Oldies But Goodies: Wonder Woman #174 (Jan. 1968)

Oldies But Goodies: Wonder Woman #174 (Jan. 1968)

14 avril 2012 Non Par Xavier Fournier

[FRENCH] Si Wonder Woman, la principale héroïne patriotique de DC (bien que d’origine non-américaine elle porte fièrement les couleurs du pays) avait du tomber amoureuse d’un héros de la concurrence, son choix se serait sans doute porté sur Captain America. D’ailleurs Steve Trevor, le boy-friend « historique » de l’amazone, ressemble comme deux goûtes d’eau à Steve Rogers (l’alter-ego de « Cap »). Encore heureux que Trevor ne portait pas un costume patriotique, on aurait pu les confondre. Jusqu’au jour où…

En janvier 1968, Wonder Woman #174 commence par une spectaculaire remise en question de la dynamique habituelle de la série. Diana (Wonder Woman) regarde son fiancé, Steve Trevor (habituellement un militaire athlétique mais totalement normal pour un humain) devenu surpuissant en train de rosser des gangsters. Inquiète, l’héroïne pense : « Le destin m’a donné une pilule bien dure à avaler ! J’ai perdu tous mes pouvoirs d’amazone… Tandis que Steve est devenu un surhomme nommé… Le Patriot ! ». Car, chose importante : Steve Trevor porte cette fois un costume de super-héros aux couleurs de l’Amérique. Un costume par la force des choses assez voisin de celui de Captain America. Et le texte d’amorce nous explique : « Belle comme Aphrodite, sage comme Athéna, plus forte que… mais attendez ! Les attributs d’Hercule et Mercure ne s’appliquent désormais plus à Wonder Woman ! Ses pouvoirs ont disparu soudainement et c’est Steve Trevor, sous l’identité du Patriot, qui les a ! Le monde de Wonder Woman s’en trouve retourné dans une aventure où Steve reçoit des superpouvoirs et devient… STEVE TREVOR ALIAS THE PATRIOT ! ». Un pastiche de super-héros patriotique façon Captain America ? Oui, au moins en partie, mais pour bien comprendre la portée du personnage, un petit détour sur le fonctionnement de Steve Trevor s’impose !

Trevor est en effet un paradoxe : Fiancé « classique » de Wonder Woman, c’est un des faire-valoirs romantiques les plus anciens de l’histoire des comics. Dans le répertoire des récits super-héroïque, il n’y a guère que Lois Lane pour le dépasser en termes de longévité. En un sens le Major (ou Colonel, selon l’époque à laquelle vous lisez la série) Steve Trevor est même beaucoup plus important pour le mythe de Wonder Woman que Lois Lane peut l’être celui de Superman. Dans Action Comics #1, Clark Kent ne s’installe pas à Metropolis pour les beaux yeux de Lois. Il ne devient pas journaliste seulement pour la séduire (encore que dans des versions bien plus tardives de l’origine c’est l’impression qui est donnée). Clark Kent ne devient pas Superman en partie pour plaire à Lois. Leur rencontre n’intervient qu’après ces prises de décisions fondamentales pour la série. Dès All-Star Comics #8 (Décembre 1941), Steve Trevor a un rôle de déclencheur de l’histoire : Son avion s’écrase sur Paradise Island, île habitée par les Amazones des mythes grecs. C’est parce qu’il arrive que Diana (Wonder Woman) est finalement chargée, après bien des péripéties, de le ramener en Amérique et d’y combattre les forces de l’Axe en portant un costume inspiré du drapeau des USA. Par amour Diana va d’abord adopter l’identité d’une infirmière qui s’occupe de Trevor pendant sa convalescence. Et puis au bout de quelques mois, quand on ne peut décemment plus garder Trevor hospitalisé, Diana Prince s’arrange alors pour être embauchée comme secrétaire du Général qui supervise son « amoureux ». Enlevez Lois Lane de la vie de Clark Kent et ce dernier s’installe quand même à Metropolis, y devient journaliste tout en étant Superman. Retirez Steve Trevor du parcours de l’amazone Diana et… tout s’arrête aussitôt. Mais nous parlions de paradoxe. Si Steve Trevor en est un c’est que, malgré sa longévité et son importance, malgré le fait que le personnage a également été popularisé dans les années 70 par deux passages à la télévision (d’abord incarné par Kaz Garas puis, dans la fameuse série TV Wonder Woman, par Lyle Waggoner), le major/colonel est une sorte de coque vide dont on sait finalement assez peu de choses dans la version classique. Qui sont ses parents ? Dans quelles conditions s’est-il engagé dans l’armée ? Est-ce qu’il a un passe-temps en dehors de l’armée ? Jusqu’en 1987, date de la réinvention de Wonder Woman (et donc également de Steve Trevor) par George Perez à l’issue de Crisis, ces questions resteraient sans réponse. Si le Trevor « Pre-Crisis » défini l’existence de Wonder Woman il n’existe inversement que par rapport à elle et a, à ce titre, bien moins de relief qu’une Lois Lane.

Une deuxième particularité de Steve Trevor est sa ressemblance frappante avec un autre militaire célèbre de l’Histoire des comics : Captain America ! Les séries Wonder Woman (publiée par DC) et Captain America Comics (éditée par Timely/Marvel) sont les deux exemples les plus durables de super-héros guerriers. En effet pendant des décennies Diana Prince travailla au sein de l’armée américaine. Chez la concurrence, Captain America était en fait le trouffion Steve Rogers. Rien à voir avec les vies de la plupart des autres super-héros de l’époque qui étaient pour la plupart journalistes, milliardaires, médecins ou boxeurs (ou, éventuellement, un mélange de ces catégories)… Lancé officiellement en mars 1941 (mais officieusement fin 1940, les comics de l’époque étant antidatés), Captain America avait pris beaucoup de monde par surprise en, osant dès la couverture de son premier numéro, cogner sur Adolf Hitler. A l’époque les USA n’étaient pas encore concernés par la Seconde Guerre mondiale. C’était un parti pris risqué. Mais un parti pris qui paya, propulsant Captain America parmi les séries les plus vendues et incitant les autres éditeurs à se faire plus explicites dans le combat contre le nazisme. Arrive quelques mois plus tard All-Star Comics #8 et un Steve Trevor qui est un véritable sosie de Steve Rogers de Captain America Comics. Est-ce que pour autant Trevor ne serait qu’un « clone » de l’alter-ego de Captain America ? Ca dépend. Statistiquement un personnage de BD a plus d’une chance sur trois d’être blond. Qui plus est les dessinateurs de l’époque s’inspiraient des mêmes canevas empruntés aux films ou à des daily strips comme Flash Gordon pour définir la silhouette masculine. A partir du moment où on décidait de représenter un adulte, il y avait un certain nombre de chances qu’il ressemble par la force des choses à Steve Rogers ou Flash Gordon (prenez, rien que dans la Justice Society, des héros comme Hawkman ou Doctor Fate qui, sous leurs masques, ont un physique similaire). A partir du moment où deux scénaristes décidaient, chez des éditeurs différents, d’utiliser un militaire, il n’était pas étonnant que les dessinateurs arrivent avec des solutions finalement très similaires. Et puis il faut noter que si Steve Rogers est un fantassin dans l’armée de terre, la plupart des histoires de Wonder Woman prendront soin de représenter Trevor comme un pilote d’avion, ce détail permettant au moins de les distinguer. Reste alors le fait que les deux Steve aient le même prénom et chacun pourra y voir ce qu’il veut sans qu’on puisse vraiment avoir de certitude.

