Suicide Squad, la review

Xavier Fournier, pour Comic Box

Suicide Squad, la review

Suicide Squad, la review

Xavier Fournier, pour Comic Box
3 août 2016

Suicide Squad

Suicide Squad est (après Man of Steel et Batman V Superman) le troisième film de l’univers partagé naissant de DC Comics sur le grand écran. C’est le premier à ne pas avoir été réalisé par Zack Snyder mais aussi celui qui suit immédiatement BvS et la réaction pour le moins contrastée qu’il avait engendré. En clair, « l’Escadron Suicide » de David Ayer est un jalon que l’on attendait pour trianguler un peu les choses, après que Snyder ait longtemps été présenté comme l’architecte majeur des films DC à venir.

Disons-le d’emblée, les bandes annonces avaient cependant levé une partie des interrogations à ce sujet. Avec une bande-son taillée à coups de standards de la pop-culture et de gags (dans la plupart laissant le beau rôle à Harley Quinn), on savait que le film ne visait pas précisément la même tonalité. Suicide Squad allait-il pour autant respecter l’esprit des personnages, la volonté de leurs auteurs et, plus largement, tirer son épingle du jeu ?

De l'honneur parmi les voleurs

Après la mort de Superman, les autorités américaines réalisent qu’elles viennent de perdre leur défenseur en cas de menace surhumaine (elles ne semblent pas spécialement au courant de l’existence de Wonder Woman mais vu les évènements de BvS cela peut se défendre). Amanda Waller (Viola Davis) arrive donc à convaincre ses supérieurs d’activer le Suicide Squad avec les « spéciaux » qu’ils ont sous la main : les criminels que Batman ou d’autres ont pu battre, et qui depuis croupissent dans un pénitencier de haute-sécurité. Bien que l’on fasse leur connaissance alors qu’ils sont en cellule, la narration va cependant faire quelques allers-retours dans le temps pour nous expliquer, selon les cas, les motivations des uns et les origines des autres, encore que tous les personnages ne soient pas égaux sur ce plan là. Pour Katana ou Slipknot, c’est même plutôt le service minimum…

Joker

Le procédé nous permet néanmoins de voir les conditions de leurs arrestations et, dans certains cas, justifient l’apparition de Batman (et peut-être pas seulement de lui). Là, clairement, on a un premier signal puisque cette fois Batman/Ben Affleck ne ricane pas en marquant ses ennemis au bat-fer rouge et ne semble plus intéressé par un usage excessif de la force. C’est le même acteur mais, pour le peu qu’on le voit, il ne fonctionne plus avec les mêmes tenants et aboutissants que la version Snyder. Là où David Ayer n’a pas la même pression que Snyder, c’est qu’on ne lui demande pas de porter à l’écran des personnages iconiques représentant le bien. C’est tout l’inverse, même. Avec une partie de l’équipe caractérielle et passée du côté obscur, des assassins, des voleurs ou des psychopathes, on n’est plus près des Douze Salopards (une inspiration majeure du comic-book Suicide Squad) ou des Sept Mercenaires.

En gros, ce sont des anti-héros et on peut les voir tuer ou piller en ricanant sans que cela choque grand-monde. De fait, pour le lectorat des comics, il y a moins de motifs de fâcheries dans ce film que dans BvS, c’est certain. D’ailleurs l’exercice s’inverse pratiquement d’emblée, tout le jeu d’Ayer et des acteurs principaux étant de nous montrer que même chez des méchants de cette envergure il y a quelques valeurs humaines. Il y a de « l’honneur parmi les voleurs« , comme le souligne Deadshot (Will Smith).

We're the bad guys !

