Oldies But Goodies: Captain America Comics #1 (1941) (2)

6 novembre 2010 Non Par Comic Box

[FRENCH] L’univers Marvel/Timely des années 40 s’appuyait sur assez peu de criminels récurrents. Revenir plus d’une fois taquiner un super-héros tenait de l’exploit. Au delà de deux ou trois apparitions, un tel personnage faisait déjà partie des exceptions ! Finalement il n’y avait guère que deux super-villains réguliers dans les Marvel Comics de l’époque : Le tristement réel Adolf Hitler et son homme de main fictif, le macabre Red Skull (ou Crâne Rouge, si vous préférez la version française). Encore qu’il convient d’introduire une nuance. Il ne faut en effet pas parler de Red Skull au singulier mais bien au pluriel… Le premier des Red Skulls à affronter Captain America ne serait pas un allemand masqué mais bien un malfaiteur américain aux méthodes légèrement différentes et au moins deux influences littéraires appuyées…

Captain America Comics #1 (Mars 1941) contient toute une suite d’aventures du héros de la série. Passée son origine (qui comporte également le recrutement du jeune Bucky a ses côtés), Captain America s’en va casser du saboteur nazi à tout va, comme le promettait d’emblée la couverture où on le voyait décrocher un violent coup de poing à Adolf Hitler. Or, on ne se lassera jamais de le répéter, l’Amérique était encore loin de s’aventurer dans la seconde guerre mondiale. L’opinion publique restait indécise et il faudrait Pearl Harbor, plusieurs mois plus tard, pour que les Etats-Unis s’y engagent. Taper sur la figure d’un dirigeant étranger dans ce qui restait alors de la littérature pour enfants était passablement gonflé et dans tous les cas risqués. Dans les couloirs de Timely/Marvel, certains responsables, un peu optimistes quand à l’issue de la guerre, se demandaient déjà ce qui se passerait si Hitler se faisait tuer ou renverser avant la sortie du premier numéro de Captain America Comics. Sans doute est-ce pour cela que, si Captain America casse la figure à Hitler sur la couverture, l’intérieur comporte une sorte de glissement thématique.

Le héros n’y affronte pas véritablement Hitler en personne mais une suite de saboteurs qui sont comme autant d’émissaires, de bras armés en Amérique du régime nazi. Après avoir défait les saltimbanques Omar et Sando, « Cap » et Bucky affrontent d’ailleurs un certain Rathcone dont le but n’est ni plus ni moins que de devenir le nouveau Führer de l’Amérique. Bien sur, il y a des croix gammées bien en vue dans les cases. Bien sur, on ne peut ignorer qu’il s’agit d’agents sponsorisés par le III° Reich. Mais, si le vent avait tourné, si la guerre en Europe était s’était éteinte d’un coup entre le moment où l’épisode avait était produit et son apparition dans les kiosques, la plupart des histoires auraient pu se comprendre, à un certain niveau, comme si les saboteurs avaient été des fanatiques américains voulant reproduire en Amérique le régime nazi plutôt que de vrais émissaires de Berlin. Et la couverture anti-Hitler aurait pu passer pour un pied de nez au régime étranger fraîchement tombé… L’Histoire, bien sur, en a décidé autrement mais il convient de bien garder à l’esprit cette nuance. Une partie (pas l’intégralité, j’en conviens) des exploits de Captain America dans son premier numéro sont passés non pas à affronter des nazis allemands mais bien des américains voulant les imiter et instaurer par la terreur un régime nazi propre à l’Amérique. Courageux dans leurs choix, les auteurs (Joe Simon et Jack Kirby) marchaient cependant sur des œufs pour ménager certaines susceptibilités éditoriales…

Au début de leur quatrième histoire (et donc troisième mission puisqu’il convient de décompter le récit ou Steve Rogers devient un être parfait suite à une expérience), Rogers (alter ego de Captain America) et Bucky (alter ego de… Bucky) sont, en leur qualité de soldats, chargés de ramener en voiture le Major Croy chez lui. Techniquement Steve Rogers est le seul vrai soldat du tandem puisque que Bucky est une sorte de mascotte de l’armée.

