Review: Guardians

Xavier Fournier

Review: Guardians

Review: Guardians

Xavier Fournier
28 juillet 2017
Les super-héros russes débarquent

Ce 26 juillet Wild Side a sorti directement en DVD les aventures des Guardians, super-héros russes qui lorgnent ouvertement sur les recettes des studios américains. On pourrait presque parler d’un « clonage » à ce stade. Mais ce qui (a bien des égards) est un nanard du genre permet aussi de regarder d’un regard nouveau, un peu comme une vision en creux des ficelles auxquelles les Disney, Warner, Sony ou la Fox nous ont habitués ces dernières années. De manière surprenante, tout n’est pas forcément à jeter chez les Guardians.

Au plus fort de la Guerre Froide, sous le régime de l’U.R.S.S., plusieurs scientifiques chargés de créer des supersoldats étaient de farouches rivaux travaillant pour l’organisation secrète Patriot (fans de comics, vous aurez tôt fait de remplacer « Patriot » par « S.H.I.E.L.D. » et vous aurez raison). L’un des savants, Kuratov, s’est radicalisé, se livrant à des expériences interdites qui tenaient plus de la torture, jouant avec l’ADN de sujets humains. A un moment Kuratov a fini par s’attirer le courroux de Patriot, qui a décidé de son arrestation. Sauf que dans la cohue Kuratov a lui-même été contaminé par ses propres inventions, devenant une sorte de colosse (bonjour les faux muscles à base de prothèses « voyantes ») capable de commander à n’importe quelle machine ou véhicule. Puis il a disparu…

De nos jours, alors que la Russie est en passe d’automatiser toute sa défense militaire avec des robots, Kuratov refait surface et prend donc facilement le pouvoir, bien décidé à ravager le pays. Les agents de Patriot (en particulier Elena Larina, une jeune femme blonde mais qui pourrait passer pour la Maria Hill locale) conçoivent alors un plan : retrouver les anciens sujets d’expériences de Kuratov, eux aussi doués de super-pouvoirs, pour leur proposer de se venger de leur ex-tortionnaire. Heureusement pour Patriot, si les sujets du programme Weapon-X… euh… pardon, du ce programme Guardian se sont dispersés et cachés en divers endroits de l’ex-U.R.S.S., les expériences les ont rendu immortels. Soixante ans plus tard, ils sont donc encore dans la force de l’âge et prêt à se battre. Larina n’a quelques heures pour retrouver ces surhommes (un type capable de commander aux roches, une femme invisible, un « ours-garou » et enfin un assassin super-rapide) et en faire une unité d’élite, les Guardians, première équipe de super-héros russe à débouler à l’écran.

Créatures de l'Est

Il y a un peu plus d’un an et demi, le premier teaser de Guardians (Zashchitniki en version originale) défrayait la chronique et se diffusait sur les réseaux sociaux. Une sorte de super-assassin déployait d’interminables serpes avant de laminer en quelques secondes ses adversaires. Le cinéaste Sarik Andreasyan faisait ainsi une véritable déclaration d’intention tandis que le marketing nous promettait la réponse russe aux Avengers. Rien que ça. Et de nombreux médias de s’extasier en réalisant que les surhommes pourraient s’exporter en dehors des USA. Ce qui n’a pourtant rien d’une nouveauté.

Guardians

Contrairement à une impression tenace, les films de super-héros ne sont plus une spécificité américaine depuis belle lurette. Toute la filmographie d’El Santo au Mexique en témoigne, bien sûr. Aux Philippines, ils ont connu le Captain Barbell de Leroy Salvador. En Asie il y Hak hap (Black Mask) de Daniel Lee, avec Jet Li. Mais s’il s’agit de reprendre rien que certains exemples récents, sortis ces dernières années, on trouve le malaisien Cicak Man (qui a quand même donné naissance à une trilogie de films). Le Danemark a donné naissance à Antboy (trois films à ce jour). En France, en attendant que divers projets cinémas se concrétisent ou pas, les années récentes ont surtout vu Hero Corp occuper le terrain sur le petit écran. En Inde c’est une véritable avalanche de films : Zokkomon (2011, en partie produit avec des fonds de Walt Disney), Ra.One (« Voltage » en VF, 2011), Velayudham (2011), Defender (Krrish 3, 2013), A Flying Jatt (2016). La liste est en fait bien plus longue mais cela donne une idée de ce que l’Inde réserve en la matière. Pourtant il faut reconnaître à l’essentiel de ces films d’avoir choisi le registre de la parodie, voire de la comédie musicale, s’éloignant tellement d’un esprit voisin des comics books qu’il ne nous a pas semblé opportun d’en traiter ici.

Guardians/Zashchitniki, c’est une autre paire de manches car visiblement Sarik Andreasyan s’est intéressé à ce qu’on voit passer chez Marvel Studios, la Fox, Warner ou Sony et a décidé de faire avec les mêmes archétypes. Un petit détail qui a son importance, cependant, Andreasyan a fait son film avec un budget de 5 millions de dollars, là où le tout-venant des films de super-héros américains fonctionne dans une fourchette située entre 125 et 200 millions, parfois plus. Le budget de Guardians est inférieur à celui du film Bad Buzz (avec Eric et Quentin), sorti récemment sur nos écrans. On est à peine au-dessus des fonds déployés par Asylum quand il s’agit de produire un nouveau Sharknado. Cela permet de relativiser. Clairement, ne vous attendez pas à quelque chose qui puisse espérer rivaliser avec les moyens et l’expérience d’Hollywood.

