Oldies But Goodies: Heroic Comics #21 (Nov. 1943)

Oldies But Goodies: Heroic Comics #21 (Nov. 1943)

1 décembre 2012 Non Par Xavier Fournier

[FRENCH] En 1943, le héros aquatique Hydroman avait été délaissé par son créateur, Bill Everett, depuis belle lurette. Mais ce n’est pas pour autant que l’éditeur Eastern Color l’avait abandonné. Avec d’autres auteurs, Hydroman poursuivait ses aventures dans Heroic Comics. Et cet épisode allait le confronter à une adversaire mémorable : Spider Woman !

Pour ceux qui ne le connaîtraient pas Hydroman est un héros du Golden Age qui avait le pouvoir de se transformer en… eau (si besoin est, reportez-vous à son origine que nous avons déjà traité ici). Création de Bill Everett datant de 1940, Hydroman était une sorte de chaînon manquant entre deux autres héros lancés par le même auteur : Il était à mi-chemin entre Amazing Man (qui pouvait se transformer en vapeur verte) et Namor The Sub-Mariner (qui était lui aussi un héros aquatique, bien que n’allant pas jusqu’à se transformer dans cet élément). Le reste du temps, quand il ne poursuivait pas les criminels, Hydroman était simplement Robert « Bob » Blake, un notable comme on en trouvait de façon assez générique dans les comics de l’époque. En 1943, il semble qu’Eastern Color ne publiait plus les aventures d’Hydroman que par habitude. A l’époque de ses débuts, dans la revue Reg’lar Fellers Heroic Comics, il était courant qu’Hydroman soit la vedette de la couverture. Mais avec l’entrée en guerre des USA, l’éditeur avait recentrée la revue (rebaptisée dans la foulée « Heroic Comics » sur un contenu plus militaire. L’essentiel des couvertures montraient désormais des soldats… Et pour qui ne connaissait pas le magazine, il était impossible de deviner que, passées les premières histoires courtes, Heroic Comics abritait aussi les aventures d’un super-héros. Eastern continuait donc les aventures d’Hydroman sans les promouvoir, se souvenant sans doute qu’à un moment Bob Blake avait été la locomotive du titre…

Pour être honnête l’Hydroman de cette époque n’était pas non plus spécialement inspiré. Après le départ d’Everett et le début de la guerre, une pointe de racisme avait en plus fait son apparition dans les histoires. Cet élément est d’ailleurs perceptible dès la première page d’un épisode paru dans Heroic Comics #21 (Novembre 1943). Dans l’image, Hydroman semble piégé au centre d’une toile énorme, encerclé par des « asiatiques » aux traits déformés par la haine… Les gnomes jaunes que nous voyons sur l’image se distinguent cependant par un autre signe sur leur poitrine, un logo représentant une araignée rouge. Le narrateur martèle la scène d’un commentaire : « Piégé ! Mais non, pas encore… Hydroman en appelle à ses remarquables pouvoirs et, dans une explosion de fureur, déchire les fils de la toile géante de Spider Woman ! ». Et, oui, l’image ne montre pas la moindre femme mais sans doute que cette introduction a pour but de rendre la femme araignée encore plus mystérieuse.

L’épisode commence réellement avec un petit retour en arrière. Un après-midi, alors qu’il se promène, Bob Blake s’arrête devant la vitrine d’une bijouterie et aperçoit une broche en forme d’araignée. Il se souvient alors que le lendemain c’est l’anniversaire de sa chère Joyce et qu’il lui faudra un cadeau. Bob décide alors d’acheter la broche et rentre dans la boutique pour demander le prix. Mais là, il se passe un incident digne du commerce où on vend des Gremlins. Le vendeur (sa couleur jaunâtre est supposée nous renseigner sur son origine « non caucasienne ») prend un air très embêté et s’embrouille avant de dire à Blake que la broche est déjà vendue. Auquel cas que fait-elle encore dans la vitrine ? Le héros, en sortant de la boutique, se le demande, en s’interrogeant également sur l’air louche du vendeur. Mais il est bientôt stoppé dans son raisonnement pas une terrible nouvelle. Un vendeur de journaux, en criant les titres du jour, lui apprend que le procureur a été retrouvé mort, étranglé. Robert Blake se précipite, achète le journal et découvre ainsi les circonstances étranges de la mort de l’home : « Étranglé en plein jour avec une curieuse corde plastifiée ! Pauvre Thurlow ! C’était un vrai adversaire du crime ! Je vais devoir m’intéresser à ça ! ». Blake a visiblement assez d’influence pour pouvoir se présenter au commissariat et demander à voir l’arme du crime, la corde. Mais on lui explique qu’elle a été confiée au professeur Zander pour qu’il l’inspecte. Personne n’a jamais vu quelque chose comme ça. Zander étant une connaissance de Blake, ca ne lui pose pas de problème. Le héros se rend au domicile du savant, où il est accueilli par Lal, le domestique de Zander.