Qui plus est Rogers, pour mieux cacher le fait qu’il est réellement Captain America, joue le plus souvent les grands timides pas dégourdis (empruntant ainsi un peu de la technique de Clark Kent quand il ne veut pas qu’on l’identifie à Superman). L’armée n’est pas au courant de la double identité de Rogers (d’autant plus que dans les premiers épisodes Rogers est supposé être un agent du FBI infiltré chez les militaires pour y débusquer les saboteurs). Ce qui fait qu’on peut souvent se demander dans les aventures de Rogers et Bucky, pourquoi c’est toujours à eux qu’on demande de servir d’escorte à des gradés importants. Un gars pas très dégourdi et un garçon à peine adolescent ? L’armée américaine ne peut vraiment rien trouver de mieux pour défendre ses officiers stratégiques ?

Quoi qu’il en soit, Steve Rogers et Bucky sont inquiets de la menace que représente le Red Skull. Le major Croy les rassure alors qu’ils le dépose devant chez lui. Non, il ne risque rien. Le Red Skull n’existe tout simplement pas. Pour lui c’est visiblement une sorte de rumeur. Rogers proteste alors en parlant de la carte qui provenait de ce Red Skull et on comprend donc que Croy fait l’objet de menaces (ce qui nous ramène à l’idée saugrenue de lui accorder comme seule escorte un troufion pas spécialement réputé pour sa débrouillardise et un gamin). Rogers et Bucky repartent donc en voiture, Bucky essayant de rassurer Rogers. Peut-être que Croy a raison. Peut-être que le Red Skull n’existe pas.

Chez lui, Croy ne reste pourtant pas longtemps tranquille. Il est surpris par un intrus reconnaissable à sa combinaison verte, marquée d’une croix gammée, et portant un masque rouge : « Bonsoir mon chez Major » s’exclame l’apparition.

Puis, sans perdre de temps, le Red Skull tente d’étrangler le militaire et approche leurs deux visages : « Regardez dans mes yeux major, jusqu’à ce que vous y voyez la mort !« . Et aussi bizarre que cela puisse paraître, le major Croy voit effectivement comme des crânes en surimpression. Un peu comme une forme mortelle d’hypnotisme…

Croy finit pas tomber, sans vie. Regarder dans les yeux du Red Skull semble l’avoir tué ! Le Red Skull semble incarner la Mort ! Satisfait d’avoir tué Croy, il triomphe : « Il est le premier mais il y en aura d’autres. Oui ! Beaucoup d’autres pour faire face à la Mort !« 

C’est ici, sans doute, qu’il faut nous intéresser à une première inspiration littéraire du personnage. Dans cet épisode initial, le Red Skull apparaît comme le porteur d’une mort inexorable. Il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec The Masque of the Red Death (ou également the Mask of the Red Death), nouvelle publiée par Edgar Allan Poe en 1842. Ce texte raconte comment le Prince Prospero se croit à l’abri d’une épidémie (« la Mort Rouge ») et, par extension, de la Mort en général en se terrant chez lui en compagnie de sa cour. Alors qu’il donne un bal masqué, un mystérieux inconnu portant un masque rouge traverse les pièces du palais, jusqu’à ce que Prospero se retrouve face à lui et s’effondre mort.

Bien sûr on pourrait m’opposer que les similitudes s’arrêtent au port d’un masque rouge et du fait que l’opposant trouve la mort. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Dans ses premières apparitions le Red Skull est obsédé par l’idée de donner la mort, que ce soit par son regard ou par un simple toucher. En un sens le Red Skull est énormément semblables aux ennemis masqués de Batman qui ont tous un champ de prédilection. Le Pingouin est spécialisé dans les crimes liés aux oiseaux, Catwoman dans ceux qui concernent les chats, le Riddler préfère les devinettes et ainsi de suite… Ce Red Skull, lui, est spécialiste d’une mort aux allures mystiques. Dans cette première apparition il semble donner la mort par un simple regard à ceux qui se croyaient à l’abri. Il y a un voisinage énorme avec le Masque of the Red Death… Le texte de Poe étant devenu un classique de la littérature fantastique, Joe Simon et Jack Kirby n’auront sans doute pas passé leur adolescence sans en entendre parler mais nous verrons plus loin que la filiation peut avoir été indirecte, empruntant un autre cheminement.

