Oldies But Goodies: Prince Valiant (Dec. 1937)

[FRENCH] Prince Valiant ! En février 1937 les lecteurs découvraient ce chef-d’oeuvre d’élégance et d’intelligence, nouveau projet d’un artiste qui s’était déjà imposé en dessinant les aventures de Tarzan. Ce n’est pas peu dire que les comic-books doivent beaucoup, énormément, à l’oeuvre de Hal Foster (1892-1982). De nombreux auteurs de comics ont digéré par l’exemple les enseignements de ce maître de l’aventure. Dans le style d’Hal Foster on identifie des éléments qu’on retrouvera plus tard dans les travaux de gens comme Frank Frazetta, Wally Wood (qui d’ailleurs, bien plus tard, aurait l’occasion d’illustrer quelques pages de Valiant), John Buscema, Joe Kubert et de bien d’autres.

Les comics mettront d’ailleurs bien souvent des décennies à rattraper l’élégance de ce strip. Il faut dire que dans les années 30 les strips publiés dans la presse ont un fonctionnement économique établit depuis des années et que, par la force des choses, ils sont publiés par de très sérieux éditeurs. Rien à voir avec l’industrie naissante des comics, où l’entrepreneur est bien souvent à la fois imprimeur et responsable éditorial, payant ses collaborateurs « au cul du camion ». Les artistes des comics sont bien souvent des ados ou de jeunes adultes qui font leurs premières armes (Joe Kubert a onze ans quand il est commence à travailler pour ces revues !). Hal Foster, lui, avait commencé par suivre les cours des Beaux-Arts et avait déjà 37 ans quand il devint le dessinateur de Tarzan.

Au moment du lancement de Prince Valiant, l’auteur était âgé de 45 ans. Il avait l’âge d’être le père de Siegel, Shuster, Kirby et bien d’autres et il avait une formation plus académique que la plupart d’entre eux. Quand on regarde son Prince Valiant et qu’on le compare au tout venant des comics de la même époque, c’est un peu comme mesurer les peintures de la chapelle Sixtine à la déco d’une chambre pour enfants. D’ailleurs, conscient de cette supériorité, King Features réimprimera Prince Valiant sous la forme d’un comic –book dans de nombreux numéros de la revue Ace Comics, réimpressions qu’on retrouvera par la suite reprise chez Dell Comics dans la revue Four Color.

Mais – pour ceux qui ne le connaîtraient pas – qu’est ce que donc que Prince Vaillant (ou plus précisément « Prince Valiant à l’époque du Roi Arthur » tel qu’il était titré à l’origine). La série raconte les aventures de Valiant (le plus souvent appelé simplement « Val »), jeune héritier d’un royaume nordique. Val trouve refuge à Camelot, la capitale d’Arthur et devient le protégé de quelques chevaliers de la Table Ronde, en particulier Gawain. Plus jeune qu’eux, Val est rusé, impétueux, courageux et va au delà du danger pour prouver sa bravoure… ou impressionner les jeunes damoiselles. Fin 1937, le strip de Prince Valiant s’oriente d’ailleurs vers quelque chose de cet ordre, quand Sir Gawain et Valiant se lancent dans une quête pour libérer le château de la famille de la belle Ilene, occupé par un être présenté comme un ogre. L’ennui c’est qu’en cours de route, Gawain a été blessé et Valiant se retrouve seul au pied du château. Mais qu’importe, Val veut désespérément être le chevalier servant d’Ilene et pour prouver sa valeur il est prêt à affronter même un ogre. Devant le pont-levis, il sonne de la trompe et l’Ogre, incrédule, fait ouvrir la porte en demandant « Quel crétin recherche la compagnie fatale de l’Ogre de Sinstar Wood ? ». Mais aussitôt l’Ogre s’écarte et laisse la place à ses hommes, qui se lancent à la poursuite de Val. Le jeune homme ne doit son salut qu’à la rapidité de son cheval. Il trouve alors refuge dans les bois et commence à réfléchir à un plan… L’Ogre lui a paru trop caricatural pour être réel. Il s’agit d’une mascarade. Et « Si l’Ogre règne en utilisant la peur, nous pouvons être deux à jouer à ce petit jeu »…La nuit, Val s’approche du château et commence par capturer et tuer une oie puis, avec un ingénieux système de bâtons, se hisse en haut de la muraille. Après avoir évité comme il se doit les sentinelles, Val peut s’isoler dans un coin tranquille et commencer les préparatifs pour lesquels il a tué l’oie. Avec la dépouille de l’animal, il se fabrique un masque jaunâtre puis de fausses dents vampiriques.