Il n’est pas certain que Captain America ait directement inspiré Steve Trevor mais les deux personnages ont failli se ressembler encore plus. Plusieurs sources font état que lors du processus de création de Wonder Woman le psychologue William Moulton Marston était d’abord parti dans l’idée de créer un nouveau surhomme qui se distinguerait des autres en réglant les situations autrement que par des coups de poings. Ce serait l’épouse de l’auteur, Elizabeth Holloway Marston, qui lui aurait conseillé de faire de ce personnage si novateur une super-femme et l’aurait lancé sur une nouvelle voie. Il y a donc de grandes chances pour que Steve Trevor ait été, à la base, le personnage masculin à qui William Moulton Marston envisageait de donner des pouvoirs. Et à partir de là, si on tente d’imaginer une version masculine du costume patriotique de Wonder Woman portée par un militaire blond répondant au prénom de Steve, on voit bien le problème qui se serait posé. Le héros mâle de William Moulton Marston aurait tout simplement été bien trop proche… de Captain America. On voit bien le problème qui se posait au scénariste et, dans ce cadre-là, l’intervention de son épouse sur le mode « Et si tu en faisais plutôt une femme ? » prends une autre dimension. Vu comment Marston cannibalisera par la suite les aventures d’une héroïne déjà existante (Amazona, publiée dans Planet Comics) pour créer… Suprema (que DC lui fera rebaptiser en « Wonder Woman »), on n’a aucun mal à croire que Steve Trevor peut être un vestige du premier stage du projet. A plus forte raison parce que William Moulton Marston n’hésitera pas à augmenter à l’occasion les aptitudes de Steve Trevor. Ainsi dans Sensation Comics #46 (Octobre 1945), le scénariste écrit un épisode où un syndicat du crime, la Lawbreakers Protective League, réalisant qu’il est impossible de tuer Wonder Woman, s’arrange pour que son « fiancé » reçoive une force surhumaine pendant quelques temps (Les gangsters partent du principe que si Steve est plus fort que Diana, elle sera obligée de l’épousée, inutile de dire que le plan échouera).

Pseudo-Captain America ou pas ? Ce qui est certain c’est que Wonder Woman partagea ses aventures pendant des décennies avec la copie presque conforme de Steve Rogers. Pendant des années cette anecdote n’eut aucune incidence sur le déroulement de la série. Les scénaristes ne risquaient pas d’accentuer la ressemblance entre Rogers et Trevor. D’abord parce que dans les années quarante Marvel publiait son Captain America et que la chose aurait été quand même un peu trop voyante. Et puis au début des années cinquante, quand Captain America Comics ne paraissait plus, quand DC aurait pu se permettre de transformer son Steve en patriote costumé sans être inquiété, il n’y avait tout simplement plus d’intérêt. Rogers n’était plus que l’alter-ego d’un super-héros patriotique qui s’était arrêté faute de ventes. DC n’avait aucun intérêt à aller chasser sur ces terres et pouvait alors penser, à juste titre à l’époque, que le Steve le plus viable des deux était celui qui accompagnait l’amazone. Au début Steve Trevor était un personnage positif. S’il justifiait régulièrement l’intervention de Wonder Woman en se faisant kidnapper par des nazis ou des gangsters, le Major faisait preuve d’une affection très positive envers l’amazone, qu’il surnommait « Angel » (car elle était l’Ange qui l’avait sauvé et ramené aux USA). En tout cas cette version du personnage fut en vigueur pendant les six premières années de Wonder Woman… Il faut dire que Wonder Woman, éduquée chez les Amazones, se méfie des hommes comme de la peste et quand Trevor lui fait une déclaration dans Sensation Comics #13, elle le repousse. Il y a cette idée que le mariage est une invention des hommes pour diminuer les femmes, les réduire à une forme d’esclavage. Wonder Woman ne veut pas de mariage. Et comme les comics de l’époque sont incapables d’envisager une relation sexuelle hors mariage, Wonder Woman se condamne à un célibat de fait, avec un Steve Trevor qui l’aime d’un amour chaste, semblable à celui d’un Lancelot dans les romans arthuriens.

Après la mort de William Moulton Marston, en 1947, le comportement de Steve Trevor change totalement. Robert Kanigher (qui était déjà le responsable éditorial de Wonder Woman depuis un an) reprend alors l’écriture de la série au #22. Il ne la quittera qu’au #176… Plus de vingt ans plus tard ! Si Marston avait modelé la relation Wonder Woman/Steve Trevor de manière très différente de celle de Superman/Lois Lane, Kanigher va au contraire se rapprocher des poncifs. Sous son règne, Steve Trevor est tout simplement obsédé de manière maladive par l’idée d’épouser Wonder Woman. Il y pense pratiquement à chaque épisode, sa logique s’articulant autour de différentes variantes. Bien qu’il ne lui veuille pas du mal (en tout cas pas de manière consciente) il se réjouit de chaque occasion où Wonder Woman fait mine de perdre ses pouvoirs (« sans eux elle sera forcée de se ranger et de se marier avec moi ! »). Si un criminel fait mine de révéler l’identité secrète de Wonder Woman, Trevor ne peut s’empêcher de penser que si elle est « démasquée » l’amazone sera obligée de l’épouser. « Obliger » est le maître mot. Si le Steve Trevor de William Moulton Marston avait pu épouser Diana, il n’aurait pas dit non. C’est certain. Mais il respectait la volonté de Diana de manière chevaleresque et altruiste. Même si le scénario n’aborde pas cet angle de manière consciente, Le Steve Trevor de Robert Kanigher veut absolument forcer Wonder Woman à l’épouser. Le consentement de la belle n’est que très secondaire. A un certain degré Trevor veut alors priver de toute liberté l’objet de ses désirs. D’un côté on pourrait dire que Robert Kanigher est plutôt rétrograde dans sa description des rapports homme/femme. De l’autre, il faut bien voir que ce Trevor « liberticide » à tendances psychopathes échoue à chaque fois dans ses tentatives et que Kanigher ne récompense donc pas du tout le comportement de Trevor. Il est certain cependant que pendant des années les relations entre Diana et Steve sont ainsi polluées par cette mécanique un peu systématique où le militaire, ultra-possessif, tente de piéger sa « Angel » sans prendre en considération l’avis de cette dernière. Inversement il faut bien dire que les arguments de Diana sont parfois laborieux. Dans certains épisodes elle explique à Steve qu’elle ne peut l’épouser car, étant la plus forte, ce serait se diminuer. Dans d’autres elle raconte au contraire que le fait-même de se marier lui ferait perdre magiquement ses pouvoirs. Si la deuxième explication est vraie, la première ne tient pas !

