Oldies But Goodies: Wonder Woman #59 (Mai 1953)

24 avril 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] En 1953, la seconde génération de super-héros n’est pas encore apparue. Et pourtant la première, elle, a pratiquement fini de disparaître. Les rares personnages survivants expédient les affaires courantes, dans des épisodes souvent rapidement oubliés. Mais une mésaventure de Wonder Woman va laisser des traces dont les lecteurs de comics sentent aujourd’hui encore les retombées.

En 1953, l’Age d’Or des comics est déjà officieusement terminé. Bien souvent on prend comme point de départ de l’ère suivante (le Silver Age) la première apparition de Flash (Barry Allen) en 1956, qui est le premier personnage majeur de la seconde génération de super-héros. Quelques esprits plus précis préfère se baser (et ils n’ont pas tort) sur la création du Martian Manhunter chez DC et quelques autres héros mineurs chez Charlton, en 1955. Au bas mot on serait donc tenté de dire que l’Age d’Or, ou Golden Age, s’achève en 1954 ou peut-être dans les premiers mois de 1955. En fait, les choses sont moins évidentes que ça. En dehors d’EC Comics, élan créatif détruit en plein vol par les pressions moralo-politiques, on peut dire que le Golden Age était tombé en sommeil vers 1950-1951 (moment de la suspension de la Justice Society ou de Captain America) et que, d’une manière générale, les comics de super-héros produits entre la fin des années 40 et le milieu des années 50 apportent assez peu d’éléments scénaristiques nouveaux destinés à marquer leur univers respectifs. En ce qui concerne plus spécialement DC, on peut dire que le dernier gros événement éditorial s’était produit vers 1948, quand Superman avait assumé de façon plus active son héritage kryptonien. Entre 1948 et la création du Martian Manhunter en 1955, c’est donc un peu le « No Man’s Land ». Non pas qu’il n’y ait pas d’épisodes intéressants ici et là mais l’apport d’éléments nouveaux susceptibles de marquer un changement est assez minime. Wonder Woman #59 (scénarisé par Robert Kanigher et dessiné par H.G. Peter) va pourtant discrètement marquer un tournant. Il va s’y produire quelque chose qui va amener une différence dans l’univers DC, même si cette « petite graine » ne porterait ses fruits que des années plus tard.

« Cette aventure incroyable aurait pu vous arriver ! Elle est arrivée au Lieutenant Diana Prince quand, dans son bureau des services spéciaux militaires elle s’est changée dans son identité secrète de Wonder Woman » nous dit-on dès le début de l’histoire. Dans l’image, une décomposition du mouvement nous montre l’héroïne en train de passer son costume. Tout ça se passe bien avant les variantes du « Wonder Twirl » (mode de transformation qui veut, selon les cas, que Diana Prince se transforme en Wonder Woman en tournoyant sur elle-même ou en faisant tourner son lasso autour d’elle. D’ailleurs (et c’est sans doute une touche de vanité alors associée avec l’image de la féminité, elle s’arrête pour regarder son reflet dans un miroir et redresser sa tiare. Somme toute un geste assez routinier pour quelqu’un qui se prépare à sortir. Mais rapidement Wonder Woman ressent une sensation d’étouffement, comme si des mains invisibles lui serraient le coup. La force de l’attaque est tellement puissante que l’amazone tombe presque à genoux (ce qui est déjà en soi un exploit vu la force qu’elle possède). « Si.. je ne… me… libère pas… je serais… finie » pense l’héroïne, qui peine à l’évidence à résister à l’attaque. Mais soudainement le phénomène bizarre s’estompe. Wonder Woman ne sent plus aucune main autour de son cou et peut respirer à nouveau. Elle ne porte aucune marque, pas de bleu sur la peau… Diana pense presque qu’elle vient de subir une sorte d’hallucination…Plus tard, alors qu’elle patrouille dans les rues, Wonder Woman passe devant la vitrine d’un magasin de jouets et réalise que la vitre est si propre qu’elle y voit son reflet comme dans un miroir. Inexplicablement, l’instant d’après, elle passe à travers cette vitre comme si quelqu’un l’avait jeté. D’ailleurs c’est bien ce qu’elle a ressenti. Comme si un être invisible l’avait poussé. Et, toujours coquette, Wonder Woman se fait la réflexion qu’elle a juste eu le temps de mettre les bras devant sa tête pour protéger son visage (ce qui est une sorte de non-sens quand on sais que l’amazone peut éviter les balles en les faisant rebondir sur ses bracelets. En toute logique les éclats de la vitre ne représentaient pas plus de danger qu’une balle).