Plus tard le corps de Croy est découvert par les autorités. Rogers et Bucky sont bien sur appelés sur les lieux et témoignent que tout semblait normal quand ils l’ont déposé. Le plus étrange c’est qu’aucune trace réelle n’indique ce qui pu tuer le major. Tous sont perplexes. Peut-être le seraient-ils moins s’ils avaient l’idée de regarder sur le rebord de la fenêtre. Au lieu de courir au loin, le Red Skull s’est en effet caché à quelques mètres d’eux de manière à écouter ce qu’on dit du meurtre : « Ha ! La police est impuissante ! Tuer les autres sera facile !« .

Prenant prétexte qu’il se fait tard et qu’il est l’heure pour Bucky d’aller se coucher, les deux héros s’éclipsent. Mais, au lieu de partir, ils se cachent dans une pièce proche où ils se changent en Captain America et Bucky. Et l’adulte a déjà une bonne idée de son programme de la soirée : « Prêt, gamin ? Captain America va aller chasser du Skull !« . Mais après avoir fait mine d’emmener l’enfant avec lui, Rogers saute au dehors sans attendre : « A la réflexion, je ferais mieux de m’en occuper seul ! Attends ici, Bucky !« . L’enfant reste seul mais, très dépité, décide que s’il en est ainsi lui aussi ira chasser le Red Skull de son côté. Il faut dire aussi que si Captain America ne voulait pas que son jeune auxiliaire parte à l’aventure, il n’était pas très intelligent de lui faire passer son uniforme avant de le laisser seul…

La même nuit le Red Skull réunit ses hommes et leur explique que « pour renverser un gouvernement il faut de l’argent » et que pendant que lui s’occupe des gradés de l’armée sa bande doit, elle, s’en prendre à la Banque Nationale. Bien sûr, s’ils échouent, la punition sera la mort !

On soulignera bien que le but du Red Skull n’est pas proprement de faire la guerre frontale à l’Amérique mais bien d’en renverser le gouvernement pour instaurer un régime nazi. Mais un grain de poussière va venir se glisser dans les rouages. En fait, il se trouve que Bucky a « accidentellement découvert leur QG » (faiblesse scénaristique qui, sur ce point précis, préfère faire l’économie d’une trace que le Red Skull aurait laissé derrière lui). Il faut donc croire qu’en partant au hasard, Bucky est tombé par pur coïncidence sur cet édifice. Juché sur le toit il a tout entendu… « Maintenant, si je peux partir de manière à prévenir quelqu’un… ».

Mais le toit sur lequel il se trouve n’est pas de très bonne qualité, le plafond s’effrite un peu sous le poids de ses pas. Un des gangsters remarque que de la poussière se détache du plafond, en déduit que quelqu’un marche sur le toit et fonce au dehors pour intercepter le gamin qui était en train de descendre de l’édifice. Bien sûr, si c’était Bucky tel qu’il est considéré aujourd’hui (une véritable machine à tuer dans une carrure d’enfant de chœur), un seul sympathisant nazi n’aurait pas la moindre chance. Mais dans les épisodes d’époque de Captain America Comics, Bucky occupe pleinement son rôle de « faire-valoir ». Sans son mentor pour le protéger, il ne fait pas le poids en face d’un adulte. Slug (le gangster) ramène l’enfant costumé à l’intérieur et une partie de la bande, ne sachant de qui il s’agit (Bucky n’a connu que deux aventures auparavant, il n’est sans doute pas encore très connu), parle d’abord tout simplement de le laisser partir. Mais le Red Skull les contredit. Lui est plus au fait de ce genre d’informations : « Je suis surpris que tu ne connaisses pas ce jeune garçon Slug. Il s’agit du jeune partenaire de Captain America ! ». L’espoir qu’on le relâche s’efface d’un coup et Bucky cache son visage derrière un de ses bras. La bande est catastrophée mais le Red Skull, lui, se réjouit. Il a en projet de retenir Bucky en otage (et sans doute de demander une rançon) puis, plus tard, de le soumettre à son « regard de mort ».

