Avant-Première Comics VF: Review Luminary Tome 1

Avant-Première Comics VF: Review Luminary Tome 1

10 mai 2019 Non Par Xavier Fournier

1977. Un jeune garçon, dans un cirque, semble se prendre d’une amitié hors-norme pour un tigre. Un curieux vendeur de glaces dialogue avec des libellules. Non loin de là, Darby, un jeune bossu, survit à une mystérieuse explosion de lumière. Il est désormais devenu un être surpuissant. Luminary a beau avoir un format franco-belge et des auteurs « bien de chez nous » mais ses codes n’en seront pas moins très familiers aux amateurs de super-héros. Et pour cause…

Luminary Tome 1Luminary Tome 1 [Glénat]
Scénario de Luc Brunschwig
Dessin de Stéphane Perger
Déjà disponible en France

Avec Luminary, il est tentant de sauter directement vers « l’histoire dans l’histoire » et le pourquoi du comment ce projet a vu le jour. Tentant, certes, mais ce serait nier le fonctionnement totalement autonome de cette saga. Rassurez-vous, pas besoin d’un background particulier pour comprendre quelque chose à ce récit de Luc Brunschwig et Stéphane Perger, qui mélangent une étrange féerie à un sentiment d’étrangeté et de droit à la différence. La narration à tiroirs, au début du volume, y est pour quelque chose. Plutôt que nous présenter d’abord Darby, pauvre bossu soumis à une curieuse expérience, Brunschwig privilégie une approche par l’extérieur, en commençant par nous présenter deux personnages qui seront les compagnons du héros. Puis vient l’explosion (un peu comme si le mystère faisait sauter le couvercle de la marmite) et alors que le lecteur se pose toutes les questions possibles, que la BD capte toute son attention, voilà le moment, via un flashback crépusculaire, de nous présenter Darby et les raisons de sa présence dans cette « galère ». On appréciera dans ce passage le travail de lavis de Perger pour représenter à la fois les ombres et les textures. Ce n’est pas du super-héros dans le sens où – en tout cas à ce stade – il n’y a pas de collants ou de masques au programme. Le côté « comics » il imprègne tout dans ce projet. Que ce soit le découpage (l’album est découpé en chapitres à la manière d’un TPB américain qui recueillerait quelques fascicules) ou les références : un complot qui remonte jusqu’à la Maison Blanche, une boutique de barbier qu’on pourrait croire sortie de la série Luke Cage de Netflix, une femme qui s’élève des eaux dans une pose digne de la Phénix des X-Men, un casting d’êtres hors-normes, de « freaks », qui fait que le scénariste, sans copier ou sans imiter, en vient à dégager une atmosphère à la Theodore Sturgeon dans Crystal Qui Songe ou Les Plus Qu’humains. On pourrait dire qu’il y a aussi quelque chose de voisin de « La Forme de l’eau ». Assez vite cet univers où les petits garçons parlent aux tigres, où les libellules sont des simulacres et où un homme se transforme en lumière (d’où, on l’aura compris, le titre) fait preuve d’un contour polymorphe. C’est avant tout une fascinante « origin story » (tous les personnages ne sont d’ailleurs pas forcément réunis avant la fin de ce premier tome) qu’on lit en n’étant pas certain de la manière dont les dominos tomberont.

« Quand la peur a enfin disparu… Quand j’ai réalisé ce que j’avais fait… »

Pour le lecteur qui débarque, Luminary démarre donc comme une première saison d’une série en cours, avec un certain sentiment « cinématographique » en un sens. C’est aisément abordable et on vite dedans, avec pour seul regret que ce ne soit un vrai comic-book, tout simplement parce qu’on aurait la suite dès le mois prochain (et que là, en revanche, il va falloir attendre). Pour qui lit des histoires de super-héros depuis un peu plus longtemps, allez mettons depuis quelques décennies, cette histoire de bossu transformé en être de lumière peut sembler (au moins dans les grandes lignes) amplement familière. Mais dites donc, on ne dirait pas un peu le Photonik publié naguère chez Lug, dans les revues Mustang et Spidey (et réédité dernièrement chez Noir & Blanc ? Rassurez-vous , c’est normal. C’est clairement expliqué et même revendiqué dans ce premier album. Luminary c’est un peu un pied de nez au destin : dans les années 80, alors qu’il en est à faire le « début de ses débuts », le chemin de Luc Brunschwig l’attire du côté de Lug, qui publie à l’époque quelques super-héros français. Après quelques discussions avec Ciro Tota (le créateur de Photonik) ou Luc fait part de ses idées, le dessinateur accepte alors de le prendre comme scénariste sur des numéros à venir… qui ne paraîtront jamais, Lug prenant au même moment la décision d’arrêter les aventures de ses super-héros « maison », trop chers à produire.

Imaginez un peu que, scénariste débutant on vous propose d’écrire une série que vous adorez… avant que les circonstances annulent ce cadeau inespéré. Pour Luc Brunschwig c’est donc (un peu) une revanche sur ce coup du sort, une manière de raconter finalement cette histoire qu’il porte en lui depuis les balbutiements de sa carrière. C’est aussi un hommage totalement assumé à Ciro Tota (l’album étant produit avec sa bénédiction). Mais dans le même temps le scénariste n’est plus le jeune lecteur de Lug, il a progressé. Son Luminary, c’est donc non pas une version concurrente de Photonik (ici, pas de Tom Pouce ou de menton « cornu ») mais une réinvention qu’on pourrait approcher de ce que Marvel a fait avec ses Ultimates (dans le procédé, pas dans le rendu). Là-dessus, Stéphane Perger (Avengers Origins: Vision) est un dessinateur idéal pour emporter ailleurs l’histoire, parce qu’il est à la fois capable de mettre en image les moments les plus intimes, les plus humiliants, du passé de Darby… toute en étant capable l’instant d’après de passer le turbo pour des scènes de poursuites. Luminary commence donc avec quelques éléments familiers mais, déjà, d’autres l’emmènent vers un horizon différent, plus politisé, plus social. Cela ne prétend pas remplacer Photonik dans le cœur de ceux qui l’ont aimé mais plutôt leur donner de nouvelles histoires à aimer. Et une fois encore, pour qui n’a jamais entendu parler de Photonik, le procédé est totalement transparent et efficace. On se trouve plongé peut-être pas dans la lumière mais en tout cas dans une histoire captivante, avec tous les gages nécessaires de rythme, d’ambiance et de mystère.

[Xavier Fournier]