Oldies But Goodies: Out Of This World #11 (1959)

23 octobre 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] En 1962, Stan Lee, Larry Lieber et Jack Kirby lancèrent le Thor de Marvel. Le dieu nordique revenait après qu’un infirme blond ait retrouvé dans une grotte de Norvège un vénérable marteau divin qui attendait depuis des siècles que quelqu’un soit digne de lui. Mais le marteau en question avait-il réellement attendu des siècles sans que personne ne l’utilise ? L’imagination de Lee, Lieber et Kirby était-elle la première à s’aventurer dans la grotte en question ? Vous pensez bien que non…

Bon nombre de collectionneurs savent que dans les années 50 les EC Comics publiaient une énorme dose de récits liés au fantastique et à l’horreur. Ils n’ignorent pas, non plus, qu’avant de renouer avec le genre super-héroïque (par l’entremise du Doctor Droom puis des Fantastic Four) la firme Marvel produisait des « histoires de monstres » à n’en plus finir. Souvent ces deux informations sont un peu comme l’arbre qui cache la forêt, éclipsant le fait que plusieurs autres éditeurs publiaient également des anthologies fantastiques qui, tout en jonglant avec l’auto-censure du Comics Code, n’auraient pas dépareillé avec le contenu des revues Marvel.

A la fin des années 50, Out Of This World (« Hors de ce monde ») était un titre de ce type, produit chez Charlton Comics. Dans cette revue, composée de courtes histoires qui vous entraînaient aussi bien au fin de l’univers que dans des voyages temporels, on trouvait en abondance des travaux du dessinateur Steve Ditko (futur co-créateur de Spider-Man pour Marvel), bien qu’il use à l’occasion de pseudonymes/anagrammes tels que « J. Kodti ». Principalement employé par Charlton à l’époque, Ditko faisait aussi quelques extras à l’occasion chez Marvel/Atlas ce qui explique sans doute qu’avec le recul Out of This World ait l’air d’une revue Marvel sur laquelle on se serait trompé de logo. A moins que, réciproquement, ce soit les revues Marvel qui auraient du porter le logo de Charlton.

Dans les semaines qui précèdent le début 1959, Ditko devait être sur une veine créative particulièrement riche puisque deux de ses histoires se « réincarneront » par la suite et fourniront ainsi la base de deux super-héros assez connus. D’un côté nous avons « Prisoner of the Satellites! » (paru dans Tales Of Suspense #1, en janvier 1959) dont nous avons déjà traité dans cette rubrique et qui précède avec une énorme ressemblance la venue de l’Atom du Golden Age. De l’autre coté nous avons Out Of This World #11 paru également en janvier 1959 (mais chez Charlton, donc) et qui porte lui aussi les petites graines de choses à venir.

The hammer of Thor » (« le marteau de Thor ») est lié, vous l’aurez compris, au mythe du dieu nordique… Si c’est bien Steve Ditko qu’on retrouve au dessin, l’identité du scénariste reste incertaine mais le narrateur pose ainsi le cadre : « Les vikings d’antan croyaient qu’il existait un dieu du tonnerre nommé Thor… Quelle est la base de cette histoire ? Retournons en arrière et voyons !« . On découvre une scène contemporaine de l’époque des vikings (on voit un drakkar dans le lointain).

Un adolescent nommé Thor est poursuivit par deux autres garçons armés de sabres en bois. Ces derniers le trouvent maigrichon et en ont fait leur souffre-douleur. Le jeune Thor implore qu’on arrête de le molester. Au loin les parents du jeune homme ne peuvent que constater que les autres maltraitent encore leur rejeton. Loin de s’interposer, le père de Thor demande à son fils pourquoi il ne se défend pas. Mais le garçon, réfugié dans les bras de sa mère, avoue qu’il n’aime pas se battre. Cette révélation ne suffit pas à amadouer le paternel : « Je ne veux pas d’un faiblard pour fils ! Ce n’est pas un viking au sang vif, mais une méduse sans vertèbre !« . La mère tente de défendre son fils : « Il a été malade ! De plus il a un esprit gentil !« . Finalement le père de Thor s’entête, dit qu’il ne sera pas toujours là pour le protéger et que s’il veut survivre il devra s’endurcir… Malheureusement s’en est trop pour le jeune Thor, qui s’est enfui dans la forêt plutôt que d’en entendre plus. Il préfère en effet la compagnie de la nature à celle des humains…