Quand le personnel de la boutique aide Diana à sortir de la vitrine, l’héroïne s’excuse et propose de les dédommager. Mais en bon samaritain qu’il est, le directeur du magasin refuse, en objectant que c’était un accident et qu’elle a glissé. Plus tard, Wonder Woman s’est éloigné de la ville et marche en plein campagne, au bord d’un lac. Là aussi, son image se reflète dans l’eau, comme si c’était, à nouveau, un miroir de substitution. Et un incident ne manque pas de se produire… Wonder Woman est projetée dans le lac, tout comme elle avait été poussée dans la vitrine un peu plus tôt. Elle sombre au fond de l’eau en essayant d’échapper à des « liens invisibles ». Au moment où elle n’est plus qu’à un doigt de se noyer, l’attaque se dissipe aussi vite qu’elle est arrivée.

Bizarre bizarre ? Après être sortie de l’eau sous les yeux des passants Wonder Woman n’a guère le temps de se poser des questions. Elle aperçoit non loin de là des voitures qui se poursuivent. Des criminels tentent d’échapper à la police, tout en tirant des coups de feu sur les forces de l’ordre. N’écoutant que son courage, elle s’élance, le lasso bien en main. D’ailleurs cet accessoire lui permet d’attraper la voiture des bandits… avant que Diana s’effondre au beau milieu de la route. Les policiers sont obligés de s’arrêter pour ne pas la renverser. Les bandits s’échappent en gros à cause de son incompétence apparente. Pire ! Ils s’échappent en emportant le lasso magique ! Intérieurement Wonder Woman se demande en pleurant comment elle pourrait expliquer qu’elle a trébuché sur un obstacle invisible ? Dans la semaine suivante, la nouvelle est reprise par la presse. Toute la population de la ville est convaincue que l’héroïne a perdu tout talent, qu’elle est au bout du rouleau. La pègre du secteur se réjouit de la déchéance d’une ennemie autrefois si farouche. Les gangsters se demandent même comment la ridiculiser plus encore de manière à ce qu’elle se décourage et décide de prendre sa retraite. Comment l’humilier plus ? C’est simple : en lui rendant le lasso. Alors que Wonder Woman marche sur un pont, sous un violent orage, les gangsters la retrouvent et lui rendent le lasso de manière dédaigneuse : « Nous avons pensé que tu en avais plus besoin que nous, amazone. On te le rend ! De toute façon, tu n’en tirera rien ! Tu est finie comme combattante du crime ! Tu ferais mieux de te mettre à la couture !« . Pire encore : alors qu’elle attrape le lasso au vol, Wonder Woman est frappée par la foudre et projetée par dessus la rambarde du pont. Décidément, elle n’a pas de chance en ce moment !