Celle qui est la plus attendue, qui occupe en tout cas une place de choix dans les teasers et dans le temps d’apparition à l’écran, c’est bien entendu Harley Quinn (Margot Robbie). Sans surprise, elle crève l’écran, apportant un humour que le public du film Deadpool devrait apprécier, même si le vocabulaire est quand même moins « vert ». Non seulement elle est l’une des têtes d’affiches du film mais on prend soin de la définir en détail, au point de nous raconter par le menu ses origines. Si bien d’ailleurs que l’on voit les phases antérieures d’Harley, au point de glisser quelques allusions à l’origine de Paul Dini ou à certaines couvertures d’Alex Ross. Harley Quinn est celle sur qui on peut compter pour relancer la machine en cas de temps mort ou bien quand il faut faire une pause entre deux scènes de combats. Elle a aussi cela de pratique qu’elle peut dire une chose dans un moment et faire le contraire quelques instants plus tard. Elle est folle et s’auto-justifie. A partir du moment où Margot Robbie la joue bien, un brin à la Nina Hagen, on ne risquait pas trop de problème d’écriture en ce qui la concerne.

Harley

Harley Quinn amène aussi dans son sillage (à moins que ce soit l’inverse, selon les scènes) le Joker. Jared Leto a la délicate mission de succéder à Heath Ledger dans ce rôle et le parti-pris est d’orienter le personnage vers une incarnation bien différente, plus « gangsta bling bling », lorgnant vers le public des jeux vidéo. C’est à travers lui, entre autres, que l’on commence néanmoins à sentir l’un des problèmes du film, à savoir qu’un certain nombre de scènes sont écrites comme s’il s’agissait de passages cinématiques séparant les niveaux d’un jeu vidéo. Le Joker est un personnage nécessaire pour justifier l’existence d’Harley et ses objectifs. Mais il n’est pas pour autant l’un des personnages les plus importants du film bien que, par la force des choses, il en éclipse d’autre quand il pointe son visage blafard.

Non, juste après Harley et d’une certaine manière celui qui représente la conscience du groupe, c’est bien Deadshot. Certains avaient peur que Will Smith passe jusque quelques minutes à l’écran avant d’aller toucher son chèque. Finalement il est omniprésent dans le film et il devient un outil bienvenu pour forcer la discussion. Une bonne partie des autres (que ce soit Rick Flagg ou El Diablo se définissent par rapport à lui, sont pratiquement obligés de lui parler, de s’extérioriser. Will Smith joue un Deadshot assez juste, motivé par son sens de la famille et par ses sentiments. Il est, en ce sens, bien plus raccord avec le personnage de la BD que peut l’être Michael Rowe, l’acteur qui joue le même rôle dans la série TV Arrow.

Deadshot

En un sens Smith n’a pas tant de mérite que cela dans la mesure où c’est un rôle un peu taillé sur mesure pour lui, qui repose sur un certain nombre de mécanismes qu’il utilisait déjà dans ses films des années 90. Mais ça marche : Deadshot éclipse un Rick Flagg (Joel Kinnaman) assez fadasse, qui n’arrive guère à s’imposer comme le leader naturel du groupe ou à véhiculer de manière convaincante des émotions. Flagg est égal de bout en bout, qu’il pense avoir perdu sa chérie ou qu’il soit en train d’ouvrir une porte. On est bien loin du personnage des origines. Là pour le coup le casting a été peu judicieux.

 uhoh

La salsa du démon ?

Katana

On pouvait croire, à voir teasers et photos de presse, que le second rôle féminin du film serait la dame au sabre, Katana (Karen Fukuhara). Mais non. C’est même régime sec en ce qui la concerne car, en dehors d’une brève phrase de Flagg nous expliquant ce que fait l’épée de sa co-équipière, la jeune femme… ne parle pas anglais. Peu loquace, ses rares répliques se font en japonais, devant des personnages qui ne parlent pas la langue et restent médusés, sans comprendre ce qu’elle raconte. A croire que c’est Groot !