Tout ça pour dire qu’en janvier 1968 Wonder Woman #174 (vous voyez, on y revient !) commence par une problématique assez caractéristique du système scénaristique de Kanigher sur la série : Dès la présentation de l’épisode Diana est mise en difficulté par la transformation visible de Steve Trevor en super-guerrier patriotique. Vous me direz qu’après tout ce n’était qu’une évolution logique et que cette copie de Steve Rogers assumait du coup pleinement son statut. L’épisode débute dans le Musée d’Art Moderne de Capital City (la cité fictive, sans doute une variation de Washington, dans laquelle Wonder Woman vivait ses aventures à l’époque. Visiblement la scène se passe en dehors des heures d’ouverture au public : des vandales sont en train de s’attaquer aux statues. Un des hommes hurle « Cassons tout ! On va les forcer à exposer nos œuvres ! ». Et un autre renchérit « Qui a besoin des vieux maîtres ? Nous, les Hippies, nous sommes à la mode ! ». Kanigher n’était pas spécialement un progressiste et on le voit ici à sa manière de représenter la jeunesse de l’époque… Le scénariste n’était d’ailleurs pas le seul : La plupart des jeunes « révoltés » montrés dans les comics étaient en général des idiots (éventuellement manipulés par des super-villains) sans philosophie propre. Heureusement pour le musée, c’est à ce moment-là que Wonder Woman arrive, se jetant de son avion invisible sur les casseurs. Ces derniers vont fuir, me direz-vous ? Non. Pas cette fois. Au contraire un des trois voyous est loin de la craindre : « Oubliez-là ! Souvenez-vous que les journaux disent qu’elle a perdu ses superpouvoirs ! Elle ne peut pas nous arrêter ». Et de fait l’héroïne ne semble pas faire preuve de sa force herculéenne habituelle. D’ailleurs, alors qu’elle attrape l’un d’entre eux elle le reconnaît : « Peut-être que j’ai perdu mes superpouvoirs mais je peux encore faire face à des gars de ton genre ! ». Malheureusement il s’agît plus d’une bravade que d’une réalité. Diana est trop faible pour faire face aux trois hommes. D’ailleurs je ne sais pas si vous avez remarqué mais en général les héros qui perdent leurs pouvoirs semblent également perdre toute expérience. Quand un Superman ou une Wonder Woman ne peuvent plus utiliser leur force supérieure il leur reste quand même une sacrée expérience au combat. C’est sans doute encore plus vrai pour Diana, qui a vécu sur une île de guerrières. Même dans les cas où elle ne peut plus soulever un camion, son entraînement d’amazone ou même son passé militaire devrait permettre de tenir tête à trois brutes de trois étages… Mais non. Les trois hommes arrivent à lui attraper les mains. Enfin un des trois hommes arrive à lui seul à la stopper tandis qu’un autre regarde et que le troisième utilise une torche à souder pour détruire les statues. Et comme Wonder Woman est quand même une sacrée cruche quand ça la prend, elle s’écrie : « Qu’Héra me vienne en aide ! S’ils soudent ensemble mes deux bracelets je n’aurais même plus une force normale ! ». Ah ça, forcément, s’ils n’y avaient pas pensé, crier tout haut cette phrase fait que les voyous se dépêchent de souder les dits bracelets. Comme une des limitations de Wonder Woman est de perdre ses moyens si un homme l’entrave, elle se retrouve donc incapable de la moindre action. De toute manière, sans sa super-force, elle ne pourrait pas enlever d’elle même les bracelets en question.

Mais soudain ce que le narrateur qualifie de « silhouette dramatique » apparait : un héros vêtu de rouge et de bleu, portant l’aigle américain et même le drapeau (dans une forme triangulaire très caractéristique) sur sa poitrine. Wonder Woman est stupéfaite : « Douce Minerve ! C’est Steve ! Mais il s’est changé en un super-être ! ». Steve, vous aurez donc compris après notre long préambule que c’est Steve Trevor, qui porte pour la première fois un uniforme qui ne comporte pas de masque mais qui ressemble énormément à celui de Captain America. Inversez le rouge et le bleu et vous verrez qu’on n’en est vraiment pas loin. La grosse différence c’est que Trevor porte l’aigle américain là où Captain America a une étoile. Alors bien sûr il s’agit d’évoquer une atmosphère patriotique et on pourrait m’opposer que les deux Steve s’inspirant tous les deux du drapeau étasunien. Mais si on regarde bien, certains détails ne trompent pas : La taille et le design des gants… Le montant des bottes retournées… Et même la petite touche finale : comme on s’en rendra compte quelques cases plus loin, Captain America et ce Steve Trevor costumé portent tous les deux une étoile dans le dos, une étoile de même taille et disposée de la même manière ! Si d’aventure certains voulaient avancer que Robert Kanigher ne voulait pas forcément faire allusion à Captain America, le costume imaginé par le dessinateur Irv Novick semble peu laisser la place au doute ! Mais nos hippies casseurs sont des personnages publiés par DC Comics et ne peuvent décemment pas s’écrier « Regardez ! On dirait une version négative du costume de Captain America ! ». Aussi l’un d’eux se contente de dire « Zieutez son costume ! Ca doit être le mâle de cette oiselle ! ». Et, forcément, comme ils viennent de vaincre sans peine Wonder Woman, ils s’élancent vers le nouvel arrivant…