Guardians

Et en même temps, la chose étonnante est que, si nanard il y a… C’est pas pire. La bande annonce ne rend d’ailleurs pas forcément justice au contenu du film, qui arrive par endroits (par exemple les scènes de destruction urbaines ou les animations de certains drones) à nous faire oublier qu’il y a une telle disparité dans les moyens engagés. Cela ne sauve certainement pas le film, qui dans d’autres passages est beaucoup plus à la peine. Par exemple tous les scènes où le héros qui se transforme en créature hybride homme/ours ressemble beaucoup plus à quelque chose échappé d’un jeu de Tekken vieux de 15 ans. Cela choque moins quand la transformation est totale, quand il devient complètement un ours. Mais le reste du temps, il a tendance à nous sortir de l’histoire. La vraie surprise est que, malgré un design calamiteux et un manque de charisme assez évident, Kuratov n’est pas si éloigné que ça de certains films US (d’autant que, jugez-en par l’image ci-dessus, il a le même tailleur que Mickey Rourke dans Iron Man 2). Très sérieusement, il y a quelques plans où ce film ou tient la comparaison avec des X-Men: Apocalypse ou des Age of Ultron (par exemple le « super-rapide » vu dans ce film tient le choc par rapport à Vif-Argent), ce qui qu’on se demande pour le coup comment les américains peuvent dépenser autant sans que l’écart (car il y a un écart quand même, il ne faut quand même pas délirer) ne soit pas plus marqué que cela.

Acteurs et modèles

Si l’on peut fermer les yeux sur certains effets ou designs peu heureux (l’ours, le bad guy…) en tenant compte du budget, le film est totalement trahi par son écriture à mesure qu’on avance dans l’histoire. D’abord (et c’est un gros problème) on n’a que peu d’empathie avec les quatre personnages principaux. Le scénario d’Andrey Gavrilov prend soin de nous démontrer leurs pouvoirs mais fait le service minimum pour exprimer leurs caractères ou leur passé personnel, en dehors de vagues clichés « J’ai tué mon frère, c’était un accident mais depuis je m’en veux terriblement ». A certains moments du film, les vagues allusions sur leur passé commun nous donne l’impression que tout ce beau monde ne s’est croisé que de manière brève, quand ils étaient les victimes d’un même savant fou. Dans d’autres passages l’impression donnée est qu’ils ont au contraire été déjà des compagnons d’arme. Quelque part là-dedans il devient difficile de comprendre pourquoi ces quatre-là se connaissent mais pourquoi ils en savent aussi peu sur les différents « Gardiens » éparpillés dans la nature (car les Gardiens sont un peu comme des mutants qu’on tracerait à coup de Cérébro). Niveau réalisation, cependant, il faut reconnaître à Sarik Andreasyan d’en faire beaucoup avec peu et d’avoir un certain talent à utiliser les friches industrielles dans son scénario sans que cela gêne. Par contre, niveau erreurs de raccord, il y a de quoi faire aussi et on renonce assez vite à comprendre comment le pantalon de l’homme-ours semble spontanément « repousser » après chaque transformation, quand il revient à la normale. Il fait plus fort que Hulk sur ce plan-là !

Les acteurs ne sont pas tous égaux pour incarner les rôles. Anton Pampushnyy (qui joue l’homme-ours) ne s’en tire pas mal dans les scènes où son personnage est humain. Ou en tout pas plus mal que certains acteurs US dans des films de super-héros. Valeriya Shkirando, le Major Elena (la Maria Hill locale, donc), prend une autre approche en surjouant la chose, en marchant pratiquement comme si elle était sur le tapis d’une présentation de mode. Mais finalement cela ne passe pas si mal que ça car elle apporte une sorte de second degré dans un film qui n’a pas beaucoup d’humour. D’ailleurs à ce sujet le casting de la VF du film est bien choisi et apporte une forme de gouaille à l’ensemble, un esprit qui manque un peu à la VO. Par contre, à l’opposé de Pampushnyy ou Shkirando, on a Alina Lanina (la fille invisible de service). D’abord elle joue de malchance puisque visiblement l’essentiel du budget SFX était passé ailleurs. Son personnage est donc supposé avoir des sortes de cicatrice… L’effet final donne plutôt l’impression qu’on lui a passé le visage aux marqueurs. Ça, elle n’y est pour rien. Par contre de bout en bout elle joue le film avec une expression figée, qu’il s’agisse d’exprimer la tristesse, l’amour, l’effort au combat… Elle serait en train de faire de la figuration pour un clip de rap sur une plage que ce serait pareil. Tout repose sur sa plastique… mais dès qu’elle a une scène parlante on n’y croit pas du tout.