Bientôt, Zander explique à Blake que la corde a beau être composée de plastique, elle n’en est pas moins aussi résistante que l’acier. Blake suggère qu’on pourrait alors la comparer à un énorme fil de soie. Mais Zander réfléchit : « Un fil de soie ? Il faudrait un gigantesque ver pour produire un fil de cette taille ! Ou peut-être une araignée ! ». A la mention du mot « Araignée », Blake tique. Il conseille à Zander de continuer ses tests puis explique qu’il doit se rendre au commissariat. Et il y va comme seul Hydroman peut le faire : en se transformant en eau et en coulant dans l’évier le plus proche. Au delà des différences de pouvoirs, ce mode de locomotion n’est pas sans évoquer ce que fera plus tard le microscopique héros de DC, Atom. Au même moment, au commissariat, un officier est sur le point de boire dans une fontaine d’intérieur… Mais Hydroman (qui entretemps a passé son costume de super-héros) émerge de l’eau, tout en s’excusant… Quand le héros discute avec le chef de la police, ce dernier pense enfin à lui parler du seul autre élément trouvé près du corps (pourquoi le chef n’en a pas parlé dès leur rencontre précédente, là, mystère) : Une broche en forme d’araignée ! Hydroman fait immédiatement le rapprochement avec l’autre broche, identique, aperçue plus toc dans la bijouterie. Il décide de retourner voir le vendeur pour lui poser des questions.

Sauf que ce dernier fait mine de ne pas comprendre. Une broche rouge en forme d’araignée ? Jamais entendu parler ! Il prétend alors que Bob Blake doit se tromper de boutique. Mais on ne la fait pas à Bob, qui lui montre alors l’autre broche, celle qui lui a prêté le chef de la police « Et ça ? Ca te rafraichit la mémoire ? ». Cette fois le vendeur s’empare d’un revolver qu’il braque sur le héros. Mais Bob Blake n’est pas impressionné. Il n’a même pas besoin de ses pouvoirs pour donner un violent coup de point à ce curieux vendeur, qui est totalement assommé. Bob décide alors d’inspecter l’endroit et se dirige vers l’arrière boutique. Mais pendant ce temps se produit une sorte de quiproquo. Des policiers ont entendu le bruit de la bagarre et rentrent dans la boutique, convaincus qu’un hold-up est en cours : « Le voleur doit être dans la salle arrière ! ». Pendant ce temps Bob Blake trouve un tiroir plein de broches rouges en forme d’araignée. Mais il perçoit aussi l’arrivée de la police et, plutôt que perdre du temps en explications, décide de se transformer en eau et de plonger… dans un vase de fleurs. Ainsi transformé, Hydroman est comme invisible. Encore qu’on peut se demander à combien de litres correspond le corps liquéfié de Bob Blake pour qu’il puisse entrer dans un simple vase sans qu’il déborde.

La réaction d’Hydroman de ne rien expliquer aux policiers peut paraître également bizarre puisque les scènes précédentes nous ont bien montré qu’il entretient des relations étroites avec la police. Mais quelques instants plus tard on peut saisir son idée. Les policiers, n’ayant trouvé aucun voleur, repartent.

Et le vendeur, revenu à lui, s’empare d’un téléphone pour informer sa hiérarchie que quelqu’un est sur leur piste. Finalement le vendeur prend un taxi pour se rendre à un mystérieux rendez-vous. Hydroman, qui était dans le vase, a pu épier la conversation et, sous la forme d’une trombe d’eau survolant les rues, prends en filature le taxi.