Mais Steve Trevor n’est pas décidé à leur faciliter la tâche : « Le temps des rires et des jeux est terminé ! Maintenant le Patriot va vous faire danser ! ». Le Patriot ! Bien que Trevor ne porte pas de masque il a donc, comme le titre de l’épisode semblait l’indiquer, un nom de code. Et là, les fans du Golden Age de Marvel sursauteront sans doute car l’éditeur concurrent avait également un super-héros nommé le Patriot dans les années 40 (dont nous avons déjà parlé dans « Oldies But Goodies ») ! Et comme il était, par la force des choses, également basé sur la symbolique américaine, le Patriot de Marvel et ce nouveau Patriot de DC ont, il est vrai, certaine caractéristiques en commun (en particulier un aigle sur la poitrine). Mais à comparer, l’influence majeure du Trevor costumé reste bien Captain America. Trevor affronte sans le moindre problème les brutes et, quand on tente de l’attaquer avec la torche à souder… L’engin ne lui fait aucun mal, même quand il est pointé sur sa poitrine. Autant au début on pouvait croire à une forme de mise-en-scène (Trevor se serait déguisé pour venir à l’aide de la femme de sa vue), autant il devient manifeste qu’il a vraiment des superpouvoirs. D’ailleurs d’un seul coup de poing il balaye tous les « hippies ». Puis il se dirige vers Wonder Woman et, sans effort, il sépare les deux bracelets qui étaient soudés, libérant l’amazone. Cette dernière est médusée : « Steve ! Tu es devenu un Wonder Man ! ». Tiens c’est vrai ça ! Pourquoi ne pas tout bêtement ne pas l’avoir appelé Wonder Man ? Ce serait logique pour une version masculine de Wonder Woman… Et ca n’aurait même pas été le premier Wonder Man de DC Comics. Oui mais voilà. Entretemps « Wonder Man » était devenu un membre éphémère des Vengeurs qui, bien que décédé, était régulièrement mentionné dans des flashbacks chez Marvel. Et appeler « Wonder Man » un héros lorgnant beaucoup sur Captain America… Robert Kanigher aurait probablement un peu trop joué avec le feu s’il avait poussé le bouchon si loin. Encore que… nous verrons d’ici quelques paragraphes que les auteurs savaient sans doute très bien ce qu’ils faisaient et dans quel but ils le faisaient… Dans l’histoire, Steve Trevor n’est pas étonné des pouvoirs dont il vient de faire preuve. Ce qui l’inquiète c’est que Wonder Woman s’est faite si facilement battre par les voyous : « Qu’est ce qui t’es arrivé mon ange ? Tu aurais du t’en débarrasser avant que j’arrive ! ». Et Diana, inquiète, se dit intérieurement : « C’est le monde est à l’envers ! Steve en train de me porter secours ! La semaine dernière encore, c’était le contraire ! ».

L’histoire recule alors d’une semaine. Alors que Diana et Steve visitaient une « fabrique de robots ». Kanigher, par ailleurs co-créateur des Metal Men, ne rechignait pas à injecter des éléments de science-fiction dans ses histoires, comme si un progrès futuriste avait déjà fait partie du quotidien des personnages. Le scénariste ne visait pas à représenter un monde « réaliste » (après tout par la force des choses l’univers représenté était peuplé d’amazones ou d’extra-terrestres) mais idéalisé. Un idéal que Wonder Woman protégeait. D’où l’irruption d’éléments tels que cette usine ou on fabrique des robots comme s’il s’agissait d’une chaîne de montage de voitures. Mais un des robots est détraqué. Il s’attaque à Steve Trevor, obligeant Wonder Woman à intervenir. Elle tient l’automate en place tandis que Steve peut l’éteindre en toute sécurité. Encore un exploit à mettre au compte de Diana. Et d’ailleurs un journaliste qui se trouvait dans l’usine leur demande de prendre une photo devant le robot. Wonder Woman accepte, visiblement de guerre lasse : « Les reporters sont toujours dans les parages ! Ils doivent voir autant d’action que moi ! ». Mais une chose étrange se produit juste après le déclenchement du flash de l’appareil : Wonder Woman titube, soudainement très faible. Elle tient à peine debout et Steve Trevor est obligé de la retenir dans ses bras (ce qui, dans l’absolu, ne lui pose aucun souci, on l’aura compris). Le journaliste s’éloigne alors, en riant en coin : « Ca fonctionne parfaitement ! Juste comme l’Angle Man l’avait dit ! ».

Angle Man ? Une petite présentation s’impose. Dans les années cinquante Robert Kanigher avait noté que de simples gangsters ne pouvaient plus espérer battre Wonder Woman (d’ailleurs l’idée flottait déjà dans certains scripts de Marston (par exemple la Lawbreakers Protective League dans Sensation Comics #46, octobre 1945, quand les gangsters se syndiquent pour essayer de se débarrasser de leur ennemie). Et inversement on ne pouvait pas non plus limiter l’héroïne à combattre des dieux renégats ou des extra-terrestres. Il arrivait un moment où on avait épluché la plupart des panthéons connus et où les planètes du système solaire avaient été peuplées plusieurs fois. Il fallait que la série garde aussi un pied sur Terre et que Wonder Woman fasse preuve de sa capacité à combattre le crime organisé. A plus forte raison dans les années 50, quand les opposants aux comics leur reprochaient tant de « pousser au crime » ! Pour montrer patte blanche, Superman, Wonder Woman et les autres devaient donc coffrer régulièrement des gangsters. Kanigher décida alors de mettre en scène le désarroi d’une pègre qui avait conscience qu’elle ne pouvait pas venir à bout de l’amazone sur le plan physique. Il fallait donc piéger Wonder Woman par la ruse et, le tout-venant des criminels étant bête, il fallait aller chercher des penseurs, comme des consultants, qui sauraient mettre l’héroïne en difficulté. Kanigher avait ainsi lancé quelques personnages éphémères qui sortaient un peu du même moule que le Lex Luthor de Superman ou le Egghead d’Ant-Man : Des génies du crime, parfois avec quelques ressources scientifiques, qui prenaient le contrôle de la pègre le temps d’essayer de vaincre Wonder Woman. On notera ainsi le Plotter (le « Comploteur », dans Wonder Woman #56, en novembre 1952), le Brain (le « Cerveau », Wonder Woman #58, mars 1953), « Angles » Andrews (qu’on pourrait traduire par « Andrews la Combine » en décembre 1953, Wonder Woman #62), le Thought Master (le « Maître de la Pensée » dans Wonder Woman #64, février 1954)… Finalement plutôt que de continuer de répéter le schéma, Kanigher opta pour créer un personnage unique et récurrent avec une méthode cohérente : l’Angle Man (Wonder Woman #70, novembre 1954). En raison de l’usage commun du terme « Angle », certain partent du principe que le « Angles » Andrews de 1953 et l’Angle Man de 1954 sont une seule et même personne mais ce n’est pas établi, le dessinateur en représentant un brun et l’autre blond. Le fait est qu’à partir de 1954 et jusqu’en 1968 Angle Man deviendra un adversaire régulier de Wonder Woman. Bien qu’avec les changements intempestifs d’apparences selon les dessinateurs, on peut se demander si « Angle Man » n’est pas une sorte de grade, un poste de « patron de la pègre » qui serait occupé par des hommes différents selon les époques. Être unique ou pseudonyme collectif, Angle Man s’installe pendant des années comme une menace régulière dans le mythe de Wonder Woman. D’une certaine manière, il est son principal adversaire pendant le Silver Age. Un peu ce qu’est par ailleurs le Kingpin pour des séries comme Daredevil ou Amazing Spider-Man.

