Trade Paper Box #25 – Jonah Hex : Origines

12 décembre 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] Personnage créé en 1971 par John Albano et Tony DeZuniga, Jonah Hex est apparu pour la première fois dans All-Star Western (n°10, DC), avant de bénéficier de sa propre série régulière dès 1977. Cow-boy cynique et misanthrope, son visage défiguré pour moitié le distingua rapidement des figures traditionnellement imposées, et il fut intégré pleinement à l’univers DC, avant de s’effacer quelque peu entre 1995 et le début des années 2000. Ainsi, très récemment, les lecteurs de comic-books super-héroïques ont-ils notamment pu retrouver ce franc-tireur ressuscité au sein du Black Lantern Corps (2010)… Mais c’est dès 2005, sous l’impulsion de Jimmy Palmiotti (« Punisher », « Ghost Rider », « Painkiller Jane ») et Justin Gray (« Terra », « Power Girl », « The Resistance ») que l’insaisissable mercenaire put réellement trouver une seconde jeunesse, à travers une nouvelle série écrite par des passionnés du genre. Cette semaine, nous avons donc choisi de nous arrêter sur le deuxième tome français de ces nouvelles épopées, sobrement intitulé « Origines », et qui reprend les épisodes 13 à 24 du volume originel.

« Do you feel lucky, punk ? »

Les années 1860. Ancien Sudiste repenti, jadis élevé par une tribu Apache, Jonah Hex vit au gré des missions et primes qu’il peut obtenir pour la tête d’un homme. Partout dans l’Ouest, son nom est synonyme de terreur pour les violeurs de prostituées, pour les pilleurs de caravanes et tout autre pedigree de crapule… Toujours expéditives, les méthodes de Jonah Hex sont assez larges : elles vont du coup d’éperon dans le ventre au revolver à barillet, en passant par la machette « indienne » ou encore la dynamite. Au menu des réjouissances, les origines de l’effrayant cow-boy défiguré, sa quête de vengeance sur le colonel Ackerman, des demoiselles en détresse et divers torts à redresser… scalps garantis !

« Ce sont… des bêtes, M. Hex. »

Traîtres, libidineux, sadiques… la plupart des protagonistes de ce TPB sont véritablement pourris jusqu’au trognon. Comme si les scénaristes, Palmiotti et Gray, avaient souhaité nous rappeler la réalité d’un monde sans droit, d’un eldorado abandonné aux désirs innombrables du « cow-boy » trop souvent idéalisé depuis lors, notamment au cinéma. Plongée dans ce crachoir de saloon, la personnalité de Jonah Hex reste attachante, ne serait-ce parce que ce volume nous permet de (re) découvrir les origines du personnage. Sous nos yeux, le fils mal aimé puis vendu aux Apaches pour un simple droit de passage devient ainsi le chasseur de primes froid, capable de venger les belles meurtries ou de dézinguer du soldat yankee par multiples de six. Malgré un net penchant pour la poudre à canon, ce maudit n’en demeure pas moins un brin utopiste puisque rien dans ces aventures, bien au contraire, ne laisse à penser que Hex ait pu abandonner tout espoir d’une justice digne de ce nom. Au fond, cet homme sort du cadre bien net qui est alors en train de se structurer dans l’Amérique du XIXe siècle. Nordistes, Sudistes, Natifs… peu lui importe, il ne choisit finalement pas son camp car il sait trop combien l’amertume, la jalousie et l’envie peuvent motiver, quel que soit la tunique, des comportements des plus gratuitement violents et, pourquoi pas, atroces. Pour avoir trop souvent été aux premières loges, Hex ne parle pas, il ne tergiverse pas. Il économise sa salive et demande à ses interlocuteurs d’en venir à l’essentiel. Combien d’hommes ? Combien de dollars ? Sortant de l’horizon pour entrer dans la petite ville de l’Ouest, il est la figure parfaite du « man with no name », de la vague silhouette à cheval tant magnifiée par Clint Eastwood dans les films de Sergio Leone.