Arrivé à l’hôtel où le vendeur a rendez-vous, Hydroman se souvient soudainement qu’il n’a pas pris de nouvelles de Zinder au sujet du résultat de ses tests. Il profite d’un poste téléphonique pour l’appeler et le professeur lui confirme alors que la corde est en fait… de la toile d’araignée à une taille gigantesque. Sans perdre de temps, Hydroman se rend ensuite dans la pièce où le vendeur a rendez-vous. Mais avez qui ? Avec tout un gang, celui aperçu dans la page de présentation : Des hommes masqués, à la peau jaune, portant une tenue verte et un logo en forme d’araignée rouge. Mais surtout tous ces hommes se tiennent devant celle qui les dirige : une femme masquée totalement habillée de rouge, qui s’inquiète de savoir si le vendeur a été suivi. Celui-ci répond par la négative et explique qu’il a amené toutes les broches restantes avec lui… Mais la femme continue de poser des questions. Cet « étranger », ce curieux… Comment peut-il avoir relié la broche et la boutique ? Le vendeur explique qu’après la dernière livraison son associé en placé une dans la vitrine et que le curieux l’a vu : « L’autre broche qu’il avait devait être celle que Barton a pris à Nikko ! ». La fin de cette phrase est relativement incohérente puisque le procureur assassiné est nommé Thurlow dans le début de l’histoire et qu’à partir de là on a aucune idée de qui peut-être Barton dans le contexte du récit.

Hydroman a repris son apparence civile pour passer inaperçu et tape à la porte comme si de rien n’était, tout en se disant à voix haute que cette suite a été louée au nom de la Baronne Taklachak. L’homme qui ouvre la porte lui demande de manière patibulaire ce qu’il veut… Mais Bob Blake force l’entrée et se retrouve immédiatement dans la pièce, encerclé par les membres de cette étrange secte. La femme (qui est visiblement la Spider Woman auquel fait référence l’intro de l’histoire, s’exclame alors : « Qui es-tu, idiot ? Enfin peu importe ton identité, tu viens de te suicider ! Attaque le, Nikko ! ». Un des tueurs saute sur Blake mais ce dernier s’en débarrasse en le jetant sur ses congénères : « Pas cette fois, Nikko ! ». On en retire donc bien l’impression que Nikko était l’assassin du procureur et que le nom de Barton était une erreur. En fait, Robert Blake ne semble pas spécialement pressé d’utiliser ses pouvoirs, se surestimant sans doute. Mais le nombre est contre lui. Surtout quand un de ses adversaires l’assomme avec une chaise… Il est vite attaché avec la fameuse « toile » si résistante…

Néanmoins le gang de l’Araignée n’a aucune idée que cet intrus est par ailleurs Hydroman. Ils ne l’ont rencontré que sous son apparence civile. Quand Spider Woman décide de se débarrasser de ce curieux, elle prend donc sans s’en rendre compte une décision lourde de conséquence : Elle ordonne qu’on le noie dans la baignoire de la suite. En fait, toute trace d’eau peut recharger les pouvoirs du héros. Mais il décide de jouer la comédie pour mieux cacher le fait que cette tournure des évènements l’arrange. Il commence à implorer, feint d’être paniqué. Spider Woman ricane, convaincue que l’homme a une phobie particulière de l’eau. Il est donc plongé dans la baignoire sans cérémonie… mais, comme prévu par le héros, le contact avec l’élément liquide renouvèle les pouvoirs d’Hydroman… C’est dans son costume super-héroïque qu’il émerge de l’eau ! Comme un tourbillon, il submerge alors le gang… mais pas la maîtresse du réseau !

Spider Woman a eu le temps d’arriver jusqu’à la fenêtre et s’apprête à sauter. Hydroman tente de l’arrêter : « Hey, espèce de folle ! C’est un saut de 29 étages ! ». La femme se retourne vers lui et dit « Comme vous dites dans ce pays « So what ? ». Bientôt la police arrive (le professeur Zander l’a prévenu de l’endroit où se trouvait Hydroman). Le héros a bien neutralisé le gang mais explique que Spider Woman a sauté dans le vide. Néanmoins, quand ils sortent au niveau du sol, il n’y a pas de corps. Au contraire ils trouvent… de la toile d’araignée. La femme mystérieuse a utilisé une toile pour glisser au niveau du sol. Mieux même: Elle a laissé sa carte ! « Nous nous retrouverons ! » Signé « Spider Woman » (ce qui est, dans le contexte de l’histoire, la première officialisation de son pseudonyme ». Le commentaire rebondit alors sur cette étrange conclusion où la criminelle échappe au héros : « Qui est Spider-Woman ? Quel jeu sinistre est le sien ? Comment Hydroman affrontera le danger dans le prochain numéro d’Heroic Comics ? ».