Si le « journaliste » de Wonder Woman #174 travaille pour Angle Man on peut à coup sûr en déduire qu’il n’est pas un journaliste du tout mais bien un gangster de la pire espèce. Ce que ne manque pas de nous confirmer la page suivante. Le faux reporter fait son rapport à son patron : « Angle Man, ta protocamera a fonctionné parfaitement ! Wonder Woman ne tenait même plus sur ses jambes quand je suis parti ! ». C’est bien un faux appareil photo qui a privé Diana de ses pouvoirs. Angle Man jubile : « C’est ça mon angle ! Avec Wonder Woman sans pouvoirs, tout ce que j’ai à faire maintenant c’est de donner mes pilules à superpouvoirs à Steve Trevor pour que mon plan marche ! ». Mais là le faux reporter est perplexe : « Je ne te suis pas, Angle Man ! On vole les pouvoirs de Wonder Woman et ensuite on en donne à Trevor ! Ce n’est pas un peu dingue ! ». Le leader criminel explique alors son plan en détails : même sans pouvoirs Wonder Woman va tenter de continuer de se battre contre le crime ! « Mais si un Super Steve Trevor apparaît, elle se retirera et l’épousera ! Après qu’ils se soient mariés, Trevor arrivera au bout de sa réserve de super-pilules et je pourrais régner sur Capital City ! Maintenant envoyons un stock de pilules à Trevor afin qu’il les utilise ! ». Le plan d’Angle Man fonctionne lui aussi selon le schéma habituel de Kanigher où il n’est pas totalement question de tuer ou même de battre Wonder Woman mais bien de la marier de force (encore qu’ici ce mariage forcé soit clairement identifié comme maléfique). De ce fait, le plan d’Angle Man devient alambiqué pour justifier la problématique de l’épisode. Dans les faits on vient de voir que Wonder Woman, sans ses pouvoirs, n’est même pas foutue de venir à bout de quelques hippies. Elle n’aurait pas mieux fait en face de gangsters endurcis. Au pire certains d’entre eux auraient pu prendre des pilules. Mais la pensée ne traverse pas l’esprit d’Angle Man, qui se lance donc dans quelque chose d’incroyablement plus compliqué et risqué pour lui puisque son plan implique de créer au passage un autre super-héros.

Quelques heures plus tard Steve Trevor rentre chez lui. Il est inquiet pour Wonder Woman, qui a été obligée de rentrer d’urgence à Paradise Island, en espérant que la science des amazones puisse comprendre sa brusque perte de pouvoirs. Mais il trouve un colis sur le seuil. Un colis avec un mot : « Utilisez ces pilules afin de rejoindre Wonder Woman dans sa croisade contre le crime ! Elles vous donneront des pouvoirs égaux à ceux de certains membres de la Justice League ! ». Et là, contre toute attente, Steve Trevor est plus malin que la plupart des personnages secondaires des comics. Il ne se rue pas sur ce cadeau sans se poser de question. Il décide d’abord de faire tester les pilules par « les gars du labo ». Il ne les utilisera que si elles ne représentent aucun risque. Mais se promet, impatient : « Si je prends la place de Wonder Woman comme combattant du crime, elle devra m’épouser ! ». La scène est, à nouveau, très représentative du Trevor de Kanigher : le personnage, bien que considéré comme positif, est incroyablement possessif et égocentrique. En deux cases il oublie totalement la crise que traverse Wonder Woman pour ne penser qu’à une chose : l’obliger à l’épouser, littéralement par la force des choses. On notera aussi que Steve Trevor n’est pas très altruiste et ne pense pas quelque chose du genre « Chouette, je vais devenir surpuissant pour faire le bien et aider les autres grâce à ces pouvoirs ! ». Ca ne l’intéresse pas l’ombre d’une seconde. Tout ce qu’il veut c’est contraindre l’amazone à se marier. Rapidement les tests revenus du labo permettent à Trevor de s’assurer qu’il ne risque rien à utiliser ces pilules. Il enfile un costume patriotique et fait preuve d’exploits spectaculaires, capable de soulever une jeep avec une seule main. Il juge sa force égale à celle de Superman et se rend compte que sa rapidité, sans égaler celle de Flash, a été grandement augmentée… Pendant ce temps, sur l’île des Amazones, Wonder Woman est examinée sous toutes les coutures par sa reine de mère ainsi que par Paula (en fait Paula Von Gunther, ex adversaire de Wonder Woman pendant la guerre qui a été « réformée » et est devenue l’experte en science de l’île). Personne ne comprend ce qui a pu arriver à Diana. Et puisqu’on ne trouve pas d’explication, personne ne peut la soigner. Wonder Woman semble avoir perdu ses pouvoirs pour de bon. Diana se résigne mais reste combative : « Je continue d’avoir une force normale. Et si Batgirl peut combattre le crime alors je le peux aussi ! Je dois rester fidèle à mon combat contre le crime ! Si j’échoue, j’épouserais Steve et je prendrais ma retraite ! ». On constatera que du côté de Diana aussi on se focalise sur cette idée de mariage…