L’histoire étant courte, elle ne se perd pas dans les détails et on peine à distinguer si Thor part seulement dans un cycle de promenades régulières dans les bois où s’il s’agit d’une véritable fugue de manière à ne plus revoir son père. Toujours est-il qu’un jour le héros découvre l’entrée d’une grotte. Une entrée lumineuse, puisqu’elle irradie d’une étrange énergie (d’ailleurs du coup cette grotte lumineuse m’évoque aussi – par pur accident – celle qu’on peut voir dans les ultimes épisodes du feuilleton Lost)…

Le narrateur reprend alors « Il aimait à se baigner dans l’étrange lumière chaude qui émanait de l’intérieur. Au fur et à mesure que le temps passait le garçon devenait fort, au centre des rayons de l’énergie mystérieuse qui émanait de la caverne ». Et, de facto, on voit bien que Thor prend du muscle et cesse d’être le gamin malingre du début de l’histoire. Quelle est donc la source de cette lumière revigorante ? A l’intérieur de la grotte Thor trouve un objet de métal qui diffuse de l’énergie. Le jeune héros le prend alors dans sa main et s’exclame : « Je me sens si étrangement et merveilleusement empli de pouvoir alors que je prends en main cet… objet similaire à un marteau !« .

Dehors, Thor prends son marteau et le teste en le lançant presque machinalement sur un arbre… Qui explose, comme foudroyé. Le jeune héros est alors sidéré : « Bien que je n’aurais sans doute jamais à combattre quelqu’un, ceci fera une bonne arme !« . « Bien que je n’aurais sans doute jamais à combattre quelqu’un » ? Mais nous sommes dans un comic-book voyons ! La menace ne va donc pas tarder à se présenter d’elle-même. Alors que le temps passe, les parents de Thor meurent d’une épidémie et, sans que le héros l’apprenne, les Huns viennent de l’Est pour envahir la péninsule scandinave, mettant en difficulté les vikings. Tous les guerriers du pays sont donc mobilisés pour faire face à l’ennemi. Mais au village on se demande… Où donc est « Thor le Faible » ? Les vikings ne l’ont pas vu depuis longtemps puisqu’il ne sort plus de la forêt. Mais ils décident de ne pas s’encombrer d’une lavette telle que lui. Ils partent à la guerre sans ce « ramasseur de fleurs ».

Du coup, Thor vit entouré seulement d’animaux et ignore la guerre qui fait rage non loin de lui. Un jour, c’est donc l’armée des Huns qui tombe d’elle-même sur lui par hasard, alors que les envahisseurs explorent la forêt. Les hommes sont trop contents de tomber sur « un viking isolé ». Menacé par les armes des Huns, Thor riposte en lançant son marteau magique et… ses adversaires les plus proches disparaissent sans laisser de trace. L’armée des Huns fait l’erreur de se lancer dans la bataille mais ne fait pas le poids face à la puissance mystique de ce Thor qui, bien qu’il soit pacifiste, sait quand même se défendre.

Les Huns sont donc repoussés et la paix revient en Scandinavie tandis que Thor retourne à la tranquillité de sa forêt… La conclusion de l’histoire raconte alors que, le temps passant, personne ne pu jamais retrouver le chemin de la cave et que la disparition de Thor devint un mystère. Le personnage et son marteau, devenus légendaires, devinrent l’objet de nombreux contes à travers les siècles…

Ce qui est plutôt curieux car les auteurs s’étaient lancés dans l’histoire en nous promettant effectivement de nous révéler ce qui était à la base de la légende de Thor. Seulement il n’y a pas de témoin régulier autre que Thor lui-même (dont on nous dit qu’il a disparu sans plus de contact avec le monde extérieur). A partir de là il y a une contradiction. Les villageois savaient que le jeune homme vivant dans les bois s’appelait Thor mais il était pour eux un grand dadet pacifiste et maigrichon. Ils n’avaient aucune connaissance du marteau ou de ses pouvoirs.

A l’inverse les Huns ne connaissent qu’un guerrier surpuissant, sans rien savoir de sa vie précédente ou encore moins son prénom. En toute logique, même en imaginant que quelques Huns aillent raconter aux scandinaves qu’ils venaient de recevoir une mémorable raclée de la part d’un colosse portant un marteau, les deux peuplades n’auraient pu reconstituer l’histoire et associer le nom avec le marteau. Et puis il y a ce marteau, justement, qui en lui-même n’a pas d’origine. Thor le trouve déjà irradiant d’une énergie mystérieuse. Il peut aussi bien s’agir d’un talisman mystique antérieur que d’un objet laissé là par des extra-terrestres (allez savoir !). Ditko et le scénariste montrent l’origine d’un Thor mais ils expliquent peu de choses finalement…