Le Red Skull est cependant interrompu par quelqu’un qui frappe à la porte. Surpris, le criminel demande de qui il s’agit… Avant que la porte vole en éclats et que Captain America bondisse dans la pièce, prenant tout le gang par surprise. Ne me demandez pas comment le héros a pu trouver, lui aussi, la cachette du Red Skull. Sans doute est-il pourvu de la même chance que Bucky quelques instants plus tôt. Surpris de trouver son jeune compagnon sur les lieux, Captain America l’apostrophe « Alors tu as désobéi à mes ordres, petite canaille ? ». Mais très vite les deux héros se lancent dans la bataille et cette fois le gang n’a aucune chance face à eux. Voyant qu’ils sont en train de prendre le dessus, le Red Skull s’échappe par un passage secret, en promettant de revenir « pour plus de morts ».

Réalisant qu’il est trop tard pour le poursuivre, Captain America et Bucky décident de revenir à la caserne où ils sont stationnés et de retrouver leurs identités de Steve Rogers et Bucky Barnes. C’est donc dans leur tenue de militaires que nous les retrouvons le lendemain, quand leur sergent vient chercher Rogers. Il a besoin d’hommes pour surveiller des tests d’un nouvel avion. On ne tarde pas à présenter au détachement un certain Maxon, propriétaire de la Maxon Aircraft Corporation, venu assister en personne aux tests. Hélas, quelques instants après son décollage le bombardier en phase de test prend feu et s’écrase. « Une fois encore un sabotage a frappé le cœur de l’Amérique » comment le narrateur, qui semble exclure d’emblée que le crash soit accidentel. Maxon se lamente pour la perte de son avion mais Rogers n’y tient plus et l’interrompt d’une manière assez peu caractéristique pour quelqu’un qui est « en couverture » et ne tient pas à se faire remarquer : « Votre avion ? Mon œil ! Que dire des hommes qui sont morts à bord ! ». Un général, furieux, intervient pour dire à Rogers de la boucler et de tenir son rang. Plus tard, à la caserne, Bucky demande à Steve ce qu’ils peuvent faire si, comme l’adulte le pense, il s’agissait d’un sabotage. « Nous n’allons pas intervenir… Mais Captain America, lui, le fera ! ».

Pendant ce temps le général Manor et Maxon se séparent. Le militaire assure qu’il fera une enquête sur cet accident. Maxon, lui, explique ces événements sont bien trop d’émotions pour son faible cœur. Puis il souhaite une bonne nuit au général, en lui conseillant de bien se reposer : « Nous ne voudrions pas qu’il arrive quelque chose au plus grand génie militaire d’Amérique ! ». Le militaire rentre donc chez lui où son épouse l’informe qu’il a reçu un colis. Manor s’isole donc dans son bureau en se demandant bien ce que cela peut-être… Et découvre avec effroi un vrai crâne rouge, accompagné d’une carte le prévenant qu’il est en train de vivre sa dernière nuit. Au début Manor ne prends pas la menace au sérieux et balance la carte dans un feu de cheminé. Mais quelqu’un derrière lui l’interpelle. Le Red Skull est là ! Le général Manor tente bien de l’arrêter avec son revolver mais l’assassin nazi évite le tir et se jette sur lui, commençant à l’étrangler avant d’exercer sur lui son « regard de la mort ». Le général Manor s’écroule et le Red Skull peut alors barrer son nom sur une petite liste, qui fait également mention de Captain America et Bucky. En clair, ils sont les prochaines victimes d’un Red Skull que rien ne semble arrêter… Mais au moment où on pouvait croire que le scénariste avait oublié nous avoir montré quelques vignettes plus tôt que Manor était marié, madame Manor entre dans la pièce. Elle a entendu le coup de feu et arrive, une arme à la main et promet que le Red Skull payera pour ce meurtre. L’assassin ne se démonte pas : « Vous avez tort ! C’est l’Amérique qui payera ! Car j’en serais le maître suprême ! ». Puis il fait mine d’exercer sur elle son terrible regard mortel avant de se raviser et de se contenter de l’assommer : « Ha ! Ma mort (NDLR : comprenez le type de mort bien spéciale que déclenche son regard) est seulement pour les gens importants ! ».