Les nombreuses émotions et satisfactions apportées par ce TPB sont le résultat conjoint de scénarios très courts particulièrement punchy, et d’une production graphique de très haut niveau. Parcourus trop rapidement, les dessins de Jordi Bernet (« Torpedo », « Bang Bang », tout d’abord, pourraient donner l’impression d’un travail quelque peu négligé, fait à l’arrache. Tut, tut, tut… Car, lorsqu’on entre vraiment dans le vif de la lecture, un seul adjectif nous vient : brillant, juste brillant. Ses traits sont légers, fins et posés comme d’un seul mouvement. L’encrage au feutre-pinceau nous renvoie aux meilleurs travaux de Joe Kubert. Adossé à flanc de colline, prêt à tirer, ou lorsqu’il canarde Fulsome autour d’un feu de camp, chaque pose du personnage est un régal pour les mirettes.

Mais au-delà du seul virtuose Jordi, la force de cette épaisse BD (200 pages) provient aussi du fait que 5 des épisodes restants sont illustrés d’une main… illustre par un auteur très apprécié de votre serviteur, à savoir Phil Noto, que beaucoup d’entre vous auront connu par le biais de ses deux one-shots consacrés à la série « Danger Girl » (« Hawaiian punch » et « Viva Las Danger » en 2003). Tallulah Black et Dusty Rose sont assez fascinantes de beauté, chacune à leur manière, et confortent encore un peu plus la dimension cinématographique de cette série.

Enfin, deux derniers dessinateurs viennent compléter ce dispositif « grosse artillerie » : Val Semeiks, célèbre dessinateur de Lobo durant les 90’s, pour une sombre méprise autour du cannibalisme, et David Michael Beck (« Star Wars : Republic » et « Star Wars : Empire »), le temps d’une dernière histoire de sorcière aux côtés de Bat Lash (personnage créé par Joe Orlando et Carmine Infantino en 1968).

Autre constante hautement appréciable, les lumières aveuglantes et l’ensemble de la mise en couleurs complètent très joliment ce voyage au cœur de l’Amérique sauvage, et ce quel que soit l’auteur précédemment mentionné.

Un as dans la botte de DC

Reprenons à notre compte la méthode Hex et ne tournons donc pas autour du pot : ce volume procure un immense plaisir. Le fait de partager les premières années de cet antihéros permet d’entrer plus directement dans ses péripéties, et avec une plus grande empathie. Finalement, l’immersion est totale. Ces histoires de hordes sauvages, de maisons closes perdues au milieu des rocheuses sont si efficacement concoctées qu’elles vont chercher chez le lecteur un questionnement bien largement plus intéressant que de nombreuses BD narrées dans un contexte qui nous est contemporain. On remarquera à ce propos, la rencontre étonnante entre Jonah et Thomas Edison, qui donne lieu à de très pertinentes relativisations concernant nos actuelles vies « modernes ». Tôt ou tard, les « Hex » devaient disparaître. Effectivement, ils ont probablement disparu. Du reste, la « marque du démon », stigmate d’une vie réellement sur la brèche, aurait-elle encore un sens de nos jours ? Mais ceci est une autre histoire, comme le dirait Kipling… bref, pour tous ceux qui ont envie de se régaler près de la cheminée durant les prochaines semaines hivernales, pour tous ceux qui ont encore envie d’arpenter les grands espaces tels des John Wayne trash, on ne peut que conseiller cet album très accessible aux profanes, et de très haute volée artistique.

[Nicolas Lambret]

« Jonah Hex : Origines », par Justin Gray, Jimmy Palmiotti (scénario), Jordi Bernet, Phil Noto, Val Semeiks, David Michael Beck (dessin), Panini Comics, Coll. DC Big Books, tome 2, juin 2010, 200 p.