Qui plus est, des anthologies comme Out of This World se terminaient le plus souvent par un coup de théâtre ou un renversement, éventuellement frappé d’une morale. Ici, il n’y a ni l’un ni, l’autre et on est tenté de se demander ce que le scénariste inconnu voulait dégager comme message. Il y a deux interprétations possibles mais contradictoires. La première pourrait simplement se limiter à la prédominance du point de vue pacifiste et l’impuissance des forces guerrières (Vikings ou Huns) face à un « bon droit » décerné par le destin. L’autre est plus singulière et repose sur le fait qu’on peut associer ce « marteau irradiant » à une parabole sur la bombe atomique. D’abord le marteau émet des rayons qui mutent le jeune Thor en un personnage costaud (procédé qu’on retrouvera généralisé plus tard dans le Marvel des années 60, dans les origines de personnages comme Hulk). Et les Huns peuvent à la fois se comprendre comme des avatars des adversaires japonais et des nazis (les allemands étaient communément surnommés les Huns dans la première moitié du XX° siècle). A partir de là le Thor de Charlton représente (peut-être) des États-Unis qui ne veulent pas suivre l’appel à la guerre des autres états (symbolisés par les autres gamins et Vikings) et se retrouvent finalement mêlés de force au conflit avant d’y mettre fin avec la démesure de l’énergie atomique (symbolisée par le lancer de marteau). En un sens l’usage « pacifiste » de la puissance Thor serait une justification d’Hiroshima… Comme il n’y a pas de certitude sur l’identité du scénariste, il est difficile d’être certain de ce contexte…

Ce qui est sur, c’est que cette histoire précède en plusieurs points l’émergence du Thor de Marvel, lancé lui en 1962. Il ne s’agit pas de dire que les origines des deux personnages homonymes sont identiques. Elles ne le sont pas, c’est certain. Le Thor de Charlton n’est pas dérangé par des extra-terrestres vénusiens, il ne fait pas apparaître à volonté un costume bleu, une cape rouge et un casque à ailettes. Le Thor de Marvel ne découvre pas une caverne « irradiante »… Mais quand même. Dans les deux cas on a droit à un personnage blond à la santé fragile qui trouve un marteau au fond d’une grotte avant de repousser à lui seul une invasion après que le marteau l’ai rendu plus fort. Au point qu’on pourrait très bien imaginer que les deux personnages s’aventurent finalement dans une seule et même grotte à des époques différentes. Dans les origines du Thor de Marvel, on apprend que le marteau peut être soulevé seulement par ceux qui sont assez dignes pour le faire. Il est après tout possible que quelques siècles auparavant un autre homme se soit aventuré dans la grotte, ait utilisé le marteau quelques temps, avant de le reposer à sa place d’origine. Mieux encore : on sait que le Thor de Marvel a un tempérament orageux (sans jeu de mots) et que ceci lui a valu plusieurs fois le courroux de son père, Odin, qui l’a dans ces cas-là condamné à errer sur Terre sous la forme d’un mortel pour apprendre l’humilité. Mettons que la famille du Thor de Ditko ne soient que des parents adoptifs… Il serait cohérent, après tout, que ce garçon nommé Thor qui trouve comme par hasard un marteau mystique soit, comme Don Blake, un autre avatar du Thor mythique…

Quand à savoir si les éléments similaires entre le Thor de Ditko et celui de Lee, Lieber et Kirby sont le fruit du hasard ou la trace « d’emprunts » effectifs, difficile de le déterminer. Ditko travaillait aussi pour Marvel/Atlas à la même époque, donc Lee connaissait au moins en partie la production de l’artiste. Mais d’un autre côté il n’est pas si étonnants que deux auteurs s’intéressant à Thor à trois ans d’intervalle produisent une histoire qui se déroule en Norvège et qui mentionne un marteau. Reste la mention d’une santé faible ou l’emplacement commun d’un grotte qui posent question… Mais quel gain auraient les auteurs du Thor de 1962 a copier une histoire publiée quelques années plus tôt dans une relative indifférence ? On sait que le Thor de Marvel est par ailleurs fortement inspiré du Captain Marvel (Shazam) de Fawcett Comics et en particulier de Captain Marvel jr. (lui aussi un jeune héros boiteux transformé en un éclair en un personnage surpuissant, drapé de rouge et de bleu). Mais Jack Kirby avait déjà montré à maintes reprises son intérêt pour Thor sans avoir attendu Ditko… Serait-ce alors Lee et Lieber qui, au moment de scénariser l’histoire, auraient plus regardé un comic-book de Ditko qu’un dictionnaire de mythologie ? Il est certain que Steve Ditko a co-créé un Thor trois ans avant celui de Marvel. De là à savoir s’il a réellement inspiré en partie ce dernier…

[Xavier Fournier]