Mais le Red Skull est à nouveau interrompu. Des bruits de pas se font entendre et c’est au tour de Captain America de faire irruption dans la pièce. Un corps à corps s’engage entre les deux hommes et il convient de noter que, même si Steve Rogers est un super soldat, c’est le Red Skull qui l’emporte et qui arrive à l’assommer en lui cassant une chaise sur la tête. Puis l’assassin prend la peine de barrer son nom sur sa liste avant d’essayer de relever Captain America pour le forcer à croiser son regard : « Regarde dans mes yeux… Regarde ta mort ! ». De l’autre côté de la fenêtre, Bucky assiste à la scène en se demandant de quoi il peut s’agir. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de se regarder dans les yeux ? Il arrive à son tour dans la pièce et frappe par l’arrière le Red Skull, qui laisse échapper Captain America sans avoir pu le tuer de son regard. Cette distraction permet au héros de reprendre conscience : « Wow ! j’ai l’impression d’avoir été frappé par une canonnière ! »… Ce qui est un signe que ,dès le début ,Joe Simon et Jack Kirby envisagent le Red Skull comme quelqu’un capable d’une force et de prouesses physiques au moins égales (et sans doute supérieures) à celles de Captain America. Mais cette fois le héros américain est sur ses gardes et il donne deux puissants coups de poings au Red Skull. Le premier le neutralise, le second brise le masque en forme de crâne. « Le crâne n’était qu’un faux visage » s’exclame Bucky.

Captain America et le jeune garçon peuvent alors voir que le Red Skull n’est autre que l’industriel Maxon. Et à côté de ce dernier Bucky découvre une seringue hypodermique tout en comprenant pas ce qu’elle vient faire dans cette affaire. C’est Captain America qui lui explique : « Tout prend son sens, Bucky ! C’est cela le regard de mort du Red Skull ! ». Rogers dit à Maxon : « Votre plan était d’effrayer vos victimes et d’en profiter pour leur injecter ce poison dans le corps ; de manière à faire croire que vous les aviez tué avec vos yeux ! Vous n’êtes qu’un tueur de nature, Skull… euh Maxon. Cet avion s’est également écrasé de votre faute ! Mais il en faudra plus que vous pour humilier ce pays ! ». Le Red Skull tente alors une dernière contre-attaque, faisant mine d’injecter le contenu de la seringue à Captain America. C’est Bucky qui l’en empêche de justesse et alors que Maxon et l’enfant roulent à terre, le garçon tente de lui arracher la seringue. Finalement Maxon roule lui-même sur la seringue, s’empoisonnant lui-même à quelques centimètres d’un Captain America impassible. Bucky est interloqué : « Mais tu as vu tout ça… Pourquoi ne pas l’avoir empêché de se tuer lui-même ? ». Captain America se contente d’un simple « Je ne répondrais rien, Bucky ! ». Autrement dit Captain America a, en toute connaissance de cause, laissé le Red Skull se suicider. Ce qui pose la question de la position du héros (et des auteurs) quand au fait de laisser mourir des ennemis. Certes, c’est la guerre, mais on n’est quand même pas dans une tranchée. Qui plus est, dans l’idéal, Maxon aurait pu être interrogé…

Captain America téléphone ensuite au FBI pour l’informer que le général Manor est mort, tout comme le Red Skull qui vient de se suicider. Puis les deux héros s’enfuient par la fenêtre, laissant des fédéraux venir inspecter le corps de George Maxon. Les policiers s’interrogent. Pourquoi le dirigeant d’une compagnie d’aviation se donnerait la peine de jouer à l’espion ? Dans une de ses poches, ils trouvent cependant une lettre du « Führer » qui promettait à Maxon le poste de ministre de l’industrie américaine le jour venu.

