de la Résistance. Mais la France de l’après-guerre était et reste assez éloignée d’une nation de couards. Cepedant l’image a survécue dans les comics américains et est devenue une part de leur « mythologie ».

XAVIER : Je pense qu’à un certain niveau, la différence principale est que nous ne nous sommes pas juste « rendus ». Nous sommes restés occupés pendant que le gouvernement de l’époque collaborait avec les Nazis. Cependant on peut trouver plusieurs comics de cette période qui utilisent cette situation pour montrer les français sous un jour très positif. Dans Blackhawk Comics, le personnage d’André a été actif pendant plusieurs décennies. Au début et pendant des années, la France était même presque sanctifiée dans les comics. On pouvait y voir des hordes de résistants, de pilotes de la France libre…
Sans qu’on nous montre aucun traitre français. En lisant les comics du Golden Age, on pourrait croire que les Nazis ont occupé la France sans aucune aide interne, sans aucun collaborateur… Ce qui ne fut, hélas, pas le cas.

FABRICE : Dans les Sixties et les Seventies, c’est là qu’on ne trouve plus beaucoup de Français dans les comics…

XAVIER : C’est là que les choses deviennent intéressantes pour notre sujet. A partir du début du Silver Age, les super-héros ont conquis la majeure partie des comics, ce qui est encore un autre facteur clé de cette question. Pour une raison bizarre, 99% des super-héros sont basés en Amérique. Si vous êtes le dernier kryptonien, où est-ce que vous arrivez sur Terre ? En Amérique. Si vous êtes un dieu norvégien du Tonnerre, où est-ce que vous vivez ? En Amérique. Et les premiers épisodes des X-Men montrèrent tous les mutants comme nés ou résidants aux USA. Les mutations et les OVNI ne sortaient pas des frontières américaines. Et à partir de là, ces super-héros américaines commençèrent à agir comme les policiers du monde.

FABRICE : Et la même chose pourrait être dîte au sujet du Japon, dont la culture a toujours montré que son peuple avait la hantise d’être attaqué sur son propre sol. Mais bon c’est une autre histoire…

XAVIER : Pour une raison de commodité, quelques personnages étrangers étaient utilisés de temps en temps mais la France a gardé cette « réputation » d’être incapable de se défendre par ses propres moyens et ainsi était une contrée « pratique » à sauver. Ce qui explique pourquoi tant de héros de Marvel & DC ont eu à traverser l’Atlantique chaque fois que la Tour Eiffel était menacée par un fou furieux. Puis ensuite les super-héros ont commencé à réinventer la seconde guerre mondiale.

Les Envahisseurs (qui vont d’ailleurs bientôt être relançés) sont assez symptomatiques de ce fait d’ailleurs. Roy Thomas a créé beaucoup de héros « alliés » (mais ils étaient anglais) ou même des personnages allemands (comme Iron Cross) qui haïssaient les nazis. Et pourtant aucun super-résistant français n’a jamais montré le bout de son nez. Quand on lit des comics de guerre comme Sgt. Fury par exemple, ils ont au moins une base implantée dans l’Histoire.
La plupart du temps, les séries de super-héros n’ont pas cette base. Même les titres consacrés aux années 40, comme les Envahisseurs, l’Escadron des Etoiles… ont réinterprété la guerre mais lui on donné un ton contemporain de la Guerre Froide. Ce qui veut dire que pendant que les super-héros américains se tapaient le boulot, la France était réduite au cliché de nation occupée. Si vous avez des héros, vous avez besoin d’une victime à sauver ou à libérer, non ?

Roy Thomas (je n’ai rien contre lui en particulier mais je trouve cette facette de sa production assez représentative) a produit trois « super-séries » se déroulant pendant la guerre. En comptant les Annuels, les Spéciaux et le reste, les Envahisseurs, l’Escadron des Etoiles et les Young All-Stars représentent quelque chose comme 150 épisodes environ. Et pourtant il faut attendre vers la fin de Young All-Stars pour y voir un super-héros français mineur, Phantasmo. Et encore en regardant dans le courrier des lecteurs on apprends qu’il s’agit principalement d’une suggestion de Jean-Marc Lofficier, scénariste français qui était ami avec Thomas. Je ne dis pas que Roy Thomas avait quoi que ce soit contre la France mais cette partie de son oeuvre  est représentative de comment, dans « l’Histoire vue par les super-héros », la Résistance française a été réduite à presque rien. Churchill est apparu plusieurs fois dans ces magazines par exemple. Mais je ne suis pas sur que Charles De Gaulle y ai été ne serait-ce que mentionné de manière notable.