Mais alors qu’elle approche de la surface de la rivière, son environnement se transforme. Le pont se dissipe et d’étranges bateaux à l’apparence antique apparaissent sur l’eau. Plus étonnant encore : une autre Wonder Woman tombe en même temps qu’elle dans la rivière. L’autre Wonder Woman la prévient alors : « Plonge en profondeur, mon autre moi-même, et nage loin sous la surface ou les archers de ces bateaux te tueront !« . Les deux amazones arrivent à contourner les navires hostiles. Une fois arrivées sur un rivage plus paisible, le double de Wonder Woman se présente : « Je suis la Princesse Tara Terruna. Dans notre langue, cela veut dire « Wonder Woman ». Bien sur Diana ne manque pas de souligner que c’est aussi son nom dans son monde d’origine. Et mine de rien ce simple échange pose déjà deux questions. D’abord comment Tara Terruna saurait-elle ce que veut dire son nom dans la langue de Wonder Woman (sauf si elle était déjà entrée en contact avec la culture de Diana). Et inversement comment Diana sait-elle qu’elle n’est plus dans son monde d’origine (alors qu’il pourrait s’agir, par exemple, d’une autre époque) ? Mais Tara a d’autres considérations : « Il est bien que nous soyons comme les reflets d’un miroir ! Cela nous aidera à libérer mon peuple du cruel Duc Dazam ! Il a volé mon royaume depuis une moitié de mois lunaire et depuis a fait plusieurs tentatives pour me tuer !« . Diana comprend que la date correspond au début de ses propres problèmes « invisibles ». A elles deux Tara et Diana reconstituent le puzzle. Les tentatives d’assassinats du Duc Dazam sur la personne de Tara Terruna se sont répercutées à travers une sorte de défaut dans l’espace-temps jusqu’à Wonder Woman. Tout simplement parce que chacune est le reflet de l’autre dans son monde d’origine. Et Diana de conclure : « La Terre doit avoir une planète jumelle, qui existe de façon simultanée, en parallèle ! Mais qui s’est développée de manière différente ! Et chacun de ses habitants est le double de quelqu’un sur Terre ! L’orage électrique m’a sans doute projeté de mon monde vers le tiens !« 

Le monde de Tara est visiblement moins évolué en terme de technologie (les bateaux ressemblent plus à des galères romaines ou à des sortes de drakkars). Il ressemble à une sorte de décor de péplum. Mais les deux Wonder Women ne prennent pas le temps de jouer les touristes. Consciente qu’ensemble elles représentent deux fois plus de puissance, elles retournent dans l’eau et en tournoyant avec leurs lassos, encerclent les navires. Finalement les deux lassos se serrent tellement que les bateaux sont écrasés. La flotte du duc est détruite… Sans rien pour les arrêter, les deux amazones se ruent au palais sans pouvoir être arrêtées. Tara, folle de joie à l’idée de récupérer son trône, se rue sur le fauteuil. Mais le Duc Dazam (dont le costume ressemble à celui d’un pharaon) avait vu le coup venir. Il s’était caché juste derrière. Avec une corde il enserre le cou de son adversaire (référence plus ou moins subtile au fait qu’une Wonder Woman, peu importe son monde d’origine, perd une partie de ses pouvoirs si elle est attachée par un homme). Le noeud spécial de Dazam est conçu pour se serrer au fur et à mesure qu’on tente de lui échapper. Tara est donc promise à une mort certaine et Dazam se réjouit déjà qu’il ne restera personne pour l’arrêter. Visiblement il n’est pas au courant d’une nouvelle arrivante venue d’un autre monde. C’est ce qui va le perdre : Dazam se retrouve dans le rôle de l’arroseur arrosé : alors qu’il tient Tara en respect avec sa corde il est lui-même capturé par un autre lasso : Wonder Woman se tient derrière lui. Il n’en revient pas : il y a deux Princesses Tara ? En fait on lui explique alors que Wonder Woman s’était fait passer pour Tara (celle qui s’était assise sur le trône) tandis que la vraie Tara attendait tapie (vue que les deux femmes sont identiques, ne me demandez pas pourquoi l’une s’est fait passer pour l’autre, ça n’a aucun sens).

Le royaume de Tara enfin libre, les deux « femmes merveilles » contemplent alors un gros orage qui se forme dans le ciel. Wonder Woman se lamente alors : « C‘est un orage électrique de ce type qui m’a fait basculer dans ton monde, Tara. Maintenant je vais être obligée de rester ici pour toujours !« . Tara, elle, en cache pas sa joie : « C’est une chance pour mon peuple, Wonder Woman ! Nous te rendrons heureuse ! Mais d’abord je veux que tu prenne mon lasso d’or…« . Et alors que Tara procède à sa démonstration d’amitié, Wonder Woman est à nouveau frappée par la foudre et… projetée dans l’autre sens. Elle se retrouve à nouveau dans la Terre « habituelle », juste avant le premier passage de la foudre (et donc avant qu’elle tombe par dessus la rambarde). Les gangsters sont là à se moquer d’elle… Mais comme plus personne n’attaque Tara dans l’autre monde, Wonder Woman n’est plus gênée par une « menace invisible ». Elle est revenue au top. Elle a tôt fait, du coup, de capturer toute la bande, tandis que les gangsters se lamentent qu’elle est « à nouveau elle-même« . Et l’amazone de corriger : « J’ai toujours été moi-même ! C’est juste que tout ce qui arrivait à mon double dans l’autre monde co-existant m’affectait aussi ! Et c’est quelque chose qui peut arriver à tout le monde !« .