On notera d’une part que le nom d’Hitler n’est pas cité mais qu’on se limite au terme de « Führer » mais aussi que le leader nazi promettait à Maxon un « simple » poste de ministre alors que le Red Skull parlait clairement, lui, de devenir le maître de l’Amérique. Ce qui fait que, déjà, on peut se demander si le Red Skull n’avait pas prévu de doubler Hitler plus tard… « Et ainsi s’achève la sanglante carrière de George Maxon… alias le Red Skull ! » alors qu’on nous montre le visage du défunt industriel…

En fait il semble que Simon & Kirby n’avaient aucune intention de ramener le Red Skull après cet épisode. Mais il faut bien dire que parmi les différents adversaires que Captain America rencontre dans son premier numéro l’homme au masque écarlate reste le plus marquant. Peut-être que les lecteurs le réclamèrent. Peut-être que les dirigeants de Timely demandèrent qu’on l’utilise à nouveau. Ou plus simplement (sans qu’aucune de ces trois hypothèses soit contradictoire avec les deux autres) peut-être que Simon & Kirby changèrent d’avis par la suite. Le fait est que dans Captain America Comics #2 on ne voit aucunement l’assassin. Dans le #3, par contre, le Red Skull a remplacé Adolf Hitler (présent sur les deux premiers numéros) sur la couverture, ce qui laisse à penser que le personnage a un certain degré de popularité et que son retour est bien au moins partie dicté par la réaction du public. C’est bien dans le #3 que les deux auteurs décident de faire revenir Maxon en le sauvant dans un récit qui commence assez bizarrement pour l’époque puisqu’il repose sur l’idée que le lecteur a conscience d’une certaine continuité. Sans résumé aucun, « Return of the Red Skull » commence « quelques minutes plus tard » (quelques minutes après quoi ? Il faut avoir Captain America Comics #1 bien en tête pour le savoir). Le cadavre de Maxon est toujours sur le sol de la demeure des Manor (il faut croire que les agents fédéraux n’ont pas trouvé utile d’emmener le corps et préfèrent le laisser pourrir sur place ?). Soudain Maxon se relève : « Les idiots m’ont cru mort ! N’ont-ils pas compris que j’étais immunisé contre mon propre poison ? Ho ! Cette fois le Red Skull ne montrera aucune pitié ! ». Non pas qu’on l’ait trouvé débordant de pitié auparavant…

Maxon est donc alors bien vivant et libre d’entamer une nouvelle vague de terreur contre les Etats-Unis, toujours en s’obstinant à faire croire qu’il peut causer la mort. Mais cette fois il ne s’agit plus d’une histoire de regard. Le Red Skull semble tuer les gens à volonté d’un simple toucher. Fini le regard de la mort ! Désormais un contact de sa main tue. Mais en réalité Maxon a simplement changé de manière d’administrer le poison (avec une aiguille caché dans son gant). A la fin de Captain America Comics #3, le Red Skull est à nouveau déclaré mort mais dans des circonstances beaucoup plus troubles. On sent que les auteurs cette fois ont choisit de se ménager une porte de sortie : le Red Skull disparaît dans une explosion et, simplement parce qu’on n’a pas trouvé le corps, Captain America se dit que Maxon est sans doute mort. Logiquement le Red Skull ne devrait pas avoir de problème à se remettre d’une telle disparition. On le retrouve d’ailleurs dans Young Allies #1 et dans Captain America Comics #7 ainsi que dans une ribambelle de comics du Golden Age. Mais en cours de route quelque chose de singulier va se produire. De fil en aiguille Marvel/Timely oubliera tout simplement qu’on a identifié le Red Skull comme étant Américain ! Il n’est pas certain que cet oubli soit totalement accidentel. En 1941, date là laquelle Captain America fait son apparition, l’Amérique n’est pas entrée dans la guerre et l’opinion reste partagée. Les sympathisants de l’Allemagne ont pignon sur rue. Mais en décembre de la même année tout va basculer avec Pearl Harbor et le pays va faire bloc. S’il restera bien quelques éléments semant la sédition, l’idée d’une bonne Amérique (incarnée par Steve Rogers) luttant contre une Amérique pro-nazie (symbolisée par Maxon) perd alors son actualité. Il devient plus efficace, plus spectaculaire et plus pertinent d’avoir un Red Skull germanique (par la suite identifié comme étant Johann Schmidt) laissant échapper des jurons allemands, plus représentatif de l’ennemi alors officiellement déclaré.

Rétroactivement, Marvel a tenté de conserver les apparitions de Maxon dans la continuité en expliquant qu’il s’agissait était un agent du vrai Red Skull. Une sorte d’éclaireur qui aurait été utilisé avant que le vrai Skull allemand vienne frapper l’Amérique. Le Marvel moderne considère que la première apparition officielle du Red Skull allemand est Captain America Comics #7 et que les deux seules interventions historiques de Maxon se limiteraient à Captain America Comics #1 et #3 (ce qui laisse Young Allies #1 en suspens puisqu’il est paru avant Captain America Comics #7).