Tout ça nous ramène à la scène du musée. Steve Trevor est devenu le Patriot, a battu les hippies et la presse est là pour immortaliser l’instant. Le nouveau héros fait preuve de sa super-force en soulevant une statue d’une seule main (joli geste d’irresponsabilité dans un musée… Et pourquoi ne pas jongler avec la Joconde pendant qu’on y est ?). Mais Steve ne perd pas son but premier de vue. Les journalistes ne sont pas encore partis que le Patriot se précipite sur Wonder Woman, la prend par le bras et lui dit « Angel, en tant que Patriot je peux faire toutes les super-choses que tu pouvais faire ! Alors épouse-moi ! ». Avec une telle capacité à l’insistance, Steve Trevor n’aurait pas du se choisir le Patriot comme alter-ego mais bien le Boulet ! Mais malgré ce manque de tact, les deux amis comparent leurs informations une fois que la presse est partie. Steve explique dans quelles circonstances mystérieuses il a reçu ses pilules. Il est visiblement trop concentré sur l’idée de sa future nuit de noces pour faire le lien. C’est Diana qui fait le rapprochement : « Il y un lien derrière tout ça ! Premièrement je perds mes pouvoirs puis quelqu’un te donne des pilules qui te rendent super ! Qui aurait pu penser à tel angle ? ». Patriot propose alors à Wonder Woman de le découvrir ensemble. Il la prend dans ses bras et il… saute ou s’envole, la chose n’est pas clairement établie (le fait de voler ne faisait pas partie de l’éventail de pouvoirs démontrés plus tôt). Tous les deux foncent vers l’avion-robot de Wonder Woman tandis que cette dernière précise : « J’aime ce côté de toi devenu super, Steve ! Je me sens plus femme ainsi protégée ! ». Ah ça, on sent que le scénario est écrit par un homme. On n’accusera pas Kanigher de sexisme (car si tel était le cas il ne serait sans doute pas resté si longtemps à écrire Wonder Woman, Kanigher est par ailleurs le créateur de nombreuses femmes fortes de DC comme Black Canary, Thorn ou Star Sapphire…) mais il est clair, à travers ce genre de phrase, que ses automatismes ne sont pas les mêmes que Moulton-Marston. Autant la Wonder Woman de Kanigher pouvait souligner plus tôt que Batgirl peut se débrouiller sans pouvoirs, autant le scénariste insiste en d’autres endroits sur le fait que Diana n’est exceptionnelle que si elle a ses pouvoirs. Et que dans l’alternative sa place devient celle d’une « faible femme » inféodée à l’homme. Mais il s’agit sans doute plus pour le scénariste de montrer à quel point la relation change à cause de ce rapport de force inversé…

Au repaire d’Angle Man, le génie du mal jubile : « Mon angle fonctionne parfaitement ! Trevor a utilisé sa dernière pilule hier et le Patriot n’aura plus de superpouvoirs ! Et avec Wonder Woman qui n’est plus une menace, la cité est à nous ! ». Angle Man désigne alors une autre bouteille pleine de pilules : « Je vais utiliser ces super-pilules sur moi-même et détruire l’amazone et Trevor ! ». On peut noter une nouvelle fois que le plan d’Angle Man n’est pas à toute épreuve. D’abord si le plan était de rendre Trevor plus fort le temps de convaincre Diana de l’épouser, le délai dans lequel le stock de pilules s’épuise est un peu court. A l’évidence le mariage n’a pas encore été célébré. Est-ce qu’il se produira si Steve est redevenu normal ? L’autre point faible est qu’Angle Man, au lieu de se donner le mal d’envoyer des pilules à Trevor, aurait du tout simplement les utiliser lui-même depuis le début: Priver Wonder Woman de ses pouvoirs grâce à l’appareil photo puis tuer Diana et Steve sans attendre.

Mais… deux silhouettes patriotiques surgissent soudain dans le repaire : Wonder Woman et le Patriot ! Steve Trevor s’écrie : « Salut Angle Man ! Et merci pour mes superpouvoirs ! ». On ne sait pas trop comment Diana et Steve ont pu trouver cette cachette (à part si Angle Man a été assez idiot pour mettre l’adresse de l’expéditeur sur son colis ?). On pourra par contre déduire que Wonder Woman et le Patriot ont compris qui était derrière tout ça une fois dans l’avion, juste après que l’amazone ait parlé d’angle… d’où un rapprochement qui semble logique puisque le gangster était un adversaire régulier de la belle. Mais ce qui laisse Angle Man réellement perplexe c’est que les deux super-héros sont en train de combattre sa bande en faisant tous les deux preuve… de super-force : « Ce n’est pas possible ! Ils ne devraient pas être surpuissants maintenant ! Mais ils le sont ! Qu’est-ce qui a pu les changer ? ».

Mais rien n’y fait. Le Patriot et Wonder Woman anéantissent le gang. Steve termine même en jouant au yo-yo avec Angle Man attaché à une corde (le lasso magique de Wonder Woman ?). Avisant le stock de pilules qui restait à la bande, Steve fait mine de les détruire : « Personne n’utilisera plus ces comprimés ! ». Mais c’est Wonder Woman qui l’arrête : « Il ne faut pas les détruire, Steve ! Ces super-pilules pourraient être utiles si nous avons à nouveau besoin du Patriot un jour ! ». Puis Steve brûle la pellicule qui avait permis d’extraire les pouvoirs de Wonder Woman : « Qui aurait pu croire qu’un engin utilisé pour drainer l’énergie des bombes pourrait voler les pouvoirs d’une femme merveille ! Mais ce faux appareil photo l’a fait ! ». Là non plus on ne comprend pas comment Diana et Steve savent que la perte de pouvoirs vient de la prise de la photo. Il faut croire qu’Angle Man leur a avoué entre deux cases). C’est à ce moment-là que le gangster s’étonne. Car si les héros sont anxieux de détruire l’appareil c’est bien que Wonder Woman n’avait plus ses pouvoirs. Alors comment peut-elle faire preuve de super-force pour coffrer le gang. C’est le Patriot qui explique : « Tu t’es trompé dans tes calculs sur la durée de l’effet des comprimés ! Nous avons pu en prendre tous les deux pour t’attraper ! ». Angle Man est consterné : « Vous voulez dire que Wonder Woman utilisait une des mes super-pilules ? ». Autrement dit Angle Man a lui-même fourni les moyens de son arrestation ! Angle Man tente alors une dernière roublardise : Oui, il a dupé les gens avec ses pilules mais techniquement il n’a commis aucun crime (c’est vrai que le vol de superpouvoirs n’est pas puni par la Loi). Mais le Patriot le détrompe : « C’est encore faux, Angle Man ! La protocamera utilisée pour voler les pouvoirs de Wonder Woman a été volée à l’armée ! Et elle est en ta possession ! Va expliquer ça à la police ! ». Ne reste bientôt plus que les deux super-héros. Wonder Woman se précipite dans les bras de son compagnon en expliquant « Je pense que Super Steve Trevor est quelque chose dont j’ai toujours eu besoin dans ma vie ! ». L’autre conclut alors « Angel, le Patriot pense que tu es la meilleure ! ».