Non, celle dont on avait des raisons non-fondées de sous-estimer l’importance, c’est l’Enchanteresse (Cara Delevingne). Au contraire, même si visuellement le personnage, plus « tribal », est très différent de la manière dont elle est dessinée dans les comics, le scénario prend la peine d’installer et de montrer les origines de June Moon et de sa malédiction (elle est possédée par l’esprit d’une sorcière antique). A bien y regarder, les lecteurs de comics comprendront que les scénaristes du film ont décidé de comprimer trois personnages en un. Cette Enchanteresse-là, elle tient autant de June Moon que de Nightshade (autre membre du Suicide Squad des comics) et de Karin Grace (la petite amie initiale de Flagg dans la BD). Cette compression se justifie assez dans le récit. Par contre, malheureusement, passé un certain stade, l’utilisation de l’Enchantresse devient parfois incompréhensible, pour mieux justifier des clichés. Et là, le personnage devient unidimensionel. Comme par exemple ce moment où, juste après la décision de créer le Suicide Squad, Flagg et l’Enchanteresse partent seuls en mission sans qu’on prenne la peine d’activer les autres, parce que le script a besoin que la sorcière fasse une crise à ce moment-là et qu’une partie de la suite dépend du fait que cela se passe comme ça et puis c’est tout.

Killer Croc

De la même manière les motivations et des actes du reste du casting demeurent quand même assez floue. Va pour Killer Croc (Adewale Akinnuoye-Agbaje, l’ex-Kurse de Thor: le Monde des Ténèbres et peu reconnaissable sous les écailles), qui est simplement un homme-crocodile, point, et un personnage monolitique, le muscle du groupe (encore qu’il mette un moment avant de démontrer son utilité). Lui aussi est une forme de « Groot ». Boomerang (Jai Courtney), plus massif que dans la BD, est bien écrit de manière à faire allusion à quelques passages du comic-book, pas de problème. Mais les allusions resteront sans doute un peu invisibles pour ceux qui ne connaissent pas les épisodes en question. On ne sait pas trop les origines de Boomerang ou ce qui le fait avancer, à part l’appât du gain. Ce qui fait que le fait qu’il se rallie parfois au discours de Deadshot reste inexpliqué. Jai Courtney donne de la gouaille au personnage, mais l’écriture du film ne se donne pas assez la peine de le définir. On a envie de rapprocher ce personnage de celui de Jon Bernthal dans Fury, du même réalisateur, mais on ne nous en donne pas assez pour confirmer l’impression.

Diablo

Pour El Diablo (Jay Hernandez), c’est autre chose. Le fait qu’il reste en retrait et ne découvre que sur le tard joue un rôle dans la dynamique du groupe. Mais le problème, ce sont ses pouvoirs, qui vers la fin évoluent de manière anarchique. « Depuis quand as-tu ce pouvoir ? » lui demande un autre personnage. « Je l’ai toujours eu » réponds Diablo avant de ne plus du tout se servir de cette aptitude, qui n’était nécessaire que pour passer une scène. C’est un peu la même chose pour les créatures qui menacent le monde et qui constituent les « boss de niveau » du film. Dans un premier temps, il paraît clair que les deux démons veulent détruire l’armement des humains afin de régner sur le monde et une horse d’esclaves au cerveau lavé. Et puis, à un moment, les gens du Suicide Squad semblent pris d’une illumination et décident arbitrairement que les deux autres veulent détruire la planète et qu’il faut absolument détruire une sorte de faisceau pour la sauver… plutôt que de se concentrer d’abord sur les démons en question (qui actionnent le faisceau). Du coup la stratégie du Squad devient assez floue et, çà, même la folie d’Harley Quinn ne saurait l’expliquer. Du coup, à un moment, la mission semble se réduire à un mode « Capture the flag » bien connu des gamers mais pas très solide en termes de narration.

Enchantress

Même chose, à nouveau, à peu près dans la même phase du film, quand l’Enchanteresse se met inexplicablement à avoir des convulsions au niveau des jambes. Cara Delevingne prend alors l’allure d’une figurante prise d’une furieuse envie d’aller aux toilettes mais qui n’oserait pas le dire de peur d’interrompre le tournage. C’est plus comique qu’autre chose mais ce qui est dommage c’est qu’Ayer, à travers des films comme Training Day ou Swat nous a habitué à des films où les méchants sont complexes et capables de revirement, le « bon » n’étant pas forcément celui que l’on croit. Là, il y a bien une forme de trahison mais elle arrive assez vite dans le film, trop pour qu’on lui accorde beaucoup de profondeur. Et passé ce cap la menace démoniaque reste assez plate et sans surprise. Le film originel des Ghostbusters faisait mieux sur ce terrain-là.