FABRICE : Dans les 60’s et les 70’s, quelques super-personnages français se montrèrent. Mais la plupart d’entre eux étaient des criminels de troisième ordre. Par exemple chez Marvel, Batroc (dans Captain America) et le Cyclone (dans Amazing Spider-Man) sont des voleurs français. Voilà une autre question. Pourquoi des voleurs seraient particulièrement français ?

XAVIER : Et bien je n’ai pas la même interprétation à ce propos. Si on lit des aventures de super-héros, il y a un simple facteur mathématique: il y a plus de super-vilains que de super-héros. Juste parce que Spider-Man et les autres ont besoin de plus en plus d’adversaires pour assurer que le mois prochain ils auront encore quelqu’un à combattre. Donc la plupart des personnages français sont apparus en tant que super-villains. Mais quand on y pense, la plupart des américains apparaissant dans les comics sont… des super-villains également.

Maintenant, comme je vois ça, le vrai probleme est qu’aucun super-héros français majeur n’a émergé pour combattre ses compatriotes criminels. Alors sous cet angle aussi la France a commencé à avoir l’air d’un pays qui a besoin des super-héros américains pour résoudre ses problèmes. Quand on y pense, ce n’est pas sans souleber une question de logique. S’il n’y a aucun héros français, alors des super-vilains comme Batroc ou la Gargouille Grise et tous les autres sont encore plus idiots qu’ils n’en ont l’air: Imaginons que que vous soyez un super méchant vivant en France, où il n’y a personne pour vous stopper, alors pourquoi traverser l’Atlantique et attaquer une banque à New York, sur le secteur de centaines de super-héros ? Hey, en fait c’est un anti-cliché ! Ces français ne sont pas des couards ! Ils viennent même au devant des ennuis 🙂

FABRICE : Grant Morrison a perpétué cette tradition de « Français = voleurs » récemment en créant Fantomex dans New X-Men, même si c’était presque officiellement un clin d’oeil à Diabolik, un héros de fumetti italien. Peut-être que la réponse vient de la littérature classique. Les auteurs doivent s’être souvenus qu’ils avaient lus des choses comme Arsène Lupin. Mais Lupin était le héros, pas le vilain ! Cependant, Fantomex est au mieux un anti-héros.

XAVIER : Là, je ne suis pas du même avis que toi. Je pense qu’à un certain niveau Fantomex est l’exemple le plus positif d’une présence française que j’ai vu depuis les 80’s, quand Justice League Europe était ébablie en France, avec des auxiliaires français (l’Inspecteur Camus, Catherine Colbert, Crimson Fox…). Premièrement, je pense que Fantomex est plus inspiré par des grands criminels fictifs comme Fantomas dans les vieux romans ou, comme tu l’as précisé, Diabolik.

Secundo, Fantomex n’est pas franchement traité comme un ennemi. Oh, bien sur, il a une réputation douteuse mais la plupart du temps il est un allié des X-Men. Au pire, il est ammoral. Et mieux que ça, il n’est pas vraiment Français. Mieux qu’un personnage né en France, il choisit délibérément d’agir et de parler en Français, après s’être échappé du Programme Weapon Plus. Comme l’un de ses créateurs le dit dans l’arc « Return to Weapon X »: « Il a fallu que tu tournes au faux Français… ». De toutes les cultures que ce type aurait pu trouver, il a choisit d’être Français. Ce qui est d’une certaine manière le contre-point de toutes ces vieilles histoires dont je parlais tout à l’heure, quand tous les OVNI, les aliens, les dieux se posaient aux USA. OK, officiellement c’est un voleur mais il est ennemi publique dans un monde où les gouvernements organisent le Programme Weapon Plus et prévoyent le génocide de tous les mutants… Je l’envisage plutôt comme une sorte de Robin des Bois…

FABRICE : Quels autres jobs les Français ont-ils dans les comics ? Cuisinier ? Non. Concierge ? Pas vraiment. Mais bon ils sont toujours des subordonnés ! Je me souviens pas exemple de ce drôle de personnage nommé Frenchie dans Moon Knight. Frenchie est l’employé de Marc Spector, alias Moon Knight.