Cet épisode restera un one-shot et on ne reverra pas Steve Trevor enfiler à nouveau le costume du Patriot. En un sens ce n’est pas étonnant puisqu’il n’était pas rare que les séries de DC Comics jouent avec l’idée de personnages secondaires recevant des superpouvoirs. Lois Lane, Alfred Pennyworth et d’autres ont tous été, le temps d’un épisode, transformés en super-personnages remettant en question la puissance du héros habituel. Globalement, la transformation de Steve Trevor en Patriot s’inscrit dans la même démarche. A un détail près : Vers la fin Robert Kanigher prend soin que le héros ne détruise pas le stock de pilules qui lui donne ses pouvoirs. Wonder Woman elle-même insiste sur le fait qu’on pourrait avoir à nouveau besoin du Patriot ! La bouteille contient des dizaines de comprimés. Et, en dernier ressort, on se souviendra que Steve a fait analyser leur composition en laboratoire (on peut donc en produire à la demande). On ne peut pas être certain que Kanigher était déterminé à utiliser le Patriot de manière régulière mais il avait pris la peine de laisser la porte ouverte. Et pour cause : A l’époque le succès de Wonder Woman avait tendance à s’effriter, ne donnait plus satisfaction à DC Comics. Kanigher était connu pour introduire à la demande de nouvelles variations de Wonder Woman (Wonder Girl est une de ses inventions) tout comme il lui arrivait de tirer le rideau sur des personnages d’un coup et de réinventer régulièrement la supporting cast de la série. Kanigher a probablement pris la peine de sauver ces dernières pilules le temps de voir si le public mordait ou pas (mais aussi peut-être pour voir si Marvel Comics montrait les dents en voyant Steve Trevor se rapprocher autant de Captain America).

Mais pourquoi donc risquer ainsi le courroux de Marvel avec un personnage qui devenait soudainement si voisin de son fameux Captain ? L’explication est simple dès lors qu’on ne s’intéresse plus seulement au scénariste mais aussi au dessinateur de l’histoire. Irv Novick avait illustré des comics dès les années trente puis, plus tard, avait choisi la sécurité professionnelle et s’était éloigné du monde de la BD pour travailler dans la publicité. C’est son ami Robert Kanigher qui l’avait à nouveau ramené dans les girons des comics en lui fournissant du travail chez DC. Mais le premier passage de Novick dans ce milieu avait été bien plus riche qu’on en garde généralement le souvenir puisque l’artiste avait été le co-créateur du Shield, le Le Shield Originelpremier super-héros patriotique, dans Pep Comics #1 (1940). Ce même Shield que Joe Simon et Jack Kirby avaient copieusement cannibalisé pour inventer leur Captain America en 1941. Novick avait donc toutes les raisons d’estimer que Marvel avait piraté une partie de son œuvre et l’avait spolié en lançant Captain America. Steve Trevor transformé en super-héros, c’est donc une revanche de Novick. D’ailleurs quand on y regarde bien, le costume du Patriot ressemble plus à celui du Shield qu’à celui de Captain America. Et est-ce que les gens de Marvel auraient décemment pu protester contre l’apparition du Patriot, menacer d’aller devant la Justice… sans se fourrer dans une histoire incroyablement compliquée où Novick aurait pu expliquer à volonté qu’il était le créateur du Shield et que c’est lui qui avait été copié ? Le Patriot n’est pas autant une copie de Captain America qu’on pourrait le croire mais bien une redite calculée du Shield, le modèle de Cap ! Se « venger » de Marvel n’était pas forcément la motivation de Novick. Il pouvait aussi plus simplement espérer, en créant un nouveau super-héros patriotique, trouver le même succès que le Shield ou Captain America en d’autres temps. Et il avait finalement de nombreuses raisons de s’estimer dans son droit de le faire… Dans le doute, Kanigher avait ménagé un moyen de ramener le Patriot dans d’autres épisodes. Dans le pire des cas le nouveau héros patriotique aurait pu être un allié occasionnel (à la manière de ce que fut Batwoman pour Batman dans les années 50), la rareté des pilules expliquant que Trevor ne ressorte pas systématiquement sans costume. Dans une version plus optimiste le Patriot aurait pu devenir le partenaire régulier de Wonder Woman (façon « Captain America & The Falcon »). Avec sa transformation en vrai super-héros « égal à un membre de la Justice League », Steve Trevor accédait carrément à un autre niveau…

Assez incroyablement ce plan donna des signes de succès. Dès Wonder Woman #176, le courrier des lecteurs est entièrement occupé par la lettre d’un certain Drury Muroz qui se réjouit de la transformation de Steve Trevor en Patriot et réclamant qu’il devienne super-héros de façon permanente, comme partenaire de Wonder Woman. Kanigher, en consacrant la rubrique à cette seule lettre, sait très bien ce qu’il fait. Il répond en demandant simplement ce que les autres lecteurs en pensent. Mais il est certain que l’éditeur a choisi de mettre un coup de projecteur sur cette lettre et que l’idée est dans l’air. Le courrier des lecteurs de Wonder Woman #177 va encore plus loin, avec la lettre de Joanna Raisman qui réclame carrément qu’on donne sa propre série à Steve Trevor… La possibilité de voir le Patriot s’installer comme partenaire de Diana est à nouveau discuté dans le courrier de Wonder Woman #178. L’idée de Kanigher et Novick est en train de prendre. Et les réponses de l’éditeur expliquent alors que le titre va bientôt évoluer. Et là vous allez me demander dans quel univers parallèle nous sommes tombés car la plupart des lecteurs de comics n’ont jamais entendu parler d’un Steve Trevor transformé en super-héros qui aurait connu un tel succès. Normal : Malgré les lettres et la réaction des fans, Wonder Woman #174 reste la seule apparition de ce Patriot !

L’ennui pour ce cher Steve (et d’une certaine manière pour les projets potentiels d’Irv Novick) c’est que deux mois plus tard DC Comics procéda à une réorganisation éditoriale. Kanigher passa sur d’autres projets et cessa de d’éditer ou de scénariser Wonder Woman à partir du #176. La responsabilité de la série fut transmise à Jack Miller, qui engagera le scénariste Denny O’Neil et le dessinateur Mike Sekowsky (encré par Dick Giordano) dès le #178 pour entièrement rénover Wonder Woman et la synchroniser avec l’image de la femme à l’aube des années des soixante-dix. L’approche de d’O’Neil serait de faire de Diana une héroïne plus proche d’Emma Peel. Dangereuse mais… normale. La nouvelle Wonder Woman tournait le dos au super-héroïsme costumé (et donc dans ces conditions difficile d’utiliser un Steve transformé en Patriot). En un sens la Wonder Woman d’O’Neil s’inspire du #174 puisque l’héroïne perd ses pouvoirs : Elle est convoquée par les Amazones qui lui expliquent qu’elles doivent quitter cette dimension. Wonder Woman doit les accompagner ou perdre ses pouvoirs. Diana refuse : Steve Trevor est alors injustement accusé d’un meurtre et elle ne peut l’abandonner. Elle tourne le dos aux amazones, retourne en Amérique sans pouvoirs mais Trevor est blessé et tombe dans le coma (#179). Trevor est finalement assassiné par les forces de la terrible Doctor Cyber dans Wonder Woman #180 (Janvier 1969) sans que personne ait pensé à reparler de ces pilules miracles. Si la reprise en main éditoriale était intervenue quelques mois plus tard, Kanigher et Novick auraient peut-être eu le temps d’installer leur Patriot de manière plus durable. Ca n’aurait pas forcément sauvé Steve (encore que, allez savoir…) mais son alter-ego aurait laissé une place bien plus grande dans l’histoire des comics.