Mission terminée ?

Group

Suicide Squad vise un peu entre Deadpool et les Gardiens de la Galaxie. Parfois de manière un peu trop visible, même, tant l’effet playlist de valeurs sures du juke box vient clairement se placer dans le sillage du film de James Gunn. Sauf que la compilation de Star-Lord servait le spleen du personnage, étant le seul lien qui le reliait à la Terre et par conséquent à sa mère. Ici, les oldies du Top 50 sont passées en revues mais de manière plus sage. Par exemple si les personnages prennent l’hélicoptère on a droit à « Spirits in the Sky« . Mais globalement on joue sur la nostalgie ressentie par les spectateurs plus que sur celle vécue par les personnages. En cas de baisse de régime, on nous balance un tube, certes. Mais en termes de compétition, si l’on doit comparer à Deadpool ou aux Gardiens, Suicide Squad n’est pas aussi drôle que cela. Par moments oui, mais de manière irrégulière.

Harley

Suicide Squad n’est pas un mauvais film (ou, si vous préférez, pas un film mauvais). Nous n’en sommes pas sortis en ayant l’impression désagréable de nous être fait « dévaliser de deux heures ». Il y a certains personnages (pas tous) qui forment à l’écran de fortes gueules, dans certains cas des caractères attachants qui font que cracherait pas sur le principe d’un Suicide Squad II ou d’un film solo consacré à Harley Quinn (il y a de quoi faire, si le chiffre d’affaire de ce premier film est au rendez-vous). On appréciera aussi le clin d’oeil marqué à John Ostrander et les crédits qui font allusion à ceux qui ont marqué l’histoire du comic-book. Mais Suicide Squad n’est pas pour autant un très bon film. Certains autres rôles s’activent comme s’ils étaient en pilote automatique. Pas d’instant « Martha ? » mais l’exemple d’El Diablo décidant soudainement que le Suicide Squad est sa seconde famille (pourquoi ? comment ?) est assez symptomatique.

Boomerang

Et, comme nous le disions, bien malin qui cernera certains personnages, à plus forte raison parce que si certaines allusions parlent au fan de la BD des années 80, elles ne sont pas si connues que cela et une partie de ce travail risque de passer inaperçue auprès du grand public. Suicide Squad est trahi par une qualité d’écriture qui fait le job, mais en service minimum. Sans s’attendre spécialement à un film qui réinvente les COMIC BOX #101règles du 7ème art, les bandes annonces nous laissaient entendre plus d’ambition, quelque chose de vraiment plus déjanté. Le résultat est amoindri par ce côté « mission basique de jeu vidéo ». Ce qui nuit aussi, c’est que les bandes annonces en montrait vraiment beaucoup pour ce qui est des « one-liners » supposées marquer certaines scènes.

Du coup la surprise ne prend pas pour certaines blagues. Pire: certaines qui apparaissaient dans les trailers (par exemple le refus de servir de l’alcool à El Diablo) ne sont même pas dans le film final. David Ayer rempli sa mission car il porte à l’écran des personnages secondaires qui n’ont rien à voir avec les superstars de la Justice League (encore qu’il en utilise certaines et d’une meilleure manière que les faux films Youtube de Luthor dans BvS). D’une certaine manière, il a moins la pression qu’un Wonder Woman, par exemple. Mais il place la barre moins haute qu’on pouvait l’espérer et se perd en cours de route. Ce n’est pas la cata (et le box office devrait être au rendez-vous) mais le film reste assez moyen.

(pour ceux qui, à l’occasion du film, s’intéresseraient au Suicide Squad dans sa version d’origine dans les comic-books, vous pouvez retrouver un dossier complet sur le groupe et la série dans Comic Box #101, encore disponible en kiosques, en librairies spécialisées, vente par correspondance et en ventes numériques)

1 commentaire

  • Kuri-O dit :

    Très chouette format, et le fond ne s’est pas effacé au profit de la forme. Du coup, un grand merci!

    PS: félicitations pour le n°100… même si je me suis senti vieillir avec vous pour le coup…

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