Les pattes de l’oie, écartées, deviennent comme des oreilles monstrueuses. Rembourré avec des plumes, le masque lui donne l’air d’un démon… Ainsi déguisé, Val n’a plus qu’à se laisser glisser le long d’une corde jusqu’à hauteur de la chambre du faux Ogre. En prenant son élan, il fait irruption dans la chambre en brisant la fenêtre, comme s’il était une créature de la nuit arrivant en volant. Il promet alors à l’Ogre qu’il a gagné sa place en enfer. Puis le faux démon fait mine de partir et sort comme s’il sautait par la fenêtre tout en s’emparant de la corde qu’il avait laissé à l’extérieur. Dans les ténèbres nocturnes il peut ainsi profiter de son élan et négocier un demi-tour, lui permettant de faire à nouveau irruption dans la chambre « Et ainsi mon maître me demande de revenir pour toi » s’exclame Val en ricanant. Pour l’homme qui faisait semblant d’être un ogre, c’est trop. La terreur est telle que le cœur lâche. Il s’effondre, mort…

Mais Val est toujours déguisé en gargouille et n’a pas terminé son aventure : Restent encore les troupes de l’Ogre, qui sont toujours situées dans le château. Val continue de se faire passer pour un démon jaune et ricanant, apparaissant par surprise dans les couloirs de l’édifice. Très vite la rumeur s’étend parmi les soldats : l’endroit est hanté par une créature infernale. Le clou du spectacle étant quand Val traverse la salle de repas accroché à un système de corde, avec sa cape  déployée, battant comme des ailes de chauves-souris. Nous sommes de nombreux mois avant l’invention de Batman mais le dessin de cette cape évoque à s’y méprendre la structure de la « bat-cape ». Même l’idée de Valiant que les méchants sont superstitieux et qu’on peut les battre en gagnant l’avantage psychologique sur eux évoque déjà le raisonnement identique de Bruce Wayne quand il décidera de se déguiser en chauve-souris. Dire que Batman est réellement inspiré de ce segment de Prince Valiant serait sans doute exagéré mais il y au bas mot une grande communauté d’esprit entre les deux (pour être totalement honnête, c’était quand même un ressort qui fonctionnait déjà auparavant dans le Phantom, ceci explique peut-être cela)…

Dans le château de l’Ogre, c’est la consternation. Encore plus quand la garnison trouve le cadavre de leur chef, mort sans qu’aucune trace de coup ne soit visible. Pour eux le décès ne peut avoir été que surnaturel. Terrifiés, la plupart des hommes s’enfuient dans la nuit et le « démon jaune » les regarde partir par une fenêtre. Content de lui, Val peut enfin retirer son masque poisseux… Mais il a sous-estimé la résistance de certains de ses adversaires. Deux hommes sont restés en arrière dans l’espoir de mettre la main sur le butin de l’Ogre. Et ils tombent sur Val au moment où celui se démasque. Ils découvrent donc la supercherie. Devant de tels gaillards et alors que lui-même n’est pas armé, Val n’a d’autre choix que la fuite. Il se jette par la fenêtre de la chambre de l’Ogre, là où se trouve encore la corde qui lui servait à faire semblant de voler. S’en suivent plusieurs scènes de bataille très visuelles ou Val, coincé sous les remparts, doit repousser ses deux adversaires jusqu’à ce qu’ils tombent dans le vide (et c’est un résumé qui ne fait pas justice au sens de la narration de Foster mais il serait sans doute fastidieux d’énumérer ici les passes d’armes épiques).