Guardians

D’autre éléments d’écritures viennent encore alourdir le film, comme une histoire de caissons d’hibernation et un autre savant dont le sort finalement importe peu. Tout cela prend du temps d’écran et pousse hors-champ des choses qui auraient mérité d’apparaître. Sarik Andreasyan et ses camarades de jeu ont bien révisé leurs classiques… ou sont tombés sur les mêmes clichés. C’est à dire qu’avant de ressembler aux Avengers ou aux Gardiens de la Galaxie, une partie de ce nouveau quatuor nous évoque d’une part les Fantastic Four (un leader capable de commander aux roches au point de pouvoir s’en faire une sorte d’armure – c’est par la Chose mais ce n’est pas loin – ou encore une fille invisible).

Moins proches des FF, les deux autres évoqueront des éléments connus aux fans de BD américaines. A partir de la fin de la Guerre Froide, les comics américains se sont demandés comment intégrer des héros soviétiques puis russes. Marvel, en particulier, après Black Widow puis Colossus dans les X-Men, a fini par créé les Soviet Super-Soldiers, puis la Winter Guard après la chute de l’URSS. En bonne place y figure deux mutants russes, l’un capable de se transformer en ours (Ursa Major) et l’autre pouvant canaliser l’énergie à travers un marteau et une faucille (Vanguard). Rajoutez-lui une pincée de vitesse façon Vif-Argent, comme on l’a déjà dit, et vous avez aussi le cocktail des Guardians russes, qui nous rajoute en prime des équivalents du SHIELD et du Projet Weapon X (au point qu’un des personnages nous fait lui aussi le coup du héros amnésique). Même la scène post-générique (pas très heureuse d’ailleurs) est de la partie.

Les raisons d'un échec

Guardians n’est pas un film excellent, mais le visionner est intéressant. D’abord, parce que comme on l’a dit on se prend à se demander où passe l’argent dans certaines autres productions pour qu’elles soient si peu éloignées de ce résultat. Ensuite parce que le film en vient à nous interroger sur certaines tournures dramaturgiques que l’on accepte pratiquement d’office quand il s’agit de personnages que l’on connait, alors qu’à scène égale on a tendance à tiquer avec ces inconnus. Sorti en début d’année en Russie, le film a fait ce qu’on peut qualifier de bide puisqu’il n’a pas généré 4 millions de $ (et on doit rappeler que lorsqu’un film lève pour 4 millions de $, il faut retirer le pourcentage du diffuseur, de l’exploitant de la salle). On est donc loin du compte pour rembourser le film et la société de production derrière le film a d’ailleurs déposé le bilan en l’espace de quelques semaines. Pas vraiment une success story pour le film russe marketé comme un rival des Avengers.

Encore qu’il faille remettre certaines choses dans l’ordre, d’abord sur le contenu du film en lui-même. Les Guardians ne sont pas vraiment des héros russes. Le scénario raisonne (fort logiquement d’ailleurs) que des supersoldats créés en pleine Guerre Froide ne viendrait pas de la seule Russie mais bien de tout le périmètre de l’ex-URSS. Ce qui fait qu’une partie des personnages viennent d’ailleurs. En particulier le leader naturel du groupe, celui qui commande aux roches, qui est arménien… comme le réalisateur Sarik Andreasyan. L’ours vient de Sibérie, et ainsi de suite (seule la fille invisible est basée en Russie, sauf erreur).

Rajoutez qu’un des premiers plans du film montre une statue de Lénine endommagée et qu’en fin de compte les héros s’unissent pour sauver Moscou d’un savant qui, lui, porte un nom russe ! On peut saisir, sans parler de qualité/non-qualité qu’Andreasyan a pris dès le départ une partie du public à rebrousse-poil là-bas, en lui mettant dans le nez son passé soviétique et des héros venus de ses anciens satellites. L’autre facteur qu’il faut prendre en compte, c’est que Guardians a fait en Russie à peu près la moitié des entrées de Wonder Woman. Si l’on transpose ce genre de chiffres, on comprend que si le film était sorti plus largement en Occident (et pas surtout en Europe de l’Est) l’addition et la rentabilité aurait été toute autre. Non pas qu’il s’agisse de transformer un échec en « succès international ». Il est cependant clair que c’est le manque d’export qui a étouffé le projet. Le concept avait d’ailleurs profité de capitaux chinois en imaginant un futur film opposant les héros « russes » à des homologues chinois, projet qui ne semble plus avoir de raison d’être.

Au bout du compte Guardians ce n’est certainement pas le film de l’année ni même du mois mais c’est vraiment une curiosité intéressante à regarder, pour des bonnes raisons et aussi des mauvaises. Le spectateur sera par moment étonné qu’on puisse faire certaines choses avec un tel budget et, l’instant d’après, lèvera les yeux au ciel (ou rira) devant un cliché ou la légèreté du scénario. Etonnant à voir…

Guardians, de Sarik Andreasyan, sortie DVD chez Wild Side

1 commentaire

  • Merci pour cet article. Maintenant, je sais que je ne vais pas courir pour le visionner, mais avec un peu de pluie dehors ça fera un bon divertissement dedans !! 😉

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