Même sans la question de la nationalité du personnage il faut bien voir qu’à partir du #7, le Red Skull change profondément de méthode. Sans doute parce qu’il aurait été fastidieux de le représenter encore en train de découvrir une nouvelle fausse manière de donner la mort (encore que par la suite le Red Skull utilisera une poudre rouge mortelle), Simon & Kirby repensent en effet les gimmicks du personnage.

Le Red Skull apparaît alors du jour au lendemain comme un tueur qui prend toujours la peine d’annoncer sa venue en sifflant la marche funèbre de Chopin (chose que Maxon ne faisait absolument pas). En relisant avec le recul Captain America Comics #7, il est effectivement assez facile de penser que quelqu’un d’autre que Maxon porte désormais le masque rouge…

La vérité ultime, c’est que ni Maxon ni Schmidt ne sont les premiers utilisateurs du nom et du motif du « Red Skull ». Nous avons vu précédemment que l’assassin nazi était au moins en partie inspiré par les écrits d’Edgar Allan Poe en 1842 mais il existe une autre influence littéraire majeure. Le Red Skull est en effet issu à la base des exploits de Doc Savage, personnage de pulps apparu dans les années 30. « The Red Skull » est tout bonnement le titre d’un roman consacré à Savage (paru en août 1933). Dans cette histoire, le héros et ses alliés affrontent un certain Buttons Zortell, fasciné (comme Maxon) par l’usage des poisons.

Zortell tue ainsi une de ses victimes en déposant un violent poison sur la sonnette de Doc Savage. Quand un pauvre visiteur venu demander l’aide de Savage touche la sonnette, l’homme meurt dans les pires convulsions. Ce qui pousse bien sur Savage à enquêter et à traquer Zortell. Ce dernier ne fait pas réellement usage du nom Red Skull mais la bande se réfère à ce motif parce que leur cachette se trouve dans Red Skull Canyon, en Arizona. D’ailleurs Zortell n’est pas le chef de la bande mais travaille pour un leader… forcément masqué ! Bien sûr, peu de choses ressemble autant à un crâne rouge qu’un autre crâne rouge mais il est difficile, en voyant la couverture classique du roman, de ne pas penser au masque porté par Maxon puis pas Schmidt dans les aventures de Captain America.

Précisons au passage qu’il existe aussi une certaine communauté d’esprit entre Doc Savage et Captain America. Savage a été élevé « scientifiquement » depuis la petite enfance par les meilleurs savants que son père a pu trouver pour devenir un être parfait en tout point, un colosse blond avec une certaine capacité à déchirer ses chemises sur une partie des couvertures de ses romans.

Steve Rogers n’a pas été traité depuis l’enfance par des savants mais le sérum du super-soldat est pour lui comme une sorte de cours accéléré pour devenir un émule de Doc Savage. A plus forte raison parce que le Doc Savage des années 30/40 était un grand gaillard blond à la mèche rebelle (par opposition au look « coupe en brosse » qu’on utilise plus souvent de nos jours) qui anticipait énormément l’apparence de Steve Rogers.

Ironiquement Doc Savage doit lui aussi certains éléments de ses débuts à l’œuvre d’Edgar Allan Poe. Dans le premier roman consacré à ce héros (The Man of Bronze, paru en mars 1933), Doc Savage affronte entre autres le Master of Red Death (le Maître de la Mort Rouge), qui diffuse une terrible épidémie mortelle. Or, la Mort Rouge était justement le nom de l’épidémie utilisée par Poe dans « The Masque Of The Red Death ».

Mieux : le contenu du roman « The Man of Bronze » fut adapté en comic-book chez Marvel dans les années 70, période à laquelle les droits de Doc Savage étaient loués par l’éditeur de comics. Marvel aurait tout aussi bien pu organiser un crossover Doc Savage/Captain America dans lequel « Doc » aurait pu faire face au Red Skull. Mais l’ironie n’est pas allé jusque là…

[Xavier Fournier]