French Collection #318

French Collection #318

7 septembre 2016 Non Par Jean-Michel Ferragatti

Cette semaine, nous allons poursuivre notre série sur les doubles dans les comics avec un personnage éphémère dans une série dans laquelle nous ne l’attendions pas. Le motif du double est récurrent dans l’histoire des comics et notamment au sein du genre super-héroïque comme par exemple Bizarro (cf. French Collection #221). Cependant, le double que nous allons étudier dans cette chronique est inattendu à la fois par le genre de comic dans lequel il apparaît et par le personnage dont il est le reflet.

Le personnage de Captain Storm que nous avons déjà étudié dans French Collection #159 est atypique a bien des égards et aborde notamment le thème du handicap dans les comics et plus particulièrement dans un contexte de guerre. Dès la couverture de Capt. Storm #15 (1964 Series) nous sommes happés dans l’épisode à la fois par le titre antinomique « My enemy – My friend » et par la prothèse du commandant japonais qui assaille Captain Storm. La dynamique du scénario de Robert Kanigher se poursuit dès la première page de l’épisode ou le parallèle entre les jeunes Johnny Storm & Hiro Satumi est instauré. Tous deux ont l’héroïsme chevillé au corps, même si celui du jeune Hiro est fortement teinté de nationalisme. Après tout, il faut bien que l’ennemi possède une certaine agressivité.

French Collection #318

Lors de leur enrôlement, tous les deux sont prêts à faire le sacrifice suprême pour la sauvegarde de leur bateau. Et de la même manière que le Captain Storm perdra sa jambe lors du torpillage de son navire, le Lieutenant Satumi perdra son bras lors d’un affrontement avec un destroyer que son sous-marin réussira néanmoins à couler. Rester sur le pont de son navire, sabre au clair le Lieutenant Satumi défie les tirs ennemi. Malheureusement, son bras est réduit en charpie par les éclats d’obus, même si sa volonté inflexible lui permet de garder son sabre de commandement. Amputé du bras droit (contrairement à l’illustration de couverture qui nous montre une prothèse au bras gauche), le Lieutenant Satumi continue de lutter cette fois-ci contre son handicap pour démontrer qu’il est toujours capable d’assumer son rôle de commandant de sous-marin.

Son histoire est donc l’exact parallèle de celui du Captain Storm même si encore une fois, ses motivations paraissent un peu moins généreuses que celle de son futur adversaire. Si pour les deux, il s’agit d’une rédemption elle est plus personnelle pour le Lieutenant Satumi (voir égoïste) que pour le Captain Storm dont la motivation est de prouver à tous les blessés de guerre de l’hôpital ou il effectue sa convalescence qu’ils peuvent encore être utiles. D’ailleurs, lors de sa première mission après sa réaffectation, le Lieutenant Satumi fait assez peu de cas de la vie de son équipage, comme de la sienne en effectuant des manœuvres extrêmement risqué.

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A l’inverse, le Captain Storm va risquer sa vie pour sauver celle de son équipage. Passé par-dessus bord lors d’une attaque, il va plonger au plus profond afin que son équipage croie qu’il est noyé et fuit la zone de combat ou ils restent pour essayer de le récupérer. Après avoir ainsi réussit à sauver ses hommes, le Captain Storm se retrouve près du sous-marin du Lieutenant Satumi. Lorsqu’il aborde le pont du submersible, ce dernier fend l’air de son sabre. Storm est persuadé que sa dernière heure est venue car les japonais ont la réputation de ne pas faire de prisonnier. Mais à sa grande surprise, le sabre s’abat sur un requin qui allait le happer.

Il doit donc la vie à son ennemi (ce qui justifie ainsi le titre de la couverture). Ce dernier a assisté au combat du PT 47 et à la manœuvre de Storm pour sauver ses hommes. Il y a vu l’attitude d’un vrai samouraï et c’est pourquoi il l’a sauvé. Mais l’équipage du PT 47 n’était pas le seul à chercher le Captain et un avion de combat survole alors le sous-marin japonais. Sans hésitation, le Lieutenant Satumi ordonne à son navire de faire immersion se condamnant ainsi à la noyade. Storm décide alors de payer sa dette vis-à-vis de son adversaire en le sauvant. Mais celui-ci ne l’entend pas de cette oreille et décide de continuer à combattre sabre à la main. Les deux hommes s’enfoncent alors dans les eaux, le Lieutenant Satumi continuant de visiblement enfoncer le Captain Storm dans les profondeurs. En surface, le submersible n’a pas été assez rapide et l’avion de combat a réussi à larguer sa charge sous-marine qui explose entre deux eaux.

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Le Lieutenant Satumi semble ne pas avoir suffisamment de souffle et il se laisse porter par le Captain Storm à la surface. Celui-ci se rend alors compte que le dos de son adversaire mourant est constellé d’éclat de la charge. Le Lieutenant n’essayait pas de le noyer mais à interposer son corps face à la charge sous-marine sauvant ainsi pour la deuxième fois son ennemi. Dans un dernier souffle, il demande à Storm de le laisser couler pour retrouver son navire. Et c’est un Captain Storm en larmes qui est repêché par les forces navales américaines. Alors que ses sauveteurs lui demandent pour qui il pleure, le Captain Storm leur répond « Pour un lieutenant ! ».

Robert Kanigher à travers un encadré interroge alors le lecteur : « Qui était l’ami… et qui était l’ennemi dans cet étrange combat sans merci ? » Le Lieutenant Satumi est bien le double du Captain Storm même s’il n’est apparu qu’au cours d’un épisode. Et si ses motivations apparaissent moins nobles que celle de son double, il ne s’agit que d’un artifice scénaristique subtil qui construit un certain rejet du personnage pour permettre de sublimer son ultime sacrifice.

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Encore une fois, Robert Kanigher démontre qu’il est un scénariste exceptionnel qui poursuit inlassablement une œuvre réaliste qui démontre l’inanité de toutes les guerres en utilisant ici le motif du double tellement souvent réduit à une opposition manichéenne dans bien d’autres cas. Rien que pour cela cet épisode valait amplement une chronique. En France, les lecteurs pourront trouver sa traduction dans le Petit Format en N&B de l’éditeur nordiste Artima – Arédit Brûlant 1ère série n° 20.

[Jean-Michel Ferragatti]