XAVIER : Quand on y pense, Frenchy est juste une copie d’André dans les Blakchawks. Je pense que quelqu’un pourrait intervertir Frenchy et André dans une scène impliquant le mooncopter de Moon Knight et je ne suis pas sûr que les lecteurs remarqueraient l’échange au premier coup d’oeil.

Mais pour en revenir aux subordonnés, là aussi on pourrait dire que la plupart des personnages dans les comics sont des subordonnées. D’ailleurs la plupart de ces domestiques, secrétaires et autres sont généralement américains. Regarde Mrs. Arbogast dans Iron Man ou la liste sans fin des employés de Tony Stark ? Moon Knight avait bien d’autres employés qui étaient américains. Et je pense que la Crimson Fox, dans Justice League Europe, était montrée comme richissime.

FABRICE : Mais le plus ridicule des personnages est apparu récemment dans les pages des X-Statix. Le « Surrender Monkey ». Oh mon dieu, je soufffre ! Voir un super-héros représentant notre pays montré comme un chimpanzé avec un béret, qui a le pouvoir de… se rendre. Je ne pouvais y croire. Je n’avais rien lu d’aussi insultant à ce sujet. Et moi qui trouve Pete Milligan marrant d’habitude. J’avais tout faux… Le pire c’est que ce scénariste n’est même pas américain mais « british » !

XAVIER : Et quand bien même. Ce ne serait pas une excuse s’il était américain. Mais tu pourrais avoir mis le doigt sur quelque chose. En cherchant dans ma collection, je remarque plusieurs choses. La plupart (pas tous mais sans doute 99%) de ce « french-bashing » des comics vient de Marvel. Pourquoi Marvel plus que, disons, Image ou DC, je ne sais pas. Et puis quand on regarde les comics impliqués ces dernières années, on voit que la plupart n’étaient pas écris par des américains mais par des anglais.

C’est sûr que découvrir une pleine page dans Ultimates #12 où « Ultimate Captain America » prend le temps de casser du Français, tout en combattant des aliens, n’est pas mon passage favori de la série. Mais bon, cette fois c’est carrément toute l’équipe créative qui est du Royaume Uni ! Il y a de cela quelques années, nous avons eu la chance de recevoir Bryan Hitch pendant une semaine. Et une chose est sure: ce type n’est très certainement pas un « french-basher ».

Alors quoi ? Pourquoi tous ces clichés frenchies viendraient d’anglais, via des comics américains ? Mon idée est que nous obsevons deux couches successives de clichés. D’un côté, ces créateurs angalis savent qu’ils écrivent principalement pour un public américain. Ces mêmes créateurs ont eux-mêms des clichés à propos de ce que les américains sont sensés pensés sur le reste du monde. Donc ils s’adressent aux américains, pensant que ces lecteurs s’identifieront mieux avec leurs productions si ces auteurs anglais utilisent un angle culturel américain.

Aux yeux d’un certain nombre d’Européens, les Américains ne peuvent pas supporter l’Europe en général et la France en particulier. Alors que font ces auteurs anglais ? Ils essayent de représenter des américains dans leurs comics qui utilisent ce cliché xénophobe. Quand un auteur anglais utilise le « surrender monkey », il se fout des français. Mais ne vous y trompez pas, il se fout aussi des Américains… Alors, que nos amis américains y pensent à deux fois la prochaine fois qu’ils riront d’une blague de Captain America contre les Français. Quelque part, il se pourrait bien qu’un auteur british soit en train de se moquer d’eux. Maintenant qui se moque de qui ?

FABRICE : Tu marques un point. Mais c’est un sujet donc nous pourrions discuter pendant des heures. Disons que le scénariste d’Ultimates, Mark Millar, a un sens très aigu de l’ironie, du cynisme et de la provocation. Mais c’est comme ça qu’on l’aime. OK, ceci clôture pour ainsi dire cette édition (et nous n’avons même pas eu à mentionner la tradition « anti-french » de Wizard !).

[Fabrice Sapolsky & Xavier Fournier]