Ceci aurait pu être une vaine promesse mais, pourtant, on retrouverait bien Spider Woman dans les aventures suivantes d’Hydroman, avec un peu plus de détails la concernant. D’abord son vrai nom est bien la baronne Taklachak (ce qui fait qu’on se demande pourquoi elle se donne la peine de se masquer si c’est pour louer des chambres d’hôtel sous son nom). La nature de son poste par rapport à ses serviteurs est également mieux détaillée : Elle est la grande prêtresse du culte de la déesse Araignée Durga (ou, en VO, le « Spider Cult ») et dans l’épisode suivant, elle change de méthode en utilisant du poison pour tuer ses victimes. Du poison mis au point à partir d’un extrait de venin de Veuve Noire (« Black Widow Spider »). On ne sort pas, non plus, du registre de la bijouterie. Là où, dans sa première apparition, ses hommes signaient leur crime avec une broche en forme d’araignée, les assassinats sont organisés en offrant des bagues aux futures victimes, bagues qui contiennent une aiguille à l’intérieur et qui « piquent » donc de manière mortelle. Évidemment Spider Woman échouera une nouvelle fois, battue par Hydroman. Non seulement les apparitions de Spider Woman sont parfumées d’un racisme tacite (l’étrange non-blanc est veule, sanguinaire et païen) mais la « cible » semble diffuse. Ainsi on pourrait penser que la baronne et ses hommes sont japonais d’origine (puisque représentés comme « jaunes » et méchants) ce qui se comprendrait en temps de guerre. Mais Durga est une déesse-araignée… liée à la mythologie hindoue (c’est l’épouse du dieu Shiva). Le culte de l’Araignée et Spider-Woman sont donc d’origine hindoue et pas « asiatique » dans le sens des clichés visuels de l’époque. Si on s’en tenait à l’image, on pourrait se convaincre que les gens du Spider Cult sont d’énièmes méchants japonais… Mais la mention de Durga nous entraîne sur un autre terrain (peut-être que le scénariste non-identifié de l’histoire avait simplement mal renseigné le dessinateur). Spider Woman et sa secte nous emmène plus vers une ambiance de pulps, où le Shadow et Doc Savage combattait ce genre d’organisations sur une base presque mensuelle…

Malgré le potentielle de devenir l’ennemie « féminine » principale d’Hydroman (son équivalent d’une Catwoman ou d’une Poison Ivy) cette Spider Woman n’aura qu’une carrière assez brève. Il faut dire que les auteurs avaient pris une décision curieuse : l’essentiel des gadgets de Spider Woman (sa toile, son venin d’araignée) sont utilisés « hors champs », laissant à Hydroman le loisir d’arrêter la bande comme s’il s’agissait de gangsters conventionnels. Ses crimes, eux aussi, sont pour la plupart perpétrés avant même le début de l’histoire (sans doute pour ne pas froisser les associations parentales qui, déjà, râlaient sur la violence dans les comics). Ce qui fait qu’au lieu d’avoir une Spider Woman se déplaçant d’immeuble en immeuble avec sa toile ou s’en servant comme projectile pour piéger Hydroman, la Baronne Taklachak est, certes, une femme fatale. Mais elle ne va pas au bout de son potentiel. Le nom de Spider Woman aurait, des décennies plus tard, un autre éclat quand il deviendrait celui d’une héroïne de Marvel Comics (Jessica Drew). Hydroman étant devenu, ces dernières années, un personnage rattaché à Dynamite et à l’univers de Project Superpowers, Spider Woman pourrait en théorie refaire surface chez cet éditeur. Dans la pratique le personnage est surtout tombé dans le domaine public américain, le laissant libre d’autres apparitions.

[Xavier Fournier]