Enfin débarrassé de toute opposition, Val peut s’aventurer dans les entrailles du château. Il trouve les clés du donjon, lui permettant d’accéder aux geôles où est retenue la famille de la belle Ilene. Là aussi la scénographie montre à quel point les comics doivent une partie de leur folklore à Foster. La scène où Val descend vers les cellules tandis que se tendent les mains des suppliants, avec son sens du détail et de la noirceur, est elle aussi annonciatrice de nombreuses choses à venir. On y trouve déjà de nombreux codes qui serviront dans les histoires d’horreur des EC Comics des années 50 et même un soupçon du travail des ombres que pourrait pratiquer aujourd’hui un Berni Wrightson. Après avoir appris à la famille enfin libéré qu’il est envoyé par Ilène et leur avoir expliqué où ils pourront la retrouver, Valiant s’effondre, frappé par trois journées de fatigue de privation. La case finale montre la belle princesse apprenant les exploits de son prétendant… qui ne le restera d’ailleurs pas dans la suite de la série. Val finira par épouser des années plus tard une certaine Aleta qui lui donnera beaucoup d’enfants. Aleta, d’ailleurs, donnera également son nom à un personnage des Guardians of the Galaxy (c’est la blonde épouse de Starhawk/Icarus) montrant là aussi que les comics n’en finissent pas de reconnaître leur filiation avec le travail de Foster.

Mais la connexion la plus forte se trouve dans l’épisode que nous venons d’évoquer. Forcément, un certain nombre de fans de comics auront trouvé ce démon jaune passablement familier. Il ressemble en effet trait pour trait à un personnage bien plus tardif : Etrigan le Démon, une « création » de Jack Kirby en août 1972 et vedette de la série The Demon, chez DC Comics. Kirby, qui cherchait une apparence pour son personnage immortel dont les racines étaient liées à Camelot et à la légende Arthurienne (Etrigan est un démon réduit en esclavage par Merlin) s’inspira en effet du masque de Prince Valiant qui, du coup, pris un peu comme une vie propre. Le Valiant de Foster n’étant pas publié par DC, il est vain de se poser la question d’une continuité commune aux deux séries mais pourtant, sous un certain angle, le raccord peut-être fait sans problème. Merlin était également un personnage secondaire de Prince Valiant. Et Val ne fournit guère d’explication quand il décide de se donner tant de mal pour fabriquer ce masque étrange. Si on devait penser en termes de « crossover », il ne serait pas incroyable de penser que Val, familier de Merlin, se fabrique un masque pour imiter le démon qu’il sait par ailleurs être l’esclave du magicien. Val se serait alors déguisé en Etrigan en toute connaissance de cause et les deux personnages pourraient cohabiter dans un même contexte.D’autant plus qu’en 1938, la semaine après avoir terminé d’en découdre avec les forces de l’Ogre, Val se lancerait dans une nouvelle aventure où il lutterait contre une envoûtante femme fatale : la Fée Morgane… que Jack Kirby utiliserait lui-même comme l’une des principales menaces rencontrées par son Demon. Logique, en un sens (puisque les deux héros sont supposés avoir existé à l’époque d’Arthur et de Merlin) qu’ils finissent par croiser la demi-sœur maudite du roi. Mais ce lien renforce encore la cohésion d’un contexte qui serait commun.

La question est prématurée mais avec la durée de la propriété intellectuelle qui est ce qu’elle est, d’ici quelques décennies, quand les personnages concernés seront tombés dans le domaine public ou quand certains d’entre eux auront été racheté, il y aurait la base d’un beau crossover « arthurien » qui pourrait impliquer aussi bien Prince Valiant qu’Etrigan le Demon, le Black Knight de Marvel, le Shining Knight de DC et ou quelques versions  de Merlin….

Même sans ces recoupements qui n’ont pour l’instant pas lieu d’être, Prince Valiant était et reste un incontournable repère où même les allergiques aux aventures de capes et d’épées trouveront les racines de bien des comics classiques ou contemporains… Le tout dans une véritable leçon de narration, d’anatomie et de découpage. Le « Prince » de Foster en aura appris même au « King » qu’était Kirby et aujourd’hui encore ce pionner reste en avance de bien des illustrateurs contemporains…

[Xavier Fournier]
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