Avant-Première Comics VO: Shazam! #1

Avant-Première Comics VO: Shazam! #1

8 mai 2023 Non Par Xavier Fournier

Shazam est de retour… au moins pour la troisième ou quatrième fois ces dix dernières années. L’ex-concurrent de Superman semble devenu une véritable patate chaude qu’on se refile. Sauf qu’ici Mark Waid & Dan Mora profitent du récent Lazarus Planet pour remettre les pendules à l’heure et s’offrir un droit d’inventaire dans la mythologie du personnage.

Shazam #1Dans le monde moderne, quelle place pour l’optimisme, la bonté et l’altruisme ? Pas grand-chose si l’on en croit les chaines d’information en continu. Quelque part entre les questionnements sur les épidémies, sur une guerre en Europe et un page spéciale sur une tuerie, la bonté et l’optimiste sont bien souvent relégués, confondus avec la naïveté, voire la bêtise. Alors que j’écris ces lignes, des polémistes sont en train d’envoyer des noms d’oiseaux dans une émission de débat en parlant du fait d’avoir ou pas des piscines de jardin. C’est dire si la bonté et l’optimisme sont passés de mode il y a quelques années déjà. Je sais, vous ne voyez pas le rapport, le voilà : Dans ce monde moderne, cela fait déjà quelques temps déjà que DC Comics jongle et se demande comment mettre à jour, comment rendre pertinent l’ex-Captain Marvel ex-Shazam. Depuis une quinzaine d’années chaque reprise en main du personnage et de ses amis a tourné autour de cette question. Comment rendre « actuel » Shazam ? Cela nous a donné quelques fulgurances parfois très inspirées (comme la réinvention de l’origine du héros par Geoff Johns et Gary Frank, il y a une dizaine d’années) mais dès qu’il s’est agit de stabiliser, de le rendre viable dans le monde moderne le personnage, tout le monde à peu près s’est cassé les dents (y compris le même Geoff Johns dans la dernière ongoing en date, qui a tourné à la Bérézina). En gros personne n’a réellement construit quelque chose avec le personnage depuis la série Power of Shazam de Jerry Ordway, dans le milieu des années 90. C’est presque symptomatique que ces deux dernières années DC a paru beaucoup plus à l’aise pour utiliser Black Adam, la version cynique de Shazam, comme membre de la Justice League puis héros de son propre titre. Au cinéma l’affaire n’a pas mieux tourné puisque l’optimiste Billy Batson (l’alter ego de Shazam) est devenu un gamin espiègle se transformant en un géant qui ne brille pas par son intelligence. L’échec du dernier film en date pourrait convaincre beaucoup de gens que, décidément, le pouvoir de Shazam n’est plus dans l’air du temps.

« This calls for a gentler solution »

Le scénariste Mark Waid et le dessinateur Dan Mora ont déjà fait des merveilles récemment sur la série Batman/Superman: World’s Finest, en nous restituant un Superman et un Batman décomplexés, compatibles avec l’univers DC tel qu’il est aujourd’hui mais rendant à Clark et Bruce certaines valeurs d’amitié que l’on ne leur connaissait plus (sous cette forme en tout cas) depuis peut-être la première Crisis. Il semblait évident que pour piloter Shazam Mark Waid était l’un des meilleurs choix. Cela fait des années qu’il rongeait son frein sur le sujet (après un projet avorté qui l’aurait vu reprendre le personnage avec le regretté Mike Wieringo). Mais les évidences demandent des confirmations. Et là, clairement, la confirmation vient dès les premières pages, quand les auteurs ouvrent le bal directement avec une scène improbable, pendant laquelle on aura l’occasion de se demander deux ou trois fois ce qui se passe exactement (ce qui est une bonne chose, dans le contexte). Waid et Mora donnent des gages aux publics de différentes époques, d’abord en ramenant autant que possible le héros vers (presque) son pseudonyme d’antan et puis en truffant le Rock de l’Eternité d’allusions à la mythologie passée de Shazam (bien au-delà des « New 52 ») ou même de l’univers DC. Une réappropriation en phase avec ce que la même équipe créative a déjà fait sur Batman/Superman: World’s Finest, certes, mais il y a un vrai esprit de synthèse. Il ne s’agit pas simplement de ramener de vieux jouets pour faire plaisir aux lecteurs de longue date. Dan Mora trace des silhouettes expressives, dynamiques, modernes, énergique… mais n’oublie jamais de travailler les expressions faciales de son antagoniste, le seul héros au monde capable de sourire quand il est confronté à un tyrannosaure ! Le ton est pensé pour parler à toutes les audiences, chacune ayant son point d’appui. Freddy Freeman ressemble à Freddy Freeman plus qu’il l’a fait depuis près de 25 ans, d’accord, mais dans le même temps le Billy Batson enjoué et capable d’être parfois irresponsable, tout en débordant de bonne volonté, peut « parler » aussi bien au public qui ne le connaitrait que par les adaptations qu’à ses fans habitués. Parce que la vraie démonstration de ce premier numéro, c’est que Shazam (ou le Captain, selon votre préférence) n’a pas besoin de se demander comment être au goût du jour. Au contraire, il est d’autant plus nécessaire par son optimisme, son envie insatiable d’aider son prochain. Vous dites que l’époque n’est plus à la bonté ? Et si « le mortel le plus fort du monde », lui, décidait de ne pas fléchir, de ne pas plier, et de conserver ce qui a toujours fait son charme ? Mine de rien, historiquement, le détenteur du pouvoir de Shazam était du genre à être optimiste en pleine Seconde Guerre Mondiale. Parce que l’espoir, quand c’est facile, quand ça va bien, c’est un espoir inutile. C’est quand les choses se gâtent qu’il devient pertinent. Et on sent bien d’ailleurs que c’est cette piste que Mark Waid veut emprunter, en instaurant une mise à l’épreuve : des êtres qui pensent, eux, que Shazam devrait s’exprimer d’une façon plus cynique. Il est difficile de savoir à l’avance si cette série qui démarre va trouver son public (après tout, l’échec récent au cinéma a fait ce qu’il faut pour brouiller les cartes). Mais Mark Waid et Dan Mora donnent d’emblée toutes les garanties qualitatives. Eux ont compris qu’il ne s’agit pas de courir après le monde actuel en se demandant comment « moderniser » le héros. Non. C’est pratiquement tout le contraire : Parce qu’il incarne des valeurs que le monde actuel à tendance à oublier, Shazam et son optimisme sont d’autant plus nécessaires. Bref, c’est un excellent premier épisode, enjoué et dynamique.

[Xavier Fournier]

Sorti le mardi 2 mai 2023 aux USA