Je serais pourtant près à parier que la plupart d’entre nous n’ont jamais rencontré leur double alternatif et cette dernière phrase est difficile à prendre au sérieux. Cependant, ce que Wonder Woman vient de définir dans cet épisode, c’est ni plus ni moins que la définition des terres alternatives à l’intérieur de l’univers DC… des années avant que cette théorie ne soit officiellement reconnue comme telle ! D’habitude, les lecteurs et les scénaristes de comics considèrent « Flash of Two Worlds! », une histoire parue dans Flash #123 (1961) comme le démarrage officiel de la logique des terres parallèles chez DC. Le Flash de Terre-1 (Barry Allen) y rencontre le Flash de Terre-2 (Jay Garrick) et découvre qu’il existe au moins deux Terres occupant le même espace mais vibrant sur des fréquences différentes. De là en découleront les nombreuses sagas façon Crisis. Là, nous sommes près de huit ans avant cet épisode « historique » et la Wonder Woman de 1953 est pourtant déjà face à sa variante alternative ! En gros, ce qu’apporte Wonder Woman #59 dans l’univers DC, c’est la logique du « multivers » avant la date officielle de l’invention de ce dernier. Techniquement, puisque nous sommes en 1953 (et donc avant la fin du Golden Age) la Wonder Woman qui nous sert de référant dans cet épisode est celle liée à la Justice Society (Terre-2). C’est donc une rencontre entre Terre-2 et une réalité sans nom (disons « Terre-Tara »), jamais mentionnée dans les Crisis suivantes mais dont la « logique » fera, ô combien, des petits dans les décennies suivantes…

Au premier abord c’est plus l’existence du monde de Tara qui est intéressante que la princesse elle-même. Encore que, quand on y regarde de plus près, il y a des éléments non-résolus. Par exemple quand Tara voit Wonder Woman pour la première fois elle sait instinctivement dans quelle langue s’adresser à elle, ce qui indique que Tara a au moins une petite idée du monde d’origine de son double. Ou qu’elle a déjà rencontré un autre ressortissant d’une terre alternative. Il y a aussi la question du royaume de Tara. Ce n’est pas une ile mais un pays dirigé depuis un château de type médiéval. Tara est visiblement sur le trône (elle n’a donc pas de reine-mère au dessus d’elle) mais par ailleurs rien ne laisse entendre que son peuple soit composé d’amazones. Il peut tout aussi bien être mixte… A ma connaissance on n’a pas revu depuis la Princesse Tara Terruna (encore qu’il est difficile de la distinguer de son modèle et qu’il est très possible qu’elle se cache dans une scène de groupe dans une des nombreuses variantes de Crisis). Il faut dire aussi que sa ressemblance physique totale avec Wonder Woman (là où les deux Flash avaient des différences visuelles évidentes) enlève tout effet visuel à la rencontre. Tout au plus peut-on imaginer que « Terre-Tara » fait désormais partie des 52 terres rescapées après Infinite Crisis et que cette réalité cache par ailleurs des versions alternatives d’autres membres de la Justice League of America, moulinés à la sauce médiévale. Une autre question en suspens est que si vraiment chaque habitant de « Terre-Tara » a un double sur la Terre « normale », alors cela voudrait dire que Wonder Woman a aussi quelque part un équivalent du Duc Dazam comme adversaire potentiel, qui pourrait peut-être, un jour, lui aussi, tirer partie de l’existence du multiverse…

[Xavier Fournier]