Épilogue : L’histoire de Steve Trevor ne s’acheva pas en 1969. Dans les années 1970, pour mieux refléter les événements de la série télévisée Wonder Woman, DC décida de ramener ce bon vieux Steve Trevor qu’on voyait sur le petit écran… mais plus du tout dans la BD d’origine. Dans Wonder Woman #223 (1976), la déesse Aphrodite fait passer un test à l’héroïne en lui faisant croire à la destruction des amazones par une troupe de soldats. L’un d’entre eux se révèle être Steve, ressuscité temporairement par Aphrodite pour la durée du test. Quand elle s’en aperçoit, à la fin de l’épreuve, Wonder Woman implore la déesse de laisser la vie à son fiancé. Après des hésitations (la mère de Diana, en particulier, doute que ce soit une bonne chose), Steve Trevor est ressuscité de manière durable mais, dans la foulée, est désormais au courant de la double identité de Wonder Woman. L’occasion rêvée pour ressortie la vieille bouteille de pilules et enfiler à nouveau le costume du Patriot ? Non, parce que cinq ans plus tard les auteurs et les lecteurs ont perdu le souvenir de cet éphémère épisode. Quand bien même il faudrait tout réexpliquer… Steve restera un humain et ne redeviendra pas un héros costumé mais… change de nom civil. Comme tout le monde croit que Trevor est mort et qu’il ne pourrait expliquer qu’il a été ramené par Aphrodite, le personnage se choisi comme nouveau nom Steve Howard et se teint même les cheveux en noir. C’est compliqué ? Attendez ! Vous n’avez encore rien vu ! Car Steve Trevor/Howard meurt à nouveau dans Wonder Woman #248 (Octobre 1978) : Le pouvoir de sa force vitale renforcée par la magie d’Aphrodite est volé par un nécromancien, le Dark Commander. Steve meurt dans les bras de Diana en remerciant la déesse pour ces quelques mois de bonheur. Wonder Woman est moralement anéantie… D’autant que dans l’épisode #249 elle fait la connaissance de Greg Trevor, le frère de Steve, devenu terroriste car rendu fou par la mort récente de son frère (on aurait envie de lui demander où il était pour la première mort ?). Mais tous les scénaristes ne sont décidément pas du même avis quand à l’utilité de Steve Trevor. Dans Wonder Woman #270 (1980, écrit par Gerry Conway), alors que Diana est revenue avec les amazones (qui entretemps sont revenues dans notre dimension) elle sauve un aviateur qui s’est écrasé à proximité de l’ile du Paradis. Un aviateur qui se révèle être… le Colonel Steve Trevor. Mais attention, hein, pas celui qui est mort 22 épisodes plus tôt. Non ! Celui là vient d’une terre alternative : Aphrodite, touchée par la tristesse de Wonder Woman, a tiré cet autre Trevor d’un monde parallèle et l’a injecté dans la continuité de manière à ce qu’elle puisse à nouveau connaître le bonheur. Mince. Où vont-ils chercher tout ça ? Et ce n’est pas tout. Pour tenter de tout mettre en cohérence le scénariste Dan Mishkin présenta dans Wonder Woman #321-322 (1984) une histoire pleine de révélations… mais qui complique tout, avec trois Steve Trevor différents. On apprend qu’il y a bien eu l’original (celui mort en 1969) mais qu’Aphrodite ne possède absolument pas le pouvoir de faire revenir les morts, au contraire de ce qu’elle a fait croire. « Steve Howard » était en fait… ahem… préparez vous… le dieu Éros dans lequel on avait injecté les souvenirs de Steve ! Éros, rendu fou par l’amour que vivent Diana et le Steve Trevor alternatif, vient tout casser sur l’île des amazones jusqu’à ce qu’il retrouve la raison. Il accepte alors de transférer les souvenirs du premier Steve (pré-1969) et du deuxième (le temps passé par Éros à se faire passer pour Steve) dans l’enveloppe corporelle du troisième Steve Trevor, donnant lieu ainsi à un personnage composite qui a les souvenirs des trois incarnations. Pffuh !

Gerry Conway, en écrivant l’ultime épisode de Wonder Woman volume #1 (le #329, en 1986) mettra un terme à l’incessant jeu du chat et de la souris entre Diana et Steve. Dans une histoire qui se déroule en parallèle des premiers épisodes du crossover Crisis, Wonder Woman sauve l’Olympe en compagnie de Steve et réalise que la fin du monde est possible, peut-être même proche. Elle et Steve ont perdu leur temps à des enfantillages, à ne pas s’avouer leur amour. Après qu’elle ait confié cette angoisse à Steve, il se retourne vers le dieu Zeus et lui demande s’il a autorité pour célébrer les mariages. La série s’achève sur la cérémonie et sur la première nuit que les deux jeunes mariés passent enfin ensemble. Comme on le pressentait depuis Wonder Woman #270, Conway trouvait que les deux tourtereaux méritaient un « happy end ». Le dernier épisode de la série (avant l’effacement de cette continuité et la relance par George Perez) donna à Steve Trevor ce qu’il avait désiré depuis 1942. Et le Patriot dans tout ça ? Perdu dans les méandres de l’Histoire des comics. Encore que, quelque chose qui ressemble au Patriot fera son apparition dans Wonder Woman #289 (mars 1982). Le terrible Docteur Psycho arrive à manipuler Steve Trevor et utiliser son inconscient pour créer une créature ectoplasmique nommée Captain Wonder, une sorte de version maléfique et augmentée du Patriot (sans qu’on le mentionne), nourrie par la frustration de Trevor. Si Kanigher et Novick n’avaient pas passé la main en 1968, peut-être que le Patriot de DC évoquerait beaucoup de choses à bien des lecteurs de comics. Peut-être même que Steve Trevor alias le Patriot aurait fini par trouver une place dans les rangs de la Justice League. Au lieu de cela, le héros habillé comme un drapeau resta une anecdote, un carrefour manqué qui aurait pu profondément changer le destin de Wonder Woman et peut-être même des comics. Super-héros ou pas, Steve Trevor restait le soldat le plus expérimenté de DC et aurait pu devenir une sorte de Nick Fury de cet univers. Au lieu de ça ses morts et résurrections à répétitions dans les années 70 et 80 en firent une potiche qui n’attira pas le regard des lecteurs. On était bien loin des lettres de 1968/1969 qui réclamaient une série autonome pour lui. Mais bon, vu qu’au final il est quand même arrivé à ses fins avec son « ange », Steve ne regrette sûrement pas cette éphémère carrière costumée…

[Xavier Fournier]